Samedi 2 mai 2020

«Symphonie no 9 en ut majeur « La Grande » D. 944»
Franz Schubert

Mot de jour spécial pendant la période de confinement suite à la pandémie du COVID-19

La symphonie n° 9 appelée la grande, une des plus belles symphonies romantiques du répertoire a été achevée en mars 1828. Il semblerait que cette œuvre ait été commencée en 1825, mais ce qui est certain c’est qu’elle a été achevée lors de cette fameuse année 1828 dont Benjamin Britten disait qu’elle était l’année la plus féconde de l’Histoire de la musique, parce que ce fut la dernière de la vie de Schubert et que jamais de mémoire d’homme, un compositeur n’a écrit autant de chef d’œuvre que Schubert, cette année-là.

Brigitte Massin écrit dans son livre monumental sur Schubert (p1222) :

« Dès la mort de Schubert, il semble, pour ses amis proches, qu’il y ait eu un rapport étroit, voire une identité absolue, entre la symphonie composée ou ébauchée – ou projetée – à Gastein en 1825 et la symphonie achevée en 1828 mais aucun document ne permet d’affirmer l’identité des deux œuvres. […] Beaucoup d’obscurités y demeurent. Le seul élément de certitude est qu’à la date de mars 1828, l’œuvre est conçue dans la totalité de son architecture, entièrement réalisée dans son écriture. »

Cette symphonie s’inscrit dans la suite de la symphonie inachevée (8) dont elle apparaît comme l’aboutissement.

Brigitte Massin écrit :

« Schubert résout la contradiction : […] traduire, lui habitué au dépouillement et au raffinement psychologique du lied, le mystère de l’intériorité par un langage symphonique.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit dès les premières mesures de la symphonie avec la longue phrase (8 mesures) des cors solistes. Porche insolite et génial qui introduit d’un seul coup au mystère de la prospection intérieure, requiert immédiatement la totalité de la concentration sur ce point focale et par le fait rend inutile et illusoire toute attention à un univers autre que celui qui soit se découvrir au terme de cet appel. »

Et il est vrai qu’après ce « porche insolite et génial » introductif, Schubert va nous mener au bout de l’émotion et de la beauté de ce chef d’œuvre.

La période de confinement a incité des musiciens à mettre sur le support numérique des concerts anciens.

C’est ce qu’a fait l’Orchestre National de Lyon avec un beau concert du 28 avril 2018 à l’Auditorium de Lyon, dans lequel il interprétait justement la 9ème symphonie de Schubert D944.

Et puisqu’il existe une excellente version bien enregistrée sur Internet de notre Orchestre National de Lyon, pourquoi s’en priver ?

<La 9ème de Schubert par L’Orchestre national de Lyon dirigé par Karl-Heinz Steffens>

Pour les esprits curieux, il est possible d’aller un peu plus loin.

Nous savons déjà que cette symphonie comme beaucoup d’autres œuvres d’envergures n’ont jamais été interprétées de son vivant.

Les oreilles de Schubert n’ont jamais entendu ce que son génie a composé.

Un concert hommage à Schubert se tiendra à Vienne le 14 décembre 1828, un peu moins d’un mois après sa mort (19 novembre). Il ne s’agit que du deuxième concert public d’œuvres de Schubert, le premier et le seul de son vivant a eu lieu le 28 mars 1828.

Ses amis souhaitent faire jouer cette symphonie. Mais les musiciens de l’orchestre se récusèrent devant la longueur de l’œuvre et sa difficulté (surtout pour le quatrième mouvement) et l’œuvre ne fut pas jouée.

Wikipedia précise :

« Les musiciens de la Gesellschaft der Musikfreunde la jugèrent « difficile et pompeuse » (« schwierig und schwülstig » »

Par la suite la partition de cette œuvre va se retrouver entassée avec d’autres compositions de Schubert dans la maison d’un de ses frères : Ferdinand.

J’ai trouvé ce récit dans un programme en ligne de l’Orchestre Symphonique de Chicago :

« Lorsque Franz Schubert est décédé à l’âge de trente et un ans, l’inventaire légal de ses biens meubles indiquait trois manteaux habillés en tissu, trois redingotes, dix paires de pantalons, neuf gilets, un chapeau, cinq paires de chaussures, deux paires de bottes, quatre chemises, neuf foulards et mouchoirs de poche, treize paires de chaussettes, un drap, deux couvertures, un matelas, une housse de plumes et un contre-plat [couvre-lit]. « Mis à part quelques morceaux de musique ancienne », a conclu le rapport, “aucun effet n’a été retrouvé.

