Vendredi 4 septembre 2020

«Les autres œuvres de 1828»
Franz Schubert

Me voilà donc à la fin de ce que je ne peux pas désigner sous le terme de butinage mais bien davantage d’un approfondissement.

Je connais bien et j’aime particulièrement la musique de Schubert que j’ai beaucoup pratiqué au cours de mes presque 50 ans de mélomanie. Mais quand on écoute une œuvre il est rare que la première question que l’on se pose soit de se demander en quelle année, elle a été écrite.

Mon cheminement est parti d’une phrase qui m’avait marquée. Phrase qu’avait prononcée Benjamin Britten et que j’avais entendu lors d’une émission d’une radio suisse.

Cette phrase, cette affirmation est la suivante :

« L’année 1828 est l’année la plus féconde de l’Histoire de la musique occidentale, parce que ce fut la dernière année de la vie de Schubert pendant laquelle il a écrit tant de chef d’œuvres.»

J’ai donc voulu me confronter à cette affirmation.

En réalité, il s’agit des 10 premiers mois de l’année 1828. Il est mort le 19 novembre, et les derniers jours, il était trop malade pour composer.

J’ai d’abord grâce au catalogue Deutsch que l’on trouve sur <Internet> et la monumentale biographie de Schubert par Brigitte Massin, pu faire la liste de toutes les œuvres de cette année-là.

Liste qui commence par le Lied « Lebensmut », « Courage de vivre » traduit wikipedia, je préfère « force de vie ». C’est un poème de Ludwig Rellstab, l’auteur des premiers poèmes du «  chant du cygne D. 957». Schubert ne mettra en musique que le début du poème, ce qui en fait un lied très court d’une minute.

C’est encore troublant que la première œuvre de cette année qui sera la dernière de sa courte vie soit un hymne à la vie, le poème évoque le bruissement d’une source de vie : « Rauschet der Lebensquell ».

Et qui finit avec les œuvres D. 965 que j’ai évoqué lors du mot du jour du <vendredi 28 août 2020> dont l’extraordinaire « Le pâtre sur le rocher D 965. »

Je connaissais la plupart de ces œuvres, mais je ne les connaissais pas toutes.

J’ai dû en acheter certaines comme cette <Fugue D.952> qui a été écrite à l’origine pour orgue, seule œuvre pour orgue de Schubert. Mais elle est aussi jouée dans une version de piano à quatre mains. Je ne l’ai trouvé enregistré que sous cette forme

Grâce aux techniques modernes numériques, j’ai pu ainsi constituer un album spécifique de toutes ces œuvres dans l’ordre du catalogue Deutsch du D.937 au D.965A.

Deux œuvres ont été perdues

  • Un chœur D. 941 mais Schubert a écrit deux autres versions sur le même texte D. 948 et D. 964 que l’Histoire a conservé et qui sont enregistrées.
  • Une œuvre de piano D. 944A

Tout au long de l’écriture de cette série, j’ai écouté et réécouté toutes ces œuvres. Certaines de très nombreuses fois et dans plusieurs versions. Je crois pouvoir dire que je suis rempli par ces œuvres de 1828.

Schubert a écrit des chefs d’œuvre avant 1828 et toutes les œuvres de 1828 ne sont pas des chefs d’œuvre.

Cependant, les 10 œuvres que j’ai présentées dans des mots du jour spécifiques constituent des sommets au Panthéon des œuvres musicales occidentales.

  • La fantaisie pour piano à quatre mains D. 940, avec laquelle cette série a débuté, est la plus belle œuvre pour piano à quatre mains du répertoire.
  • Il n’y a pas d’équivalent du quintette en ut D. 956 pour deux violoncelles
  • Il n’y a pas plus exceptionnel que les trois dernières sonates de piano D. 958, D. 959 et D. 960. Les dernières sonates de Beethoven sont à ce niveau, mais pas au-dessus

Nous sommes dans ces sommets pour les autres œuvres : le chant du cygne D. 957, la symphonie en ut D. 944, la Messe en mi D. 950, les 3 Klavierstücke D. 946 et l’unique « Pâtre sur le rocher D. 965 ».

Les autres œuvres de 1828 sont au nombre de 20 dont les deux qui ont été perdus, il en reste 18. En voici la liste sous forme de tableau.

 

D.

Titre

Effectif

Notes

1

937

Lebensmut (« Courage de vivre ») Voix, piano poème de Rellstab (fragment)
2

938

Winterabend (« Soir d’hiver ») Voix, piano poème de Leitner
3

939

Die Sterne (« Les étoiles ») Voix, piano poème de Leitner
4

941

Hymnus an den Heiligen Geist (« Hymne au Saint Esprit ») 2 ténors, 2 basses poème de Schmidl (perdu)
5

942

Mirjam’s Siegesgesang (« Chant de victoire de Myriam ») Soprano, chœur, piano poème de Grillparzer
6

943

Auf dem Strom (« Sur la rivière ») Voix, cor / violoncelle, piano poème de Rellstab
7

944 A

Danse allemande Piano perdue
8

945

Herbst (« Automne ») Voix, piano poème de Rellstab
9

947

Allegro Piano à 4 mains « Lebensstürme »
10

948

Hymnus an den Heiligen Geist (« Hymne au Saint Esprit ») 2 ténors, 2 basses, chœur poème de Schmidl (deuxième version, cf. D. 941)
11

949

Widerschein (« Reflet ») Voix, piano poème de Schlechta (deuxième version, cf. D. 639)
12

