Samedi 2 mai 2020

«Symphonie no 9 en ut majeur « La Grande » D. 944»
Franz Schubert

Mot de jour spécial pendant la période de confinement suite à la pandémie du COVID-19

La symphonie n° 9 appelée la grande, une des plus belles symphonies romantiques du répertoire a été achevée en mars 1828. Il semblerait que cette œuvre ait été commencée en 1825, mais ce qui est certain c’est qu’elle a été achevée lors de cette fameuse année 1828 dont Benjamin Britten disait qu’elle était l’année la plus féconde de l’Histoire de la musique, parce que ce fut la dernière de la vie de Schubert et que jamais de mémoire d’homme, un compositeur n’a écrit autant de chef d’œuvre que Schubert, cette année-là.

Brigitte Massin écrit dans son livre monumental sur Schubert (p1222) :

« Dès la mort de Schubert, il semble, pour ses amis proches, qu’il y ait eu un rapport étroit, voire une identité absolue, entre la symphonie composée ou ébauchée – ou projetée – à Gastein en 1825 et la symphonie achevée en 1828 mais aucun document ne permet d’affirmer l’identité des deux œuvres. […] Beaucoup d’obscurités y demeurent. Le seul élément de certitude est qu’à la date de mars 1828, l’œuvre est conçue dans la totalité de son architecture, entièrement réalisée dans son écriture. »

Cette symphonie s’inscrit dans la suite de la symphonie inachevée (8) dont elle apparaît comme l’aboutissement.

Brigitte Massin écrit :

« Schubert résout la contradiction : […] traduire, lui habitué au dépouillement et au raffinement psychologique du lied, le mystère de l’intériorité par un langage symphonique.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit dès les premières mesures de la symphonie avec la longue phrase (8 mesures) des cors solistes. Porche insolite et génial qui introduit d’un seul coup au mystère de la prospection intérieure, requiert immédiatement la totalité de la concentration sur ce point focale et par le fait rend inutile et illusoire toute attention à un univers autre que celui qui soit se découvrir au terme de cet appel. »

Et il est vrai qu’après ce « porche insolite et génial » introductif, Schubert va nous mener au bout de l’émotion et de la beauté de ce chef d’œuvre.

La période de confinement a incité des musiciens à mettre sur le support numérique des concerts anciens.

C’est ce qu’a fait l’Orchestre National de Lyon avec un beau concert du 28 avril 2018 à l’Auditorium de Lyon, dans lequel il interprétait justement la 9ème symphonie de Schubert D944.

Et puisqu’il existe une excellente version bien enregistrée sur Internet de notre Orchestre National de Lyon, pourquoi s’en priver ?

<La 9ème de Schubert par L’Orchestre national de Lyon dirigé par Karl-Heinz Steffens>

Pour les esprits curieux, il est possible d’aller un peu plus loin.

Nous savons déjà que cette symphonie comme beaucoup d’autres œuvres d’envergures n’ont jamais été interprétées de son vivant.

Les oreilles de Schubert n’ont jamais entendu ce que son génie a composé.

Un concert hommage à Schubert se tiendra à Vienne le 14 décembre 1828, un peu moins d’un mois après sa mort (19 novembre). Il ne s’agit que du deuxième concert public d’œuvres de Schubert, le premier et le seul de son vivant a eu lieu le 28 mars 1828.

Ses amis souhaitent faire jouer cette symphonie. Mais les musiciens de l’orchestre se récusèrent devant la longueur de l’œuvre et sa difficulté (surtout pour le quatrième mouvement) et l’œuvre ne fut pas jouée.

Wikipedia précise :

« Les musiciens de la Gesellschaft der Musikfreunde la jugèrent « difficile et pompeuse » (« schwierig und schwülstig » »

Par la suite la partition de cette œuvre va se retrouver entassée avec d’autres compositions de Schubert dans la maison d’un de ses frères : Ferdinand.

J’ai trouvé ce récit dans un programme en ligne de l’Orchestre Symphonique de Chicago :

« Lorsque Franz Schubert est décédé à l’âge de trente et un ans, l’inventaire légal de ses biens meubles indiquait trois manteaux habillés en tissu, trois redingotes, dix paires de pantalons, neuf gilets, un chapeau, cinq paires de chaussures, deux paires de bottes, quatre chemises, neuf foulards et mouchoirs de poche, treize paires de chaussettes, un drap, deux couvertures, un matelas, une housse de plumes et un contre-plat [couvre-lit]. « Mis à part quelques morceaux de musique ancienne », a conclu le rapport, “aucun effet n’a été retrouvé.

