Mardi 20 avril 2021

« Un réseau militant pour coconstruire un projet socialiste ambitieux, réaliste et partagé »
Jean-Philippe Babau

Après le séisme politique de 2002 : Le Pen au second tour, j’avais décidé comme d’autres à m’engager politiquement. C’est pourquoi, j’ai adhéré au PS. Nous habitions alors à la Croix Rousse, dans le quatrième arrondissement de Lyon. C’est pourquoi j’ai rejoint la section de la Croix Rousse dont le local se trouvait 12 rue Perrod. Le parti socialiste qui a subi quelques déconvenues ces dernières années a du s’en séparer récemment.

Et c’est ainsi que j’ai rencontré Jean-Philippe qui animait un groupe de travail sur l’exclusion et le logement.

J’ai voulu partager cette expérience et nous avons ainsi, avec d’autres camarades, travaillé, sur plusieurs années, en essayant de comprendre techniquement les sujets, en faisant des recherches documentaires entre les réunions mensuelles, en rencontrant des acteurs notamment du logement social, en confrontant nos idées, en nous écoutons et en avançant ensemble, pour finir par rédiger un rapport que nous avons remis aux élus de Lyon, puisqu’à l’époque le PS dirigeait Lyon et la Métropole.

Cette expérience montre qu’il existait des personnes qui acceptaient, à l’intérieur d’un Parti Politique, de donner de leur temps, pour réfléchir à des sujets politiques, sans démagogie, concrètement et pour le bien commun.

Cette manière de faire était assez éloignée de la définition que David Kimelfeld, qui faisait partie de notre section, avait un jour donné :

« Le Parti socialiste est une association formée d’élus, d’anciens élus et d’aspirant à être élus »

Bref, pour lui on ne pouvait être dans un Parti que parce qu’on aspirait à avoir du pouvoir ou une parcelle de pouvoir.

Pour les non lyonnais, il faut préciser que David Kimelfeld a été le Président intérimaire de la Métropole de Lyon pendant que Gérard Collomb avait tenté de jouer au Ministre de l’Intérieur à Paris. Cette lubie lui était venue après la victoire de celui dont il avait imaginé être sinon le tuteur, au moins le conseiller spécial le plus écouté. Après s’être rendu compte de son erreur, il est revenu à Lyon. Il pensait que les intérimaires qui lui devaient leur place se soumettraient à son pouvoir hégémonique et reprendraient leur rôle de vassal dévoué et fidèle. Rôle de vassal qui avait justifié la possibilité de l’intérim.

Il n’en fut rien et il y eut donc affrontement politique à la Métropole comme à la commune de Lyon. La division a entraîné la victoire, sur ces deux terrains, des écologistes qui n’en espéraient pas tant quelques mois auparavant.

Pour ma part, je me suis réjoui de la défaite du baron lyonnais qui à plus de 70 ans ne voulait pas abandonner le pouvoir

Cette manière de penser et de pratiquer la politique en a découragé beaucoup. Le bien public, la réflexion politique a été mis de côté pour garder des places d’élus, rester ou accéder au pouvoir.

Beaucoup aujourd’hui ne croit plus en la politique. Ils pensent qu’elle n’a plus de moyen d’action et s’en détournent.

Jean-Philippe a eu le courage de se lancer dans l’écriture d’un livre qui vante l’engagement politique, le travail en commun pour bâtir un socle de solutions permettant au bien commun de progresser.

Le titre de ce livre qui a paru à la fin de l’année 2020 est « Construisons ensemble ».

Ce titre est complété par l’invitation suivante :

« Un réseau militant pour coconstruire un projet socialiste ambitieux, réaliste et partagé »

Exactement le contraire de ce que Gérard Collomb faisait à la fin de son mandat à Lyon quand il décidait de tout et de Macron à Paris qui étonnamment  a l’air de s’en désoler puisqu’il aurait dit : « Je suis obligé de m’occuper de tout !».

Evidemment, quand deux comportements aussi égocentrés que Collomb et Macron se rencontrent, la co-construction a du mal à se faire.

Mais peut-on sérieusement penser que Mélenchon serait différent ?

Jean-Philippe évoque d’ailleurs le travail que nous avions fait en commun pour évoquer une sorte de modèle de construction d’un projet.

Il évoque les obstacles à dépasser et la nécessité de clarté sur des objectifs rationnels atteignables :

«  Le vivre ensemble ne va pas de soi. Et la mise en œuvre du projet socialiste se heurte à de nombreux obstacles.
Les êtres humains développent des comportements divers, parfois incohérents, parfois violents, guidés par des besoins de reconnaissance, par la peur ou la jalousie de l’autre. Les nouveaux outils de communication promeuvent les comportements narcissiques et égoïstes. La société de consommation attise nos pulsions de possession, d’exclusivité, de reconnaissance. La fin des valeurs traditionnelles place l’individu face à ses propres limites. Les citoyens, sans repères, dans une société atomisée, se retrouvent pris dans une société de production de plus en plus dure, génératrice de stress, et d’une société de consommation, génératrice de frustrations. Dans ce contexte souvent émotionnel, le raisonnement humain, aussi pertinent soit-il, empêche de cerner les situations dans leur globalité, clairement trop complexes. Le débat est mené, sans rationalité, expertise et prise de distance. Les nouveaux réseaux sociaux font la loi, phagocytés par la facho-sphère et les extrémistes de tout poil.
Ce constat ramène à des questions fondamentales sur le sens de l’action politique. Dans une société exacerbant les pulsions des uns et des autres, il faut être clair sur les objectifs du projet socialiste. Qu’est-ce que la politique peut assurer aux citoyens : de l’argent, une place dans la société, une réussite sociale, des règles de vie commune ou des services ?
Certainement tout cela, mais sous peine de malentendus et de rejet, il faut absolument fixer un périmètre clair sur les objectifs du projet. »
Pages 177 & 178

Jean-Philippe insiste sur le travail en commun pour aboutir à un projet qui pourra être porté plus tard par une femme ou un homme.

Alors, qu’aujourd’hui emporté par les ambitions personnelles il est très évident qu’on fait le contraire.

D’ailleurs, les partis politiques ont été remplacés par des mouvements qui se construisent autour de l’ambition d’un ego. Ces mouvements n’ont pas vocation à attirer des militants qui réfléchissent et coconstruisent un projet mais des supporters qui collent des affiches, organisent l’accueil des réunions politiques, applaudissent en chœur quand la voix de son maître s’exprime et acceptent de pratiquer le porte à porte pour vanter les qualités exceptionnelles de leur champion et l’intelligence de son projet auquel ils n’ont pas participé. Jean-Philippe parle de « fan-club d’élus »

Il reste optimiste et propose une autre démarche :

« Si on veut faire face aux enjeux de la société, il est temps de promouvoir un militantisme actif et responsable en associant les militants tout au long du processus de construction du projet. »
Page 249

Pour ce militantisme et la mise en place d’un réseau de co-constructeurs Jean-Philippe veut s’appuyer sur des outils numériques et modernes de communication comme support d’échange.

Je partage sa conclusion :

« L’objet de ce livre était d’abord de partager des valeurs, des principes et un regard sur la société et la politique. A partir du constat sur les difficultés à mettre en place un projet socialiste, j’ai esquissé une méthode et une approche replaçant l’engagement militant au cœur de la construction d’un projet socialiste à la fois ambitieux, réaliste et partagé.
L’objectif d’un projet socialiste doit être de permettre à tous d’accéder à ses droits fondamentaux de manière décente et digne. Chacun a droit au respect, à la liberté, à la justice et à sa part de richesse. Chacun a sa place à la table de la république. Dans un projet socialiste, le collectif n’écrase pas l’individu et l’individu ne peut s’imposer au collectif. Tout est question d’équilibre pour permettre l’émancipation de chacun dans une société pacifiée. »
Page 279

C’est ambitieux mais salutaire.

Celles et ceux qui croient qu’elles et ils n’ont rien à faire de la politique doivent se rendre compte que la politique a beaucoup à faire avec eux et qu’ils en subissent des conséquences.

La démarche de Jean-Philippe dans cette perspective est finalement très rationnelle.

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Vendredi 9 avril 2021

« La Commune, c’était la joie, la fête : pour la première fois, ils ne sont plus la vile multitude mais enfin des êtres humains, libres, beaucoup vont vivre cette liberté et cette joie jusqu’à se faire tuer. »
Michèle Audin

Quand on parle des versaillais, c’est-à-dire le gouvernement officiel de la France qui s’est retiré dans la capitale monarchique de Louis XIV, il n’y a pas d’ambigüité sur le chef : c’est Adolphe Thiers. On peut décrire le rôle des hommes qui l’entourent notamment les 3 Jules  : Favre, Ferry et Grévy. Il y a aussi le Maréchal Patrice de Mac Mahon, duc de Magenta depuis qu’il s’était illustré lors de la bataille de Magenta. Il fut à côté de Napoléon III, le chef de l’armée qui a subi la piteuse défaite de Sedan. Mais il put s’illustrer, à nouveau, comme le vainqueur pathétique et sordide de la …reconquête de Paris ? par les versaillais. Il succéda comme président de la République à Adolphe Thiers avec l’espoir de rétablir la monarchie. Il présida du 24 mai 1873 au 30 janvier 1879. Il ne put remplir son objectif. La 3ème République, profitant des divisions entre les monarchistes et aussi des victoires électorales de ses partisans, s’imposa. L’un des 3 Jules devint président, ce fut Grévy.

Du côté de la Commune rien de tel. Il n’est pas possible de désigner un chef.

La revue « L’Histoire » a tenté de synthétiser le gouvernement de la commune par cette planche :


Dans cette représentation, Charles Delescluze est présenté comme le chef de file, mais certainement pas comme le chef de la Commune.

Karl Marx a affirmé que le chef qui a manqué à la Commune fut Auguste Blanqui (1805-1881). Il est représenté ci-dessus, mais il ne put participer à la Commune, car Adolphe Thiers en fin stratège le fit arrêter le 17 mars 1871.

