Vendredi 25 février 2022

«  Bien entendu, nous n’allons rien faire ! »
Claude Cheysson, Ministre des Relations extérieures du gouvernement Pierre Mauroy sous la Présidence de François Mitterrand

Contexte de ce mot du jour : Quelques instants avant 4 heures, heure de Paris, le jeudi 24 février 2022, l’ancien officier du KGB qui règne au Kremlin est apparu à la télévision russe et a annoncé l’invasion par les troupes de l’empire russe, de l’État souverain et démocratique de l’Ukraine. Dans un discours violent, basé sur des mensonges et sur une réécriture de l’Histoire ce sinistre personnage a essayé de justifier le déclenchement d’une guerre totale, sur la terre d’Europe, contre son petit voisin en comparaison de l’empire russe. Les troupes impériales ont pénétré en Ukraine sur 3 fronts, la Russie, la Crimée et le Belarus.  L’objectif est évident : s’emparer de la capitale Kiev et soumettre l’ensemble de l’Ukraine.

C’était, il y a un peu plus de 40 ans. C’était avant !  Du temps de l’Union Soviétique, de la Guerre froide, du rideau de fer et de l’Europe divisée en deux camps antagonistes.

Depuis le <16 octobre 1978>, un polonais était Pape de l’église catholique. Et ce Pape est entré en lutte contre le communisme qui régnait sur l’Est de l’Europe et a encouragé et soutenu financièrement, les ouvriers des chantiers navals de Gdánsk à manifester contre le pouvoir communiste. Lech Walesa et, comme toujours, on oublie la femme : Anna Walentynowicz, fondaient, tous les deux, le syndicat Solidanorsc.

Ce syndicat, par ses actions, déstabilisera le pouvoir communiste. Les historiens racontent; aujourd’hui; que les dirigeants du POUP (Parti ouvrier unifié polonais), nom du parti politique polonais communiste, avaient la crainte que l’Union Soviétique envoie son armée rétablir l’ordre en Pologne comme elle l’avait fait en 1956 en Hongrie et en 1968 en Tchécoslovaquie. Alors, le général Jaruzelski, dans la nuit du 12 au 13 décembre 1981 décrète la Loi martiale et fait arrêter les principaux responsables de Solidanorsc.

En France, François Mitterrand est Président de la République depuis mai. Le premier ministre est Pierre Mauroy, le ministre des relations extérieures est Claude Cheysson et il n’est pas inutile de rappeler que le gouvernement compte 4 ministres communistes.

Des journalistes vont alors interroger Claude Cheysson, après le coup de force de Jaruzelski et lui demander ce que va faire la France. Il aura cette réponse :

« Bien entendu, nous n’allons rien faire. ! »

<Libération> nous apprend qu’il sera réprimandé en ces termes par Mitterrand :

« Quel besoin aviez-vous de dire ça ? C’est une évidence mais il ne fallait pas le dire. »

En 1985, interrogé par <Le Monde>, Claude Cheysson reconnaîtra :

« J’ai eu tort, je regrette cette déclaration intempestive qui aurait dû normalement me coûter ma place »

En tout cas, aujourd’hui tout le monde a compris la leçon et personne ne dira « Bien entendu, nous n’allons rien faire !»

A l’exception, peut être de Biden qui a plus ou moins avoué qu’il n’allait rien faire. Il a répondu franchement qu’il n’enverra pas de soldat américain sur le territoire ukrainien en expliquant que si un soldat américain se trouve en face d’un soldat russe, en zone de conflit, ce serait la troisième guerre mondiale.

Cette formulation a l’avantage de la clarté, mais est-il pertinent d’être clair dans ce type de situation ?

François Mitterrand aurait répondu une nouvelle fois : « C’est une évidence mais il ne fallait pas le dire. »

En face, Poutine dit :

« Quiconque entend se mettre sur notre chemin ou menacer notre pays et notre peuple doit savoir que la réponse russe sera immédiate et aura des conséquences jamais vues dans son histoire. »

Plusieurs analystes disent que cette menace renvoie à l’utilisation de l’arme atomique.

Peut-être, mais il ne le dit pas…

Il est possible aussi qu’en utilisant des armes récentes et hyper rapide, il neutralise les satellites occidentaux, créant un chaos certain, tant nous sommes désormais dépendants de ces technologies au quotidien.

