Lundi 11 mai 2020

«Ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir»
Socrate rapporté par Platon dans l’Apologie de Socrate

DECONFINEMENT !
Déconfinement est le maître mot de ce 11 mai 2020 en France.

La moitié de l’humanité a été confinée en ce premier quart du XXIème siècle pour freiner la propagation d’un virus.

Le confinement est une méthode archaïque, venu du fond des âges de l’humanité, pour lutter contre les épidémies.

Du fond des âges ?

Non plutôt depuis l’invention de l’agriculture et la création des villes dans lesquels homo sapiens a occupé plus densément l’espace. Cette problématique a été esquissée dans le mot du jour dont l’exergue est « Avons-nous eu tort d’inventer l’agriculture ?  »

Que signifie concrètement ce confinement ?

C’est une extraordinaire, au sens premier de ce terme, limitation et même négation de nos libertés fondamentales. Je les cite, sans développer :

  • Liberté de circuler
  • Liberté de réunion
  • Et même sous une certaine forme, la liberté de culte
  • La justice elle-même est entravée dans son fonctionnement etc.

On entend même remettre en cause le secret médical en créant un fichier des malades du COVID-19. Lorsqu’on avait envisagé cela lors de l’épidémie du VIH, seule l’extrême-droite avait émis une telle proposition, tout le reste de l’échiquier politique s’était récusé. On voit bien aujourd’hui que nous sommes beaucoup plus perméables à ce type d’évolution.

Yuval Noah Harari nous avait prévenus : vous allez accepter des restrictions de plus en plus importantes à vos libertés pour préserver votre santé.

Jean-Pierre Bourlanges rappelle que Montesquieu a conceptualisé cette restriction temporaire des libertés :

« il y a des cas où il faut mettre, pour un moment, un voile sur la liberté, comme l’on cache les statues des dieux »

Et Jean-Pierre Bourlanges continue en se centrant sur le cas de la France

«  Ici tout repose sur le « pour un moment ». Quand s’arrêtera ce moment, et que restera-t-il une fois celui-ci passé ? Les restrictions à nos libertés sont tolérables si elles sont temporaires, le problème est que des habitudes se seront installées, des consentements seront donnés, des individus seront « attendris », bref la résistance sera moindre à l’emprise, bienveillante mais abusive, des pouvoirs publics.

Enfin, comme d’habitude en France, la façon de procéder de l’État est excessive. La façon dont le confinement a été mis en place le prouve, les exemples sont légion où l’on a confondu distanciation et surveillance de la distanciation. Certaines zones pourtant désertes étaient interdites. On a de même développé des phénomènes d’autorités qui allaient au contraire des exigences de responsabilisation. Quand vous dites à quelqu’un qu’il n’a pas le droit d’être dans la rue alors qu’il y est seul, vous incitez à un comportement irresponsable.

C’est une habitude ancrée profondément en France : on en fait toujours trop. »

Cela étant, si on en revient au déconfinement, l’atteinte à nos libertés fondamentales est toujours présente. La liberté de circuler a évolué d’1 km à 100 km, mais ce n’est pas une liberté : l’espace de restriction des libertés s’est élargi. La liberté de réunion est toujours remise en cause.

Alors est ce que ce confinement était nécessaire ?

Certains l’affirment : Les épidémiologistes de l’Ecole des hautes Etudes en Santé publique affirment que le confinement a permis de sauver 60 000 vies en France.

Sont-ils certains de leurs estimations ? Est-ce du savoir ? Ils basent leur raisonnement sur des modèles qu’ils appliquent sur un virus nouveau qu’ils ne connaissent pas.

D’autres affirment le contraire. Des chercheurs remettent en cause l’intérêt scientifique des mesures de confinement prises par le gouvernement. Il s’agit d’un article publié le 3 mai par Up’ Magazine : « Aurons-nous été confinés pour rien ? »

Mais ces chercheurs sont-ils davantage certains de leur thèse ? S’agit-il de savoir ? savent-ils ce qu’ils ne savent pas ?