<Wikipedia> raconte :

« Adolphe Thiers, chef du gouvernement, conscient de l’influence de Blanqui sur le mouvement social parisien, le fait arrêter le 17 mars 1871 alors que, malade, il se repose chez un ami médecin à Bretenoux, dans le Lot. Il est conduit à l’hôpital de Figeac, et de là à Cahors. Il ne peut participer aux événements de la Commune de Paris, déclenchée le 18 mars, insurrection contre le gouvernement de Thiers et contre les envahisseurs prussiens à laquelle participent beaucoup de blanquistes. Il ne peut communiquer avec personne, semble-t-il, et même pas être mis au courant des événements se tramant. ».

Après, l’écrasement de la Commune, il est ramené à Paris et jugé le 15 février 1872, et condamné, pour ses agissements antérieurs au 18 mars 1871, à la déportation, peine commuée en détention perpétuelle, eu égard à son état de santé. Pour se défendre, Blanqui a dit au juge :

« Je représente ici la République, traînée à la barre de votre tribunal par la monarchie. M. le commissaire du gouvernement a condamné la Révolution de 1789, celle de 1830, celle de 1848 et celle du 4 septembre [1870] : c’est au nom des idées monarchiques, du droit ancien en opposition au droit nouveau, comme il dit, que je suis jugé et que, sous la république, je vais être condamné ».

Il est interné à Clairvaux. Il est terriblement malade (œdème du cœur) en 1877 mais, malgré les pronostics médicaux, il parvient à survivre. Il sera tout au long de ces années défendu par Clemenceau. Il sera libéré quelques mois avant sa mort.

L’Histoire lui donnera le surnom de « l’enfermé », tant il passa d’années de sa vie en prison.

Il s’insurgea contre tous les pouvoirs Charles X, Louis Philippe, les républicains de IIème république, Napoléon III et aussi la République bourgeoise née après la défaite de Sedan.

Wikipedia cite sa défense lors du procès en Cour d’Assises en 1832

« Oui, Messieurs, c’est la guerre entre les riches et les pauvres : les riches l’ont voulu ainsi ; ils sont en effet les agresseurs. Seulement ils considèrent comme une action néfaste le fait que les pauvres opposent une résistance. Ils diraient volontiers, en parlant du peuple : cet animal est si féroce qu’il se défend quand il est attaqué. »

Louis Auguste Blanqui, est fondamentalement un révolutionnaire socialiste qui entend changer la société par l’insurrection et la violence. Il défend, pour l’essentiel, les mêmes idées que le mouvement socialiste du XIXe siècle et fait partie des socialistes non-marxistes. L’historien Michel Winock le classe comme l’un des fondateurs de l’extrême gauche française, qui s’oppose aux élections démocratiques, les considérant comme « bourgeoises », et qui aspire à l’« égalité sociale réelle ».

Je ne pense pas que s’il avait été à la tête de la Commune, le destin de ce mouvement aurait été modifié tant le déséquilibre des forces armées était en défaveur du mouvement. Sans compter qu’autour de Paris, la puissante armée prussienne était prête à bondir si cet exemple délétère d’une « révolution rouge » pour la quiétude du IIème Reich devait se développer sous ses yeux. Bismarck avait d’ailleurs proposé son aide à Thiers qui l’a prudemment écarté. Il valait mieux pour la suite que ce fusse des français qui massacrent d’autres français.

Dans la typologie avancée par « L’Histoire » les jacobins sont majoritaires. Ce sont ceux qui se réfèrent à la grande révolution et plutôt à la figure de Robespierre. Quand les choses iront au plus mal, ils créeront un Comité de Salut Public, comme celui créé en 1793 par la Convention. Cette décision créera une nette césure à l’intérieur des communards, les internationalistes s’y opposant. Les communards se diviseront alors en « majoritaires » et en « minoritaires ». Ce <Comité de Salut Public de 1871> composé de 5 membres est mis en place le 1er mai 1871. Malgré la courte durée avant l’écrasement, ce comité changera plusieurs fois de membres. Il n’aura aucune prise sur les évènements et ne sera d’aucune efficacité.

Les internationalistes ne sont pas homogènes non plus. D’ailleurs l’Internationale va exclure les anarchistes fidèles à Bakounine, peu de temps après.

Les communards sont ainsi divisés en courants de pensée qui divergeront beaucoup.

Mais ce qui est extraordinaire dans ce mouvement c’est la vitalité des échanges et de la discussion qui va animer le peuple de Paris dans son ensemble. Je veux dire le Peuple de Paris qui adhère à la Commune. Parce que tous les parisiens qui vivaient dans Paris pendant les mois de mars à mai 1871, n’étaient pas favorables à la commune. Et cela s’est vu après la semaine sanglante. La foule haineuse qui a torturé et assassiné Eugène Varlin ne venait pas seulement de Versailles, il y avait aussi des gens de Paris.

Mais celles et ceux qui croyaient en la Commune, se réunissaient, discutaient et refaisaient le monde.

Et notamment les femmes qui étaient entrées dans ce combat pleines d’espoir. La commune a répondu à certains de ces espoirs même si les femmes restaient exclues des élections et du pouvoir.

Cette parole libérée va se tenir dans le cadre de très nombreux clubs. <Ce site> essaie de dresser la liste des clubs de cette période.

Beaucoup de réunions se déroulaient dans les églises, parce que c’était des endroits propices pour réunir beaucoup de monde et pour parler.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt ce dialogue entre un membre de la fondation Jean Jaurès et l’historien Quentin Deluermoz à propos de de son dernier ouvrage « Commune(s) 1870-1871. Une traversée des mondes au XIXe siècle » (Seuil, 2020).

<Cet article> revient aussi assez longuement sur cet ouvrage.

La vision que Quentin Deluermoz développe est justement de se décaler par rapport aux principaux acteurs connus de la Commune pour examiner ce mouvement à travers trois prismes.

D’abord en le comparant à d’autres mouvements communaux qui l’ont précédé, comme par exemple la révolte des canuts à Lyon ou dans d’autres pays ou qui ont eu lieu, en même temps dans d’autres communes de France.

Pour finir, il étudie aussi les conséquences françaises et mondiales de La commune.

Mais le point central qui m’a particulièrement intéressé, c’est son analyse qu’il qualifie « au ras du sol ». Dans cette étude il va consulter les archives, des journaux intimes, des récits contemporains, des procès-verbaux de la Police ou de la Justice.

Ce qu’il tient à éviter, c’est les récits ultérieurs qui racontent les évènements à travers le filtre des dogmes qui sont apparus par la suite ou le filtre de souvenirs fantasmés ou simplement transformés par le temps.

Et puis ce qui l’intéresse c’est ce que « les communeux » et « les communeuses » ont vécu au cours de ces 72 jours.

Oui ! parce que les participants à ce mouvement se donnaient le nom de « communeux ». Ce sont leurs ennemis, les versaillais, qui leur ont donné le nom qu’ils voulaient péjoratif de « communards » qui rime avec bâtard, mouchard, cafard et d’autres termes aussi peu aimables. Ils ont finalement accepté de se désigner par ce mot, probablement par défi et fierté face à leurs ennemis.

Et ce que Quentin Deluermoz révèle à travers son analyse « au ras du sol », est la formidable vitalité des organisations de quartier qui tentent de trouver des solutions concrètes aux problèmes des parisiens modestes ou pauvres, de faire face à la situation de conflit et de pénurie qui perdure depuis le siège par les allemands  commencé en septembre 1870 puis l’attaque des versaillais, tout en refaisant le monde.

Dans un des entretiens qu’elle a accordé pour parler d’Eugène Varlin, Michèle Audin a eu cette réflexion sur la Commune

« Je ne sais pas ce qu’est « la » pensée communarde. Celle de Ferré ? Celle de Delescluze ? Celle de Frankel ? Celle de Theisz ? Ou encore celle de Nathalie Lemel, engagée dans la lutte avec l’Union des femmes ?
Ce qui rend l’histoire de la Commune passionnante, c’est toute cette diversité de pensées communardes.
De mon point de vue, le plus intéressant, c’est ce qui se dit dans les clubs – je pense notamment au Club Ambroise et à son journal Le Prolétaire. On y souhaite voir les élus venir écouter le peuple et lui rendre compte : la souveraineté populaire ne se délègue pas, le peuple est las des sauveurs, on trouve que les agents de la Commune sont trop payés, que les journalistes font trop de phrases, qu’ils veulent encadrer le peuple, on proteste contre la nomination des officiers par les autorités militaires de la Commune (tous les responsables doivent être élus)… C’est le « sous-comité » dont ce club est issu qui a brûlé la guillotine, un acte symbolique – au moment même où la Commune vote un décret qui prévoyait la possible exécution d’otages. Le développement des idées a été beaucoup étudié, notamment autour du centenaire de la Commune en 1971, en un temps où l’importance des partis communiste et socialiste faisait de l’héritage de la Commune un enjeu politique, mais on a peut-être un peu négligé ce qui se passait dans la vie et dans la tête des Parisiens engagés dans le mouvement.
La Commune, c’était la joie, la fête : pour la première fois, ils ne sont plus la vile multitude mais enfin des êtres humains, libres, beaucoup vont vivre cette liberté et cette joie jusqu’à se faire tuer. »

Un moment d’échange, de solidarité et d’invention pendant lequel, pendant 72 jours des gens simples, ont cru pouvoir devenir maître de leur vie et inventer un autre monde.

C’était cela aussi La Commune.

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Jeudi 8 avril 2021

« Tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »
Eugène Varlin
Je m’aperçois, en cheminant dans cette série, que je ne connaissais vraiment pas grand-chose à la Commune.

Quand je m’empare d’un sujet et que j’essaie de l’approfondir un peu, je fais des rencontres.

Et dans mes rencontres avec les femmes et les hommes du passé qui ont fait la Commune, Eugène Varlin occupe une place particulière, comme celle d’un juste. Un juste qui est mort en martyr.