« Nous n’allons rien faire », mise à part la réponse « claire » de Biden, aucun responsable occidental ne le dit.

Tous parlent de sanctions économiques extrêmement sévères, les plus sévères, massives etc…

Mais, il faut faire attention, ces sanctions économiques seront très préjudiciables aux citoyens européens.

60% du gaz que l’Allemagne utilise vient de Russie. 100% du gaz qu’utilise l’Autriche vient de la Russie.

Et on parle de geler le gazoduc Nord Stream 2 qui n’est toujours pas en service entre le fournisseur russe et le client allemand.

Mais quel est l’objet de ce gazoduc, sinon un moyen de transporter du gaz entre la Russie et l’Allemagne sans passer par l’Ukraine et sans permettre à cette dernière de prélever quelques taxes utiles à son budget. Ce n’était pas amical de la part de la Russie d’éviter l’Ukraine, mais ce n’était pas très amical, non plus, de la part de l’Allemagne de participer à cette opération anti-Ukraine.

Bien entendu, nous n’allons rien faire.

Sans les américains, nous n’avons pas de moyens militaires sérieux à opposer à Poutine.

J’ai entendu, à France Inter des militaires qui ne pensaient pas possible que l’armée ukrainienne résiste au déploiement russe. Selon ces militaires, il est vraisemblable que l’armée russe aura chassé le gouvernement ukrainien de Kiev, dans une semaine.

Après, ce sera beaucoup plus dur pour Poutine.

Il aura gagné une guerre, mais pas la paix. Il est peu probable que le peuple ukrainien acceptera la domination, d’un autre âge, du nouveau tsar des Russies.

Évidemment, ce sera long et douloureux, pour le peuple ukrainien.

Dans un des premiers mots du jour, celui du <7 mai 2013>, je citais John Steinbeck « Ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles, et les hommes libres qui gagnent la guerre »

John Steinbeck avait écrit son roman « Lune Noire » pendant la seconde guerre mondiale. Il avait situé son livre dans une petite ville occupée par une armée étrangère issue d’un pays dictatorial.

Je citais la conclusion de ce livre : « Lune Noire » :

« Un sifflement strident hurla du côté de la mine. Une rafale de vent pulvérisa de la neige sur les fenêtres. Orden joua avec sa médaille et déclara d’une voix sourde :
– Vous voyez, colonel, on ne peut rien y changer. Vous serez écrasés et expulsés. Les gens n’aiment pas être conquis, colonel, et donc ils ne le seront pas.
Les hommes libres ne déclenchent pas la guerre, mais lorsqu’elle est déclenchée, ils peuvent se battre jusqu’à la victoire.
Les hommes en troupeau, soumis à un Führer, en sont incapables, et donc ce sont toujours les hommes en troupeau qui gagnent les batailles et les hommes libres qui gagnent la guerre. Vous découvrirez qu’il en est ainsi, colonel.
Lanser se redressa avec raideur. »

Parce que le peuple libre dans cette histoire est le peuple d’Ukraine et le peuple troupeau soumis à un Führer est, hélas, le peuple russe.

Poutine parle de dénazifier l’Ukraine. Il y a quelques extrémistes de droite en Ukraine, mais moins qu’en Russie et je le crains, moins qu’en France.

C’est le dictateur russe qui parle de nazi !!!

Mais que fait-il d’autre qu’Hitler qui prétendait que la petite Tchécoslovaquie maltraitait les allemands des sudètes pour justifier d’attaquer ce pays et de le soumettre, comme Poutine qui prétend défendre les russes du Donbass et preuve de son mensonge attaque toute l’Ukraine.

A l’époque, ce furent les accords de Munich. La France et La Grande Bretagne n’avaient rien fait.

Hitler ne pouvait pas évoquer le mot « génocide », comme le fait Poutine aujourd’hui, ce mot n’existait pas en 1939.

Hitler a aussi attaqué la Pologne, en prétendant que c’était la petite Pologne qui l’avait attaqué en premier.

Et Poutine prétend que c’est l’Ukraine qui menace la Russie pour l’attaquer !

Il parle aussi de junte au pouvoir à Kiev.