Il s’est avéré que certaines musiques anciennes faisaient référence à quelques livres de musique d’occasion et non à ses manuscrits. Ceux-ci étaient avec son ami Franz von Schober, qui les a ensuite confiés au frère de Schubert, Ferdinand. Personne, semble-t-il, n’a bien compris leur valeur. À la fin de 1829, Ferdinand a vendu d’innombrables lieder, œuvres pour piano et musique de chambre à Diabelli & Co. – qui a pris le temps de les publier – laissant de côté les symphonies, les opéras et les messes qui restaient sur des étagères à la maison. [Ferdinand eu quelques échanges épistolaires] avec le grand compositeur Robert Schumann, alors rédacteur en chef du prestigieux Neue Zeitschrift für Musik. Le journal contenait une liste des «plus grandes œuvres posthumes de Franz Schubert» disponibles à la vente.

Cimetière central de Vienne avec la tombe de Schubert à droite et Beethoven à gauche.

Le jour du Nouvel An 1837, Robert Schumann se retrouve à Vienne et pense à se rendre au cimetière de Währing pour visiter les tombes de Beethoven et Schubert, dont les pierres ne sont séparées que par deux autres. Sur le chemin du retour, il se souvint que Ferdinand vivait toujours à Vienne et décida de lui rendre visite. Voici le compte rendu de Schumann :

« Il [Ferdinand] me connaissait à cause de cette vénération pour son frère que j’ai si souvent exprimée publiquement. Il m’a d’abord dit et montré beaucoup de choses. . . . Enfin, il m’a permis de voir ces précieuses compositions de Schubert qu’il possède encore. La vue de ce trésor de richesses m’a subjugué de joie. Où commencer, où finir ! Entre autres choses, il a attiré mon attention sur les partitions de plusieurs symphonies, dont beaucoup n’ont encore jamais été entendues, mais ont été classées comme trop lourdes et compliquées.

Là, parmi les piles, gisait un lourd volume de 130 pages, daté de mars 1828 en haut de la première feuille. Le manuscrit, y compris la date et un certain nombre de corrections, est entièrement de la main de Schubert, qui semble souvent avoir volé aussi vite que sa plume. L’œuvre, une symphonie en ut, la dernière et la plus grande de Schubert, n’avait jamais été jouée. »

Robert Schumann était un grand compositeur mais aussi un remarquable musicologue et critique musical. Il avait un goût très sûr et L’Histoire a souvent donné raison à ses jugements musicaux sur ses contemporains.

Il sut reconnaître la qualité de cette œuvre et l’envoya rapidement au directeur des concerts du Gewandhaus de Leipzig, où son ami et autre grand compositeur Mendelssohn dirigea la première représentation le 21 mars 1839, plus de 10 ans après la mort de Schubert.

Ce fut cependant une version écourtée de la symphonie.

Schumann dans son journal, Neue Zeitschrift für Musik, écrivit :

« Je le dis d’emblée clairement : qui ne connaît pas cette symphonie connaît encore bien peu de choses de Schubert. […] En dehors de la maîtrise de la technique musicale de composition, il y a ici de la vie dans toutes les fibres, les plus fines nuances de coloris, de la signification en tout passage, la plus vive expression des détails et enfin, répandu sur le tout, un romantisme tel qu’on le connaît déjà en d’autres œuvres de Schubert. . Et les célestes longueurs de cette symphonie comme un gros roman en quatre volumes de Jean Paul…il faudrait copier toute la symphonie pour donner une idée du caractère littéraire qui la traverse. Du second mouvement seulement, qui nous parle d’une voix si touchante, je ne veux pas prendre congé sans un mot. Il contient un passage où un cor semble lancer un appel de loin et qui me paraît être venu à nous d’une autre sphère. Ici tout semble être à l’écoute, comme si un hôte céleste se glissait furtivement dans l’orchestre. – La symphonie a produit parmi nous un effet que n’a atteint aucune autre depuis celles de Beethoven… ».

C’est donc dans cet article consacré à la 9ème symphonie, que Robert Schumann inventa le concept de « célestes longueurs » une autre traduction parle des « divines longueurs » de Schubert.

Ce concept qui donna lieu à cet échange entre Igor Stravinsky et un journaliste :

« Ne craignez-vous pas que les divines longueurs de Schubert vous plongent dans le sommeil ? »

Stravinsky répondit :

« Que m’importe, si lorsque je me réveille je suis au paradis ! »

En 1840, l’Œuvre est enfin éditée par Breitkopf et Härtel à Leipzig.