Hippolyte Lissagaray qui participa au combat de la commune mais qui est surtout connu comme le premier historien de la Commune puisqu’il écrivit une <Histoire de la Commune de 1871> dès 1876 disait d’Eugène Varlin que

« Toute sa vie est un exemple »

Quand on parle de lui, on dit « Eugène Varlin, l’ouvrier relieur ». C’est le titre du livre que Michèle Audin, la fille du mathématicien Maurice Audin, déjà évoquée lors du mot du jour du 26 mars, qu’elle lui a consacré.
Ce livre n’est pas une biographie mais le recueil de tous ses écrits retrouvés à ce jour : articles, proclamations, lettres.

Parmi ces textes, on cite souvent cette vision de la société dont j’ai extrait l’exergue :

« Consultez l’histoire et vous verrez que tout peuple comme toute organisation sociale qui se sont prévalus d’une injustice et n’ont pas voulu entendre la voix de l’austère équité sont entrés en décomposition ; c’est là ce qui nous console, dans notre temps de luxe et de misère, d’autorité et d’esclavage, d’ignorance et d’abaissement des caractères, de pervertissement du sens moral et de marasme, de pouvoir déduire des enseignements du passé que tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d’un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. »

Varlin est né en 1839 dans une famille de paysans pauvres de Claye-Souilly (Seine-et-Marne). Il va à l’école jusqu’à l’âge de 13 ans, puis fait un apprentissage à Paris où il devient ouvrier relieur. Il suit des cours du soir, participe aux premières grèves autorisées en 1864, devient membre et rapidement responsable de la toute jeune Association internationale des travailleurs (AIT), ce qui lui vaut trois mois de prison en 1868. Il mène une inlassable activité d’organisation des ouvriers à Paris et en province. Il est élu à la Commune en 1871 et participe activement à la défense de Paris pendant la Semaine sanglante et est assassiné le 28 mai 1871, dans des conditions atroces.

<Wikipedia> souligne aussi son ouverture au féminisme et son souci de l’égalité entre les hommes et les femmes

«  En 1864-1865, il anime la grève des ouvriers relieurs parisiens. Il devient président de la société d’épargne de crédit mutuel des relieurs qu’il a aidé à créer (partisan de l’égalité des sexes, il y fait entrer à un poste élevé Nathalie Lemel). En 1864 est créée l’Association internationale des travailleurs (AIT), souvent connue sous l’appellation de « Première Internationale ». Varlin y adhère en 1865 et participe, avec son frère Louis et Nathalie Lemel, à la première grève des relieurs. Il est délégué en 1865 à la conférence de l’AIT à Londres, puis en 1866 au premier congrès de l’AIT à Genève, où il défend contre la majorité des autres délégués le droit au travail des femmes. »

Nathalie Le Mel fut aussi une des femmes qui participa activement à la Commune.

Elle a été dans beaucoup des combats d’Eugène Varlin dont elle partageait le métier de relieuse.

Tous les deux avaient adhéré à l’AIT

Eugène Varlin n’était pas que dans le concept, il travaillait aussi dans le concret et les besoins immédiats des ouvriers :

À la même époque, il crée la Société de solidarité des ouvriers relieurs de Paris, dont les statuts évoquent la nécessité de « poursuivre l’amélioration constante des conditions d’existence des ouvriers relieurs en particulier, et, en général, des travailleurs de toutes les professions et de tous les pays, et d’amener les travailleurs à la possession de leurs instruments de travail. » Ses efforts contribuent à la création, le 14 novembre 1869, de la Fédération parisienne des sociétés ouvrières, qui plus tard passe à l’échelle nationale et devient ultérieurement la Confédération générale du travail.

Varlin participe à la création d’une coopérative, « La Ménagère », en 1867, et à l’ouverture, en 1868, d’un restaurant coopératif, « La Marmite ». Ce dernier compte 8 000 adhérents et ne ferme qu’après la Commune. »

Il était donc aussi à l’origine des prémices de la CGT.

Nathalie Le Mel jouera également un rôle essentiel dans l’organisation de « La Marmite » et des sociétés d’alimentation, de consommation et de production qu’Eugène Varlin voulait pour améliorer le sort des ouvrier et des pauvres.

L’historien moderne de la commune Jacques Rougerie écrit :

« Pendant toute la durée de l’insurrection, Varlin ne se consacrera qu’aux tâches concrètes ; il ne s’agit rien moins que de faire vivre et combattre Paris et cela peut tenir au moindre détail. »

Pendant la commune il sera nommé à la commission des finances. Il assure la liaison entre la Commune et les sociétés ouvrières.

<Le Maitron> publie un récit biographique assez détaillé.

Le journal <LES INROCKS> le décrit ainsi :

« Varlin milite sans relâche pour la réduction de la durée de la journée de travail, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la liberté de la presse et d’association, l’instruction laïque et obligatoire ou encore l’impôt progressif. « L’association n’a pas pour but d’organiser les travailleurs en vue de soutenir une lutte permanente contre les détenteurs de capitaux. Elle vise plus haut. Elle se propose de réaliser l’affranchissement complet du travail, en amenant les travailleurs à la possession de l’outillage social et les éléments naturels indispensables à la production. Loin de vouloir organiser la guerre, elle a la prétention d’établir la fraternité entre les hommes sans distinction de race, de couleur, ou de croyance », écrit-il. Sous la Commune, dont il fut délégué aux Finances et membre de la Commission de la Guerre, il prit notamment la décision de suspendre la vente des objets au Mont-de-Piété, cette institution de prêts sur gage qui finissait par ruiner les pauvres. »

Le 28 mai, reconnu et dénoncé par un prêtre rue Lafayette, il est arrêté par le lieutenant Sicre et amené à Montmartre, rue des Rosiers, où il est lynché, éborgné par la foule et, finalement, fusillé par les soldats près de l’endroit où avaient été fusillés les généraux Lecomte et Clément-Thomas. Précision sordide : Les ouvriers relieurs lui avaient offert une montre qui lui fut volée, après qu’il eut été massacré.

<Le Maîtron> précise que : « Dans un rapport à son colonel, le lieutenant Sicre avait déclaré : ” Parmi les objets trouvés sur lui [Varlin] se trouvaient : un portefeuille portant son nom, un porte-monnaie contenant 284 f 15, un canif, une montre en argent et la carte de visite du nommé ” Tridon “. Sicre s’appropria la montre — présent des ouvriers relieurs en 1864»

Voici la description que Louise Michel fait de son assassinat dans ses Mémoires :

« La Commune était morte, ensevelissant avec elle des milliers de héros inconnus. Ce dernier coup de canon à double charge énorme et lourd ! Nous sentions bien que c’était la fin ; mais tenaces comme on l’est dans la défaite, nous n’en convenions pas…

Ce même dimanche 28 mai, le maréchal Mac-Mahon fit afficher dans Paris désert : “Habitants de Paris, l’armée de la France est venue vous sauver ! Paris est délivré, nos soldats ont enlevé en quatre heures les dernières positions occupées par les insurgés.

Aujourd’hui la lutte est terminée, l’ordre, le travail, la sécurité vont renaître”.

Ce dimanche-là, du côté de la rue de Lafayette, fut arrêté Varlin : on lui lia les mains et son nom ayant attiré l’attention, il se trouva bientôt entouré par la foule étrange des mauvais jours. On le mit au milieu d’un piquet de soldats pour le conduire à la butte qui était l’abattoir. La foule grossissait, non pas celle que nous connaissions : houleuse, impressionnable, généreuse, mais la foule des défaites qui vient acclamer les vainqueurs et insulter les vaincus, la foule du vae victis éternel. La Commune était à terre, cette foule, elle, aidait aux égorgements.

On allait d’abord fusiller Varlin près d’un mur, au pied des buttes, mais une voix s’écria : “il faut le promener encore” ; d’autres criaient : “allons rue des Rosiers”.

Les soldats et l’officier obéirent ; Varlin, toujours les mains liées, gravit les buttes, sous l’insulte, les cris, les coups ; il y avait environ deux mille de ces misérables ; il marchait sans faiblir, la tête haute, le fusil d’un soldat partit sans commandement et termina son supplice, les autres suivirent. Les soldats se précipitèrent pour l’achever, il était mort.

Tout le Paris réactionnaire et badaud, celui qui se cache aux heures terribles, n’ayant plus rien à craindre vint voir le cadavre de Varlin. Mac Mahon, secouant sans cesse les huit cents et quelques cadavres qu’avait fait la Commune, légalisait aux yeux des aveugles la terreur et la mort. […] Combien eût été plus beau le bûcher qui, vivants, nous eût ensevelis, que cet immense charnier !

Combien de cendres semées aux quatre vents pour la liberté eussent moins terrifié les populations, que ces boucheries humaines ! Il fallait aux vieillards de Versailles ce bain de sang pour réchauffer leurs vieux corps tremblants. »

Wikipedia rapporte que pendant la Semaine sanglante, il avait tenté en vain de s’opposer à une exécution d’otages, rue Haxo.

<France Culture> donne la parole à l’historien de l’action culturelle Mathieu Menghini :

« Eugène Varlin, […] s’est instruit en autodidacte, s’intéressant à de nombreuses disciplines comme la géométrie, le latin, l’orthographe, la grammaire.

A force de fabriquer des livres, Eugène Varlin les a dévorés. On lui connaît une obédience doctrinale qui le situe du côté des communistes non-autoritaires, mais on pourrait mieux le définir par ses combats pour les droits des femmes, pour l’émancipation intellectuelle des travailleurs, pour leur instruction intégrale et polytechnique.

Eugène Varlin a contribué à former la classe ouvrière française, […], à établir parmi les ouvriers une conscience de classe. A une époque où Paris était déjà en train de se gentrifier, un des enjeux pour la classe ouvrière était d’améliorer concrètement leurs conditions matérielles, qui souvent se nourrissait mal tout en payant très cher. Avec sa collègue militante Nathalie Lemel, Eugène Varlin a établi des restaurants ouvriers coopératifs nommés “La Marmite”. Un lieu de vie, et de nourriture intellectuelle.

