Mercredi 2 Septembre 2015

Mercredi 2 Septembre 2015
« Si tu fais la même opération deux jours de suite,
cherche le logiciel qui fera la même chose à ta place »
Le mantra de l’informatique contemporaine.
Nous sommes dans la continuité de la loi de Moore. Mais ce mantra informatique aggrave encore la problématique.
Car nous sommes au cœur du sujet de l’insécurité économique.
Si un logiciel peut faire ce que je fais, que ferais-je, moi, demain ?
Avant d’analyser la conséquence de ce raisonnement en matière d’emploi, arrêtons-nous à son caractère totalement déstabilisateur.
Nous autres humanoïdes, nous nous sommes construits dans la répétition. Nous avons appris notre métier par la répétition des mêmes gestes, l’utilisation des mêmes outils, la consolidation des mêmes procédures.
Combien il est rassurant pour nous quand nous avons une tâche à réaliser de pouvoir constater : « Cela je l’ai déjà fait, donc je sais le faire ».
Cette facilité, cette sécurité, cette confiance nous est retirée : quand on a appris à faire quelque chose avec assurance, on aura plus besoin de nous, une machine pourra le faire.
Et alors en termes d’emplois…
Ce n’est plus le travail de l’ouvrier dans l’usine qui est en cause, il s’agit cette fois des millions d’emplois de la classe moyenne.
Les algorithmes branchés sur des bases de données gigantesques « les fameux big data », armés d’une puissance de calcul presque infinie constituent une concurrence à laquelle nos capacités humaines sont incapables de faire face.
Pour aller vite, seuls les créatifs resteront indispensables. Mais tout le monde ne sait pas être créatif.
Pour le reste, faire un diagnostic médical, rechercher un argumentaire juridique adéquat dans le corpus du droit et de la Jurisprudence, réaliser une comptabilité, faire un contrôle fiscal ou même réaliser l’expertise d’un tableau de maître ou encore conduire un taxi, un camion, un métro, un train, piloter un avion, toutes ces actions relèveront à terme d’un robot, c’est-à-dire d’un programme d’intelligence artificielle. Et cela plus vite que nous ne le pensons.
Ces millions d’emplois seront supprimés, par lesquels seront-ils remplacés ?
Les emplois qui pourront être créés sont, selon le propos de Daniel Cohen « orthogonaux au progrès techniques », c’est-à-dire des emplois qui ne sont pas susceptibles de voir leur rendement et leur productivité croître par les progrès de la technique : des emplois de service, des aides-soignantes, des éducateurs, des médiateurs bref des métiers où l’humanité joue un grand rôle. Mais étant donné notre système économique et le fait que ces emplois n’ont pas vocation à voir leur productivité augmenter, les rémunérations seront faibles.
Daniel Cohen explique la différence entre la révolution industrielle de la fin du XIXème siècle et la révolution numérique du XXIème siècle par la différence entre deux concepts :
La complémentarité et la substitution.
En effet, la révolution de l’électricité et du moteur à explosion a eu pour conséquence de chasser des millions de gens de la campagne agricole vers la ville des usines.
D’un côté, ils étaient chassés du monde agricole parce que le progrès technique et la révolution agraire permettant de produire beaucoup plus avec beaucoup moins de gens, l’agriculture n’avait plus besoin de leur force de travail.
Mais de l’autre côté, les usines et l’industrie, qui profitaient tout autant du progrès technique, avaient besoin de bras et de main d’œuvre. Ce qui signifie qu’ils pouvaient retrouver des emplois en phase avec le progrès technique.
Tout ceci ne fut pas un long fleuve tranquille. Daniel Cohen trouve que<ce célèbre  extrait des temps modernes de Charlie Chaplin> où on cherche à faire entrer l’homme dans les contraintes et les besoins de la machine pour bénéficier des gains de productivité du progrès, montre bien la difficile adaptation qui fut nécessaire à ces ouvriers.
Mais après bien des combats syndicaux et politiques, mais aussi des prises de conscience de l’élite éclairée (car Le XIXe siècle fut une catastrophe pour les ouvriers confrontés à une grande paupérisation décrite par <le rapport Villermé de 1840 > et enfin les deux terribles guerres mondiales qui accouchèrent aussi de réformes sociales, le sort des classes populaires dans les pays occidentaux devint plus enviable.
Le système économique grâce à la sécurité sociale, les politiques Keynésiennes, le fordisme, le système financier issu de Bretton Woods parvint à une maturité et une stabilité qui permit une croissance que nous avons cru éternelle. Croissance qui permit et s’enrichit par l’émergence d’une immense classe moyenne et de la société de consommation. Ce fut l’ère de la complémentarité que Schlumpeter décrivit par ces mots : « la destruction créatrice » : On détruit des emplois peu productifs mais en complément on crée des emplois productifs.
 