Wikipedia nous apprend que l’œuvre ne reçut pas un bon accueil à Londres, où la répétition dirigée par François-Antoine Habeneck fut ponctuée de rires des violonistes lors du dernier mouvement qui est techniquement difficile. La pièce fut finalement donnée aux États-Unis avant Paris, où elle ne fut jouée qu’en 1851.

<La 9ème de Schubert par L’Orchestre national de Lyon dirigé par Karl-Heinz Steffens>

Si vous voulez disposer d’une version dématérialisée je vous informe que Qobuz offre jusqu’au 15/05/2020 le téléchargement gratuit de la version de Philippe Herreweghe.

<C’est ici>

C’est une œuvre particulièrement enregistrée, il existe beaucoup de belles versions. Pour cette œuvre, ne choisissez pas Karajan, ce n’est pas son univers. La version historique est celle de Josef Krips avec l’Orchestre Symphonique de Londres.

Plus récemment, Gunter Wand, Claudio Abbado et Mariss Jansons ont été des interprètes éminents de cette œuvre

<1412>

Samedi 25 avril 2020

«Fantaisie D. 940 pour piano à quatre mains.»
Franz Schubert

Mot de jour spécial pendant la période de confinement suite à la pandémie du COVID-19

Pendant cette période de confinement, j’écris aussi des mots du jour le week-end.

Ces mots sont souvent tournés vers la musique ou d’autres arts.

Et je m’aperçois que j’ai écrit 1404 mots et je n’en ai consacré aucun à Franz Schubert.

Il est vain d’essayer de classer les compositeurs, mais Schubert a toujours occupé une place particulière dans mon cœur.

C’est un amour de jeunesse et qui continue. C’est mon père qui m’a appris à le connaître et à révéler l’immensité de son génie.

Il faut songer que Schubert est mort à 31 ans le 19 novembre 1828 à Vienne, un an après Beethoven mort en 1827.

Ils vivaient dans la même ville et Schubert n’a jamais eu le courage d’aller à sa rencontre.

Mais Il fut un des porte-flambeau lors des funérailles du génie allemand inaccessible pour lui.

Exactement, un an plus tard, le 28 mars 1828 se déroula le premier concert public entièrement réservé à ses œuvres.

Oui Schubert n’eut de son vivant qu’un concert public de ses œuvres et ce fut ce 28 mars 1828.

Ce qui explique qu’il n’entendit jamais jouer certaines de ses œuvres qui nécessitait un orchestre ou un grand chœur.

L’essentiel de ses œuvres il les joua au milieu de son cercle d’amis.

Car, il avait en effet beaucoup d’amis et d’amis assez riches pour lui permettre de vivre au milieu d’eux sans avoir d’autres revenus de quelques leçons de piano qu’il donnait.

Ces réunions d’amis organisées autour de lui et de ses œuvres avaient été nommées par tous : « Les Schubertiades ».

Et aujourd’hui je vais partager avec vous « la Fantaisie D. 940 pour piano à quatre mains. »

<La revue de piano> la décrit de la manière suivante :

« Œuvre mythique du répertoire, la Fantaisie en fa mineur ouvre immanquablement, dès ses premières notes, les portes de ce monde simple et nostalgique qui caractérise les grandes œuvres de Schubert. Achevée en avril 1828 – les premières esquisses datent de janvier de la même année. ».

Cette fantaisie est un somment du répertoire de la musique pour piano à 4 mains.

<La lettre du musicien> consacrée au répertoire de la musique de piano à 4 mains écrit :

« Fantaisie en fa mineur, op.103, D.940, de 1828. Sans doute la plus belle œuvre écrite pour le piano à 4 mains, si ce n’est l’une des plus belles œuvres de musique qui soit. Rien que par son existence, elle justifie le genre. »

Je vous propose de l’entendre dans une version qui associe l’extraordinaire pianiste portugaise Maria Joao Pires avec une de ses élèves la jeune pianiste arménienne Lilit Grigoryan :
<Maria-João Pires et Lilit Grigoryan – Franz Schubert – Fantasie D.940>

Lilit Grigoryan est née à Erevan, en Arménie en 1985. Elle a été entre 2013 à 2016, artiste en résidence à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth en Belgique, sous la direction de Maria-João Pires.

Christine Mondon écrit un long développement très sensible et juste consacré à cette fantaisie. J’en tire ces extraits

« Sa […] Fantaisie en fa mineur D.940, est son chef-d’œuvre. [parmi les fantaisies pour piano…] elle s’empare de l’être tout entier avec une telle puissance que l’on a le sentiment que le temps est suspendu au souffle de l’éternel voyageur des sons qu’est Schubert. […]

Toujours est-il que ce chant sublime – le plus beau « quatre-mains » de la musique – laisse entendre la fragilité de la vie, notamment lorsqu’il module vers le majeur ce qui le rend plus tragique encore, dans la quinte diminuée si-fa où Schubert traduit sa révolte face à la maladie et à la mort.

