Jeudi 2 juin 2016

Jeudi 2 juin 2016
« En 1568, la Hollande était une simple province espagnole,
80 ans plus tard les Hollandais avaient évincé les espagnols pour devenir les maîtres des grandes routes océaniques et l’Etat le plus riche d’Europe.
Le secret de la réussite hollandaise : le crédit »
Vraie histoire de l’Espagne et des Pays Bas racontée par Harari Sapiens pages 372 à 375
Pour expliquer le capitalisme qui se base sur le crédit et la confiance, Harari prend un exemple historique qui se situe au début du XVIIème siècle : Le déclin et la montée en puissance, comme dans un miroir entre l’Espagne et les Pays-Bas :
« On trouve un aperçu de la toute nouvelle puissance du crédit dans le combat acharné opposant l’Espagne au Pays-Bas. Au XVIe siècle, l’Espagne est l’état le plus puissant d’Europe, dominant un vaste empire mondial. Elle gouvernait une bonne partie de l’Europe, d’énormes morceaux de l’Amérique du Nord et du Sud, les Philippines et tout un chapelet de bases le long des côtes d’Afrique et d’Asie. Chaque année des flottes chargées de trésors américains et asiatiques regagnaient les ports de Séville et de Cadix. Les Pays-Bas n’étaient qu’un petit marais venteux dépourvu de ressources naturelles un petit coin des dominions du roi d’Espagne.
En 1568, les hollandais, majoritairement protestants, se soulevèrent contre leur suzerain catholique espagnol. Au début, les rebelles ressemblaient à des Don Quichotte bataillant contre d’invincibles moulins à vent. 80 ans plus tard les hollandais avaient non seulement arraché leur indépendance à l’Espagne, mais aussi évincé les Espagnols et leurs alliés portugais pour devenir les maîtres des grandes routes océaniques et bâtir un empire mondial qui fit d’eux l’État le plus riche d’Europe.
Le secret de la réussite hollandaise le crédit.
Les bourgeois hollandais, qui n’avaient guère le goût du combat sur terre, recrutèrent des armées de mercenaires appelées à combattre les Espagnols pour leur compte.
Pendant ce temps, eux-mêmes prenaient la mer avec une flotte toujours plus importante. Si les armées de mercenaires et les flottes équipées de canons coûtaient une fortune, les hollandais avaient plus de facilité à financer leurs expéditions militaires que le puissant empire espagnol, parce qu’ils avaient la confiance du système financier européen en plein essor quand le roi espagnol ne cessait de la compromettre par négligence.
Les financiers accordèrent suffisamment de crédit aux hollandais pour qu’ils puissent monter des armées et des flottes, qui leur permirent de dominer les routes commerciales à travers le monde et leur assurèrent ainsi de confortables profits. Ces profits leur permirent de rembourser leurs emprunts, renforçant ainsi la confiance des financiers. Amsterdam devenaient à vue d’œil l’un des ports d’Europe les plus importants, mais aussi La Mecque financière du continent.
Comment les hollandais gagnèrent-il la confiance du système financier ?
Primo, ils veillèrent à rembourser les emprunts dans les délais et intégralement, rendant le crédit moins risqué pour les prêteurs.
Secundo, le système judiciaire de leur pays était indépendant et protégeaient les droits des particuliers : notamment, les droits attachés à la propriété privée.
Les capitaux s’éloignent des dictatures qui ne défendent pas les particuliers et leurs biens pour affluer dans les pays qui défendent l’état de droit et la propriété privée. »
Pour expliquer cela, le génial auteur de Sapiens copie Montaigne qui disait «  je n’enseigne pas je raconte »
« Imaginez-vous en fils d’une solide famille de financiers allemands. Votre père voit une occasion de développer ses affaires en ouvrant des succursales dans les grandes villes européennes. Il vous envoie à Amsterdam et dépêche votre frère cadet à Madrid, vous donnant à chacun 10 000 pièces d’or à investir. Votre frère prête son capital initial avec intérêt au roi d’Espagne, qui en a besoin pour lever une armée afin de combattre le roi de France. Vous décidez de prêter le vôtre à un marchand qui souhaite investir dans la brousse, à la pointe sud d’une île désolée qu’on appelle Manhattan, certain que l’immobilier va monter en flèche tandis que l‘Hudson se transformera en grande artère commerciale. Les deux prêts doivent être remboursés dans un an.
