Jeudi 12 mars 2020

« Se laver les mains est une mesure très efficace et peu coûteuse pour éliminer germes, microbes et virus… »
Découverte d’Ignace Philippe Semmelweis

L’épidémie du Covid-19 a remis à l’honneur la discipline élémentaire et essentielle pour l’hygiène de se laver les mains.

Et ce rappel conduit au souvenir du médecin hongrois de Vienne : Ignace Philippe Semmelweis.

Plusieurs articles récents ont fait référence à cet homme essentiel qui fut rejeté par ses pairs et qui découvrit trop tôt ce que les gens de l’époque ne voulait entendre.

L’exergue du mot du jour est le titre d’un article du Monde publié le 13 février et écrit par Loïc Monjour, ancien professeur de médecine tropicale à la Pitié-Salpêtrière, Paris.

Dans cet article il écrit :

« Le nom d’Ignace Philippe Semmelweis, né à Budapest en 1818, est peu connu. Pourtant, depuis deux siècles, la plupart des femmes à travers le monde, de toutes conditions sociales, bénéficient de sa perspicacité et de ses travaux… Ce génie médical a aboli la tragédie des fièvres puerpérales (après l’accouchement) dans son service de la maternité de Vienne et découvert l’importance de l’asepsie avant le grand Pasteur.

Ses étudiants en médecine pratiquaient des autopsies avant de se rendre à la maternité pour effectuer des examens de femmes en travail ou procéder à des accouchements. La mortalité des parturientes était considérable, et Semmelweis, après une véritable enquête épidémiologique, imposa aux étudiants de se laver les mains avant toute intervention obstétricale, non pas avec du savon, mais avec une solution de chlorure de chaux, une initiative inconnue à l’époque.

Par cette seule mesure, le pourcentage de décès causés par la fièvre puerpérale s’effondra de 12 % à 3 %. Il allait révéler à ses confrères le danger que représentent ces infections que l’on appelle aujourd’hui « manuportées » et « nosocomiales » et l’intérêt de l’utilisation d’un antiseptique pour y parer. Mais, sans appui officiel, n’ayant pas su convaincre, peu à peu, il sombra dans la démence et mourut à 47 ans. »

Guillaume Erner dans sa chronique du 9 mars a également rendu hommage à ce précurseur :

« C’est ça l’intérêt du Covid : maintenant je peux vous demander sans passer pour un type un peu étrange si vous vous êtes lavé les mains… Lave toi les mains, ne dis pas bonjour à la dame, jette moi ce mouchoir, nous sommes tous devenus des parents, je veux dire des parents avec des gens qui ne sont manifestement pas nos enfants. Les délires les plus hygiénistes ont désormais complètement droit de cité. […]

Le Covid accompagne le retour en force d’Ignace Philippe Semmelweis, médecin obstétricien hongrois du XIX e siècle, lequel a beaucoup fait pour l’espèce humaine, en obligeant ses semblables à se laver les mains. C’est que l’on doit à Semmelweis : l’éradication de la fièvre puerpérale. Ce médecin avait découvert qu’il fallait se laver les mains après avoir procédé à une dissection de cadavre et avant de se livrer à un accouchement. Mais, hélas, le destin de Semmelweis fut d’être un Galilée du savon, je veux dire qu’il fut persécuté pour ce conseil étrange, il mourut à l’asile pour avoir suggéré à ses contemporains de se laver les mains…

Et qui pris la plume quelques années plus tard pour défendre cet homme ?

Louis Ferdinand Céline, romancier mais aussi médecin, Céline consacra sa thèse de médecine, en 1924, à la vie et à l’œuvre de Semmelweis, ce qui évidemment n’arrange pas la mémoire de Semmelweis, je m’en voudrais de franchir le point Céline avant 7 h du matin.

L’épidémie de coronavirus marque une nouvelle victoire posthume de Semmelweis : l’idée que le salut de l’espèce passe désormais non seulement par le savoir, mais aussi et surtout par le savon. »

Le Figaro a publié le 9 mars 2020 : <Ignace Philippe Semmelweis, martyr du lavage des mains>

Et, Slate a publié un article le 10 mars 2020 : <Semmelweis, le médecin hongrois qui apprit au monde à se laver les mains> qui rappelle un peu plus précisément le destin de ce médecin :

« Vienne, été 1865. Dans l’asile psychiatrique du quartier de Döbling, au nord de la capitale autrichienne, un savant hongrois rongé par la démence vit sans le savoir ses deux dernières semaines. Interné par ses amis et ses parents, Ignace Semmelweis n’est plus que rage et rancœur contre un monde abhorrant son avant-gardisme. Le personnel de l’institution répond par les coups à la violence de l’homme dont la santé mentale s’est considérablement détériorée en quelques années. Le 13 août, Semmelweis succombe à ses blessures, laissant un héritage médical seulement reconnu post-mortem. »

Et il raconte son histoire :

« Deux décennies plus tôt, le praticien budapestois réalisa la découverte qui le rendit aussi fou que célèbre. En 1847, une femme sur cinq meurt en couches de la fièvre puerpérale dans le service de l’hôpital viennois où l’obstétricien officie. La même année, un ami professeur d’anatomie décède d’une infection similaire à celle des mères après s’être coupé le doigt avec un scalpel.

Semmelweis prescrit un lavage des mains via une solution d’hypochlorite de calcium entre le travail à la morgue et l’examen des patientes. La mortalité dévisse, Ignace a vu juste, mais le corps médical niera longtemps l’évidence.

[…] Semmelweis redoutait les cercles savants de Vienne et attendra le crépuscule de son existence avant d’assumer sa trouvaille. La majorité des scientifiques de l’époque, acquis à la médecine antique, pensaient que toute maladie résulte d’un déséquilibre des quatre éléments fondamentaux (air, feu, eau, terre) imprégnant le corps humain.

Qu’à cela ne tienne, le médecin hongrois étendit ses mesures d’hygiène aux instruments sollicités pour l’accouchement et éradiqua quasiment la fièvre puerpérale. Craignant l’influence croissante du Hongrois, le professeur Johann Klein le chassa de son service en 1849.

Semmelweis demande à obtenir un poste de professeur non rémunéré en obstétrique mais n’obtiendra gain de cause qu’au bout de dix-huit mois, sans accès aux cadavres et avec l’obligation d’utiliser des mannequins. Humilié, le praticien regagne sa Budapest natale et prend la direction de la maternité de l’hôpital Szent-Rókus de Budapest.

La recette Semmelweis fait de nouveau des miracles. Entre 1851 et 1855, seules huit patientes meurent de la fièvre puerpérale sur les 933 naissances enregistrées durant la période. Le praticien devient professeur et instaure le lavage des mains dans la clinique de l’université de Pest.

