Mardi 11 juin 2019

« [Que les jeunes filles] osent courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable ! »
Henri Desgrange en 1925

Sauf à ce que vous soyez totalement isolé ou que vous n’écoutiez aucun média, il n’est pas possible que vous ne sachiez pas que la France organise la coupe du monde féminine de football.

Il ne faut pas parler de « football féminin », puisque les règles qui s’appliquent sont rigoureusement les mêmes que celles des hommes et que dès lors il n’existe pas une autre forme de football qui serait le football féminin.

Ce qui existe, ce sont des compétitions réservées aux femmes, il s’agit donc d’une compétition féminine de football.

Notez que les compétitions masculines sont également exclusives et réservées à un seule genre.

Mais le fait qu’il existe aujourd’hui des compétitions féminines et que presque plus personne ne conteste la légitimité des femmes de jouer au football ou d’ailleurs à tout autre sport collectif, ne fut pas un long fleuve tranquille.

Même celles et ceux qui ne le lisent pas, connaissent l’existence du quotidien sportif « L’Equipe » fondé, après la guerre, en 1947 par Jacques Goddet. Ce journal a repris les structures d’un journal qui l’a précédé : « L’Auto ».

Et c’est « Henri Antoine Desgrange » qui était cycliste qui fonda en 1900 ce journal qui s’appela d’abord « Auto-Vélo » jusqu’en 1902, puis simplement « Auto ». L’Auto fut le principal quotidien sportif français du 16 octobre 1900 au 17 août 1944. C’est ce journal sous l’impulsion de son directeur qui mit notamment en place le Tour de France. Il fut interdit de parution en 1944 car il était considéré comme ayant été favorable à l’Occupant allemand. L’honneur d’Henri Desgrange, ne fut pas en cause puisqu’il mourut en 1940, avant le désastre pétainiste.

Mais c’est en tant que journaliste sportif et directeur de l’ « Auto » qu’en 1925, il eut ce jugement péremptoire :

« Que les jeunes filles fassent du sport entre elles, dans un terrain rigoureusement clos, inaccessible au public : oui d’accord. Mais qu’elles se donnent en spectacle, à certains jours de fêtes, où sera convié le public, qu’elles osent même courir après un ballon dans une prairie qui n’est pas entourée de murs épais, voilà qui est intolérable ! »

<Wikipedia> rapporte ces propos qui ont été cités dans le livre de Laurence Prudhomme-Poncet, « Histoire du football féminin au XXe siècle », Paris, L’Harmattan, 2003

Ci-dessus, j’ai écrit que « presque plus personne » ne conteste aux femmes le droit de jouer au football.

L’inénarrable Alain Finkielkraut, que Sonia Mabrouk, lors de l’émission « Les Voix de l’info » sur CNews,. a eu la mauvaise idée d’interroger sur le sujet de la coupe du monde féminine a eu droit à cette réponse :

«J’ai pas envie, j’ai pas envie […] . Alors là, je n’aime pas le football féminin. Arrêtez avec l’égalité ! L’égalité bien sûr, mais avec un peu de différence. Cela ne me passionne pas. Ce n’est pas comme ça que j’ai envie de voir des femmes. »

C’est pendant la Grande Guerre, à un moment où les femmes ont pris de plus en plus de responsabilités, en l’absence des hommes qui étaient au Front, que les femmes commencèrent à jouer des matches de football.

Le 30 septembre 1917, le premier match de football féminin est disputé en France.

Le journal L’Auto, relate dans son édition du 2 octobre 1917 que « pour la première fois des jeunes filles ont joué au football ».

J’ai trouvé d’autres informations sur ce site consacré au football amateur : « Les femmes ont (aussi) découvert le football durant la Grande Guerre » :

« Le 18 janvier 1918, la Fédération des sociétés féminines sportives de France (FSFSF) est fondée. Elle organise le championnat de France de football féminin à partir de 1919. Le premier match de cette compétition s’est déroulé le 23 mars 1919 au stade Brancion à Paris entre Fémina Sport et En Avant, un autre club parisien.[…] le football féminin va rapidement décliner… « Il y a une volonté délibérée de ne pas développer le football féminin, poursuit Michel Merckel. Les médecins de l’époque assurent que le sport peut détruire leur appareil reproducteur. » […] En 1941, le régime de Vichy interdit tout simplement le football féminin qu’il juge nocif. Pour le renouveau, il faudra attendre 1968 et l’idée de Pierre Geoffroy, journaliste à L’Union, de mettre sur pied un match de foot féminin dans le cadre de… la kermesse de son journal, à Reims. La FFF va ainsi reconnaître le football féminin dès l’année suivante.

Un peu plus de cent ans après le premier match, le foot féminin est aujourd’hui en pleine croissance. Mais le chemin fut long pour que ces dames puissent se faire une place dans le monde du ballon rond. »

Wikipedia montre que ce combat fut général à tous les pays occidentaux. L’organisation mondiale la FIFA eut beaucoup de mal a accepté le principe d’une coupe du monde féminine. Il fallut attendre les années 1990, pour que ce devint possible.

Et contrairement à ce que certains pensent encore : « le football n’est pas moins bien quand ce sont des femmes qui jouent », je dirais bien au contraire.

J’ai regardé le match d’ouverture : de beaux buts, de belles phases de jeu, jamais aucune contestation de l’arbitre, jamais de « cinéma » après une faute. Bref, plus de temps de jeu effectif, plus de fluidité.

Et, l’engouement du public fonctionne, n’en déplaise à Alain Finkielkraut. Le <Figaro> précise :

« . Au niveau des audiences TV, les Bleues ont établi vendredi soir un «record historique» pour la discipline: près de 10 millions de téléspectateurs étaient devant TF1, diffuseur de la rencontre en clair et en «prime-time», selon des données de Médiamétrie diffusées samedi. Soit une part d’audience considérable de 44,3%! Au chiffre de 9,8 millions sur TF1 il faut ajouter les 826.000 téléspectateurs sur la chaîne cryptée Canal+. Soit près de 11 millions au total.

À titre de comparaison, le premier match de l’équipe de France masculine lors du Mondial 2018, disputé un samedi à la mi-journée, avait rassemblé 12,59 millions de téléspectateurs. »

Cela étant, il se pose une problématique à la fois légitime et inquiétante. Les joueuses expriment légitimement un souhait d’être mieux rémunérées en comparaison avec les rémunérations exorbitantes des joueurs. Mais inquiétante, car il semble qu’une évolution est en marche qui ne vise pas à réguler le marché masculin, mais de faire rattraper les dérives masculines par des dérives féminines. <Panem et circenses>. Alternatives économiques a commis un article dans ce sens : <Le football féminin, un marché prometteur>.

Je finirai par un peu d’humour que nous donne le dessinateur de presse Denis Pessin et qu’il a publié sur <Slate> :


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