La crainte exprimée par Daniel Cohen est que nous soyons désormais dans la substitution. Les emplois perdus par la révolution numérique ne seraient plus remplacés par la création d’emplois productifs.
Nous serions passés d’un monde de complémentarité à un monde de substitution. 
Bernard Stiegler parle de « destruction destructrice ». et en décrit les conséquences avec un esprit très positif. Son analyse est très intéressante mais le modèle économique que cette analyse sous-tend ne me parait pas très établi.
Il n’y a dans ce domaine aucune certitude, la plupart des économistes libéraux continuent à prétendre qu’il faut un peu de temps et qu’alors la révolution numérique créera les millions d’emplois productifs nouveaux souhaités par le modèle économique actuel.
Bien entendu, je ne sais pas. Mais je reste sceptique.

Mardi 1er Septembre 2015

Mardi 1er Septembre 2015
« La loi de Moore »
Gordon Moore cofondateur de la société Intel
<Gordon Earle Moore> est né le 3 janvier 1929 à San Francisco. C’est un docteur en chimie et un chef d’entreprise américain. Il est le cofondateur avec Robert Noyce et Andrew Grove de la société Intel en 1968 (leader mondial des fabricants de microprocesseurs). Il est connu pour avoir publié la loi de Moore en 1965.
 
En réalité, il existe plusieurs lois appelées « Les lois de Moore ». Ce sont des lois empiriques qui ont trait à l’évolution de la puissance des ordinateurs et de la complexité du matériel informatique. Au sens strict, on ne devrait pas parler de lois de Moore mais de conjectures de Moore puisque les énoncés de Moore ne sont en fait que des suppositions.
La Loi de Moore, stricto sensu, a été exprimée, le 19 avril 1965, dans « Electronics Magazine ». Constatant que la complexité des semi-conducteurs proposés, en entrée de gamme, doublait tous les ans, à coût constant depuis 1959, date de leur invention, il postulait la poursuite de cette croissance (en 1965, le circuit le plus performant comportait 64 transistors).
Je cite Wikipédia : « Cette augmentation exponentielle fut rapidement nommée Loi de Moore ou, compte tenu de l’ajustement ultérieur, Première loi de Moore.
En 1975, Moore réévalua sa prédiction en posant que le nombre de transistors des microprocesseurs (et non plus de simples circuits intégrés moins complexes car formés de composants indépendants) sur une puce de silicium double tous les deux ans. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une loi physique mais seulement d’une extrapolation empirique, cette prédiction s’est révélée étonnamment exacte. Entre 1971 et 2001, la densité des transistors a doublé chaque 1,96 année. En conséquence, les machines électroniques sont devenues de moins en moins coûteuses et de plus en plus puissantes.
Une version commune, variable et sans lien avec les énoncés réels de Moore est : « quelque chose » double tous les dix-huit mois, cette chose étant « la puissance », « la capacité », « la vitesse », « la fréquence d’horloge » et bien d’autres variantes mais très rarement la densité des transistors sur une puce. Ces pseudos « lois de Moore » sont celles le plus souvent diffusées, car elles fleurissent dans des publications grand public et sur de nombreux sites Internet. Leur seul point commun est donc ce nombre de dix-huit mois, qu’on ne trouve pourtant dans aucun des deux énoncés de Moore. »
La loi de Moore qui s’est jusqu’ici révélée étonnamment exacte, « nous entraîne dans un univers de potentialités infinies » explique Daniel Cohen.
Elle nous entraîne dans une explosion d’innovations à laquelle nous sommes confrontés quotidiennement.
Daniel Cohen dit « On nous dit qu’il faut soutenir l’innovation ! Mais il n’est nul besoin de soutenir l’innovation, elle explose partout, elle apparaît sans fin. Peut-être même qu’il y a trop d’innovations »
En effet, trop d’innovations pour notre nature humaine, pour notre stabilité de vie.
Cette innovation exponentielle que révèlent les lois de Moore nous plonge tous dans un état d’insécurité professionnelle : nos outils, notre environnement professionnel, les processus d’acquisition des données et de leur stockage, l’environnement des échanges et du commerce, plus prosaïquement les interfaces logicielles que nous utilisons changent sans cesse.
Cette insécurité crée chez les gens une demande de sécurité accrue par rapport à l’innovation. Il existe une tentation vaine de revenir en arrière, de tout bloquer, de revenir vers le monde d’avant.
Cette tentation portée par certaines formations politiques, ne permet cependant pas de faire fi de la loi de Moore.
La grande question est celle de la sécurisation de notre place dans cette société, il faut donc réfléchir aux outils qui pourront aider chacun à faire face au choc qui est celui de cette progression croissante.
Suite au prochain épisode…
Le livre de Daniel Cohen qui vient de paraître :  <Le-Monde est clos et le désir infini>