Semmelweis se marie, décline une offre à Zurich, rédige une série d’articles défendant sa méthode controversée et tacle le scepticisme de ses pairs dans un ouvrage de 1861 compilant ses découvertes. Fâché par plusieurs critiques défavorables de son livre, Semmelweis attaque ses détracteurs comme Späth, Scanzoni ou Siebold en les traitant de «meutriers irresponsables» et de «sombres ignorants» via une série de lettres ouvertes amères et courroucées. Médecins et biologistes allemands, emmenés par le pathologiste Rudolf Virchow, rejettent énergiquement sa doctrine. Le début de sa descente aux enfers. […]

Sa volonté de convaincre l’ensemble de ses confrères du bien-fondé de ses théories vire à l’obsession. Semmelweis n’a plus que la fièvre puerpérale en tête. Des portraits réalisés entre 1857 et 1864 montrent un état de vieillissement avancé, la quarantaine à peine passée. Les syndrômes de la dépression nerveuse l’envahissent. Au milieu de l’année 1865, son attitude préoccupe ses collègues et ses proches. Il sombre dans l’alcoolisme, s’éloigne de plus en plus souvent de sa famille et cherche le réconfort en fréquentant des péripatéticiennes. Son comportement sexuel intrigue son épouse Mária.

Le célèbre chirurgien János Balassa, pionnier de la réanimation cardiaque et médecin traitant de Semmelweis, monte une commission recommandant son placement en établissement spécialisé. Le 30 juillet, son ancien professeur Ferdinand Ritter von Hebra, partageant dès 1847 les découvertes de Semmelweis dans une revue médicale viennoise de renom, l’attire vers l’asile où il mourra en prétendant lui faire visiter l’un de ses nouveaux instituts locaux. Comprenant le piège, Semmelweis tenta de fuir avant d’être frappé par des gardes, mis en camisole et enfermé dans une cellule sombre. »

En 2013, l’Unesco adouba le «sauveur des mères» dont l’université de médecine de Budapest porte le nom en inscrivant ses constatations sur la fièvre puerpérale au patrimoine mondial de l’humanité. Aujourd’hui, plus personne ne conteste la nécessité de se désinfecter les mains afin d’éviter la propagation des maladies. Surtout en pleine épidémie de coronavirus.

Il y a encore du travail en France. Le premier article cité donne les informations suivantes :

« Dans une étude internationale portant sur 63 nations, la France se trouve en 50e position en ce qui concerne l’hygiène des mains. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) concluait en 2012 que seulement 67 % des Français se lavent les mains avant de cuisiner, 60 % avant de manger et à peine 31 % après un voyage en transport en commun. Dans les toilettes publiques, 14,6 % des hommes et 7,1 % des femmes négligent ce geste de propreté élémentaire. »

En janvier 2017, un mot du jour avait déjà été consacré à « Ignace Philippe Semmelweis »

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Mardi 9 juillet 2019

« 30% de calories en moins, c’est 20% de vie en plus ».
Frédéric Saldmann

Evidemment si vous espériez que cette série de mots du jour réponde à la question de savoir si la meilleure huile est l’huile d’olive ou l’huile de colza vous ne pouvez être que déçu.

Mais, dans le premier article qui a introduit cette série, « L’homme est ce qu’il mange » j’avais prévenu :

« Pour celles et ceux qui espèrent trouver des réponses dans ces mots du jour, je ne peux que reconnaître que cet espoir n’a aucune chance de prospérer.

Mais notre expérience nous l’a appris, pour progresser ce qui est fondamental ce n’est pas de trouver les réponses, mais c’est d’abord de poser les bonnes questions. »

Alors pour avoir de bons conseils pour manger, la troisième émission du sens des choses : <Comment faudrait-il manger aujourd’hui pour tirer le meilleur de son corps et de son esprit ?> aurait pu servir à cette fin

Jacques Attali et Stéphanie Bonvicini avaient, dans ce but, invité le médecin nutritionniste Frédéric Saldmann.

En fait, Frédéric Saldmann est un médecin qui a d’abord appris à la faculté de médecine la cardiologie.

Il raconte qu’il souffrait d’obésité et que cela lui a valu des problèmes de santé. Quand il a consulté un confrère ce dernier lui a prescrit tout un paquet de médicaments.

Frédéric Saldmann a décidé de ne pas prendre ces médicaments et de changer radicalement son alimentation. Il a perdu 25 kilos, n’était plus malade, a décidé d’écrire des livres et de devenir nutritionniste.

Tout au long de l’émission, il a lancé des affirmations avec un ton extrêmement convaincant.

Il a parlé notamment de deux patients qui sont venus le voir, tous les deux avaient le cancer.

Et chacun des deux affirmaient manger très sainement et avec beaucoup de soins.

Avec un questionnement approfondi il a pu découvrir que le premier patient buvait des boissons brulantes ce qui est propice au cancer de l’œsophage qu’il avait. Le second faisait beaucoup de barbecue et aimait manger la viande très grillé, brulé. Le cancer du côlon en était la conséquence.

Le conseil est donc de ne pas boire trop chaud et de ne pas manger de la viande carbonisée.

Ceci s’entend, je l’ai lu ailleurs et c’est très probablement exact.

Mais pour la viande carbonisée il affirme : 3 cm de croute brulée c’est comme fumer 200 cigarettes !

C’est probablement plus convainquant avec des chiffres !

Il m’étonnerait beaucoup qu’une étude ait été menée pour parvenir à cette comparaison…

Et puis il a aussi avancé cette « vérité » :

« 30% de calories en moins, c’est 20% de vie en plus ».

D’où sort-il ces chiffres ? Mystère.

C’est le type de message qui immédiatement mobilise mes capteurs d’alertes. Le doute surgit !

Si ce cardiologue devenu nutritionniste avance des arguments de ce type sans preuve peut-on croire le reste de ces affirmations ?

Il dit qu’il ne faut pas seulement se focaliser sur les calories mais aussi sur l’indice glycémique des aliments.

L’index glycémique permet de comparer des portions d’aliments qui renferment le même poids de glucide en fonction de leur capacité à élever le taux de sucre dans le sang (glycémie). Il indique à quelle vitesse le glucose d’un aliment se retrouve dans le sang.

Frédéric Saldmann donne alors comme exemple la pastèque qui a peu de calories mais un index glycémique élevé. Quand vous mangez des pastèques, cela va faire sécréter énormément d’insuline par le pancréas, le sucre va se transformer en graisse et va créer de l’inflammation. Et il compare à un avocat qui a un index glycémique proche de zéro, il n’a aucun effet inflammatoire. Et quand on prend un burger frites, ce qu’il ne faut pas faire selon F.S., l’avocat fait baisser de 30% l’effet inflammatoire de ce mauvais repas. Toujours des chiffres pour crédibiliser l’argument.