On raconte qu’une fois les estomacs sustentés, ces cantines ouvrières se transformaient en véritables foyers dans lesquels on rêvait la transformation du monde, entre femmes et hommes de divers courants doctrinaux. Certains artistes, favorables à l’auto-émancipation des travailleurs, venaient y entonner un air lyrique une fois leur spectacle terminé. »

Michèle Audin <parle> du premier article d’Eugène Varlin qu’elle a lu et qui lui a donné l’envie de réaliser son livre sur les écrits de cet homme singulier et épris de justice sociale :

« Il est clair, précis, rigoureux, il s’adresse directement à ses lecteurs et il pense aux lecteurs du futur, nous, qui lirons le journal relié. J’ai trouvé le style et les aspects humains de cet article, la dignité de ce jeune ouvrier, ce qu’il appelle dans un autre article « la timidité ordinaire du travailleur » et en même temps sa confiance en ses compétences, très séduisants. Je n’ai pas lu beaucoup d’articles où un ouvrier parle de ses connaissances et de son goût, avant de les appliquer au sujet. »

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Mardi 6 avril 2021

« Si nous réussissions à transformer radicalement le régime social, la révolution du 18 mars serait la plus efficace de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. »
Léo Frankel

Continuons à nous intéresser à quelques-uns des femmes et hommes qui ont fait la commune. Léo Frankel fut le seul élu étranger de la Commune de Paris et le plus jeune des communards internationalistes. Il y eut d’autres étrangers qui participèrent à la révolte du commune ; mais ils n’étaient pas élu et ne faisaient pas partie du Conseil de le Commune.

On peut citer, par exemple, Jaroslaw Dombrowski qui fut nommé commandant de la place de Paris puis par décision de Rossel, chargé de la direction des opérations sur la rive droite. Il fut blessé mortellement, le 23 mai, à la barricade de la rue Myrha et de la rue des Poissonniers dans le XVIIIe arrondissement.

J’avais évoqué lors du mot du jour de vendredi <Élisabeth Dmitrieff> qui était russe et qui jouera un rôle dans la vie de Léo Frankel.

Léo Frankel était hongrois.

Il était d’origine juive, son père était médecin. Il était né en 1844 à Budapest.

C’était un ouvrier qui avait suivi une formation d’orfèvre. Ce qui l’a amené à voyager. Il séjourne en Allemagne et en Angleterre avant de s’installer à Lyon en 1867 où il s’affilie à l’Association internationale des travailleurs.

Puis, il s’installe à Paris comme ouvrier-bijoutier et représente la section allemande de l’Association internationale des travailleurs (A.I.T.). Il est également correspondant de la Volksstimme de Vienne. Il sera assez vite convaincu par les thèses de Karl Marx.

Il est arrêté fin avril 1870, pour complot et appartenance à une société secrète c’est-à-dire l’A.I.T..

Durant son procès, je jeune hongrois martèle ses convictions :

« L’Association internationale n’a pas pour but une augmentation du salaire des travailleurs, mais bien l’abolition complète du salariat, qui n’est qu’un esclavage déguisé. »
Cité par « les Grands évènements de l’Histoire, la Commune de Paris » mars avril mai 2021

Il est libéré à la suite de la Proclamation de la République française du 4 septembre 1870 qui renverse le Second Empire. Il devient alors membre de la Garde nationale et reconstitue, avec Eugène Varlin, le Comité fédéral de l’Internationale pour Paris.

Il se présente aux élections à l’Assemblée nationale du 8 février 1871, en tant que socialiste révolutionnaire. Il échoue à se faire élire dans cette assemblée, qui nous le savons verra la victoire des monarchistes pacifistes, capitulards diront les communards.

Mais il sera élu au Conseil de la Commune de Paris le 26 mars 1871 dans le 13e arrondissement.

Il devient membre de la Commission du travail et de l’échange, puis de la Commission des finances.

Le 20 avril, il est nommé délégué au travail, à l’industrie et à l’échange. Il fait décréter des mesures sociales, comme l’interdiction du travail de nuit dans les boulangeries.

Il écrit à Karl Marx dans une lettre du 30 mars :

« Si nous réussissions à transformer radicalement le régime social, la révolution du 18 mars serait la plus efficace de celles qui ont eu lieu jusqu’à présent. Ce faisant nous arriverions à résoudre les problèmes cruciaux des révolutions sociales à venir. »
Cité par « les Grands évènements de l’Histoire, la Commune de Paris » mars avril mai 2021

Pendant la Semaine sanglante, il est blessé gravement sur une barricade de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, à l’angle de la rue de Charonne.

Il est sauvé par Élisabeth Dmitrieff qui réussit à le faire échapper avec elle pour se réfugier en Suisse, à Genève. Les autorités françaises réclament son extradition, mais leurs homologues suisses s’y opposent.

Remis de ses blessures, il va en Angleterre rejoindre Karl Marx et l’Internationale.

Puis il passe en en Allemagne, en 1875, d’où il est expulsé, puis en Autriche où il est arrêté en octobre. Libéré en 1876, il se rend en Hongrie où il organise le Parti ouvrier notamment en rédigeant une partie de son programme.. En mars 1881, il est condamné à dix-huit mois de prison. Libéré en février 1883, il devient correcteur d’imprimerie et collabore à des revues socialistes.

En 1890, il revient en France et participe au Congrès fondateur de la Deuxième internationale.

Le site du <Maitron> nous apprend qu’en 1893 et 1894, il fut administrateur de la revue marxiste L’Ère Nouvelle . […]

Et aussi qu’il vivait de peu, et un rapport de police du 26 décembre 1891 précise :

« Sa mise est convenable et on le voit toujours coiffé d’un chapeau haut de forme, mais on prétend que sa chambre est misérablement meublée et que ses ressources paraissent bien modestes ; il fait souvent sa cuisine lui-même. »

Julien Chuzeville, historien du mouvement ouvrier lui a consacré un livre Léo Frankel, communard sans frontières publié en février 2021.

Il a été l’invité du < Cours de l’histoire de Xavier Mauduit>, émission très intéressante qui m’a poussé à écrire ce mot du jour.

Xavier Mauduit présente un autre extrait du procès du 2 juillet 1870 déjà évoqué :

«  il comparait devant la justice, lors du troisième procès intenté à l’Internationale. Il répond au président du tribunal que
« les capitalistes, à l’occasion d’une grève suscitée par leurs prétentions avides, soient les premiers à accuser l’Internationale de tout le mal, je n’y vois rien d’étonnant ».
Frankel joue de la métaphore :
« Ils agissent en ce point comme le loup de la fable qui se tenait au bord du ruisseau, et accusait de lui troubler son eau, l’agneau qui se désaltérait au-dessous de lui dans le courant. L’agneau eut beau se défendre, prétendant que l’eau ne pouvait pas remonter sa pente, toutes ses dénégations ne lui servirent de rien ; le loup cherchait seulement une occasion favorable pour le dévorer ».
Le président l’interroge : « L’agneau, c’est l’Internationale ? ».
Frankel répond du tac-au-tac : « Et, le loup, c’est le capitaliste ». Il faut se méfier des procès intentés aux militants politiques, car le tribunal devient une tribune où Frankel expose son programme »

Il meurt d’une pneumonie le 29 mars 1896 1896. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise, entouré d’un drapeau rouge. Il avait, en effet, écrit quelques jours avant sa mort :

« Je meurs sans crainte.
Mon enterrement doit être aussi simple que celui des derniers crève-de-faim.
La seule distinction que je demande c’est d’envelopper mon corps dans un drapeau rouge, le drapeau du prolétariat international, pour l’émancipation duquel j’ai donné la meilleure part de ma vie et pour laquelle j’ai toujours été prêt à la sacrifier. »

En 1968, sa dépouille est transférée au cimetière national de Hongrie à Budapest.

Sa tombe parisienne est devenue depuis un cénotaphe (du grec ancien : kenotáphion, de kenós (« vide ») et táphos (« tombeau »)).

<Ce blog> nous apprend qu’il existe désormais une rue Leo-Frankel, dans le XIIIème arrondissement de Paris, à proximité de la Bibliothèque nationale de France,

<1548>

Vendredi 2 avril 2021

« Pas de révolution sans les femmes »
Carolyn J. Eichner

Dans la revue « L’histoire » de janvier 2021, consacrée à la commune, c’est une historienne américaine Carolyn J. Eichner qui a rédigé un article « Pas de révolution sans les femmes » mettant en évidence le rôle des femmes pendant la Commune de Paris.

Louise Michel n’était pas seule.

Carolyn Eichner est professeure à l’université du Wisconsin à Milwaukee et a publié en février 2020 un livre sur ce sujet : « Franchir les barricades » et qui avait pour sous-titre « Les femmes dans la commune de paris »

Dans ce livre, l’historienne s’était concentrée sur trois cheffes de file : André Léo, Élisabeth Dmitrieff et Paule Mink.

A ce stade, il faut parler d’un outil qui existe sur Internet : <Le Maitron> et que j’ai découvert à l’occasion de mes recherches sur cette série sur la Commune. C’est Raphaël Meyssan l’auteur de la BD et du film diffusé sur ARTE <Les damnés de la Commune>. et que j’ai évoqué lors du premier mot du jour de la série qui m’a fait découvrir cette somme de connaissances libre d’accès

Le nom « Maitron » fait référence à Jean Maitron  (1910 – 1987), historien qui s’est passionné pour l’histoire ouvrière en France. Avant lui, les historiens étudiaient surtout les rois, les chefs de guerre et les batailles. Il a fait entrer l’Histoire des ouvriers dans l’université et a énormément travaillé sur les bases d’archives.

Et c’est ainsi qu’il est à l’origine du « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français », ouvrage de référence qu’on a nommé en son honneur « le Maitron ».

Ce travail augmenté des apports de ses successeurs en historiographie se trouve désormais sur un site internet dont je redonne l’adresse : : <Le Maitron>

Et grâce à ce site, nous avons immédiatement des informations sur ces trois femmes

<André Léo>a pour nom d’état civil Léodile Champseix mais on l’appelle André Léo.