Dès les premières notes s’élève une mélodie d’une ineffable beauté. Molto moderato… une quête s’amorce, celle du voyageur vers l’inaccessible étoile. […]

Bouleversant est le cri étouffé de celui qui commence sa longue descente vers la mort. On ne sort pas indemne à l’écoute de la Fantaisie. En elle se cristallisent nos émotions car c’est de notre vie même dont il s’agit. »
Christine Mondon : « Franz Schubert, Le musicien de l’ombre », pages 221 à 223

Cette œuvre a donc été écrite entre janvier et avril 1828.

Benjamin Britten a dit que l’année 1848 était l’année la plus féconde de l’Histoire de la musique, parce que ce fut la dernière de la vie de Schubert et que jamais de mémoire d’homme, un compositeur n’a écrit autant de chef d’œuvre que Schubert, cette année-là.

Cette fantaisie en est une.

Les œuvres de Schubert ont été classées par un musicologue Otto Erich Deutsch. Ainsi D 940, signifie que l’œuvre occupe la place 940 dans le classement de Deutsch. Ce classement est chronologique.

Les œuvres de 1828 occupent les numéros de 937 à 965.

Il y a cependant quelques numéros après 965, jusqu’à 998 et concernent des œuvres que Deutsch n’est pas parvenu à dater.

Schubert lui-même, accompagné par son ami Franz Lachner, jouera la fantaisie D940, pour la première fois, à Vienne le 9 mai 1828, au cours de l’une de ses fameuses Schubertiades.

Elle est dédiée à la comtesse Caroline Esterházy, une élève du compositeur. En février 1828, Eduard von Bauernfeld, dramaturge et autre ami de Schubert, note dans son journal :

« Schubert semble être réellement amoureux de la comtesse E. Il lui donne des leçons. ».

Le même von Bauernfeld (1802-1890) écrira bien plus tard :

« Lorsque la statue de Schubert fut inaugurée au Stadtpark, le 15 mai 1872, j’allai à la cérémonie avec Lachner. « Te rappelles-tu, me dit Lachner, comment je t’ai joué pour la première fois avec Schubert sa nouvelle fantaisie à quatre mains ? »
Cité par Brigitte Massin « Franz Schubert » chez Fayard page 439

Quarante-quatre ans plus tard, ces deux amis de Schubert se souvenaient de cet instant privilégié : la découverte d’un chef d’œuvre

Il y en eut bien d’autres, en cette année 1828, mais j’y reviendrai.

Pour celles et ceux qui voudrait approfondir, vous trouverez derrière ce lien <Fantaisie en fa mineur, Philippe Cassard et Cédric Pescia> une analyse faite par ces deux pianistes de l’œuvre. Et vous apprendrez que Schubert cite dans sa fantaisie un extrait de la 9ème symphonie de Beethoven.

Si on souhaite un enregistrement audio de cette œuvre, il est possible de se tourner vers la superbe interprétation de <Murray Perahia et Radu Lupu>

Il en est bien d’autres.

Maria Joao Pires l’a enregistré avec Huseyin Sermet

Un peintre von Schwindt qui faisait partie du cercle d’amis de Schubert a peint quelques années après la mort de Schubert, un tableau montrant l’ambiance des Schubertiades.

<1405>

Jeudi 12 mars 2020

« Se laver les mains est une mesure très efficace et peu coûteuse pour éliminer germes, microbes et virus… »
Découverte d’Ignace Philippe Semmelweis

L’épidémie du Covid-19 a remis à l’honneur la discipline élémentaire et essentielle pour l’hygiène de se laver les mains.

Et ce rappel conduit au souvenir du médecin hongrois de Vienne : Ignace Philippe Semmelweis.

Plusieurs articles récents ont fait référence à cet homme essentiel qui fut rejeté par ses pairs et qui découvrit trop tôt ce que les gens de l’époque ne voulait entendre.

L’exergue du mot du jour est le titre d’un article du Monde publié le 13 février et écrit par Loïc Monjour, ancien professeur de médecine tropicale à la Pitié-Salpêtrière, Paris.

Dans cet article il écrit :

« Le nom d’Ignace Philippe Semmelweis, né à Budapest en 1818, est peu connu. Pourtant, depuis deux siècles, la plupart des femmes à travers le monde, de toutes conditions sociales, bénéficient de sa perspicacité et de ses travaux… Ce génie médical a aboli la tragédie des fièvres puerpérales (après l’accouchement) dans son service de la maternité de Vienne et découvert l’importance de l’asepsie avant le grand Pasteur.