Il donne aussi comme conseil au milieu du repas de s’arrêter de manger pendant 3 minutes et au bout de l’attente de vérifier si on a toujours faim. Et bien sûr de s’arrêter si on constate le contraire. C’est certainement un bon conseil.

Comme celui de manger beaucoup de légumes et de fibres.

Il parle des « aliments retards » comme les sardines, les maquereaux, les poivrons grillés qui restent très longuement dans l’estomac et permettent ainsi d’éviter d’avoir faim rapidement.

Par contre quand il conseille de commencer le repas avec une banane nappée de chocolat à plus de 80% pour couper la faim on peut s’interroger.

De mettre de la cannelle sur les pommes ?

Et puis c’est un adepte du jeûne intermittent que lui appelle séquentiel. Il dit :

« On arrive à un moment très paradoxal. Pendant très longtemps les humains se sont battus, ont lutté pour se nourrir, avec leur force. Et aujourd’hui, cette abondance nous nuit.

Je m’interroge beaucoup à un sujet qui est le jeûne séquentiel.

C’est-à-dire entre 12 à 16 heures, vous décidez d’arrêter de vous alimenter. Vous buvez beaucoup d’eau de la tisane, du thé. Vous arrêtez de diner à 21 heures et vous déjeunez à 13 heures.

A ce moment-là, vous vous apercevrez que le teint est plus clair, que vous êtes plus tonique, qu’il y a moins d’asthme et moins de rhumatisme.

Qu’est ce qui se passe ?

A chaque seconde, on produit 20 000 000 de cellules, pour remplacer nos cellules usées ou mortes. Le problème c’est que plus on avance en âge, plus le nombre d’erreur de copies augmentent, donnant lieu à des cancers. Quand on jeûne, on renforce son ADN, on diminue le nombre d’erreurs de copie. »

<Il répète cette injonction dans cet entretien>

Mais parallèlement, dans ce même entretien il prétend qu’il faut le faire de manière occasionnelle, une fois par semaine peut être. Et aussi qu’il faut le faire avec l’accord du médecin traitant.

Mais, en même temps, il prétend que 3 repas c’est trop dans une journée et il préconise deux repas. C’est-à-dire que si vous faites au plus équilibré, il y aura au moins douze heures entre deux repas Et si vous équilibrez moins la journée, vous arriverez à plus de 12 heures pour l’un des entractes entre les deux repas. Or, le jeûne séquentiel est justement une interruption entre les deux repas entre 12 et 16 heures.

Il parait donc contradictoire de prétendre d’une part qu’il faut que le jeûne séquentiel soit épisodique et d’autre part en faire une norme.

Ceci m’a conduit à essayer de cerner le sérieux et l’activité de ce docteur Saldmann

J’ai d’abord trouvé cet article très critique de Libération pour la sortie de son ouvrage « «Le meilleur médicament, c’est vous !» : <Avaler des évidences plutôt que des cachets> et cet autre article <Astuces du Dr Saldmann pour mourir en forme> sur un autre livre, best-seller du cardiologue reconverti : « Prenez votre santé en main ! »

Nous pouvons penser que « Libération » est injuste avec ce « nutritionniste » mondialement connu.

A priori <Wikipedia> soutient Libération :

« Frédéric Saldmann, […] est un médecin cardiologue, nutritionniste et chef d’entreprise français. Il a présidé les sociétés commerciales SPRIM et EQUITABLE jusqu’en 2014.

Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la santé et l’hygiène alimentaire, et intervient régulièrement dans les médias.

Certaines affirmations contenues dans ses ouvrages sont critiquées, concernant l’interprétation peu rigoureuse qu’il fait de recherches et statistiques. […]

Il a présidé les sociétés de conseil en affaires et gestion SPRIM — laquelle conseille des multinationales de l’agroalimentaire comme Danone, Nestlé, Coca-Cola, Herta ou encore Blédina — et EQUITABLE jusqu’en 2014.

Sa troisième épouse, Marie Saldmann, préside les deux sociétés depuis cette date. […]

Il dirige avec Gérard Friedlander, une société commerciale, l’Institut européen d’expertise en physiologie (IEEP) qui fait « l’interface entre groupes industriels et monde académique ». L’IEEP est largement financé par les dépenses de recherche de Coca-Cola, ayant reçu près de 720 000 euros au cours de la période 2010-2014 pour un « projet de recherche sur les édulcorants intenses », alors que « la multinationale aménage de multiples clauses pour exercer une influence sur les travaux scientifiques qu’elle sponsorise. ». […]

Lors de plusieurs prises de positions, Frédéric Saldmann émet des recommandations alimentaires basées sur des études observationnelles. Bien que ce type d’étude permette de mesurer des corrélations (par exemple entre comportement et état de santé), cela ne suffit pas à établir un lien de causalité et permet tout au plus d’aider à proposer des actions de prévention et non d’établir un traitement.

Il affirme que le chocolat noir 100 % permet de réguler son poids, notamment grâce à son effet coupe-faim dans le livre “Le Meilleur Médicament c’est vous”, ainsi que lors de la promotion du livre dans les médias. Il cite pour cela une étude réalisée par Beatrice Golomb de l’Université de Californie à San Diego ayant relevé une corrélation entre poids et la consommation régulière de chocolat. Cependant, l’étude est critiquée pour sa méthodologie car celle-ci ne permet pas d’établir un lien de cause à effet. Elle est également citée comme principal exemple de mauvaise interprétation des recherches scientifiques dans le documentaire Pour maigrir, mangez du chocolat ! Vérité scientifique ou manipulation ? (Arte, 2015). Cette corrélation du chocolat est connue dans le milieu scientifique comme un exemple caricatural de junk science (« science poubelle », publications racoleuses et peu fiables destinées essentiellement à la viralité médiatique). »

La journaliste Sophie des Déserts lui a consacré également un article documenté et peu favorable : « Docteur Frédéric Saldmann, médecin et gourou du Tout-Paris »

C’est un article est très long. Je n’en tire que 3 extraits : d’abord sur la clientèle.

« Le docteur Saldmann reçoit sur rendez-vous, deux ou trois matinées par semaine, à l’hôpital européen Georges Pompidou, joyau de la médecine publique. Deuxième étage, service des « explorations fonctionnelles ». Il n’est pas souvent là mais il est réputé pour son goût des lumières (des caméras de télé le filment souvent, aux yeux de tous, sur la passerelle du grand hall) et pour la renommée de sa patientèle. Quand on évoque celle-ci, il oppose un strict secret professionnel et refuse de donner le moindre nom. Isabelle Adjani ou Roman Polanski ? « Des amis », se contente-t-il de préciser. Mais dans le couloir, on peut croiser Bernard Tapie, Jack Lang, Claude Lelouch ou Charlotte Rampling. »

Bien sûr, selon votre degré de célébrité vous n’êtes pas reçu dans les mêmes délais.