951

Rondo Piano à 4 mains  
13

952

Fugue Orgue ou piano à 4 mains  
14

953

Psaume XCII Baryton, chœur Chant pour le sabbat sur un texte en hébreu
15

954

Glaube, Hoffnung und Liebe (« Foi, espérance et charité ») Chœur, vents Poème de Friedrich Reil
16

955

Glaube, Hoffnung und Liebe (« Foi, espérance et charité ») Voix, piano Poème de Kuffner
17

961

Benedictus Solistes, chœur, orgue, orchestre Second Benedictus pour la Messe, D. 452
18

962

Tantum ergo Solistes, chœur, orgue, orchestre  
19

963

Offertoire (« Intende voci ») Ténor, chœur, orchestre  
20

964

Hymnus an den Heiligen Geist (« Hymne au Saint-Esprit ») 2 ténors, 2 basses, chœur d’hommes, vents Poème de Schmidl (troisième version, cf. D. 941 et D. 948)

Beaucoup sont des chœurs. Schubert fut le grand maître du lied mais il fut aussi le plus grand compositeur de chœurs de l’Histoire.

Les 4 avant-dernières œuvres, c’est-à-dire avant le D. 965 sont des chœurs, des chœurs de musique sacrée.

J’ai déjà évoqué le chœur D. 961, qui est en fait une seconde version du Benedictus de sa Messe N°4, dans le mot du jour consacré à la Messe en mi D. 950.

L'<Offertoire (« Intende voci ») D. 963> est une œuvre très belle.

Et Schubert a même écrit lors de cette année une œuvre destinée à la synagogue de Vienne. Ce fut probablement une commande et fut écrite pour Salomon Sulzer, réformateur du chant religieux juif.

C’est un psaume qui est <Un cantique pour le jour du Sabbat D. 953> pour baryton et chœur. Brigitte Massin écrit :

« En dépit de quelque recherche dans l’ornementation du style, l’œuvre obéit à un parti pris de pureté et de simplicité »
Brigitte Massin, Schubert, page 1253

Et puis je privilégierai trois œuvres

  • <Rondo D. 951>, pour piano à 4 mains, cette œuvre clos la série des trois œuvres de pianos à 4 mains de l’année 1828, la fabuleuse Fantaisie D. 940, puis un Allegro D. 947 et Brigitte Massin pose cette question :

« On peut se demander si […] ce rondo n’aurait pu finir le mouvement final d’une sonate qui commencerait avec l’allegro. […] Ce serait la réponse heureuse et épanouie à l’impulsion vitale libérée dans l’Allegro. Mais le Rondo admirablement construit et équilibré, n’en est pas moins une œuvre qui se suffit à elle-même. »
Page 1247

Je vous invite à écouter cette œuvre dans une interprétation qui associe <Martha Argerich et Daniel Barenboïm>

  • Le lied « Auf dem Strom » (sur le fleuve) D. 943, est encore sur un poème de Rellstab, l’auteur des 7 premiers lieder du cycle du « Chant du cygne ». Et Schubert va ajouter au piano, un cor (quelquefois le cor est remplacé par un violoncelle) pour accompagner la voix créant ainsi un précédent à son chef d’œuvre presque final du pâtre sur le rocher avec la présence de la clarinette. C’est encore une œuvre d’une rare qualité, avec un équilibre entre la voix et les instruments admirablement dosé.
  • Et le lied « Herbst » (Automne) D. 945 toujours de Rellstab, avec un accompagnement évocateur et d’une subtilité qui n’appartient qu’à Schubert.

Peut être que certains lecteurs attentifs s’étonneront-ils que deux des œuvres que j’ai évoqués lors du mot du jour sur les dernières œuvres ne soient pas présents ici.

Je veux parler de la 10ème symphonie et de l’Opéra le « Comte de Gleichen ». Mais ces deux œuvres sur lesquels Schubert a travaillé dans ses derniers jours sont restés inachevés et à l’état d’esquisse.

Les esquisses de la 10ème symphonie ont été retrouvés et publiés en 1978. Il a fallu lui trouver un numéro intermédiaire : 936A soit juste avant le commencement officiel de l’année 1828 : D. 937.

Quant au Comte de Gleichen , il fut classé dans la période dans laquelle Schubert a commencé à le composer en 1827, son numéro est D. 918.

Des musicologues ont tenté d’achever ces deux œuvres et ils ont même été enregistrés.

Il y a plusieurs enregistrements de la 10ème symphonie. J’ai acheté la version de l’Orchestre Philharmonique de Liège, sous la direction de Pierre Bartholomée. Chaque version est différente, puisque les musicologues n’ont pas fait les mêmes choix pour compléter l’œuvre. Ce que l’on entend n’est donc qu’une idée de ce qu’aurait pu devenir l’œuvre si Schubert avait pu la conduire à son terme.

Pour « le Comte de Gleichen », il n’existe à ma connaissance qu’une seule version réalisée par un ensemble de Cincinnati que j’ai acquis également.

Si je dois donner mon avis, ces deux œuvres ne sont pas du niveau des œuvres de Schubert de 1828.

Les musicologues qui ont retravaillé ces œuvres sont certainement très érudits et talentueux mais ils n’ont pas le génie de Schubert.

On trouve alors de ci de là quelques mélodies ou idées intéressantes, mais rien qui n’élève l’âme ou nous fait vibrer dans les profondeurs.

Ce sont des curiosités mais qui n’ont pas leur place dans cette collection inestimable des œuvres de 1828.

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