Mercredi 7 juin 2017

« Retour sur les mots du jour du 801ème au 900ème (1)»
Rétrospective

J’avais débuté cette dernière série de 100 mots par une réflexion personnelle « Ce n’est qu’en tournant autour du pot qu’on peut en voir tous ses aspects !» qui a suscité des réactions étonnées et même réprobatrices.

L’existence du blog permet désormais de renvoyer systématiquement au mot concerné par un lien qui vous permet de le relire intégralement. C’était le mot du jeudi 8 décembre 2016

Donc surprise et réprobation, car dans le langage courant cette expression signifie la difficulté ou même la lâcheté de ne pas oser dire les choses clairement ou encore constitue une apologie de l’indécision. Mais ce n’est pas ce sens primaire que j’entendais donner à cette formule, mais bien la capacité de nuancer : tourner autour du pot permet d’observer le même pot sous différents éclairages.

Un jour, peut- être, j’essayerai de tourner autour du pot de la « dette » si présente dans le langage politique et économique contemporain.

Vous pouvez analyser la dette sous le regard de l’économiste classique : la dette est la conséquence d’un emprunt qui permet de différer le paiement d’un bien ou d’un service dont vous pouvez disposer immédiatement.

Et puis vous pouvez analyser la dette avec le regard du peuple allemand, ce peuple qui utilise dans sa langue le même mot pour dire « faute » et pour dire « dette », un mot du jour a été consacré à ce substantif germain : « Die Schuld » (lundi 4 novembre 2013). Pour les allemands, le prêt est avant tout une question de confiance, le prêteur prête parce qu’il a confiance en celui à qui il prête. Dès lors, envisager ne pas rembourser une dette constitue une trahison de cette confiance, une faute morale.

Et puis, vous pouvez suivre le regard de Paul Jorion qui vous expliquera que la dette c’est le fait que quelqu’un, qui dispose d’argent dont il n’a pas besoin, a prêté une somme d’argent à une autre personne qui en avait besoin et qui ne l’avait pas. La dette s’analyse de ce point de vue comme une mauvaise allocation des ressources dans le monde.

Vous pouvez aussi entendre l’analyse de David Graeber qui vous dira que l’expérience de l’Histoire montre que les très grosses dettes des Etats ne sont jamais remboursées. Soit la dette est annulée, soit l’inflation la réduit en peau de chagrin soit d’autres procédés sont mis en œuvre pour l’annihiler.

Le pot de la dette n’est pas simple à analyser, il ne peut se résumer à la seule vision allemande, ni à la seule vision « égalitaire » de Paul Jorion. Mais ces deux éclairages se fécondent et rendent davantage justice à la complexité du monde.

Notre Président a rendu populaire une expression qui exprime à peu près cette même nuance : « En même temps… »

Mais je m’égare, ce message avait pour objet de faire une rétrospective sur les 100 derniers mots du jour.

J’ai rapidement mise en œuvre cette faculté de tourner autour du pot en évoquant Fidel Castro qui venait de mourir.

D’abord en laissant Noam Chomsky expliquer que beaucoup de ce qui était arrivé à Cuba provenait de l’hostilité des Etats-Unis : «Imaginez ce que serait la situation aux États-Unis si, dans la foulée de son indépendance, une superpuissance avait infligé pareil traitement : jamais des institutions démocratiques n’auraient pu y prospérer. » (mercredi 14 décembre 2016)

Puis en rappelant un épisode rapporté par Jean Daniel, dans lequel Fidel Castro, après la crise des missiles, voulait exprimer un message de paix à John Kennedy et aux Etats-Unis : «Puisque vous allez revoir Kennedy, soyez un messager de paix. » (jeudi 15 décembre 2016. Hélas, cette invitation a été suivie quelques heures après par l’assassinat du Président Kennedy à Dallas, rendant cette proposition obsolète.

Mais j’ai aussi évoqué le cri de colère et de détresse d’Ileana de la Guardia, fille d’un des plus proches collaborateurs de Fidel Castro que ce dernier a fait exécuter pour de sombres manœuvres politiques, montrant ainsi la face sombre de ce régime : «On ne lui a même pas accordé un nom sur une tombe dans le cimetière de La Havane. Il est gommé de l’Histoire. Oublié, jeté dans la fosse commune. Comme les hérétiques du Moyen Âge. […] Aujourd’hui, je clame son nom, pour que jamais on ne l’oublie : Tony de la Guardia, mon père bien-aimé.» (vendredi 16 décembre 2016)

C’est encore dans cette recherche de la nuance que j’ai écrit l’article «« Des chiffres et des hommes » (lundi 30 janvier 2017) dans lequel j’essayais de montrer que si les chiffres sont indispensables pour décrire certaines réalités, la place qu’on leur donne aujourd’hui est exagérée et surtout perverse. Je concluais par cette phrase détournée de la Préface de La Dame aux Camélias (1848), d’Alexandre Dumas fils : « N’estime le chiffre ni plus ni moins qu’il ne vaut : c’est un bon serviteur et un mauvais maître ».

Cette mise au point était nécessaire après plusieurs mots consacrés à parler uniquement de l’aspect obscur du chiffre, notamment:

  • Le concept du sociologue américain Pitirim Sorokin (1889-1968) «La quantophrénie» (jeudi 6 octobre 2016)
  • Ou le thème développé par Alain Supiot : «La Gouvernance par les nombres» (vendredi 3 juillet 2015)

Et je conclurai la première partie de cette rétrospective par cette pensée d’une grande sagesse de Rachid Benzine : « Le contraire de la connaissance, ce n’est pas l’ignorance mais les certitudes.» (mardi 24 janvier 2017)

Cette réflexion, qui se situe dans un échange entre un père et sa fille partie faire le djihad et qui est le sujet du roman de Rachid Benzine <Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?>, peut s’inscrire dans un contexte beaucoup plus large d’une compréhension du monde.

<article sans numéro>

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