« Cardiologue, nutritionniste, expert autoproclamé en médecine prédictive (une discipline non reconnue par la faculté de médecine), fondu de médecine chinoise et de méditation, Saldmann est le nouvel oracle du bien-être et de l’éternelle jeunesse. Cet homme-là prétend que tout est affaire de volonté et d’attention à son corps. Que la retraite est la pire des défaites. Que l’on peut à tout âge faire l’amour et gravir des montagnes. Vivre cent cinquante ans et bientôt peut-être plus encore. Les baby-boomers adorent, a fortiori quand ils sont célèbres, fortunés, puissants mais tellement démunis pour affronter les affres du temps. Saldmann est leur Dieu, non pas parce qu’il consulte au tarif sécu (la plupart de ses patients n’ont pas de problèmes de fins de mois), mais parce qu’il leur offre, sous le label de l’assistance publique, une médecine haute couture, un service personnalisé, rapide et efficace. Un patient recommandé peut être reçu dans les quarante-huit heures. Pour le quidam, c’est évidemment beaucoup plus long. « J’ai un rendez-vous le 15 novembre à 14 heures », m’a proposé sa secrétaire d’une voix désabusée. Nous étions en décembre, s’agissait-il d’une erreur?? « Non, c’est bien cela, comptez un peu moins d’un an. Le planning est plein. » »

Il sait parler de tout, a un avis sur tout et surtout gère bien ses affaires.

L’ouvrage est à son image, un curieux mélange de pragmatisme et d’érudition, d’argumentations solides et de fantaisies. On y trouve des citations de Montaigne, Woody Allen, Pierre Dac (« L’éternuement est l’orgasme du pauvre »), des leçons de choses, d’hygiène, des recettes de grands-mères, quelques envolées futuristes, de la psychologie positive et beaucoup de bonnes nouvelles. La génétique ne pèse que 15 %, la libido masculine s’entretient ad vitam æternam et la ménopause, avec une bonne hygiène de vie, peut reculer de sept ans?! Il est question de sexe, de stress, d’épices, de méditation et même de constipation. « Avec un petit tabouret devant soi sur le trône, jambes allongées, l’angle ano-rectal est moins fermé, le transit facilité. On gagne une heure par semaine et un ventre plat?! […]

Pédagogue, toujours disponible, il est devenu ce qu’on appelle un « bon client ». Il peut causer de tout, des bienfaits de l’écharpe, de la carotte et du poivre, des allergies, de l’éjaculation précoce, de la chirurgie esthétique et du réchauffement climatique. Et pendant ce temps, loin des projecteurs, le cardiologue mène tranquillement son autre vie, de businessman. »

On apprend aussi qu’il est un grand ami de BHL et bien d’autres informations très surprenantes sur cet homme énigmatique qui a l’air de tout comprendre et de tout savoir sur l’alimentation.

Pour ma part je suis très sceptique sur l’accumulation des livres, des conseils, et détails chiffrés que présente ce médecin, devenu homme d’affaires.

C’est très compliqué de rencontrer des personnes sérieuses sur ce sujet.

La série sur l’alimentation n’est pas terminée par cet article, il y a encore beaucoup à dire sur le sucre, l’obésité, la capacité de la terre de nourrir 10 milliards d’individus, de la grandeur et des « arrangements » du bio et de tant d’autres sujets.

Mais provisoirement je suspends cette série.

A partir de vendredi, le mot du jour se mettra dans une longue pause estivale.

D’ici là, j’ai prévu 3 mots du jour sur d’autres sujets, à partir de demain.

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Jeudi 06 juin 2019

« L’histoire du Zolgensma »
Un médicament de 2,1 millions de dollars

J’ai entendu cette histoire incroyable dans la revue de Presse de Claude Askolovich, <ce mercredi>.

Il a cité l’Express et le Canard enchaîné que j’ai achetés immédiatement.

Vous avez entendu qu’un laboratoire Suisse est parvenu à faire accepter aux Etats-Unis la commercialisation d’un médicament dont le prix unitaire est 2,1 millions de dollars.

Le laboratoire Suisse est « Novartis. »

La question est de savoir comment Novartis a investi dans les brevets et la recherche pour parvenir à ce résultat.

Et cette histoire pourrait commencer par :

« Il était une fois, en France, le téléthon ».

Voici comment Claude Askololovich raconte cette histoire :

« On parle d’une culbute financière…qu’a révélée l’Express et dont parle aussi le Canard enchaîné, une culbute scandaleuse et légale dont nous sommes français les victimes, et qui, sacrilège, concerne la santé.

On a appris en mai que la firme suisse Novartis allait commercialiser le médicament LE PLUS CHER DU MONDE; le Zolgensma qui à deux millions cent mille dollars la prise combat l’amyotropie spinale, maladie génétique qui tue des nourrissons, paralysant leurs muscles et leur respiration.

Et bien, ce médicament a été inventé chez nous en France, par le Généthon, le laboratoire du Téléthon, cause pour laquelle nous mettons chaque année la main à la poche. Les chercheurs du Généthon avaient déposé des brevets; mais quand on dépose des brevets, vos données deviennent publiques, dans le monde réel qui est plus dur qu’un brave labo née d’une association de malades.

Le Généthon avait investi 15 millions d’euros pour des expériences sur les souris, une start-up americaine Avexis a levé 500 millions de dollars pour réaliser des essais cliniques et le passage à l’espèce humaine.

Et le Généthon dépassé, pour quinze millions de dollars, en gros le prix de ses recherches, a cédé ses brevets à son jeune vainqueur…

Lequel vainqueur s’est fait racheter par Novartis pour 8.7 milliards de dollars.

Et Novartis espère vendre pour 2 milliards par an de Zolgensma; le généthon touchera des royalties sur ces ventes, qui seront réinvesties dans la recherche, car nous sommes français des gentils, peut-être inadaptés.

L’Express et le Canard le martèlent, la France n’a pas su créer de  filière pour les thérapies génétiques, qui irait de la recherche jusqu’à l’industrialisation, pas seulement pour être nous aussi milliardaires, mais pour maîtriser le prix des médicaments…  »

Donc résumons :

1° Un sympathique laboratoire français investit 15 millions d’euros.

2° Mais pour la suite il faut un financement bien plus important. Une start up américaine arrive à mobiliser 500 millions de dollars et rachète les brevets du petit laboratoire français.