Ses étudiants en médecine pratiquaient des autopsies avant de se rendre à la maternité pour effectuer des examens de femmes en travail ou procéder à des accouchements. La mortalité des parturientes était considérable, et Semmelweis, après une véritable enquête épidémiologique, imposa aux étudiants de se laver les mains avant toute intervention obstétricale, non pas avec du savon, mais avec une solution de chlorure de chaux, une initiative inconnue à l’époque.

Par cette seule mesure, le pourcentage de décès causés par la fièvre puerpérale s’effondra de 12 % à 3 %. Il allait révéler à ses confrères le danger que représentent ces infections que l’on appelle aujourd’hui « manuportées » et « nosocomiales » et l’intérêt de l’utilisation d’un antiseptique pour y parer. Mais, sans appui officiel, n’ayant pas su convaincre, peu à peu, il sombra dans la démence et mourut à 47 ans. »

Guillaume Erner dans sa chronique du 9 mars a également rendu hommage à ce précurseur :

« C’est ça l’intérêt du Covid : maintenant je peux vous demander sans passer pour un type un peu étrange si vous vous êtes lavé les mains… Lave toi les mains, ne dis pas bonjour à la dame, jette moi ce mouchoir, nous sommes tous devenus des parents, je veux dire des parents avec des gens qui ne sont manifestement pas nos enfants. Les délires les plus hygiénistes ont désormais complètement droit de cité. […]

Le Covid accompagne le retour en force d’Ignace Philippe Semmelweis, médecin obstétricien hongrois du XIX e siècle, lequel a beaucoup fait pour l’espèce humaine, en obligeant ses semblables à se laver les mains. C’est que l’on doit à Semmelweis : l’éradication de la fièvre puerpérale. Ce médecin avait découvert qu’il fallait se laver les mains après avoir procédé à une dissection de cadavre et avant de se livrer à un accouchement. Mais, hélas, le destin de Semmelweis fut d’être un Galilée du savon, je veux dire qu’il fut persécuté pour ce conseil étrange, il mourut à l’asile pour avoir suggéré à ses contemporains de se laver les mains…

Et qui pris la plume quelques années plus tard pour défendre cet homme ?

Louis Ferdinand Céline, romancier mais aussi médecin, Céline consacra sa thèse de médecine, en 1924, à la vie et à l’œuvre de Semmelweis, ce qui évidemment n’arrange pas la mémoire de Semmelweis, je m’en voudrais de franchir le point Céline avant 7 h du matin.

L’épidémie de coronavirus marque une nouvelle victoire posthume de Semmelweis : l’idée que le salut de l’espèce passe désormais non seulement par le savoir, mais aussi et surtout par le savon. »

Le Figaro a publié le 9 mars 2020 : <Ignace Philippe Semmelweis, martyr du lavage des mains>

Et, Slate a publié un article le 10 mars 2020 : <Semmelweis, le médecin hongrois qui apprit au monde à se laver les mains> qui rappelle un peu plus précisément le destin de ce médecin :

« Vienne, été 1865. Dans l’asile psychiatrique du quartier de Döbling, au nord de la capitale autrichienne, un savant hongrois rongé par la démence vit sans le savoir ses deux dernières semaines. Interné par ses amis et ses parents, Ignace Semmelweis n’est plus que rage et rancœur contre un monde abhorrant son avant-gardisme. Le personnel de l’institution répond par les coups à la violence de l’homme dont la santé mentale s’est considérablement détériorée en quelques années. Le 13 août, Semmelweis succombe à ses blessures, laissant un héritage médical seulement reconnu post-mortem. »

Et il raconte son histoire :

« Deux décennies plus tôt, le praticien budapestois réalisa la découverte qui le rendit aussi fou que célèbre. En 1847, une femme sur cinq meurt en couches de la fièvre puerpérale dans le service de l’hôpital viennois où l’obstétricien officie. La même année, un ami professeur d’anatomie décède d’une infection similaire à celle des mères après s’être coupé le doigt avec un scalpel.

Semmelweis prescrit un lavage des mains via une solution d’hypochlorite de calcium entre le travail à la morgue et l’examen des patientes. La mortalité dévisse, Ignace a vu juste, mais le corps médical niera longtemps l’évidence.

[…] Semmelweis redoutait les cercles savants de Vienne et attendra le crépuscule de son existence avant d’assumer sa trouvaille. La majorité des scientifiques de l’époque, acquis à la médecine antique, pensaient que toute maladie résulte d’un déséquilibre des quatre éléments fondamentaux (air, feu, eau, terre) imprégnant le corps humain.