L’année passe. Le marchand hollandais vend la terre achetée avec un joli bénéfice et vous rembourse avec les intérêts promis. Votre père est content. À Madrid, cependant, votre petit frère commence à s’inquiéter. La guerre contre la France a bien tourné pour le roi d’Espagne, mais il s’est laissé entraîner dans un conflit avec les Turcs. Il a besoin de chaque sou pour financer la nouvelle guerre, et estime que c’est bien plus important que de rembourser de vieilles dettes. Votre frère envoie des lettres au palais et demande à des amis bien-être auprès de la cour d’intercéder. En vain, non seulement votre frère n’a pas touché les intérêts promis mais il a perdu le principal. Votre père est mécontent.
Et, pour comble, le roi dépêche auprès de votre frère un officier du trésor qui lui signifie, sans détour, que le roi compte bien recevoir un autre prêt du même montant, tout de suite. Votre frère n’a pas d’argent à prêter. Il écrit à papa, essayant de le persuader que cette fois, c’est la bonne. Le roi s’en sortira. Le pater familias a un faible pour le petit dernier : le cœur gros, il consent. De nouveau, 10 000 pièces d’or disparaissent dans le Trésor espagnol. On ne les reverra plus.
Pendant ce temps, à Amsterdam les perspectives sont brillantes. Vous accordez de plus en plus de prêts aux marchands hollandais, qui remboursent vite et intégralement.
Mais votre chance ne dure pas indéfiniment. Un de vos clients habituels a le pressentiment que les sabots vont bientôt faire fureur à Paris et vous demande de quoi ouvrir un magasin de souliers dans la capitale française. Vous lui prêtez l’argent. Malheureusement, les galoches ne sont pas au goût des Françaises, et le marchand maussade refuse de rembourser son emprunt.
Votre père est furieux. Il vous dit à tous les deux qu’il est temps de lâcher les hommes de loi. À Madrid votre frère engage des poursuites contre le monarque espagnol, tandis qu’à Amsterdam vous faites un procès au magicien des galoches d’antan.
En Espagne, les tribunaux sont soumis au roi : son bon plaisir décide du sort des juges, et ceux-ci redoutent le châtiment qui les attend s’ils ne se plient pas à son bon vouloir. Aux Pays-Bas, la justice est séparée de l’exécutif, elle n’est tributaire ni des bourgeois ni des princes du pays.
La cour madrilène rejette la plainte de votre frère ; la cour Amstellodamoise tranche en votre faveur et vous octroie un privilège sur les actifs du marchand de galoches afin de le forcer à vous rembourser. Votre père en a tiré la leçon. Mieux vaut faire des affaires avec les marchands qu’avec les rois, et mieux vaut en faire en Hollande qu’à Madrid. […]
Les peines de votre frère ne s’arrêtent pas là. Le roi d’Espagne a désespérément besoin d’argent frais pour payer son armée. Il est certain que votre père a des réserves. Il forge de toutes pièces des accusations de trahison contre votre frère. S’il ne lui fournit sur-le-champ 20 000 pièces d’or, il le jettera dans un cachot et l’y laissera croupir jusqu’à ce que mort s’en suive.
C’est plus que votre père ne peut supporter. Il paye la rançon de son fils chéri, mais se jure de ne plus jamais faire d’affaires en Espagne. Il ferme sa succursale madrilène et envoie votre frère à Rotterdam. Deux succursales en Hollande : cela semble être une bonne idée. Il s’est laissé dire que même les capitalistes espagnols sortent leur fortune en fraude du pays. Eux aussi comprennent que, s’ils veulent garder leur argent, et s’en servir pour acquérir plus de richesse, mieux vous l’investir dans un pays où prévaut l’État de droit et où la propriété privée est respectée : au Pays-Bas, par exemple.
Le roi d’Espagne a dilapidé le capital de confiance des investisseurs au moment même où les marchands hollandais gagnaient leur confiance. Et ce sont les marchands hollandais, non pas l’État hollandais, qui ont construit l’empire hollandais.
Le roi d’Espagne n’eut de cesse de financer et maintenir ses conquêtes en levant des impôts impopulaires.
Les marchands hollandais financèrent la conquête en empruntant, et de plus en plus aussi en vendant des parts dans leurs compagnies qui permettaient aux détenteurs de toucher une portion des profits.
Les investisseurs prudents qui n’auraient jamais donné leur argent au roi d’Espagne, et qui auraient réfléchi à deux fois avant de faire crédit au gouvernement hollandais se firent une joie d’investir des fortunes dans les compagnies par actions hollandaises qui furent le pivot d’un nouvel Empire. ».
C’est un peu romancé, mais c’est bien ainsi que l’Empire espagnol déclina et que les marchands hollandais firent fortune, construisirent un Etat riche et prospère et bâtirent un Empire commercial.
Confiance, état de droit, respect des contrats, furent les règles qui assurèrent leur prospérité.