3° La start up américaine est très efficace mais ne sait pas industrialiser sa découverte. Pas de souci un laboratoire suisse rachète tout pour 8,7 milliards de dollars.

  • Les suisses ont un magnifique business plan, ils pensent vendre pour 2 milliards par an de ce Zolgensma.
  • Les propriétaires de la start up américaine sont devenus très riches et pourront s’ils ont en le besoin acheter le médicament.
  • Le laboratoire français peut tenter de faire d’autres recherches pour trouver des brevets qui permettront d’assurer un nouveau business plan pour une autre firme fortunée.

L’Express rapporte la défense de Novartis devant le tollé provoqué par le prix de ce médicament :  :

« Ce prix est inférieur de moitié au coût sur 10 ans du seul autre traitement existant contre cette pathologie, qui doit être administré durant toute la vie des malades »

Et précise

« L’information est passée inaperçue jusqu’ici, mais ce produit est en effet né dans un laboratoire de recherche français. Et pas n’importe lequel : le Généthon, à Evry (Essonne). Celui-là même qui est largement financé par les dons du Téléthon et par des fonds publics, à travers le salaire d’une partie des chercheurs, issus du CNRS ou de l’Inserm, qui y travaillent. »

Le Canard Enchainé donne la parole aux professionnels français :

« « On s’effondre dans son fauteuil en découvrant des montants pareils ! s’indigne Alain-Michel Ceretti le président de France Assos Santé qui fédère les associations de patients. Au bout de la spirale, le prix du médicament est totalement déconnecté de son coût de recherche développement. […]

Pour la France, c’est une réussite sur toute la ligne : non seulement la découverte lui échappe, mais en plus la Sécu devra payer le remède au prix fort (une centaine de bébés pourraient en bénéficier chaque année. Le 22 mai 2018, au cours d’un déjeuner organisé par le club de l’Europe (une boite de lobbying), le patron de Novartis France avait déjà évoqué devant une brochette de députés, sénateurs et associations de patients, le coût du futur Zolgensma : « Il a parlé de 800 000 euros » pour la France mais ce sera peut-être plus, vu le prix délirant obtenu aux Etats-Unis » raconte un des participants. »

Et le Canard enchaîné donne le mot de la conclusion à Laurence Tiennot-Herment, la présidente de l’AFM-Téléthon :

« On tire la sonnette depuis des années pour éviter ce scénario. Je ne compte plus les ministres et les présidents (y compris Macron) que l’on a interpellés pour les convaincre de créer une filière française des thérapies géniquesqui irait de la recherche jusqu’à l’industrialisation et qui permettrait de maîtriser le coût du médicament. Sinon on est dépossédés de nos brevets. »

Que dire de tout cela ?

D’abord que le prix de ce médicament doit une petite part au travail de recherche et développement des laboratoires qui ont œuvré à sa réalisation et une très grand part à la spéculation puisqu’il y a eu accord sur un prix exorbitant que la firme suisse a accepté de payer parce qu’elle en espérait un profit ultérieur énorme.

Et la firme suisse a trouvé un allié de poids : les assurances américaines privées qui n’ont pas négocié pour minimiser le prix mais ont eu pour objectif de créer la rareté pour pouvoir augmenter leur profit par une hausse de leurs tarifs justifiée par un médicament exceptionnel.

Je ne dis pas que le marché n’est pas efficace et que les entreprises privées ne sont pas utiles pour la création de valeur.

Mais cet exemple montre aussi la perversité et l’oubli des valeurs humaines quand la logique du marché est poussée à son paroxysme et la cupidité des hommes ne se heurte à aucune limite.

Je me souviens d’un professeur qui comparait la santé organisée par le « Public » et celle par le « Privé »

Le « Public » cherche à soigner la population au meilleur coût.

Le « Privé » cherche à soigner la population en maximisant les profits.

Par ailleurs, il ne me semble pas juste de dire qu’il n’y a pas d’argent en France. Les français épargnent énormément. Simplement nous n’arrivons pas collectivement à mobiliser ces capitaux pour aider et continuer les travaux de nos laboratoires jusqu’à la commercialisation.

Ce mot du jour montre le monde économique comme il fonctionne.

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Mardi 23 avril 2019

« Les mystères du cerveau, les mystères de la vie »
Conclusion de Frédéric Pommier après avoir cité un article du magazine Society

Il est encore beaucoup de choses que nous ne comprenons pas, nous autres humains. Il faut l’accepter et le reconnaître.

Le magazine « Society », qui est un bimensuel mais qui se dit « quinzomadaire », a consacré un article sur ce sujet. Et c’est à nouveau la revue de presse du week-end de l’irremplaçable Frédéric Pommier du dimanche de pâques, <Le 21 avril 2019> qui m’a informé de ces étranges aventures.

Le premier destin dont il est question est Franco Magnani. Frédéric Pommier a dit :

« Il y a quand même des gens qui ont des vies exceptionnelles… Ou des cerveaux exceptionnels. Et là, je ne parle pas de ceux qui sont dotés d’une intelligence formidable, je ne parle pas de ceux qui ont toujours été des génies, mais de ceux qui, alors qu’ils menaient une existence tout à fait normale, ont eu un accident, et suite à cet accident, se sont découvert des capacités nouvelles. C’est l’histoire de l’Italien Franco Magnani. On est en 1960, il tombe gravement malade, forte fièvre, il délire et, une fois guéri, le voilà qui se met à peindre le village de son enfance avec une précision quasi photographique… »

En pratique cet homme vivait en Californie et avait quitté son village natal depuis une vingtaine d’années et n’avait aucune pratique ou goût pour la peinture.

J’ai trouvé un autre article qui évoque Franco Magnani et aussi d’autres destins similaires d’un talent explosant subitement pour la peinture après un évènement de la vie. Il donne plus de précisions sur cet italien :

«  il est né en 1934 –, […] Franco Magnani n’a rien publié sur lui-même et tout porte à croire que son nom serait resté à jamais ignoré sans la reconnaissance fortuite de l’Exploratorium de San Francisco, un grand centre culturel qui tente d’allier arts et sciences. En effet, au milieu des années 1980, un des animateurs du centre, Michael Pearce, vient à connaître l’existence d’un cuisinier italien qui tient avec son épouse Ruth, peintre elle-même, une petite galerie dans la banlieue de San Francisco, à North Beach. Il y expose quelques-uns de ses tableaux, essentiellement des vues, des vedute, d’un village accroché sur un promontoire escarpé. Michael Pearce rend visite au peintre, il l’écoute. Le cas qu’il représente l’intrigue, son insertion dans une grande exposition sur la mémoire est décidée.