Qu’à cela ne tienne, le médecin hongrois étendit ses mesures d’hygiène aux instruments sollicités pour l’accouchement et éradiqua quasiment la fièvre puerpérale. Craignant l’influence croissante du Hongrois, le professeur Johann Klein le chassa de son service en 1849.

Semmelweis demande à obtenir un poste de professeur non rémunéré en obstétrique mais n’obtiendra gain de cause qu’au bout de dix-huit mois, sans accès aux cadavres et avec l’obligation d’utiliser des mannequins. Humilié, le praticien regagne sa Budapest natale et prend la direction de la maternité de l’hôpital Szent-Rókus de Budapest.

La recette Semmelweis fait de nouveau des miracles. Entre 1851 et 1855, seules huit patientes meurent de la fièvre puerpérale sur les 933 naissances enregistrées durant la période. Le praticien devient professeur et instaure le lavage des mains dans la clinique de l’université de Pest.

Semmelweis se marie, décline une offre à Zurich, rédige une série d’articles défendant sa méthode controversée et tacle le scepticisme de ses pairs dans un ouvrage de 1861 compilant ses découvertes. Fâché par plusieurs critiques défavorables de son livre, Semmelweis attaque ses détracteurs comme Späth, Scanzoni ou Siebold en les traitant de «meutriers irresponsables» et de «sombres ignorants» via une série de lettres ouvertes amères et courroucées. Médecins et biologistes allemands, emmenés par le pathologiste Rudolf Virchow, rejettent énergiquement sa doctrine. Le début de sa descente aux enfers. […]

Sa volonté de convaincre l’ensemble de ses confrères du bien-fondé de ses théories vire à l’obsession. Semmelweis n’a plus que la fièvre puerpérale en tête. Des portraits réalisés entre 1857 et 1864 montrent un état de vieillissement avancé, la quarantaine à peine passée. Les syndrômes de la dépression nerveuse l’envahissent. Au milieu de l’année 1865, son attitude préoccupe ses collègues et ses proches. Il sombre dans l’alcoolisme, s’éloigne de plus en plus souvent de sa famille et cherche le réconfort en fréquentant des péripatéticiennes. Son comportement sexuel intrigue son épouse Mária.

Le célèbre chirurgien János Balassa, pionnier de la réanimation cardiaque et médecin traitant de Semmelweis, monte une commission recommandant son placement en établissement spécialisé. Le 30 juillet, son ancien professeur Ferdinand Ritter von Hebra, partageant dès 1847 les découvertes de Semmelweis dans une revue médicale viennoise de renom, l’attire vers l’asile où il mourra en prétendant lui faire visiter l’un de ses nouveaux instituts locaux. Comprenant le piège, Semmelweis tenta de fuir avant d’être frappé par des gardes, mis en camisole et enfermé dans une cellule sombre. »

En 2013, l’Unesco adouba le «sauveur des mères» dont l’université de médecine de Budapest porte le nom en inscrivant ses constatations sur la fièvre puerpérale au patrimoine mondial de l’humanité. Aujourd’hui, plus personne ne conteste la nécessité de se désinfecter les mains afin d’éviter la propagation des maladies. Surtout en pleine épidémie de coronavirus.

Il y a encore du travail en France. Le premier article cité donne les informations suivantes :

« Dans une étude internationale portant sur 63 nations, la France se trouve en 50e position en ce qui concerne l’hygiène des mains. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) concluait en 2012 que seulement 67 % des Français se lavent les mains avant de cuisiner, 60 % avant de manger et à peine 31 % après un voyage en transport en commun. Dans les toilettes publiques, 14,6 % des hommes et 7,1 % des femmes négligent ce geste de propreté élémentaire. »

En janvier 2017, un mot du jour avait déjà été consacré à « Ignace Philippe Semmelweis »

<1368>

Vendredi 16 novembre 2018

« La dislocation de l’Autriche-Hongrie »
Une des conséquences majeures de la défaite des empires centraux.

La planète comptait 53 États indépendants et souverains en 1914. En 1932, elle en rassemblait 77.

Par comparaison l’ONU compte, aujourd’hui, 193 États membres.

Mais revenons aux conséquences de la première guerre mondiale dont la partie la plus visible fut le démantèlement des Empires ottomans et Austro-Hongrois.

L’empire d’Autriche Hongrie représentait un immense territoire au milieu de l’Europe.