Il s’est avéré que certaines musiques anciennes faisaient référence à quelques livres de musique d’occasion et non à ses manuscrits. Ceux-ci étaient avec son ami Franz von Schober, qui les a ensuite confiés au frère de Schubert, Ferdinand. Personne, semble-t-il, n’a bien compris leur valeur. À la fin de 1829, Ferdinand a vendu d’innombrables lieder, œuvres pour piano et musique de chambre à Diabelli & Co. – qui a pris le temps de les publier – laissant de côté les symphonies, les opéras et les messes qui restaient sur des étagères à la maison. [Ferdinand eu quelques échanges épistolaires] avec le grand compositeur Robert Schumann, alors rédacteur en chef du prestigieux Neue Zeitschrift für Musik. Le journal contenait une liste des «plus grandes œuvres posthumes de Franz Schubert» disponibles à la vente.

Cimetière central de Vienne avec la tombe de Schubert à droite et Beethoven à gauche.

Le jour du Nouvel An 1837, Robert Schumann se retrouve à Vienne et pense à se rendre au cimetière de Währing pour visiter les tombes de Beethoven et Schubert, dont les pierres ne sont séparées que par deux autres. Sur le chemin du retour, il se souvint que Ferdinand vivait toujours à Vienne et décida de lui rendre visite. Voici le compte rendu de Schumann :

« Il [Ferdinand] me connaissait à cause de cette vénération pour son frère que j’ai si souvent exprimée publiquement. Il m’a d’abord dit et montré beaucoup de choses. . . . Enfin, il m’a permis de voir ces précieuses compositions de Schubert qu’il possède encore. La vue de ce trésor de richesses m’a subjugué de joie. Où commencer, où finir ! Entre autres choses, il a attiré mon attention sur les partitions de plusieurs symphonies, dont beaucoup n’ont encore jamais été entendues, mais ont été classées comme trop lourdes et compliquées.

Là, parmi les piles, gisait un lourd volume de 130 pages, daté de mars 1828 en haut de la première feuille. Le manuscrit, y compris la date et un certain nombre de corrections, est entièrement de la main de Schubert, qui semble souvent avoir volé aussi vite que sa plume. L’œuvre, une symphonie en ut, la dernière et la plus grande de Schubert, n’avait jamais été jouée. »

Robert Schumann était un grand compositeur mais aussi un remarquable musicologue et critique musical. Il avait un goût très sûr et L’Histoire a souvent donné raison à ses jugements musicaux sur ses contemporains.

Il sut reconnaître la qualité de cette œuvre et l’envoya rapidement au directeur des concerts du Gewandhaus de Leipzig, où son ami et autre grand compositeur Mendelssohn dirigea la première représentation le 21 mars 1839, plus de 10 ans après la mort de Schubert.

Ce fut cependant une version écourtée de la symphonie.

Schumann dans son journal, Neue Zeitschrift für Musik, écrivit :

« Je le dis d’emblée clairement : qui ne connaît pas cette symphonie connaît encore bien peu de choses de Schubert. […] En dehors de la maîtrise de la technique musicale de composition, il y a ici de la vie dans toutes les fibres, les plus fines nuances de coloris, de la signification en tout passage, la plus vive expression des détails et enfin, répandu sur le tout, un romantisme tel qu’on le connaît déjà en d’autres œuvres de Schubert. . Et les célestes longueurs de cette symphonie comme un gros roman en quatre volumes de Jean Paul…il faudrait copier toute la symphonie pour donner une idée du caractère littéraire qui la traverse. Du second mouvement seulement, qui nous parle d’une voix si touchante, je ne veux pas prendre congé sans un mot. Il contient un passage où un cor semble lancer un appel de loin et qui me paraît être venu à nous d’une autre sphère. Ici tout semble être à l’écoute, comme si un hôte céleste se glissait furtivement dans l’orchestre. – La symphonie a produit parmi nous un effet que n’a atteint aucune autre depuis celles de Beethoven… ».

C’est donc dans cet article consacré à la 9ème symphonie, que Robert Schumann inventa le concept de « célestes longueurs » une autre traduction parle des « divines longueurs » de Schubert.