Conformément à son orientation, l’Exploratorium soumet l’œuvre à un dispositif expérimental. Franco Magnani affirme qu’il peint exactement son pays, quitté depuis plus de vingt ans, il suffit de vérifier la chose. La photographe attachée à l’institution, Susan Schwartzenberg, se rend dans le village pour retrouver quelques-unes des vues de Magnani, elle ramène une série de clichés qui confirment l’exactitude sidérante de ses représentations; exposés à côté des tableaux, ils identifient en Magnani une exceptionnelle «hypermnésie visuelle» et le consacrent comme «memory artist». Oliver Sacks, le neurologue qui a renouvelé la narration littéraire du «cas» psychologique, voit ces tableaux, rencontre leur auteur et en fait un des héros de son livre, « An Anthropologist on Mars: Seven Paradoxical Tales (1995) », où il ancre le diagnostic d’hypermnésie dans une physiologie du cerveau tout en racontant la biographie de l’artiste »

J’ai donc appris un nouveau mot « hypermnésie »   du grec huper, « avec excès », et mnesis, « mémoire » qui une pathologie caractérisée par une mémoire autobiographique extrêmement détaillée du passé.Les personnes atteintes d’hypermnésie peuvent se remémorer des périodes lointaines de leur vie, remontant à la petite enfance.

Franco Magnani dispose d’un <site> en anglais où il raconte son aventure et où on voit certaines de ses œuvres.

Mais Frédéric Pommier évoque un autre cas cité par Society :

« 2002 : c’est l’histoire de l’Américain Jason Padgett. On l’agresse à la sortie d’un karaoké, sévère commotion cérébrale, mais l’incident l’a transformé en cador des mathématiques… »

Vous trouverez aussi plusieurs sites qui évoquent le cas de ce mathématicien né brutalement à la conscience mathématique. Par exemple cette page : « Une réalité mathématique dessinée en fractales par un homme atteint par le syndrome du savant. »

Cette pathologie a également un nom : « synesthésie ». Je ne développe pas et je n’ai pas approfondi.

Frédéric Pommier donne encore un autre exemple :

« Et puis, en 2012, c’est l’histoire d’un jeune Australien, Ben McMahon. Victime d’un accident de la route, il tombe dans le coma et, au bout d’une semaine, ses parents croient rêver quand leur fils se réveille : il parle en mandarin, un mandarin fluide à l’accent remarquable. Les scientifiques évoquent ici « le syndrome de la langue étrangère ». Il y a d’autres exemples. On ne les explique pas. Les mystères du cerveau, les mystères de la vie. »

Là aussi si vous tapez le nom de Ben Mac Mahon dans un moteur de recherche vous accéderez à de multiples articles en anglais sur cette aventure. Le « Dauphiné » a consacré un article en français à ce syndrome.

L’article de Society parle encore d’autres cas :

En 1860 Eadweard Muybridge s’était cogné à un rocher et est tombé dans le coma pendant 9 jours. Après cet accident il devient un inventeur génial.

En 1951 Kim Peek se souvenait de 98% des 12 000 livres qu’il avait lus. Son histoire a servi d’inspiration pour le film « Rain Man » dans lequel Dustin Hoffmann jouait le rôle de cet autiste à la mémoire phénoménale.

« Hypermnésie »,  « synesthésie », «syndrome de la langue étrangère », Frédéric Pommier a raison de parler « des mystères du cerveau, des mystères de la vie ».

La science ne sait pas expliquer.

Pendant longtemps des récits mystiques essayaient de donner des pseudos explications à de tels phénomènes.

Aujourd’hui encore des charlatans ont des théories qu’ils exposent avec une grande assurance et avec lesquelles ils espèrent parfois gagner beaucoup d’argent et y arrivent parfois. D’autres cherchent plus simplement exercer un pouvoir sur des adeptes.

L’humilité nous conduit simplement à dire que nous ne savons pas, ou si nous sommes optimiste que nous ne comprenons pas encore.

Car le contraire de la connaissance n’est pas l’ignorance mais les certitudes.

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Vendredi 29 mars 2019

« Reste simplement là. »
David Servan Schreiber

Parallèlement au livre de Simonton, je lis aussi le premier livre de David Servan-Schreiber : « Anticancer ».

C’est un livre qui avait aussi renouvelé l’approche de cette maladie, beaucoup de conseils notamment alimentaires sont donnés, ainsi que des explications sur la manière dont elle se déclare et se développe.

Mais ce qui me fascine, avant tout, dans cet ouvrage, c’est l’humanisme qui s’en dégage.

David Servan Schreiber se décrit, avant, comme un jeune chercheur en neuroscience, ambitieux essayant de trouver des réponses grâce à la technologie la plus moderne, se désintéressant beaucoup des patients, peu enclin à des réflexions humanistes, tellement obnubilés par la réussite de ses recherches qu’il était prêt à sacrifier sa vie personnelle et sentimentale.

Et puis il y a après, après la découverte de son cancer.

Et dans son chapitre 5 « Annoncer la nouvelle », il raconte une histoire et exprime aussi toute l’élévation spirituelle que lui a apporté et fait comprendre ce qui lui arrivait.

Et je voudrais partager le début de ce chapitre.

Souvent quand sait qu’une personne qu’on aime ou simplement qu’on apprécie est touchée par une maladie incurable ou très grave, on ne sait pas comment réagir, on ne sait pas quoi dire, on voudrait aider mais le comment ne nous apparait pas. Quelquefois on est tellement mal qu’on peut aller jusqu’à fuir la présence de cette personne.

En toute simplicité, David Servan Schreiber répond à cette angoisse et peur : « reste simplement là » :

« La maladie peut être une traversée terriblement solitaire. Quand un danger plane sur une troupe de singes, déclenchant leur anxiété, leur réflexe est de se coller les uns aux autres et de s’épouiller mutuellement avec fébrilité. Cela ne réduit pas le danger, mais cela réduit la solitude.

Nos valeurs occidentales, avec leur culte des résultats concrets, nous font souvent perdre de vue le besoin profond, animal, d’une simple présence face au danger et à l’incertitude. La présence, douce, constante, sûre, est souvent le plus beau cadeau que puissent-nous faire nos proches, mais peu d’entre eux en savent la valeur.

J’avais un très bon ami, médecin à Pittsburgh comme moi, avec qui nous aimions débattre sans fin et refaire le monde. Je suis allé un matin dans son bureau pour lui annoncer la nouvelle de mon cancer. Il a pâli pendant que je lui parlais, mais il n’a pas montré d’émotion. Obéissant à son réflexe de médecin, il voulait m’aider avec quelque chose de concret, une décision, un plan d’action. Mais j’avais déjà les cancérologues, il n’avait rien à apporter de plus sur ce plan. Cherchant à tout prix à me donner une aide concrète, il a maladroitement abrégé la rencontre après m’avoir prodigué plusieurs conseils pratiques, mais sans avoir su me faire sentir qu’il était touché par ce qui m’arrivait.