Sur la carte de 1914 que nous voyons ici, on constate qu’il avait un empire encore plus grand comme voisin, l’Empire de Russie. Le pouvoir tsariste va s’effondrer, Lénine va rapidement faire la paix avec les puissances centrales et abandonner ses alliés français et anglais.

Nous savons que les relations franco-anglaises ont toujours été conflictuelles. Le plus souvent ces deux Etats étaient ennemis. En tout cas, la Grande Bretagne a toujours été dans des coalitions contre la France, tant que la France constituait la puissance militaire continentale la plus forte.

Mais la guerre de 1870 et la création du 2ème empire, du deuxième Reich en langage tudesque a complétement changé la donne. La puissance continentale principale devenait l’empire allemand. Et ce que jamais la France n’est parvenu à faire, la puissance industrielle allemande a concurrencé puis dépassé celle du Royaume Uni. Insupportable pour cette dernière et elle fit donc alliance avec la France bien que cette dernière était une concurrente du point de vue de l’empire colonial. Mais moins forte que la perfide Albion, ce qui convenait à cette dernière. Mais ce passé explique que l’entente franco anglaise était pleine d’arrière-pensées.

Le véritable allié de la France était l’Empire Russe.

La guerre, la révolution bolchevique ont conduit à ce que la France qui était entrée dans la guerre avec l’alliance russe, en est sortie avec l’alliance américaine.

Le corps expéditionnaire d’Orient qui est illustré par le film “Capitaine Conan” sera d’ailleurs en partie engagé dans la guerre civile russe contre les bolcheviques et du côté des « blancs ».

Nous en sommes encore là. Il y chez certain politiques la nostalgie de la vieille alliance avec la Russie, mais pour l’instant et malgré l’histrion Trump, notre allié reste les Etats-Unis. Ceci remonte à 14-18.

L’empire russe à la sortie de la guerre va devenir l’Union Soviétique et ne perdra pratiquement aucun territoire. La seconde guerre mondiale renforcera sa puissance et lui permettra de soumettre des Etats vassaux dans une organisation entièrement dominée par elle : le Pacte de Varsovie.

Si la Russie se transforme en Union Soviétique militairement plus fort que la Russie, ce n’est pas le cas de l’Autriche-Hongrie.

J’avais consacré le mot du jour du 24/06/2014 à «La Cacanie» dont parlait Robert Musil dans son roman « L’homme sans qualités » pour désigner l’empire austro-hongrois avant la première guerre mondiale. Car cet empire avait pour nom précis L’empire d’Autriche et Royaume de Hongrie ce qui donnait en allemand : Kaiserliche und Königliche Österreichisch-Ungarischen, c’est-à-dire Kaiser Empereur et König Roi d’où KK et donc Cacanie

La Cacanie était un empire qui est le contraire d’un État nation.

L’État nation peut comprendre des minorités mais pour l’essentiel est constitué d’un peuple national qui s’approprie l’État ou dit autrement obtient sa souveraineté par l’État.

L’Allemagne était un État nation en 1914.

Quand on regarde une carte de l’Autriche Hongrie, on constate que l’Empire est composé,d’une multitude de nations.

Et cette carte est particulièrement intéressante pour l’Européen d’aujourd’hui.

Il est question des « Croates » aujourd’hui il existe un État Croate, même que ce fut l’adversaire de la France en finale de la coupe du monde de football. Mais la Croatie ne date pas de 1918, il fallut une autre guerre pour que cet État se crée en 1991..

Alors, s’il n’existe pas de Ruthènie, mais aujourd’hui il existe la Slovaquie, la Slovénie, la Tchéquie et même quelques autres..

Nous avons parlé, hier, de la création de la Pologne qui a repris son territoire en amputant la Russie et l’Allemagne, mais aussi l’Autriche Hongrie qui occupait un territoire autour de Cracovie.

En principal cependant le démantèlement de l’Empire austro-hongrois consista dans la création de 4 États :

  • L’Autriche, le cœur de l’empire et sa capitale, Vienne, désormais disproportionnée, se resserre dans un tout petit État qui est devenu une République. Les dirigeants souhaitaient fusionner avec l’Allemagne, les anglo-saxons trouvaient l’idée acceptable, mais pas la France qui a opposé un veto à cette perspective;
  • La Hongrie, qui était le royaume à l’intérieur de la Cacanie et disposait de ses propres chambres législatives. Elle aussi rétrécit de manière considérable : perte des deux tiers de son territoire et de près des deux tiers de sa population (qui passait brusquement de 20 à 7,6 millions d’âmes). Les Hongrois garde la nostalgie de ce qu’ils appellent la « Grande Hongrie» qui fit aussi l’objet d’un mot du jour.
  • La Tchécoslovaquie qui regroupait les nations tchèques et slovaques
  • La Yougoslavie qui regroupait les nations serbes, croates, bosniaques, slovènes.