Ce concept qui donna lieu à cet échange entre Igor Stravinsky et un journaliste :

« Ne craignez-vous pas que les divines longueurs de Schubert vous plongent dans le sommeil ? »

Stravinsky répondit :

« Que m’importe, si lorsque je me réveille je suis au paradis ! »

En 1840, l’Œuvre est enfin éditée par Breitkopf et Härtel à Leipzig.

Wikipedia nous apprend que l’œuvre ne reçut pas un bon accueil à Londres, où la répétition dirigée par François-Antoine Habeneck fut ponctuée de rires des violonistes lors du dernier mouvement qui est techniquement difficile. La pièce fut finalement donnée aux États-Unis avant Paris, où elle ne fut jouée qu’en 1851.

<La 9ème de Schubert par L’Orchestre national de Lyon dirigé par Karl-Heinz Steffens>

Si vous voulez disposer d’une version dématérialisée je vous informe que Qobuz offre jusqu’au 15/05/2020 le téléchargement gratuit de la version de Philippe Herreweghe.

<C’est ici>

C’est une œuvre particulièrement enregistrée, il existe beaucoup de belles versions. Pour cette œuvre, ne choisissez pas Karajan, ce n’est pas son univers. La version historique est celle de Josef Krips avec l’Orchestre Symphonique de Londres.

Plus récemment, Gunter Wand, Claudio Abbado et Mariss Jansons ont été des interprètes éminents de cette œuvre

<1412>

Samedi 25 avril 2020

«Fantaisie D. 940 pour piano à quatre mains.»
Franz Schubert

Mot de jour spécial pendant la période de confinement suite à la pandémie du COVID-19

Pendant cette période de confinement, j’écris aussi des mots du jour le week-end.

Ces mots sont souvent tournés vers la musique ou d’autres arts.

Et je m’aperçois que j’ai écrit 1404 mots et je n’en ai consacré aucun à Franz Schubert.

Il est vain d’essayer de classer les compositeurs, mais Schubert a toujours occupé une place particulière dans mon cœur.

C’est un amour de jeunesse et qui continue. C’est mon père qui m’a appris à le connaître et à révéler l’immensité de son génie.

Il faut songer que Schubert est mort à 31 ans le 19 novembre 1828 à Vienne, un an après Beethoven mort en 1827.

Ils vivaient dans la même ville et Schubert n’a jamais eu le courage d’aller à sa rencontre.

Mais Il fut un des porte-flambeau lors des funérailles du génie allemand inaccessible pour lui.

Exactement, un an plus tard, le 28 mars 1828 se déroula le premier concert public entièrement réservé à ses œuvres.

Oui Schubert n’eut de son vivant qu’un concert public de ses œuvres et ce fut ce 28 mars 1828.

Ce qui explique qu’il n’entendit jamais jouer certaines de ses œuvres qui nécessitait un orchestre ou un grand chœur.

L’essentiel de ses œuvres il les joua au milieu de son cercle d’amis.

Car, il avait en effet beaucoup d’amis et d’amis assez riches pour lui permettre de vivre au milieu d’eux sans avoir d’autres revenus de quelques leçons de piano qu’il donnait.

Ces réunions d’amis organisées autour de lui et de ses œuvres avaient été nommées par tous : « Les Schubertiades ».

Et aujourd’hui je vais partager avec vous « la Fantaisie D. 940 pour piano à quatre mains. »

<La revue de piano> la décrit de la manière suivante :

« Œuvre mythique du répertoire, la Fantaisie en fa mineur ouvre immanquablement, dès ses premières notes, les portes de ce monde simple et nostalgique qui caractérise les grandes œuvres de Schubert. Achevée en avril 1828 – les premières esquisses datent de janvier de la même année. ».

Cette fantaisie est un somment du répertoire de la musique pour piano à 4 mains.

<La lettre du musicien> consacrée au répertoire de la musique de piano à 4 mains écrit :

« Fantaisie en fa mineur, op.103, D.940, de 1828. Sans doute la plus belle œuvre écrite pour le piano à 4 mains, si ce n’est l’une des plus belles œuvres de musique qui soit. Rien que par son existence, elle justifie le genre. »

Je vous propose de l’entendre dans une version qui associe l’extraordinaire pianiste portugaise Maria Joao Pires avec une de ses élèves la jeune pianiste arménienne Lilit Grigoryan :
<Maria-João Pires et Lilit Grigoryan – Franz Schubert – Fantasie D.940>

Lilit Grigoryan est née à Erevan, en Arménie en 1985. Elle a été entre 2013 à 2016, artiste en résidence à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth en Belgique, sous la direction de Maria-João Pires.