Quand nous avons reparlé plus tard de cette conversation, il m’a expliqué un peu embarrassé : « Je ne savais pas quoi dire d’autre. »

Peut-être ne s’agissait-il pas de « dire ».

Parfois ce sont les circonstances qui nous forcent à redécouvrir le pouvoir de la présence. Le docteur David Spiegel raconte l’histoire d’une de ses patientes, chef d’entreprise, mariée à un chef d’entreprise. Tous deux étaient des bourreaux de travail et avaient l’habitude de contrôler par le menu tout ce qu’ils faisaient. Ils discutaient beaucoup des traitements qu’elle recevait, mais très peu de ce qu’ils vivaient au fond d’eux-mêmes. Un jour, elle était tellement épuisée après une séance de chimiothérapie qu’elle s’était effondrée sur la moquette du salon et n’avait pas pu se relever. Elle avait fondu en larmes pour la première fois. Son mari se souvient : «  Tout ce que je lui disais pour essayer de la rassurer ne faisait qu’aggraver la situation. Je ne savais plus quoi faire, alors j’ai fini par me mettre à côté d’elle par terre et à pleurer aussi. Je me sentais terriblement nul parce que je ne pouvais rien faire pour qu’elle se sente mieux. Mais c’est précisément quand j’ai cessé de vouloir résoudre le problème que j’ai pu l’aider à se sentir mieux. »

« Dans notre culture du contrôle et de l’action, la présence toute simple a beaucoup perdu de sa valeur. Face au danger, à la souffrance, nous entendons une voix intérieure nous houspiller : « Ne reste pas là comme ça. Fais quelque chose ! » Mais dans certaines situations, nous aimerions pouvoir dire à ceux que nous aimons : « Arrête de vouloir à tout prix «  faire quelque chose ». Reste simplement là !  »

Certains savent trouver les mots que nous avons le plus besoin d’entendre. J’ai demandé à une patiente qui avait beaucoup souffert pendant le long et difficile traitement de son cancer du sein ce qui l’avait le plus aidée à tenir moralement. Mish y a réfléchi plusieurs jours avant de me répondre par email :

« Au début de ma maladie, mon mari m’a donné une carte que j’ai épinglée devant moi au bureau. Je la relisais souvent. Sur la carte, il avait écrit : « Ouvre cette carte et tiens-la contre toi…
Maintenant, serre fort. »

A l’intérieur, il avait tracé ces mots : « Tu es mon tout – ma joie du matin, ma rêverie sexy, chaleureuse et rieuse du milieu de la matinée, mon invitée fantôme à déjeuner, mon anticipation croissante du milieu de l’après-midi, ma douce joie quand je te retrouve le soir, mon sous-chef de cuisine, ma partenaire de jeu, mon amante, mon tout »

Puis la carte continuait : « tout va bien se passer. »
Il avait écrit en dessous : « et je serai là, à tes côtés, toujours.»

Je t’aime.

PJ.

Il a été là à chaque pas. Sa carte a tellement compté pour moi.
Elle m’a soutenue tout au long de ce que j’ai vécu.
Puisque vous vouliez savoir…

Mish »

Voilà…simplement … l’essentiel….

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Mardi 12 février 2019

« Vous savez, la modestie s’impose.»
Chloé Bertolus

Dans son livre « Le Lambeau », évoqué hier, Philippe Lançon, a beaucoup évoqué et exprimé sa reconnaissance à l’égard de la chirurgienne qui lui a permis de retrouver un visage autorisant à aller dans la rue et de passer simplement inaperçu. Son journal « Libération » a pris l’initiative d’aller rencontrer cette femme et vient de publier une interview de Chloé Bertolus. C’est un article à lire. Le journaliste tente de décrire cette chirurgienne dans son humanité, dans sa vie de réparatrice, dans ses doutes. Je reste réservé quant à la question du désir d’enfant qui me semble appartenir à la vie intime et qui à mon sens n’avait pas sa place dans cet article. Il reste que cet entretien révèle un médecin humble et profondément humain.

Mais le premier sujet abordé qui m’a interpellé, a été l’émergence dans la vie de Chloé Bertolus de la notoriété et de la visibilité que lui a donné le livre de Lançon et ainsi la réputation qui peut devenir gênante dans sa relation avec ses patients d’aujourd’hui, comme elle l’explique délicatement :

«C’est un truc un peu bizarre que de se retrouver dans un récit […] Comment dire ? Le livre lui-même devient une espèce de manifeste. L’autre jour, et cela m’a un peu choquée, j’ai fait la visite au 2e étage. Sur la dizaine de patients, trois avaient le Lambeau à leurs côtés. […] C’est une forme de revendication. Philippe Lançon a fictionné notre relation. Et les autres, maintenant, revendiquent une relation similaire. Ou la réclament, je n’en sais rien. En tout cas, c’est un peu étrange.»

Et elle explique simplement son travail, une prouesse technique mais qui n’a qu’un rapport très lointain avec la chirurgie esthétique, c’est beaucoup plus important, c’est plus essentiel, c’est permettre de continuer à vivre normalement et c’est énorme !

«Cela n’a rien à voir avec la chirurgie esthétique […], on parle de gens qui ne peuvent pas sortir dans la rue parce qu’il leur manque la moitié du visage. [L’objectif est :] Je voudrais juste que mes patients passent inaperçus.”» Ou encore : «Je suis incapable de savoir ce que veulent mes patients. Ce que je sais, c’est ce que l’on est capable de leur proposer.» La voilà pédagogique : «On peut redonner une fonction. A des gens à qui on a enlevé la moitié de la langue, on va la reconstruire, et ils vont reparler. A d’autres, on va leur rebâtir une mâchoire, ils vont pouvoir manger. Mais aussi redonner un visage. Pour être reconnu comme un être humain, il faut avoir quelque chose qui ressemble à une bouche, à un nez, à des yeux. Il faut ressembler à quelqu’un. Ou à tout le monde.»

Puis elle touche l’essence des choses par l’humilité, par l’humanité dans ce qu’elle a de fragile, d’éphémère, de tragique et pourtant de beau. C’est la vie, notre vie :

«Vous savez, la modestie s’impose. Quand on a commencé dans notre service à opérer des patients cancéreux, un des chirurgiens nous disait : “Vous avez le sentiment d’avoir sauvé une vie. Souvenez-vous qu’en fait vous ne l’avez que prolongée.” Finalement, on ne sauve rien du tout.» Chloé Bertolus est ainsi, dans le faire. «A un curé avec qui je discutais, j’expliquais que certains soirs, avec certains patients qui ne vont pas bien du tout, on est là, sur le pas de la porte de leur chambre, et on se dit : “Pourquoi ?” C’est le grand pourquoi, le pourquoi de la vanité de l’existence. Pourquoi en passer par là, alors que l’on va tous mourir un jour ?»