La Tchécoslovaquie est sortie du traité de Saint-Germain-en-Laye outre le Tchèques et les Slovaques, ce nouvel État inclut aussi des minorités allemandes, ruthènes, hongroises, polonaises. La minorité allemande des sudètes constitua le prétexte pour Hitler d’occuper d’abord le territoire des sudètes après le sombre épisode des accords de Münich, puis tout le territoire tchécoslovaque. Hitler qui était autrichien, considérait l’annexion de ce jeune Etat comme un juste retour dans l’Empire Allemand qui avait fusionné avec l’Autriche.

Après la seconde guerre mondiale, la Tchécoslovaquie retrouva son indépendance, indépendance limitée par son appartenance au bloc soviétique. Mais quand le communisme s’effondra à l’est, les nations qui n’avaient pu devenir État-nation en 1918 prirent leur revanche et la Tchécoslovaquie donna naissance à la Slovaquie et la République Tchèque le 31 décembre 1992 à minuit. Cette séparation se passa dans le calme et la paix.

Tel ne fut pas le cas de la dislocation de la Yougoslavie.

Mais avant la dislocation il a fallu la créer. La Yougoslavie fut créée le 1er décembre 1918 sous le nom de Royaume des Serbes, Croates et Slovènes.

Le nom Yougoslavie signifiant pays des Slaves du Sud.

En réalité la création de la Yougoslavie est la récompense accordée à la Serbie qui était du côté des alliés et notamment l’allié de la France. Rappelons que c’est la déclaration de guerre de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie qui de manière factuelle entraîna toutes les autres déclarations de guerre dans les jours qui ont suivi et qui a ouvert la première guerre mondiale.

Cette déclaration de guerre qui avait pour prétexte le fait que la Serbie refusa, comme tout état souverain qui se respecte, de laisser entrer des policiers autrichiens sur son territoire pour poursuivre le groupe qui aida le bosniaque Gavrilo Princip à assassiner l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche le 28 juin 1914 à Sarajevo.

On constate donc que le territoire de la future Yougoslavie fut au cœur de ces évènements qui déclenchèrent la grande guerre.

Mais au sein de la Yougoslavie, la rivalité entre nations fut toujours vive pour finalement déboucher sur la terrible guerre de Yougoslavie.

Wikipedia précise qu’

« Immédiatement, des désaccords se manifestent à propos des termes de l’union proposée avec la Serbie. Au projet fédéraliste d’inspiration germanique, défendu surtout par les Slovènes et les Croates, s’oppose le projet jacobin et centralisateur d’inspiration française, défendu surtout par les Serbes. Svetozar Pribićević, un Serbe de Croatie, président de la coalition croato-serbe et vice-président de l’État, souhaite une union immédiate et sans condition. D’autres, en faveur d’une fédération yougoslave, étaient plus hésitants, craignant que la Serbie n’annexe simplement les territoires sud-slaves de l’ex-Autriche-Hongrie. »

Ce paragraphe nous apprend deux points importants, le premier est la désunion des nations de la Yougoslavie et le second est que les Croates furent toujours soutenus par les allemands et les Serbes par la France.

L’entourage du Président Macron a complément oublié ce point, ah les jeunes qui ne connaissent pas l’Histoire !, en ne donnant pas la juste place au Président de la Serbie lors de la cérémonie de l’Arc de Triomphe le 11 novembre 2018.

Le président serbe fut relégué sur une tribune annexe, alors que sur la tribune principale se trouvait le premier ministre israélien, alors qu’Israël n’existait pas en 1918 et Erdogan le président de la Turquie ennemie.

Mais cette désunion fut aussi sensible et contre-productive lors du déclenchement de la guerre civile en Yougoslavie dans les années 1990, car les allemands et les français plutôt que d’œuvrer pour la paix et la réconciliation avaient retrouvé leurs pulsions anciennes : la première aidant la Croatie et l’autre allant soutenir la Serbie. Après les horreurs de cette guerre civile, l’Allemagne et France retrouvèrent la raison et eurent une position plus positive. Mais comme toujours, depuis 14-18, c’est à nouveau l’intervention de l’Allié américain qui mit fin à cette guerre.

Pour finir ce mot du jour écrit un peu rapidement, mais qui laisse percevoir combien cette Histoire reste prégnante dans l’Europe d’aujourd’hui, voici la carte de l’Europe après 14-18 et les guerres qui ont suivi immédiatement. Cette carte qui changera encore beaucoup après l’effondrement du bloc soviétique.


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