Mardi 7 janvier 2025

« Je suis toujours Charlie »
C’est une profession de foi

Je me souviens exactement de l’endroit où j’étais, il y a dix ans, vers midi, quand j’ai eu les premières informations qu’il s’était déroulé un massacre effroyable à Paris, dans les locaux de Charlie Hebdo.

J’étais rue du Sergent Michel Berthet, dans le 9ème arrondissement de Lyon, en face de l’immeuble Fiducial et j’attendais ma fille car nous avions rendez vous pour aller ensemble au restaurant.

Nous nous souvenons avec précision des moments où nous avons été sidérés : le 11 septembre 2001, les attentats du 13 novembre 2015 et cette journée du 7 janvier 2015 qui allait être suivie par deux autres jours pendant lesquels des tueries allaient avoir lieu d’abord à Montrouge (Hauts-de-Seine), Clarissa Jean-Philippe, policière, était tuée d’une balle dans le dos. Puis vendredi 9 janvier, quatre personnes étaient encore tuées dans l’attaque de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes .

Tout de suite je me suis senti Charlie et je n’ai pas compris que d’autres osent dire qu’ils n’étaient pas Charlie. Je lisais très rarement ce journal, son humour n’était pas le mien. Mais il n’est pas admissible, qu’en France on puisse être tué parce qu’on a fait un dessin ou écrit un texte. Je me souviens d’une enfant à l’époque qui avait dit : « Quand on n’aime pas un dessin, on ne tue pas, on en fait un plus jolie. ». Dans la naïveté de ces propos  se révèle une grande sagesse.

Nous parlons de liberté, de liberté d’expression. Nous parlons de l’obscurantisme prôné par des adeptes religieux figés dans des interprétations archaïques de leurs textes « sacrés ». Je ne conçois pas qu’on puisse manifester la moindre faiblesse à leur égard.

Dessin de Coco dessinatrice de Charlie Hebdo rescapée des massacres

Où en sommes nous aujourd’hui ?

Elisabeth Badinter dans un article de l’Express : « Dix ans après l’attentat contre Charlie, je pense que la peur l’a emportée » est très pessimiste :

« Je pense que la peur l’a emporté. La peur, d’abord, de ce qu’il peut en coûter physiquement, pour sa vie, quand on prend la parole sur ces sujets-là, et je pense bien sûr aux morts de Charlie mais aussi à Samuel Paty, décapité à la sortie de son collège.
Les réseaux sociaux jouent un rôle délétère, car on sait désormais comment un « bad buzz » peut se former et grossir jusqu’à atterrir dans le téléphone d’un candidat au djihad.
Notre actualité est émaillée d’affaires comme celles du proviseur du Lycée Maurice Ravel, à Paris, menacé de mort après avoir demandé à une élève d’enlever son voile dans l’enceinte de l’établissement. Ces affaires-là ne peuvent que confirmer la peur qu’a la majorité de parler.
S’ajoute une autre crainte : celle d’être pointé du doigt comme appartenant au « mauvais camp »; de se faire traiter de raciste, d’islamophobe, etc. Alors, il y a quand même encore très peu de gens qui parlent. A part, bien sûr, dans le secret des conversations en famille ou entre amis.

Cette dichotomie totale entre la conversation publique et la parole privée n’est pas un signe de santé démocratique. »

Je pense qu’Elisabeth Badinter a raison nous avons reculé, beaucoup d’auto-censure a été pratiquée d’abord par ceux qui ont simplement peur « des fous de dieu ». On se souvient de ses parents qui se sont mobilisés pour que leur collège ne porte pas le nom de Samuel Paty.

Mais plus insidieusement, beaucoup se taisent parce qu’ils ont peur d’être classés parmi les racistes et les islamophobes.  Et c’est ainsi que les islamistes gagnent du terrain.

Pour ma part, et sur ce sujet précis je serai toujours du côté de ceux qui dénoncent les ravages de la lâcheté et du renoncement devant les rétrogrades et les groupes religieux qui nous entraînent dans une régression inouïe dans nos libertés et aussi dans l’enseignement de l’Histoire dans nos Collèges comme le pratiquait Samuel Paty et Dominique Bernard . Je serai du côté des journalistes de Charlie Hebdo, de Caroline Fourest ou de l’avocat Richard Malka et résolument contre ceux qui les traitent d’islamophobe. Richard Malka l’avocat de Charlie Hebdo lors du procès des attentats a plaidé : 


« C’est notre faiblesse qui donne à nos ennemis leur marche d’action. C’est un rapport de force avec le fait religieux, ça sera toujours un rapport de force. C’est comme ça… Le meilleur moyen de ne pas avoir d’attentat, c’est de montrer qu’ils n’obtiendront rien, jamais ! Pas un seul recul, pas un seul renoncement. C’est ça leur kérosène, en fait, ce sont nos renoncements, c’est ça l’huile de leur moteur.»

Dans un article publié hier le 6 janvier, dans Libération :  « Le billet de Thomas Legrand  », évoque l’inoubliable Bernard Maris qui a fait partie des victimes du massacre de Charlie Hebdo.

Outre, d’être un économiste humaniste qui expliquait avec humour et pédagogie les perversions qui se cachant derrière les concepts claironnés par ses confrères, Bernard Maris avait une autre passion : Maurice Genevoix et le projet de sa panthéonisation.

Il était l’époux de la fille de l’écrivain, Sylvie Genevois, jusqu’à la mort de cette dernière en 2012. Il avait créé un mouvement de soutien et il a obtenu la panthéonisation du romancier de la grande guerre. Thomas Legrand écrit :

« Les monstruosités de 14-18 qui fascinaient Bernard l’ont rattrapé. Les attentats, la folie jihadiste sont aussi (les historiens le disent) de lointaines répercussions des dérèglements géopolitiques issus de 1918, avec le tracé par les Français et les Anglais de frontières artificielles au Levant…
Peu avant l’annonce, au printemps 2015, de la panthéonisation de Genevoix, Bernard Maris mourait sous les balles des terroristes. […]
Aujourd’hui, quand je me souviens de Bernard, mon compagnon de matinale de radio, je comprends mieux ces mots «nos morts» qui me paraissaient avant l’attentat contre Charlie un brin cocardiers, inutilement grandiloquents ou même suspects de récupération, sur les monuments du souvenir des communes françaises. Il y a bien autre chose que l’aspect sacrificiel, morts pour la cause. D’autant que Bernard, comme Cabu ou Charb, fan de Brassens, était plutôt du genre à vouloir «mourir pour des idées, mais de mort lente».
Non, nos morts, ce sont aussi ceux qui, disparus, nous accompagnent toujours, sont à nous. […] «A nos morts», dans chaque village, c’était la famille, les voisins, les copains… Je vois maintenant ce que cette expression «nos morts» signifie et a d’utile pour les vivants.
Nous, nous avons Bernard et ceux de Charlie, nos morts.»

Et dans cette liste de nos morts je n’oublierai pas Samuel Paty, Dominique Bernard et les autres victimes de cette barbarie qui a débarqué sur notre sol et que nous devons résolument affronter.