Et l’article finit avec un retour sur la terre des comptables et la difficile équation des hôpitaux d’aujourd’hui :

« De son bureau, vient de sortir le DRH de l’hôpital. On leur a supprimé un des trois blocs opératoires : «L’hôpital, c’est rude. Mais j’ai toujours entendu que les hôpitaux étaient au bord de l’implosion. On a créé chez nous un sentiment étrange à force de nous répéter que l’on coûtait cher. […] Maintenant, comme cheffe de service, je dois mener d’autres combats.»

Les médecins sont bien sûr comme les autres communauté des humains, très divers. Certains font leur travail consciencieusement et restent très fonctionnels, les remplacer par des robots ne sera pas une grande perte.

D’autres sont pleins d’assurances, du moins veulent apparaître comme tels. Il existe aussi des professeurs qui se parent de leur titres pour asséner des affirmations, les écrire dans des livres en faisant croire qu’il s’agit de connaissances scientifiques, alors que ce ne sont souvent que des croyances. Bien sûr la médecine a fait de grand progrès, mais l’étendue de ce que l’on ne sait pas est toujours beaucoup plus important que ce que l’on sait. Ici aussi le contraire de la connaissance n’est pas l’ignorance, mais les certitudes.  

Et puis il en est qui comme Chloé Bertolus, font un travail admirable tout en restant dans l’humilité, dans l’humanité et dans le service à l’égard de ceux qu’ils essayent de soigner, avec ce qu’ils savent. Pour ma part, je ne fais confiance qu’aux médecins humbles, c’est à dire qui n’expriment pas trop de certitudes.

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Mardi 14 mars 2017

Mardi 14 mars 2017
« Le fétiche rafistolé »
Objet présent dans « L’oreille cassée » 6ème album de Tintin et sur lequel Michel Serres philosophe dans l’interview d’Emmanuelle Dancourt

Emmanuelle Dancourt a demandé à Michel Serres d’emmener un objet (34:30 de l’interview)

Michel Serres a répondu de manière virtuelle, c’est à dire qu’il n’avait pas un objet sur lui mais il a parlé d’un objet présent dans l’album de Tintin : « L’Oreille cassée » et cet objet est le fétiche arumbaya qui est au centre de cette histoire. Au début de l’aventure le fétiche est dérobé dans le musée ethnographique parce que les voleurs espèrent récupérer un diamant qui est dans la statuette. Au bout de l’histoire, le fétiche tombe sur le pont d’un navire et explose en plusieurs morceaux, le diamant tombe à la mer.

Et à la fin de l’Histoire, le fétiche retrouve son socle dans le musée, mais le fétiche est totalement rafistolé. C’est ce fétiche rafistolé sur lequel Michel Serres va philosopher :

« Quand il reparait sur son socle, il est complétement rafistolé, bricolé, avec des fils de fer, avec du sparadrap, avec des éclisses, avec des plaques etc. et ça ça m’intéresse, cet objet m’intéresse.

Pourquoi ?

Parce que c’est ça l’organisme vivant.

L’organisme vivant, ce n’est pas contrairement à ce qu’on croit, un système harmonieux où tout serait parfaitement en place.

Pas du tout, pas du tout. L’évolution a amené l’œil à tel endroit, a amené le cerveau à tel endroit. Mais il vient d’où l’œil. Il y a des parties qui viennent de très très loin, qui sont très archaïques et d’autres qui sont beaucoup plus récents.

Notre corps est entièrement bricolé, rafistolé.

Le fétiche bricolé, rafistolé, à la fin de l’Histoire, c’est ça notre vie, c’est ça notre vie !

C’est pour ça qu’on devient malade parfois et qu’on meurt. Si nous étions parfait, nous serions éternel…

Le fétiche c’est ça ! Mais c’est plus que ça !

Il y a des gens qui critiquent beaucoup l’Europe, en ce moment. […]

Je repense toujours à mon fétiche, moi…Je pense toujours à cet organisme vivant tel qu’il est en réalité. Et je n’aime pas les systèmes politiques parfaits, bien faits, unitaires etc. Cela me rappelle trop le fascisme, le nazisme, Lénine, Staline etc. Le système parfait c’est ça.

Alors que les systèmes qui sont un peu bricolés, mal faits, qu’il faut rattraper… alors il y a le brexit, est-ce que ça va fonctionner ? On ne sait pas …

J’adore ça, c’est des systèmes humains. C’est des systèmes vivants, des vrais systèmes et qui ne prendront jamais la vie de personne.

Les systèmes unitaires sont des systèmes cruels, qui amènent à la mort, à la destruction.

Alors que les systèmes qui sont comme ça, un peu maladroits…

L’Europe c’est mon corps et mon corps c’est le fétiche rafistolé.

François Jacob disait un jour à côté de moi, à l’Académie française : « Tu sais Michel ce que c’est que le système nerveux ? C’est très simple : c’est un ordinateur porté par une brouette. » Et c’est exactement ça. Il y a des parties qui sont récentes, par exemple le cerveau, et des parties qui sont très archaïques et qu’on peut décrire par des brouettes.

Par conséquent, un ordinateur porté par une brouette, c’est ça le fétiche arumbaya. »

Dans son livre « Hergé mon ami », Michel serres consacre un long chapitre de la page 39 à 56 à l’oreille cassée et à des réflexions sur le fétiche et le fétichisme, qu’il conclut par cette question :

« Qu’est-ce qu’un fétiche, en vérité ? Tous le prennent-ils pour une même chose ou chacun pour autre chose ? ».

Je sais bien que cette réflexion de Michel Serres, surprenante, décalée c’est-à-dire intelligente ne résout pas les problèmes de l’Union européenne.

Mais sa réflexion sur l’aspiration à des systèmes trop parfaits, alors que précisément les corps vivants sont des corps rafistolés, cicatrisés, résilients oriente notre réflexion vers d’autres horizons.

C’est aussi un avertissement pour le vieux gauchiste que je suis qui pourrait avoir la tentation que le système économique et politique soit totalement maîtrisé, régulé, encadré.

C’est probablement une des grandes forces du libéralisme d’être beaucoup plus bricolé, inventé au fur à mesure, stimulé par des initiatives multiples et privées. Il est plus proche d’un organisme vivant.

Ce qui ne signifie pas qu’il ne faut pas le réguler, en corriger les abus. Mais avoir le projet ou l’ambition de créer un système parfait, pensé intellectuellement et conceptuellement est certainement beaucoup plus dangereux qu’exaltant.

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