J’avais rédigé mon plus long mot du jour jusqu’à présent pour analyser la controverse liée à l’utilisation du protocole du Professeur Raoult pour lequel ce dernier affirmait que c’était la meilleure solution à défaut d’une autre : «Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou.». Sans remettre en cause l’autorité, ni les grandes qualités du Professeur Raoult, je concluais que ce qu’il présentait comme scientifique n’était pas du savoir.

C’est finalement ce qui ressort le plus de cette période de pandémie et de confinement : l’étendue de ce que nous ne savons pas.

Or il existe tant d’hommes politiques et même de scientifiques qui ont du mal à dire cette chose simple : « Je ne sais pas ».

Certains y arrivent cependant mais ce ne sont pas les plus nombreux, ni les plus écoutés.

Tant l’homme moderne exprime le besoin de savoir, de sortir de l’incertitude.

Mais dans ce cadre du COVID-19, il y a énormément de choses que nous ne savons pas.

Nous savons que nous n’avons pas de vaccin et nous savons que nous ne disposons pas d’un médicament ou de plusieurs médicaments ayant fait la preuve d’un effet positif et indiscutable dans un nombre de cas significatifs

Certains diraient ce n’est pas du savoir, c’est du non savoir.

Pas du tout. Je dirais même que c’est l’essence du savoir, de savoir ce que nous ne savons pas.

Et pour ce faire je voudrais revenir à un texte exceptionnel, à l’origine de la philosophie occidentale. Ce texte est « L’apologie de Socrate » écrit par Platon. Mais Platon fait parler Socrate. Sommes-nous certain, savons-nous si ces paroles sont vraiment de Socrate ?

Bien sûr que non. Mais ce qui est écrit va chercher dans les profondeurs de l’intelligence humaine.

Socrate se trouve devant les juges de son procès, il entend démontrer son innocence. Or dans un moment de sa plaidoirie il parle de la sagesse et du savoir. Il est possible sans doute de le dire autrement, mais certainement pas mieux :

« Or, un jour [que Khairéphon] était allé à Delphes, il osa poser à l’oracle la question que voici – je vous en prie encore une fois, juges, n’allez pas vous récrier –, il demanda, dis-je, s’il y avait au monde un homme plus sage que moi. Or la pythie lui répondit qu’il n’y en avait aucun. […]

VI. – Considérez maintenant pourquoi je vous en parle. C’est que j’ai à vous expliquer l’origine de la calomnie dont je suis victime. Lorsque j’eus appris cette réponse de l’oracle, je me mis à réfléchir en moi-même : « Que veut dire le dieu et quel sens recèlent ses paroles ? Car moi, j’ai conscience de n’être sage ni peu ni prou.

Que veut-il donc dire, quand il affirme que je suis le plus sage ? Car il ne ment certainement pas ; cela ne lui est pas permis. »

Pendant longtemps je me demandai quelle était son idée ; enfin je me décidai, quoique à grand-peine, à m’en éclaircir de la façon suivante : je me rendis chez un de ceux qui passent pour être des sages, pensant que je ne pouvais, mieux que là, contrôler l’oracle et lui déclarer : « Cet homme-ci est plus sage que moi, et toi, tu m’as proclamé le plus sage. » J’examinai donc cet homme à fond ; je n’ai pas besoin de dire son nom, mais c’était un de nos hommes d’État, qui, à l’épreuve, me fit l’impression dont je vais vous parler. Il me parut en effet, en causant avec lui, que cet homme semblait sage à beaucoup d’autres et surtout à lui-même, mais qu’il ne l’était point.

J’essayai alors de lui montrer qu’il n’avait pas la sagesse qu’il croyait avoir. Par-là, je me fis des ennemis de lui et de plusieurs des assistants.

Tout en m’en allant, je me disais en moi-même : « Je suis plus sage que cet homme-là. Il se peut qu’aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon ; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu’il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir. »

Notez cette phrase quand il parle de l’homme d’état : « Cet homme semblait sage à beaucoup d’autres et surtout à lui-même.», surtout à lui-même, peut être que certains de nos contemporains devraient méditer cette phrase.

Mais c’est la conclusion que j’ai choisi comme exergue de ce mot du jour et dont l’esprit est que la sagesse est lié au fait de savoir ce que je ne sais pas.