Elle est née en 1824 à Lusignan (Vienne). C’est une écrivaine ; socialiste et féministe ; communarde, présidente de la commission de l’enseignement professionnel des jeunes filles.

Elle reçut une excellente éducation. Son grand-père avait été fondateur, en 1791, de la Société des Amis de la Constitution.

Après le coup d’État de décembre 1851, elle fit la connaissance de Grégoire Champseix, un Limousin, qui vivait exilé à Lausanne où il était professeur et avec qui elle se maria.

En 1860 le couple alla habiter à Paris. Mme Champseix entreprit alors une carrière de romancière : Elle signait ses ouvrages André Léo, pseudonyme formé du nom de ses deux enfants jumeaux.

Dans les dernières années du Second Empire, elle se lança dans la bataille politique et sociale. C’est chez elle que fut élaboré en 1868 le programme de la « Société de revendication des droits de la femme », avec la participation d’Élie Reclus et de Marthe Noémie Reclus.

En 1870, elle fréquenta les clubs. Elle se rangea parmi les combattants de la Commune en 1871. Avec Mme Jaclard, elle fonda le journal La Sociale (31 mars-17 mai 1871) où, tout en protestant contre certains excès du Comité central, elle soutint avec énergie les droits de Paris ; elle y publia son « appel aux travailleurs des champs ». Elle appartint à l’Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés et à la commission instituée par Édouard Vaillant  « pour organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles ». Avec Louise Michel et Paule Minck, elle fit partie du Comité de Vigilance des citoyennes de Montmartre. Dans le journal La Commune, elle formula ainsi son programme (10 avril 1871) :

« La terre au paysan, l’outil à l’ouvrier, le travail pour tous ».

Après l’entrée des Versailles dans Paris, elle se rendit en Suisse. Elle vécut à Genève où elle put ainsi se soustraire à la condamnation prononcée par les conseils de guerre. Elle collabora au journal La Révolution sociale, en 1871, dans lequel elle se livra à de violentes attaques contre Marx. Elle publia la même année, à Neuchâtel, La Guerre sociale où elle racontait l’histoire de la Commune.

Elle mourut en 1900. Elle a légué par testament une rente à la première commune de France qui voudra faire un essai de collectivisme par l’achat d’un terrain communal, travaillé en commun avec partage des fruits.

<Élisabeth Dmitrieff>, née de l’union irrégulière d’un ancien officier de hussards et d’une jeune infirmière, reçut une bonne éducation et apprit à parler couramment plusieurs langues. Elle habitait Saint-Petersbourg, participait aux discussions passionnées qui étaient fréquentes dans la jeunesse intellectuelle russe de l’époque, et rêvait d’émancipation pour elle-même et pour les autres.

Elle effectua un mariage blanc pour partir pour l’étranger : la Suisse d’abord, où elle milita dès 1868, puis Londres à la fin de l’année 1870. Elle y fréquenta la famille de Karl Marx et Marx lui-même qui l’envoya à Paris, en mars 1871, en mission d’information. Un rapport de police la décrit alors ainsi :

« Mesurant 1,66 m ; cheveux et sourcils châtains ; front légèrement découvert ; yeux gris bleu ; nez bien fait ; bouche moyenne ; menton rond ; visage plein, teint légèrement pâle ; démarche vive ; habituellement vêtue de noir et toujours d’une mise élégante. »

Elle cofonda pendant cette période l’Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés. Union constituée en avril et dont les membres s’étaient mises à la disposition de la Commune, prêtes « à combattre et vaincre ou mourir » . Elle appartint à sa commission exécutive. Au nom de l’Union, Élisabeth Dmitrieff élabora un rapport d’inspiration socialiste sur une organisation du travail à base d’associations de production fédérées ; ce rapport fut envoyé à la commission du Travail et de l’Échange de la Commune que dirigeait Frankel.

Élisabeth Dmitrieff représentait un féminisme socialiste qui empruntait à la fois au populisme des coopératives féministes russes et à l’autorité centralisée marxiste (elle fut, parmi les communards socialistes, une des rares influencées par Marx). Saisissant le moment révolutionnaire afin d’enclencher le changement, elle avait pour objectif de donner aux ouvrières le contrôle de leur propre travail. L’Union des femmes fut la seule organisation à obtenir les ressources financières demandées au gouvernement de la Commune.

Élisabeth Dmitrieff participa aux derniers combats de rue ; le 25 mai. Elle put échapper à l’arrestation. Le 6e conseil de guerre la condamna par contumace, le 26 octobre 1872, à la déportation dans une enceinte fortifiée ; elle fut graciée le 8 avril 1879 sous condition d’un arrêté d’expulsion.

Elle avait trouvé refuge en Suisse en juin. En octobre 1871, elle réussit à rentrer en Russie. Elle épousa un condamné à la déportation qu’elle suivit en Sibérie, où elle mourut à une date indéterminée, entre 1910 et 1918.

<Paule Mink>est née en 1839 à Clermont-Ferrand. Elle était d’origine polonaise, son nom véritable était Adèle Pauline Mekarski. Elle était la sœur de Jules Mekarski. Son père, Jean, Népomucène Mekarski, était de haute noblesse polonaise, neveu du général prince Joseph, Antoine Poniatowski et cousin de Stanislas II Poniatowski, dernier roi de Pologne.

Sa mère, Jeanne, Blanche Cornélie Delaperrierre, était issue d’une famille française de comédiens.

Très tôt, Pauline fit montre de sentiments républicains, écrivant des articles, participant à des réunions publiques. Elle fut notamment l’auteur d’un petit pamphlet Les Mouches et l’Araignée dirigé contre Napoléon III (l’araignée) dévorant le peuple (les mouches). Vers 1868, elle se trouvait à Paris et créa une organisation féministe et révolutionnaire à forme mutualiste, la ” Société fraternelle de l’ouvrière “.

L’article du Maitron cite une description que fait d’elle Gustave Lefrançais qui était un élu de la commune :

« Parmi les femmes qui prennent habituellement la parole dans les réunions, on remarque surtout la citoyenne Paule Mink, petite femme très brune, un peu sarcastique, d’une grande énergie de parole. La voix est un peu aigre, mais elle s’exprime facilement. Elle raille avec esprit ses contradicteurs plutôt qu’elle ne les discute et ne paraît pas, jusqu’alors, avoir des idées bien arrêtées sur les diverses conceptions qui divisent les socialistes. Mais elle est infatigable dans sa propagande. »

Elle est connue comme l’oratrice des clubs. Après la semaine sanglante elle s’exile en Suisse. Elle revient en France après l’amnistie et poursuivra le combat féministe et socialiste.

Vers 1900, elle était une des trois femmes membres du conseil d’administration du Syndicat des journalistes socialistes. Elle mourut le 28 avril 1901. Elle fut incinérée le 1er mai au Père-Lachaise.

Carolyn J. Eichner précise :

« Les femmes, tout en étant absentes du gouvernement de la Commune, furent très actives dans les clubs, les journaux ou sur les barricades. Loin du mythe de la pétroleuse, elles participèrent aux différents courants du socialisme féministe. »

Elle rappelle opportunément que les femmes jouèrent un rôle éminent dès le début de la Commune :

« Au petit matin du 18 mars 1871, après que Thiers eut donné l’ordre, dans la nuit, de récupérer les canons de la Garde nationale à Montmartre, ce sont les femmes déjà levées qui s’interposèrent les premières entre les troupes et l’artillerie. Faisant primer la solidarité de classe sur la loyauté nationale, elles persuadèrent les soldats de se rallier à elles. Ces fraternisations mirent le feu aux poudres. »

Elle cite enfin l’Union des femmes :

« Au 50e des 72 jours que dura la Commune, la commission exécutive de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés déclara : « Les femmes de Paris prouveront à la France et au monde qu’elles aussi sauront, au moment du danger suprême – aux barricades, sur les remparts de Paris –, donner leur sang et leur vie pour la défense et le triomphe de la Commune, c’est-à-dire du peuple ! »

Pendant longtemps, l’histoire de la Commune qu’on racontait, montrait, d’un côté, des hommes faisant la révolution et, de l’autre, des femmes, hystériques, mettant le feu à Paris au moment de la Semaine sanglante : c’est ainsi que s’est imposée la figure de la pétroleuse.

« Pétroleuse » Le mot a été inventé dans les jours qui ont suivi la Semaine sanglante. La presse versaillaise a accusé les communardes d’avoir allumé des incendies dans les rues où l’on ne se battait plus.

Et l’historienne américaine d’analyser :

« En réalité, des milliers de femmes jouèrent un rôle déterminant dans la Commune de Paris. Dès la fin des années 1860, au moment de la libéralisation du Second Empire, des organisations féministes et socialistes avaient créé les conditions préalables à leur soulèvement. Durant la courte vie de la Commune des militantes ont constitué des clubs politiques populaires, des comités de vigilance, ralliant les brigades militaires, soulageant et nourrissant les blessés, publiant des journaux, développant des écoles mixtes, organisant des soupes populaires et fondant des coopératives de production.

Deux raisons expliquent leur marginalisation dans l’histoire de la Commune. D’abord, l’activisme des femmes a toujours été dévalorisé quand il n’était pas tout simplement ignoré précisément parce qu’il s’agissait de l’activisme de femmes. Ensuite, lorsque les femmes se sont impliquées politiquement, ce fut en dehors de la structure gouvernementale officielle, qui n’était constituée que d’hommes. La Commune, en effet, n’a pas accordé le droit de vote aux femmes – et les communardes n’ont pas cherché à l’obtenir, non plus qu’un rôle officiel dans le gouvernement.

Pour elles, la Commune devait être une transition vers une nouvelle société égalitaire du point de vue social. Or, les historiens ont longtemps minimisé l’importance de ces actions militantes au ras du sol. Quant aux observateurs contemporains, en plus de sous-évaluer les initiatives des femmes, ils les ont diabolisées, pointant leur comportement non féminin et irrationnel. […] Ces représentations rejettent les militantes hors de l’humanité.