Le président Volodymyr Zelensky a été élu par le peuple ukrainien, en battant le président sortant. Cela s’appelle une alternance, exactement le contraire de ce qui se passe en Russie. Lorsque Dmitri Medvedev a remplacé, pour un mandat, Poutine en le gardant comme premier ministre puis en étant remplacé à nouveau par Poutine, ce n’était pas une alternance mais un arrangement mafieux. La démocratie est en Ukraine, s‘il y a une junte, c’est celle qui est au pouvoir à Moscou

Les dictateurs, cela ose tout, c’est à cela qu’on les reconnait.

Il ose traiter de nazi Volodymyr Zelensky, dont les deux parents étaient juifs russophones. Zelensky a d’ailleurs répondu à Poutine :

« Comment pourrais-je être un nazi ? Expliquez-le à mon grand-père, qui a traversé toute la guerre dans l’infanterie de l’armée soviétique. »

Et il ajouté que trois frères de son grand-père ont été tués par les nazis

Voilà la triste réalité d’un dictateur entrainant l’Europe dans son récit mortifère et sa réécriture de l’Histoire.

S’il y a un doute sur l’existence du peuple ukrainien, son agression va conduire à renforcer le sentiment national ukrainien, qui ne peut jamais être plus fort que si la nation est menacée par une autre nation.

Et pendant ce temps, un autre naufrage…

François Fillon, membre du conseil d’administration du géant russe de la pétrochimie Sibur, déplore l’usage de la force par Poutine mais continue à lui trouver des excuses, en prétendant que c’est l’OTAN qui est responsable de cette dérive.

Il est membre de 2 conseils d’administration d’entreprises russes aux mains d’amis de Poutine. Aura t’il la décence de démissionner ?

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Mardi 10 janvier 2017

« La paix ça s’apprend »
David Van Reybrouck

J’évoquais, hier, le second invité de l’émission <du grain à moudre : pourquoi n’aimons-nous pas la paix ? > : David Van Reybrouck.

David Van Reybrouck est un auteur belge archéologue et philosophe qui s’est associé à un psychothérapeute spécialisé dans la communication non-violente : Thomas d’Ansembourg pour écrire un petit ouvrage de 96 pages : « La paix ça s’apprend : comment guérir de la violence et du terrorisme » paru à Actes Sud, en novembre 2016.

David Van Reybrouck compare la paix avec la santé en disant que celui qui est en bonne santé l’exprime rarement.

On parle de santé quand on est malade et il a cette expression : « la santé c’est le souvenir d’un malade » et il exprime la même chose pour la paix :  « on ne se rend pas compte quand on est en paix, c’est banal presque un peu trivial, la paix c’est le souvenir de quelqu’un qui est en guerre »

Et il a ce constat qu’il existe des écoles de guerre où on apprend à faire la guerre, à tuer.

Ces écoles sont subventionnées par l’Etat et payées par nos impôts.

Mais il n’existe pas d’écoles de la paix, où on enseignerait la paix, l’empathie, la pleine conscience. Car selon lui avant de vouloir créer la paix à l’extérieur, il faut d’abord pacifier l’individu, la paix commence à l’intérieur de l’individu.

Or, selon lui, on peut enseigner la paix et il exprime ce curieux parallèle avec l’hygiène.

Au début, quand les premiers esprits éclairés ont voulu enseigner l’hygiène, on les a pris au mieux pour des rêveurs, au pire pour des fous.

Mais peu à peu, on a enseigné l’hygiène puis on l’a imposé.

Et l’Humanité grâce à cette prise de conscience et à l’enseignement de cette exigence a fait un remarquable bond en avant. En dehors de tout délire quantophrénique, la réalité lourde de la démographie nous le révèle : l’espérance de vie a explosé et l’hygiène plus que les progrès de la médecine a joué le rôle premier.

Et j’ai trouvé un article dans un journal belge où Van Reybrouk complète les propos tenus lors de l’émission précitée : http://www.alterechos.be/fil-infos/david-van-reybrouck-la-paix-mentale-contribue-a-la-paix-sociale/

J’en tire quelques extraits :

« […] Face au déferlement d’actes guerriers et barbares, appeler la paix de ses voeux ne suffit pas, il faut l’apprendre, la construire à l’intérieur de nous-mêmes et dans nos structures sociales. […]

Mais parler de la paix n’est pas si simple… On n’utilise plus jamais le mot « paix », c’est une notion qui semble gênante, et encore plus en néerlandais: «vrede».