Nous savons scientifiquement indiscutablement plus qu’à l’époque de Socrate, mais l’étendue de notre non savoir est toujours considérable.

Rachid Benzine, dans une phrase que j’aime à répéter et à me répéter, a remarquablement modernisé le propos de Socrate : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes

Donc si nous savons que nous ne disposons ni d’un vaccin, ni d’un médicament efficace, il n’y avait que deux solutions pour les gouvernements :

  • Prendre une stratégie d’immunisation de groupe qui permettait de rendre les populations résistantes au virus au bout de quelques mois et le virus inoffensif. Cette stratégie avait pour grand avantage de pouvoir continuer à faire fonctionner l’économie mais avait un grand désavantage d’augmenter le nombre de morts et surtout de saturer les unités de soins intensifs des hôpitaux.
  • Prendre une stratégie de confinement qui permettait de freiner la propagation du virus, de maîtriser autant que possible la saturation des hôpitaux et de gagner du temps pour permettre à la recherche d’essayer d’avancer sur la confection d’un vaccin ou d’un médicament. Cette stratégie avait pour grand désavantage de ne pas régler le problème du virus car sans immunité de groupe, il va probablement continuer à se transmettre et puis il y a le désastre économique qui est devant nous et peut être les conséquences psychologiques du confinement.

Quelle était la meilleure stratégie ? Nous ne le savons pas. Le plus grand nombre d’États a choisi la seconde stratégie.

J’entends ceux qui disent, la seconde stratégie a privilégié la vie et la santé.

Je suis désolé, nous ne le savons pas. Nous pourrons approcher ce savoir après la crise économique qui s’ouvre devant nous.

Quelle sera l’ampleur de cette crise économique, nous ne le savons pas.

Cette crise va-t-elle permettre de faire mieux après ?

Nous ne le savons pas.

Certains sont très pessimistes comme Michel Houellebecq « Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire. », d’autres plus optimistes ou plus volontaristes comme Nicolas Hulot : « Le monde d’après sera radicalement différent de celui d’aujourd’hui, et il le sera de gré ou de force »

Mais cette incroyable expérience a quand même enrichi notre savoir :

Nous savons que nous avons construit un monde plein de fragilités, dans lequel un virus se transmet dans le monde entier en un temps record en raison des flux humains professionnels et touristiques.

Nous savons que nous sommes extraordinairement dépendants, dans le domaine de la santé, des chinois et des pays asiatiques aujourd’hui.

Nous avons compris que les soignants et les aides-soignants, les salariés des magasins d’alimentation, les éboueurs sont des métiers de l’essentiel, indispensables à notre survie et ces salariés sont situés en bas de l’échelle des salaires.

Nous avons compris que la stratégie des flux tendus, la volonté d’éviter au maximum des stocks immobilisés dans un hangar est inefficace quand on est en présence d’une pandémie comme celle que nous vivons.

Et nous avons chacun appris certainement tant d’autres choses utiles et qui doivent nous permettre de devenir plus sages.

Mais nous devons accepter de vivre dans un monde d’incertitudes et ne pas nous raccrocher à des femmes et surtout des hommes qui parlent haut et fort en prétendant savoir, alors qu’ils ne savent pas qu’ils ne savent pas ce qui est très dangereux.

Concernant les émissions récentes sur le confinement, j’ai trouvé très intéressantes celles de ce dimanche de :

  • <L’esprit public officiel> : « Demain, quel retour au travail ? »
  • Mais aussi l’émission, les papys font de la résistance : <Le nouvel esprit public> : « Liberté, que d’abus on commet en ton nom & Couple franco-allemand : chambre à part»

Demain je reprendrai à nouveau du recul par rapport à la pandémie et me replongerai dans le livre : « comprendre le monde ».

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2 réflexions au sujet de « Lundi 11 mai 2020 »

  • 11 mai 2020 à 10 h 12 min
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    Il faut surtout douter de tout ce qui nous agrandit sans nous élever

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  • 12 mai 2020 à 7 h 56 min
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    … ce que Dabadie, adaptant intelligemment Harry Philip Green, a décliné sous la forme d’un “maintenant je sais qu’on ne sait jamais…”

    Répondre

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