La réalité est tout autre. La plupart des communardes étaient des ouvrières travaillant dans des métiers liés au textile, comme Marie Rogissart, couturière, qui organisa les femmes pour arrêter les réfractaires qui refusaient de défendre la Commune, ou Marie Lemonnier, apprêteuse de neuf, qui servit comme ambulancière sur le champ de bataille et éleva ensuite des barricades. Elles s’engagèrent dans une révolution qui, très vite, renversa toute hiérarchie de pouvoir. »

<Cet article> parle d’une autre ambulancière Alix Payen qui a écrit un livre sur son expérience lors de la Commune

Il n’y a pas de révolution sans les femmes.

<1547>

Mercredi 4 mars 2020

« Il n’y a pas de socialisme en Amérique, parce qu’on n’a pas de prolétaires mais des capitalistes momentanément dans l’embarras. »
John Steinbeck

Cette phrase de John Steinbeck qu’il aurait prononcée dans les années 1930 a été citée par Christine Ockrent lors de son émission que j’ai déjà évoquée hier <Affaires étrangères>.

L’immense auteur des « Raisins de la Colère », « A l’est d’Eden », « Des souris et des hommes » voulait exprimer par cette phrase que les américains exploités n’avaient pas de conscience de classe. Ils ne considéraient pas qu’ils faisaient partie d’une même classe mais ils croyaient au récit du rêve américain qui prétendait que tout le monde avait la possibilité de devenir riche s’il travaillait beaucoup et savait saisir les opportunités qui lui étaient offerts.

John Steinbeck avait des amitiés socialistes et regrettait cette mentalité américaine.

Il y a eu quelques cas qui ont pu faire croire que ce mythe constituait une réalité atteignable par un grand nombre de personnes.

Aujourd’hui ce récit est de moins en moins vrai, ce qui explique probablement le succès qu’obtient Bernie Sanders.

<1362>

Jeudi 2 mai 2019

« Le 1er mai, la fête du travail, Pétain et le muguet »
Essai de faire le point historique sur les références et les coutumes du 1er mai

Sur la plupart des calendriers, vous voyez écrit à la date du 1er mai : « Fête du travail »

D’ailleurs notre Président de la République a accueilli, hier à l’Elysée, pour a priori fêter le travail, 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs. Le journal « La Croix » nous informe :

« Dans un quartier de l’Elysée bouclé par crainte des “black blocs”, Emmanuel Macron a invité mercredi 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs pour la traditionnelle remise du muguet, autour d’un somptueux buffet.

“Je suis heureux de vous recevoir ici, avec Brigitte, parce que c’est une tradition de remettre le muguet et il est bon, dans les temps où les choses changent, que les traditions qui ont un sens, un symbole, soient tenues. En tout cas, j’y tiens”, a déclaré le président de la République, devant l’assemblée réunie dans la salle des fêtes. »

Et puis il a dit autre chose et que pour que l’écho de ses propos dépasse la salle des fêtes de l’Elysée, il a tweeté la même phrase dite devant les 400 professionnels des métiers de bouche et des fleurs :

« Le #1erMai est la fête de toutes celles et ceux qui aiment le travail, le chérissent, parce qu’ils produisent, parce qu’ils forment, parce qu’ils savent que par le travail nous construisons l’avenir. Merci de porter ces valeurs et d’œuvrer chaque jour pour notre Nation.

— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 1, 2019 »

Ce tweet n’a pas convaincu Libération qui a répondu par un article courroucé : « 1er mai : Macron confond «fête du travail» et «fête des travailleurs» »

Et puis mon fils m’avait raconté que la fête du travail était célébrée au Canada en septembre.

Et enfin, on offre du muguet le 1er mai, ou plutôt certains le vendent et d’autres l’achètent. Je me souviens que lorsque nous habitions à Montreuil, une voisine venait sonner à notre porte, le 1er mai, pour nous vendre un brin de muguet au profit du Parti communiste français. D’où vient cette tradition ? C’est aussi la question que se pose RTL sur son site : «  1er mai : pourquoi s’offre-t-on du muguet pour la Fête du Travail ? »

Bref, il m’a semblé important de faire le point sur ces différentes coutumes, célébrations et de revenir à l’Histoire.

Et l’histoire commence le 1er mai 1886 aux Etats-Unis où des ouvriers réclament la journée de travail de huit heures. A l’appel du syndicat qui avait pour nom : «  l’American Federation of Labor », 350 000 travailleurs débrayent aux États-Unis pour cette revendication de la journée de travail de huit heures. Cette journée va conduire à un évènement que l’Histoire retiendra sous le nom de « Le massacre de Haymarket Square » à Chicago.

Wikipedia nous donne ces informations :

« Tout commence lors du rassemblement du 1er mai 1886 à l’usine McCormick de Chicago. Il s’intégrait dans la revendication pour la journée de huit heures de travail quotidien, pour laquelle une grève générale mobilisant 340 000 travailleurs avait été lancée. August Spies, militant anarchiste, est le dernier à prendre la parole devant la foule des manifestants. Au moment où la foule se disperse, 200 policiers font irruption et chargent les ouvriers. Il y a un mort et une dizaine de blessés. Spies rédige alors dans le journal Arbeiter Zeitung un appel à un rassemblement de protestation contre la violence policière, qui se tient le 4 mai. Ce rassemblement se voulait avant tout pacifiste. Un appel dans le journal The Alarm appelait les travailleurs à venir armés, mais dans un seul but d’autodéfense, pour empêcher des carnages comme il s’en était produit lors de bien d’autres grèves.

Le jour venu, Spies, ainsi que deux autres anarchistes, Albert Parsons et Samuel Fielden, prennent la parole. Le maire de Chicago, Carter Harrison, assiste aussi au rassemblement. Lorsque la manifestation s’achève, Harrison, convaincu que rien ne va se passer, appelle le chef de la police, l’inspecteur John Bonfield, pour qu’il renvoie chez eux les policiers postés à proximité. Il est 10 heures du soir, les manifestants se dispersent, il n’en reste plus que quelques centaines dans Haymarket Square, quand 180 policiers de Chicago chargent la foule encore présente. Quelqu’un jette une bombe sur la masse de policiers, en tuant un sur le coup. Dans le chaos qui en résulte, sept agents sont tués, et les préjudices subis par la foule élevés, la police ayant « tiré pour tuer ». L’événement devait stigmatiser à jamais le mouvement anarchiste comme violent et faire de Chicago un point chaud des luttes sociales de la planète. On soupçonne l’agence de détectives privés Pinkerton de s’être introduite dans le rassemblement pour le perturber, comme elle avait l’habitude de le faire contre les mouvements ouvriers, engagée par les barons de l’industrie.

Après l’attentat, sept hommes sont arrêtés, accusés des meurtres de Haymarket. August Spies, George Engel, Adolph Fischer, Louis Lingg, Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden. Un huitième nom s’ajoute à la liste quand Albert Parsons se livre à la police.

[…]

Le 19 août, tous sont condamnés à mort, à l’exception d’Oscar Neebe qui écope de 15 ans de prison. Un vaste mouvement de protestation international se déclenche. Les peines de mort de Michael Schwab, Oscar Neebe et Samuel Fielden sont commuées en prison à perpétuité (ils seront tous les trois graciés le 26 juin 1893). Louis Lingg se suicide en prison. Quant à August Spies, George Engel, Adolph Fischer et Albert Parsons, ils sont pendus le 11 novembre 1887. Les capitaines d’industrie purent assister à la pendaison par invitation. Ils seront réhabilités par la justice en 1893.

Le gouverneur de l’Illinois John Peter Altgeld déclara que le climat de répression brutale instauré depuis plus d’un an par l’officier John Bonfield était à l’origine de la tragédie :

Alors que certains hommes se résignent à recevoir des coups de matraque et voir leurs frères se faire abattre, il en est d’autres qui se révolteront et nourriront une haine qui les poussera à se venger, et les événements qui ont précédé la tragédie de Haymarket indiquent que la bombe a été lancée par quelqu’un qui, de son propre chef, cherchait simplement à se venger personnellement d’avoir été matraqué, et que le capitaine Bonfield est le véritable responsable de la mort des agents de police. »

L’évènement connut une intense réaction internationale et fit l’objet de manifestation dans la plupart des capitales européennes.

George Bernard Shaw déclara à cette occasion : « Si le monde doit absolument pendre huit de ses habitants, il serait bon qu’il s’agisse des huit juges de la Cour suprême de l’Illinois »

Et en 1889, la deuxième Internationale ouvrière ou Internationale socialiste décide d’adopter le 1er mai comme la journée internationale de revendication des travailleurs.

2 ans plus tard, lors de cette journée de revendication, en France, le 1er mai 1891, à Fourmies (Nord), la troupe tire sur les grévistes. Le bilan est de neuf morts et de 35 blessés. Bien que les forces de l’ordre aient été mises en cause, neuf manifestants furent condamnés pour entrave à la liberté de travail, outrage et violence à agent et rébellion, à des peines de prison de deux à quatre mois fermes. On appellera cet évènement : « la fusillade de Fourmies »

Nous sommes assez loin de la célébration de ceux qui « chérissent le travail » mais plutôt dans la revendication de celles et ceux qui sont exploités et qui réclament des droits pour les travailleurs. Il paraît donc légitime de parler de « la journée internationale des travailleurs. »

Mais alors pourquoi parle t’on de la fête du travail ?

La fête du travail a une autre origine et qui est plutôt nationale. En pratique on a donné, en Europe, ce nom à plusieurs fêtes qui furent instituées à partir du XVIIIe siècle pour célébrer les réalisations des travailleurs. Vous pourrez en savoir davantage derrière ce <Lien>.

Et pour confondre les deux, il a fallu le régime de Vichy et Pétain qui vont fixer la fête du travail qui sera chômée au 1er mai. Rappelons que la devise de ce régime était : « Travail, Famille, Patrie ». Le travail remplace la « Liberté » et la Famille l’« Egalité » de la République.

C’est une Loi d’avril 1941 qui créa la « Fête du travail et de la concorde sociale » le 1er mai.