Ça fait catho ou John Lennon. Pour nous, c’était une réponse évidente au lendemain des attentats. La violence est partout et la meilleure façon de pacifier une société est la démocratie. La meilleure façon de pacifier l’individu, c’est de lui accorder des moments de silence et de contemplation, choses qu’on a oubliées ou perdues depuis plusieurs décennies.

[…] Nous sommes convaincus qu’une partie de la paix sociale repose sur la paix mentale. C’est ça l’équilibre entre mon approche politique et l’approche psychologique de Thomas.

[…] Je vois mal comment on peut rendre une société plus pacifiste, moins violente, moins agressive, moins raciste si on ne travaille que sur les structures sociétales. Il faut aussi travailler sur l’individu. Je ne dis pas qu’il suffit que les jeunes radicalisés de Molenbeek méditent quelques minutes par jour. Ce serait de la fausse conscience. Mais je ne vois pas non plus comment régler le défi majeur de la radicalisation si on limite l’action à des mesures sécuritaires, militaire, juridiques et politiques. Et même si on lutte contre la discrimination au niveau du marché du travail, de l’éducation ou du logement, je ne pense pas que cela débouchera sur une paix sociétale durable. Il faut en fait travailler sur l’extérieur et sur l’intérieur. Le livre est un plaidoyer pour une double action : sur les injustices sociales et sur la pacification de l’individu. […]

C’est une question de recherche scientifique. Il y a une centaine d’années, la gymnastique était intégrée dans le cursus scolaire. Pour l’époque, cela paraissait très insolite dans un contexte où les enfants devaient être sages. Mais les recherches scientifiques de l’époque – fin XIX ème début XXème – ont montré que c’était important d’avoir des exercices physiques pour le développement du corps, de l’esprit et des mœurs de l’enfant… C’était devenu une chose normale et évidente. On peut parler du sport mais aussi du brossage des dents, exemple qu’on donne dans nos livres. Grâce aux études sur l’hygiène buccale ont montré la nécessité de se brosser les dents et la pratique est rentrée dans les mœurs, y compris dans des endroits où ça n’était pas du tout gagné comme dans la campagne profonde d’où provient Thomas.

Je prends ces exemples pour montrer qu’aujourd’hui, de multiples recherches démontrent qu’il est possible d’apporter de la santé physique et mentale à un enfant en lui permettant de respirer dix minutes par jour calmement. On voit que l’apprentissage de la communication non violente stimule beaucoup d’empathie vis-à-vis des autres enfants, que cela leur apprend à gérer les conflits, à vivre avec, avant qu’ils ne deviennent de vraies bagarres.

C’est l’essence de la démocratie. Il faut insuffler ce goût pour l’exercice psychique dès la maternelle. »

Et quand le journaliste l’interpelle :

« Vous comprenez qu’on peut vous prendre pour des «bisounours» pour reprendre vos mots, ou en tout cas que vous pouvez susciter le scepticisme …»

Il en appelle à Schopenhauer :

« Chaque nouvelle idée passe d’abord par être ignorée, puis ridiculisée avant de devenir évidente »…

Et pour compléter le propos de Van Reybrouck, vous pourrez lire un texte d’Edgar Morin publié dans le Monde le 5 février 2016 : « Éduquer à la paix pour résister à l’esprit de guerre » qu’il conclut ainsi :

« C’est ici qu’un humanisme régénéré pourrait apporter la prise de conscience de la communauté de destin qui unit en fait tous les humains, le sentiment d’appartenance à notre patrie terrestre, le sentiment d’appartenance à l’aventure extraordinaire et incertaine de l’humanité, avec ses chances et ses périls.

C’est ici que l’on peut révéler ce que chacun porte en lui-même, mais occulté par la superficialité de notre civilisation présente : que l’on peut avoir foi en l’amour et en la fraternité, qui sont nos besoins profonds, que cette foi est exaltante, qu’elle permet d’affronter les incertitudes et refouler les angoisses. »

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