Christine Mondon écrit un long développement très sensible et juste consacré à cette fantaisie. J’en tire ces extraits

« Sa […] Fantaisie en fa mineur D.940, est son chef-d’œuvre. [parmi les fantaisies pour piano…] elle s’empare de l’être tout entier avec une telle puissance que l’on a le sentiment que le temps est suspendu au souffle de l’éternel voyageur des sons qu’est Schubert. […]

Toujours est-il que ce chant sublime – le plus beau « quatre-mains » de la musique – laisse entendre la fragilité de la vie, notamment lorsqu’il module vers le majeur ce qui le rend plus tragique encore, dans la quinte diminuée si-fa où Schubert traduit sa révolte face à la maladie et à la mort.

Dès les premières notes s’élève une mélodie d’une ineffable beauté. Molto moderato… une quête s’amorce, celle du voyageur vers l’inaccessible étoile. […]

Bouleversant est le cri étouffé de celui qui commence sa longue descente vers la mort. On ne sort pas indemne à l’écoute de la Fantaisie. En elle se cristallisent nos émotions car c’est de notre vie même dont il s’agit. »
Christine Mondon : « Franz Schubert, Le musicien de l’ombre », pages 221 à 223

Cette œuvre a donc été écrite entre janvier et avril 1828.

Benjamin Britten a dit que l’année 1848 était l’année la plus féconde de l’Histoire de la musique, parce que ce fut la dernière de la vie de Schubert et que jamais de mémoire d’homme, un compositeur n’a écrit autant de chef d’œuvre que Schubert, cette année-là.

Cette fantaisie en est une.

Les œuvres de Schubert ont été classées par un musicologue Otto Erich Deutsch. Ainsi D 940, signifie que l’œuvre occupe la place 940 dans le classement de Deutsch. Ce classement est chronologique.

Les œuvres de 1828 occupent les numéros de 937 à 965.

Il y a cependant quelques numéros après 965, jusqu’à 998 et concernent des œuvres que Deutsch n’est pas parvenu à dater.

Schubert lui-même, accompagné par son ami Franz Lachner, jouera la fantaisie D940, pour la première fois, à Vienne le 9 mai 1828, au cours de l’une de ses fameuses Schubertiades.

Elle est dédiée à la comtesse Caroline Esterházy, une élève du compositeur. En février 1828, Eduard von Bauernfeld, dramaturge et autre ami de Schubert, note dans son journal :

« Schubert semble être réellement amoureux de la comtesse E. Il lui donne des leçons. ».

Le même von Bauernfeld (1802-1890) écrira bien plus tard :

« Lorsque la statue de Schubert fut inaugurée au Stadtpark, le 15 mai 1872, j’allai à la cérémonie avec Lachner. « Te rappelles-tu, me dit Lachner, comment je t’ai joué pour la première fois avec Schubert sa nouvelle fantaisie à quatre mains ? »
Cité par Brigitte Massin « Franz Schubert » chez Fayard page 439

Quarante-quatre ans plus tard, ces deux amis de Schubert se souvenaient de cet instant privilégié : la découverte d’un chef d’œuvre

Il y en eut bien d’autres, en cette année 1828, mais j’y reviendrai.

Pour celles et ceux qui voudrait approfondir, vous trouverez derrière ce lien <Fantaisie en fa mineur, Philippe Cassard et Cédric Pescia> une analyse faite par ces deux pianistes de l’œuvre. Et vous apprendrez que Schubert cite dans sa fantaisie un extrait de la 9ème symphonie de Beethoven.

Si on souhaite un enregistrement audio de cette œuvre, il est possible de se tourner vers la superbe interprétation de <Murray Perahia et Radu Lupu>

Il en est bien d’autres.

Maria Joao Pires l’a enregistré avec Huseyin Sermet

Un peintre von Schwindt qui faisait partie du cercle d’amis de Schubert a peint quelques années après la mort de Schubert, un tableau montrant l’ambiance des Schubertiades.

<1405>