Vendredi 9 octobre 2020

« L’intelligence c’est aussi important que le soleil. »
Juliette Gréco

Je ne me suis intéressé à « Boomerang », l’émission d’Augustin Trapenard sur France Inter qu’à partir de cette exceptionnelle série « Lettres d’intérieur » dans laquelle, pendant le confinement, il a lu chaque jour la lettre d’un écrivain, d’un artiste, d’un journaliste qui parlait de ce moment étonnant et unique. Il lisait de sa voix chaude, avec émotion et pudeur.

J’en ai fait quatre mots du jours « Je te demande pardon. » d’Ariadne Ascaride, « Puisque seul l’amour sait nous raconter à ceux qui savent écouter. » de Yasmina Khadra, «C’est la bonté qui est la normalité du monde car la bonté est courageuse, la bonté est généreuse et jamais elle ne consent à être comme une embusquée, qui, à l’arrière vit grâce au sang des autres.» de Wajdi Mouawad et «Mais nous, dis, nous resterons tendres ? On ne va pas se faire avaler !» de Sophie Fontanel.

Mais il en ait tant d’autres à écouter sur la page des « Lettres d’intérieur ».

Dans Boomerang, il invite une ou un artiste et lui pose des questions.

Il est de la lignée de Jacques Chancel, celui qui laisse toute sa place à l’artiste, qui présente un écrin dans lequel l’artiste se sent accueilli et peut exprimer sa liberté et sa créativité.

Il n’est pas de la lignée de Thierry Ardisson ou Laurent Ruquier qui tout en étant de grands professionnels ont d’abord pour objet de se promouvoir eux même.

Et donc, dans cet écrin il avait accueilli Juliette Gréco, en 2015, à la veille de la sortie de l’album de sa tournée d’adieu.

Cette émission a été rediffusée le 24 septembre 2020 : <Muse, Juliette Gréco>. C’est encore une pépite qui fait du bien à écouter. Échange de profondeur et aussi plein d’humour

J’en prendrai quelques extraits :

Augustin Trapenard lui fait parler de sa pudeur. Elle aime être habillée en noir. Comme cela sur scène on ne voit pas son corps, on ne voit que ses mains et son visage.

Elle explique que sa pudeur vient peut-être de sa nature ou de son éducation religieuse bourgeoise. Elle dit qu’elle préfère peut-être le mystère à l’étalage. « Je trouve cela plus sensuelle », dit-elle. Et elle ajoute cette phrase merveilleuse :

« Je suis ravi de voir des filles qui ont des jupes au ras du bonheur »

Augustin Trapenard aussi a adoré cette expression « des jupes au ras du bonheur. »

Et quand le journaliste lui demande qu’elle sont ses goût musicaux, ce qu’elle écoute dans son salon, dans sa voiture.

« C’est plutôt ce qu’on appelle la musique classique, j’ai besoin du silence de la musique classique et j’ai besoin qu’il n’y ait pas de mots. J’ai besoin qu’on me réconforte. Si je suis de mauvaise humeur c’est Mozart. Si je suis de bonne humeur c’est Schoenberg ou des choses compliquées. »

Juliette Gréco a beaucoup chanté les poètes. Et quand Augustin Trapenard lui demande quels sont les poètes d’aujourd’hui, elle a cette réponse :

« Le nouveau langage est celui des rappeurs, des slameurs. Je pense que c’est un nouveau langage qu’il faut absolument respecter et qu’il faut bien écouter. Ils sont la parole de la jeunesse. Et c’est une chose qu’il ne faut pas louper parce que c’est grave. Il faut écouter ce qu’ils ont à dire. »

Et puis il y a son histoire d’amour avec le compositeur et trompettiste de jazz américain. : Miles Davis

Au printemps 1949, alors de passage à Paris pour se produire au festival de jazz international, Miles Davis rencontre Juliette Gréco. Cette dernière donne un concert au cabaret Le Bœuf sur le toit où elle chante des textes de Boris Vian, Jean-Paul Sartre et Jacques Prévert. Miles Davis est alors âgé de 23 ans. Leur coup de foudre est réciproque.

Et elle a cet échange avec Augustin Trapenard :

« Il parait que c’était une révolution. Je ne m’en suis pas rendu compte du tout. […] Quand j’ai vu Miles, je n’ai pas vu qu’il était noir. J’ai vu un mec avec une trompette sur la scène, de profil qui était absolument magnifique. Qui jouait de manière magnifique. Qui était un être unique. Et il est sorti de scène, je l’ai regardé et il m’a regardé et c’est parti.
Ça a fait scandale ?
Oui surement. Bien sûr.
Et vous en vous êtes pas du tout trouvé heurtée par ce scandale-là ?
Je me suis sentie heurtée par ce scandale, en allant en Amérique. En France, ils étaient plus sournois. Ça ne faisait pas chic d’être raciste, à cette époque-là. En Amérique cela faisait partie de la vie, de l’éducation.
Qu’est-ce qui vous révolte aujourd’hui Juliette Gréco ?
Eh bien cela par exemple, le racisme. L’absence de tolérance. »

Ils avaient évoqué le mariage. Mais aux États-Unis (à l’époque, les unions entre Noirs et Blancs sont illégales dans de nombreux États américains) c’était terriblement compliqué. Ils renonceront et Miles Davis rentrera à New York.

Lors de son entretien elle a aussi évoqué ses rencontres avec des gens intelligents : Camus, Sartre, Simone de Beauvoir et tant d’autres avec qui elle échangeait. Elle a dit :

« L’intelligence c’est aussi important que le soleil, c’est aussi important que les choses essentielles qui nous aident à vivre, qui nous font vivre. »

Lors de l’émission Augustin Trapenard fit écouter plusieurs chansons de Juliette Gréco. Particulièrement celle qui fut écrite pour sa dernière tournée de 2015 <Merci>.

Pour finir l’émission, il fit écouter <Le temps des Cerises>

J’avoue une tendresse particulière pour cette interprétation en 1972 de <la Javanaise de Gainsbourg>

Cette page de France Inter lui rend aussi hommage : <La chanteuse Juliette Gréco est morte>. Mais rien ne saurait remplacer la poésie de l’échange entre Juliette Gréco et Augustin Trapenard : <Muse, Juliette Gréco>

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