Jeudi 29 Janvier 2015

Jeudi 29 Janvier 2015
« Le problème auquel sont confrontés la France, l’Europe, et le monde est un déficit de demande globale.
Ce n’est pas un problème d’offre. »
Joseph Stiglitz
Joseph Stiglitz est ce Prix Nobel d’économie, ancien conseiller économique de Bill Clinton qui continue à répéter que la politique économique actuelle menée en Europe est absurde.
Il est venu faire une conférence à l’Assemblée Nationale le 13 janvier 2015.
Parmi les députés il y avait Pierre-Alain Muet, député PS de la Croix Rousse à Lyon, ancien professeur d’économie à Polytechnique, il fut directeur à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) de 1981 à 1997. Conseiller auprès du Premier ministre Lionel Jospin, il a fondé le Conseil d’analyse économique en 1997 et en fut le premier président délégué. Mais il ne semble pas très écouté par le gouvernement actuel.
C’est sur son blog qu’il publie le discours intégral de Stiglitz.
Je traduis en langage commun : un déficit de demande signifie simplement que les revenus du plus grand nombre sont trop bas et que les investissements sont insuffisants.
Voici des extraits de ce discours :
« […] l’économie française n’a guère été performante ces derniers temps. Le revenu par tête est inférieur à ce qu’il était en 2008, le chômage s’élève à un niveau inacceptable à 12%, et pire encore, le chômage des jeunes atteint 25%. Les coûts économiques de cette situation sont aujourd’hui manifestes. Nous gaspillons la ressource la plus précieuse de toute société : la ressource humaine. Ce qui est perdu aujourd’hui ne reviendra jamais. Les mauvaises performances économiques de la France aujourd’hui réduisent son potentiel de croissance future. La France, à l’heure présente et pour les années à venir, paie un prix élevé pour la mauvaise gestion de son économie.
Ces coûts ne sont pas simplement des chiffres abstraits inscrits dans les comptes nationaux et le PIB ; il s’agit de coûts réels, ressentis chaque jour par les citoyens dans les épreuves et difficultés imposées aux familles, dans la disparition des espoirs et des aspirations.
Pour beaucoup, les coupes dans les services publics ne représentent pas simplement une coupe insignifiante dans des produits de luxes ou des produits secondaires, mais une réduction de ressources essentielles. Le contrat social qui lie l’ensemble de la société est affaibli, voire délité.
Ce qui se passe aujourd’hui n’est pas ce que l’on attend habituellement du fonctionnement des marchés. Il existe de vastes ressources sous-utilisées, au milieu d’énormes besoins économiques. Mais quelque chose ne tourne pas rond, non seulement en France, mais en Europe, et d’une certaine manière dans la plupart – mais pas tous – des pays avancés.
Les performances économiques de l’Europe au cours des sept dernières années ont été affligeantes. Celles de la France se sont inscrites dans la moyenne européenne : son taux de chômage est similaire à celui de l’Europe dans son ensemble, comme l’est son taux de chômage des jeunes. La plupart des pays d’Europe ont subi une baisse du revenu par tête et de la production par personne en âge d’activité.
Certains de ces pays sont en dépression – c’est le seul mot utilisable pour décrire ce qui se passe dans des pays comme la Grèce et l’Espagne, où le chômage dépasse 25% et le chômage des jeunes 50%, et le chiffre serait pire encore en l’absence de la vague d’émigration qui détruit les familles. […]
Outre-Atlantique, les choses semblent mieux se porter concernant au moins deux aspects – la croissance et la création d’emplois. Mais en regardant au-delà des chiffres, on peut difficilement prétendre que le modèle américain fonctionne.
La croissance depuis le début du nouveau millénaire a été dérisoire, et tous les bénéfices de cette croissance sont allés vers les hauts revenus. Le revenu médian est inférieur à ce qu’il était il y a un quart de siècle ; le revenu médian d’un travailleur à temps plein de sexe masculin est inférieur à ce qu’il était il y a quarante ans ; au bas de la pyramide, les salaires ne sont guère différents de ce qu’ils étaient il y a un demi-siècle.
Le taux d’activité est le plus bas depuis que les femmes ont commencé à entrer en masse dans la population active. La réduction du taux de chômage est principalement due au fait que les travailleurs ont cessé de chercher un emploi, et même parmi ceux classés comme « actifs », un grand nombre occupent des emplois à temps partiel sans prestations ni protections sociales ; les gens souhaitant un emploi à temps plein ne peuvent en obtenir. Une économie qui ne parvient pas à répondre aux besoins de la plupart des citoyens est une économie défaillante, un système économique déficient.
En ce sens, le système économique américain, au moins sur le dernier quart de siècle ou plus, est un système économique qui a échoué. […]
Que tant de pays se portent aussi mal laisse à penser qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème français, ou d’un problème italien ou encore grec. C’est un problème systémique. Avant de pouvoir fournir une prescription, il nous faut avoir un diagnostic précis. […]
Bon nombre des soi-disant réformes structurelles qui sont demandées ne sont rien d’autre que des politiques qui réduisent le niveau de vie pour de larges fractions de la population, par le biais de salaires plus bas, d’une insécurité croissante de l’emploi et de prestations sociales inférieures. Comment peut-on prétendre que la meilleure façon d’élever le niveau de vie est d’adopter des politiques visant à les abaisser pour la grande majorité des citoyens?
Ou encore des politiques qui augmentent le niveau déjà très élevé des inégalités, avec une distribution de la richesse plus inéquitable encore – en violation de l’un des principes clés de la Révolution française.
Certains utilisent la crise comme un prétexte pour démanteler l’État-providence, affirmant que la crise aurait démontré sa défaillance. Mais les échecs de l’Europe ne sont pas la conséquence de l’État-providence. […]
Quel est donc le problème fondamental auquel sont confrontés les pays européens en général, et la France en particulier, s’il ne s’agit pas des rigidités structurelles ?
Le premier problème, auquel j’ai déjà fait allusion, est la poursuite excessive des politiques d’austérité, qui ont exacerbé la baisse de la demande globale privée. »
Le reste de l’argumentaire très riche se trouve <Sur le blog de Pierre-Alain Muet>