Et ceci permet de résoudre l’énigme de mon fils, au Canada comme aux Etats-Unis, on ne confond pas ces deux jours et si la journée internationale des travailleurs est bien célébrée le 1er mai, c’est la fête du travail qui a lieu en septembre. Et… seule la seconde est chômée, selon ce que j’ai compris.

Et le muguet du 1er mai ? C’est encore Pétain !

On trouve sur Internet cette affiche d’époque.

Sur la page du site de RTL «  1er mai : pourquoi s’offre-t-on du muguet pour la Fête du Travail ? » on apprend que : un Noble dont on conserve la mémoire en raison de son geste d’avoir offert un brin de muguet au roi de France Charles IX, est à l’origine de cette tradition d’offrir du muguet. Il a pour nom Chevalier Louis de Girard de Maisonforte.

En 1561, Charles IX qui régnera de 1560 à 1574, séduit par cette pratique, officialisera la tradition d’offrir un brin de muguet chaque printemps aux dames de sa cour.

Au printemps pas précisément le 1er mai.

RTL donne la parole à Mathilde Larrere, présentée comme historienne des révolutions et de la citoyenneté :

« L’imposer comme fleur du 1er mai, c’est bien Pétain. »

Le 1er mai des ouvriers, après, la répression sanglante de Fourmies avait fait de l’églantine écarlate, la fleur emblématique du mouvement, en mémoire au sang versé. Elle raconte :

« C’est à ce moment que le 1er mai devient “la Fête du travail et de la concorde sociale” et le maréchal Pétain impose alors le muguet pour remplacer l’églantine “trop prolétarienne, trop rouge, trop révolutionnaire” »

La page citée rappelle que :

« Le muguet n’est pas forcément le meilleur cadeau à offrir au niveau de la santé. En effet, en plus d’être issu d’une tradition vichyste, le muguet peut être toxique.

Le poison se trouve dans la tige et les feuilles, pas dans les fleurs. Le pire, ce sont les petites boules rouges : les fruits du muguet qui viennent après les fleurs. La substance dangereuse s’appelle la convallarine.

Elle ralentit le rythme cardiaque »

En réalité il y a trois toxines dans le muguet :

  • la convallatoxine
  • la convallarine
  • la convallamarine).

Pétain était aussi toxique que le muguet.

Et notre président n’avait pas tort, contrairement à ce que dit « Libération », simplement il ne se référait pas à la journée internationale des travailleurs, mais à la « vraie » Fête du travail, qui est autre chose.

Les références auxquelles on se rapporte disent beaucoup de nos priorités…

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Jeudi 28 février 2019

« Je suis français »
Léon Blum, dans le Populaire du 19 novembre 1938, réponse à toutes les attaques antisémites qui l’accusait d’être contre la France.

Léon Blum né le 9 avril 1872 à Paris et mort le 30 mars 1950 à Jouy-en-Josas, est un homme d’État qui a profondément marqué la Gauche, le socialisme et la France.

Il restera dans l’Histoire comme le chef du gouvernement du front populaire en 1936.

Il commença par écrire des critiques de livres et des pièces de théâtre. Il faisait partie du milieu intellectuel de Paris.

Mais l’affaire Dreyfus le pousse à se lancer en politique et il rencontre Jean Jaurès en 1897 avec qui il va participer à la fondation du journal « L’Humanité » en 1904.

Après la guerre, en 1919 Léon Blum accède au cercle dirigeant de la SFIO.

Il s’illustra lors du fameux congrès de la SFIO de Tours de 1920, ce moment unique où il n’y eut qu’en France, parmi les grands Etats développés qu’il se trouva une majorité de socialistes pour adhérer à la Troisième Internationale , celles des communistes, des bolcheviques, de Lénine. C’est ce qui explique que le journal de Jaurès « L’Humanité » devint communiste, il suivit la majorité.

Blum refusa alors de se plier à la majorité.

Selon des propos relatés par Jean Lacouture dans la biographie consacrée à Léon Blum, celui-ci aurait dit :

« Le bolchevisme s’est détaché du socialisme comme certaines hérésies se sont détachées de religions pour former des religions nouvelles […] C’est parce que le bolchevisme a confondu la prise du pouvoir avec la Révolution, le moyen avec la fin, qu’il oriente toute sa tactique vers cette conquête du pouvoir, sans tenir compte ni du moment, ni des circonstances, ni des conséquences, qu’aujourd’hui encore toute la volonté du gouvernement des Soviets est tendue vers la conservation du pouvoir politique absolu, bien qu’il se sache hors d’état d’en tirer la transformation sociale. »

A la fin du Congrès de Tours, il prononça son discours célèbre dont la conclusion fut :

« Nous sommes convaincus, jusqu’au fond de nous-mêmes, que, pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison. […] Dans cette heure qui, pour nous tous, est une heure d’anxiété tragique, n’ajoutons pas encore cela à notre douleur et à nos craintes. Sachons nous abstenir des mots qui blessent, qui déchirent, des actes qui lèsent, de tout ce qui serait déchirement fratricide. Je vous dis cela parce que c’est sans doute la dernière fois que je m’adresse à beaucoup d’entre vous et parce qu’il faut pourtant que cela soit dit. Les uns et les autres, même séparés, restons des socialistes ; malgré tout, restons des frères qu’aura séparés une querelle cruelle, mais une querelle de famille, et qu’un foyer commun pourra encore réunir. »

Jusqu’à aujourd’hui les deux parties de la famille ne surent se réconcilier. Ils sont en train de disparaître tous les deux, de manière séparée.

Blum fut un grand homme politique, clair, éloquent, humaniste, supérieurement intelligent, visionnaire sur certains points.

Il était juif, le premier chef de gouvernement juif que la France s’est donnée.

Il faut être juste sur ce point, comme sur les autres conquêtes des droits de l’homme, la Grande Bretagne nous a toujours devancé. Le 27 février 1868, soit près de 70 ans avant, un juif devint Premier Ministre à Londres, Benjamin Disraeli.

Blum fut la proie de l’antisémitisme le plus abject : « l’Obs » a consacré un article à cette haine qui lui fut constamment jetée : « A mort le juif ! »

L’Obs raconte d’abord l’agression du 13 février 1936 :

«  Ce 13 février 1936, Léon Blum, alors député SFIO (qui deviendra le Parti socialiste en 1969) sort de la chambre des députés en voiture. Il est bloqué au niveau du croisement de la rue de l’Université et du boulevard Saint-Germain. Un groupe d’étudiants et de militants royalistes sont venus assister aux obsèques de l’historien Jacques Bainville, proche collaborateur de Charles Maurras, ennemi juré de Blum et patron du journal d’ultradroite ” ils bloquent la voiture, tandis que les insultes fusent. « On va le pendre ! » ; « Blum assassin ! »”

La foule – plusieurs centaines de personnes selon la police – commence à s’énerver. Une dizaine d’individus s’acharnent sur le véhicule. Ils tapent avec leurs poings, avec des cannes. Un homme saisit une rampe d’éclairage, tape sur la vitre qui vole en éclat. Blum est blessé. Avec le couple d’amis qui l’accompagnent, il se réfugie en hâte dans un immeuble tandis que la foule continue à gronder : « Achevez-le ! » »

Il rapporte des écrits du journal de Maurras « l’Action française » :

« Ce juif allemand naturalisé ou fils de naturalisé, qui disait aux Français, en pleine chambre, qu’il les haïssait, n’est pas à traiter comme une personne naturelle. C’est un monstre de la République démocratique. Détritus humain, à traiter comme tel. […] C’est un homme à fusiller, mais dans le dos. »

Et quand un journal conservateur « Le Journal » cherche à jouer de la modération, il s’empresse d’ajouter

« Assez de ces incidents. Mais assez aussi de ces provocations. […] Si nous regrettons que le député de Narbonne ait été malmené, nous espérons qu’il comprendra mieux désormais le danger d’un appel à la force brutale pour mater ceux qui pensent autrement que lui. »

Toujours cette accusation que le juif l’a bien cherché.

Quand en Mai 1936 : le Front populaire gagne le second tour des législatives, Charles Maurras écrira :

« Chacun prendra conscience du bon moyen de défendre sa vie du sacrificateur juif : le couteau de cuisine. […]

Le jour de l’invasion, il restera toujours en France quelques bons couteaux de cuisine et Monsieur Blum en sera le ressortissant numéro 1. . […]

Juif d’abord ! C’est en tant que juif qu’il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum. […] Si, par chance, un Etat régulier a pu être substitué au démocratique couteau de cuisine, il conviendra que M. Blum soit guillotiné dans le rite des parricides : un voile noir tendu sur ses traits de chameau. »

Des insultes et toujours ces accusations de ne pas être français.

Léon Blum se résout à répondre, dans son journal, « Le Populaire », le 19 novembre 1938 avec une tribune : « Je suis français »

« Sous la signature d’un homme que je ne veux pas nommer, la feuille infâme reprend avec une assurance effrontée une histoire qui courait déjà depuis longtemps dans la basse presse d’échos et dans les feuilles de chantage. Elle assure que le nom que je porte n’est pas le mien, que je ne suis pas né en France, mais en Bulgarie.

« Cette légende n’a pas encore pris dans le public la même consistance que celle de mes maisons suisses, de mes châteaux français, de mon hôtel parisien, de ma vaisselle plate et de mes laquais en culotte courte. Avec un peu de ténacité et de patience, la feuille infâme en viendra sans doute à bout !”

«  Je suis né à Paris le 9 avril 1872, français, de parents français. Ma maison natale, 151 rue Saint-Denis, existe encore et chacun peut voir en passant la façade étroite et pauvre. […]

“Aussi loin qu’il soit possible de remonter dans l’histoire d’une famille plus que modeste, mon ascendance est purement française. Depuis que les juifs français possèdent un état civil, mes ancêtres paternels ont porté le nom que je porte aujourd’hui.”

Tous ces faits sont aisés à démontrer […] La feuille infâme a entrepris sa campagne sans se soucier un instant d’éclaircir si son accusation était vraie […] Tout cela sera colporté par la médisance ou la haine comme l’histoire de mes châteaux et de mes laquais. Des gens honnêtes et de bonne foi se diront à nouveau ‘Tout de même, il y a forcément quelque chose de vrai. Pas de fumée sans feu’. Et le mensonge aura pris un beau jour. […] Il en sera ainsi jusqu’au jour où la loi permettra enfin de prendre à la gorge la feuille infâme et son pitre obèse […] de les châtier quand ils ont menti ou quand ils ont assassiné. »

Voilà ce qu’était l’antisémitisme d’avant-guerre.

Antisémitisme qui n’était plus possible depuis la shoah. C’est ce que l’on croyait.

La perte de mémoire étant passée par là, les réseaux sociaux ayant libéré la parole, de tels propos sont à nouveau présents dans la société française.

Et c’est tragique…

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Vendredi 9 septembre 2016

«J’irai dormir en Corse»
Michel Rocard

Michel Rocard a écrit deux ans avant sa mort un texte où il exprimait sa volonté d’être enterré en Corse, à Monticello, alors qu’il n’a «pas une goutte de sang corse».

Ce texte a été lu par son fils aîné lors de la cérémonie au temple de l’Etoile, un ami de la famille l’a transmis à Libération qui l’a publié : http://www.liberation.fr/debats/2016/07/17/michel-rocard-j-irai-dormir-en-corse_1466751

«Le temps viendra bientôt, pour moi, comme pour tous, de quitter la compagnie des vivants.

Enfant de la guerre, préservé presque par hasard des souffrances les plus atroces qu’elle a pu engendrer, j’en ai côtoyé le risque d’assez près pour avoir ensuite voulu découvrir, observer, savoir, analyser, comprendre, visiter aussi les lieux d’horreur d’Alsace, d’Allemagne, de Pologne, plus tard d’Algérie ou du Rwanda.

Toute mon adolescence, j’ai rêvé que ma trace soit porteuse de paix.
Je ne pense pas avoir manqué à ce vœu. Certains le savent encore en Algérie, tous en Nouvelle-Calédonie, je fus un combattant de la paix.
N’était la violence des hommes, la nature étant si belle, la vie aurait toutes ses chances d’être merveilleuse si nous savions y créer l’harmonie. Ce fut l’effort de mon parcours.

Reste un rêve un peu fou, encore un : que ma dernière décision, l’ultime signal, le choix du lieu où reposer, soit pour tous ceux qui m’ont aimé, ou même seulement respecté, une évidente, une vigoureuse confirmation.
Après tout, le déroulement de la vie elle-même a son rôle à jouer dans ce choix final.

Sylvie, ma dernière épouse, m’a fait, le temps de ce qui nous restait de jeunesse, redécouvrir l’amour, puis surtout rencontrer sérénité, tranquillité, confiance, le bonheur tout simplement.
A son père adoptif corse, elle doit le sauvetage de son statut social, mais pas l’affection.
Elle lui doit pourtant un lieu, celui de ses joies d’enfant, de ses premières et longues amitiés, de l’exubérance de la nature, de sa beauté et de ses odeurs, au fond le lieu de son seul vrai enracinement.

C’est un village, Monticello en Balagne.

Je n’ai pas une goutte de sang corse, et n’avais jamais mis les pieds sur l’île avant 1968.
Le mois de mai de cette année-là avait échauffé les esprits.
Je ressentis puissamment le besoin de rassembler pour une bonne semaine, la quarantaine la plus active d’étudiants et de cadres du PSU. La mutuelle étudiante rendit cela possible en Corse.
«De la violence en politique et dans l’histoire, pourquoi ? Jusqu’où ?».
Tous les jours exposés, découvertes de textes, réflexions, discussions… Tous les soirs et le dimanche, pour moi, découverte de cette merveille du monde, la Corse, qu’habitaient deux bonnes centaines de militants PSU… Paysans, historiens, chercheurs, animateurs du nationalisme non violent prirent à cœur d’être mes instructeurs.
Je découvris la violence de l’histoire corse, ne l’oubliai plus, j’appris surtout à la connaître et à la respecter. J’en parlai beaucoup, j’écrivis même.

Mais je m’occupais d’autre chose, longtemps d’Europe notamment sur la fin.Vint cette situation bizarre où la régionalisation des élections européennes, combinée avec les manœuvres internes au PS firent de moi la «tête de liste» socialiste pour les élections européennes de 2004 en Corse… J’avais sur ma propre tête 22 campagnes électorales de toutes dimensions de la France entière à ma commune.

La Corse m’honora de 28 %. C’est le record absolu de toute ma vie sur trente-cinq ans. C’est aussi le record régional du PS à ces élections-là. C’est enfin le record historique de la gauche sur l’île.

Et puis Monticello : 37,2 % tout de même.

L’occasion ne m’avait jamais été donnée de remercier.

Ce sera fait. A Monticello, le cimetière est plein. Ne restait dans la partie haute, au-delà des caveaux, qu’une microparcelle trop petite pour une tombe, suffisante pour deux urnes, au ras de la falaise.

Arbres et tombeaux, tout est derrière nous. L’un des plus beaux paysages du monde. Et puis bien sûr, qui dit cimetière dit réconciliation… Le grand Pierre Soulages s’est chargé de pourvoir à ce que les objets à placer là, une urne puis deux, un support, une plaque puis deux, magnifient la beauté du lieu plutôt que de la déparer.

A l’occasion, venez nous voir, me voir : il faut garder les liens. Peut-être entendrez-vous les grillons, sans doute écouterez-vous le silence… A coup sûr la majesté et la beauté de l’endroit vous saisiront. Quel autre message laisser que de vous y convier.»

<Ici vous verrez une interview de sa compagne Sylvie qui raconte cette histoire du dernier repos>

Qui disait que Michel Rocard était compliqué à comprendre ?

Il allait toujours à l’essentiel, bien sûr il acceptait la complexité du monde ce qui signifie pour un politique de tourner le dos à la démagogie.

Il y a aussi dans ces propos sur sa finitude toute son humanité.

Ces paroles simples et émouvantes sont la meilleure conclusion à la cérémonie de l’Adieu d’un homme de qualité et de sincérité.

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Jeudi 7 mai 2015

Jeudi 7 mai 2015
« Le droit à la paresse »
Paul Lafargue (1842-1911)

Ce 7 mai je suis en congé et normalement dans ce cas je n’écris pas de mot du jour.

Mais je fais une exception pour célébrer ce beau mois de mai où la France magnifie le droit à la paresse grâce à tous ces jours de congé, ces ponts, ces viaducs, inimaginables dans un autre pays du monde. Le monde entier se moque de ces français paresseux, même si l’envie et la jalousie ne sont pas loin.

Mais pour comprendre, il faut se rappeler que c’est un français, Paul Lafargue, qui a écrit en 1880 « Le droit à la paresse »

Wikipedia écrit que c’est « un manifeste social qui centre son propos sur la « valeur travail » et l’idée que les hommes s’en font.»

Dans cet ouvrage Paul Lafargue écrit :

« Pour qu’il parvienne à la conscience de sa force, il faut que le prolétariat foule aux pieds les préjugés de la morale chrétienne, économique, libre penseuse ; il faut qu’il retourne à ses instincts naturels, qu’il proclame les Droits de la Paresse, mille et mille fois plus sacrés que les phtisiques Droits de l’Homme concoctés par les avocats métaphysiques de la révolution bourgeoise ; qu’il se contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit. »

Paul Lafargue est un socialiste français né à Santiago de Cuba, le 15 janvier 1842. C’est son essai Le Droit à la paresse qui a surtout assuré sa notoriété

En 1865, il vient présenter l’état du mouvement socialiste français au conseil général de l’Association internationale des travailleurs à Londres. Il rencontre Friedrich Engels et Karl Marx (en février 1865), dont il épouse la seconde fille, Laura Marx, en avril 1868. Après son exclusion de l’université en France, il retourne à Londres finir ses études. Il fut élu au conseil général de l’Internationale et fréquenta régulièrement les Marx.

Il rentre alors en France où il devient membre de la Première Internationale. Il participe à la Commune de Paris en 1871.

Il fuit la France pour l’Espagne afin d’éviter d’être arrêté.

Il fonde, à Madrid, une section marxiste (1871) de la première Internationale. Il y dirige des groupes ouvriers et combat les thèses anarchistes. Après s’être rendu au Portugal, Lafargue revient à Londres où il rencontre Jules Guesde. Il rentre en France après l’amnistie et fonde, avec Guesde, le Parti ouvrier (1880) et son périodique, Le Socialiste (1885-1904).

Il est incarcéré en 1883 à la prison Sainte-Pélagie pour propagande révolutionnaire, où il rédige le Droit à la paresse.

Gallica a mis en ligne l’intégralité de l’ouvrage : <Le droit à la paresse : réfutation du droit au travail, de 1848 / par Paul Lafargue>

Ouvrage qui commence par cette introduction :

« M. Thiers, dans le sein de la Commission sur l’instruction primaire de 1849, disait: «Je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé, parce que je compte sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici-bas pour souffrir et non cette autre philosophie qui dit au contraire à l’homme: “Jouis”.» M. Thiers formulait la morale de la classe bourgeoise dont il incarna l’égoïsme féroce et l’intelligence étroite.

La bourgeoisie, alors qu’elle luttait contre la noblesse, soutenue par le clergé, arbora le libre examen et l’athéisme; mais, triomphante, elle changea de ton et d’allure; et, aujourd’hui, elle entend étayer de la religion sa suprématie économique et politique. Aux XVe et XVIe siècles, elle avait allègrement repris la tradition païenne et glorifiait la chair et ses passions, réprouvées par le christianisme ; de nos jours, gorgée de biens et de jouissances, elle renie les enseignements de ses penseurs, les Rabelais, les Diderot, et prêche l’abstinence aux salariés. La morale capitaliste, piteuse parodie de la morale chrétienne, frappe d’anathème la chair du travailleur; elle prend pour idéal de réduire le producteur au plus petit minimum de besoins, de supprimer ses joies et ses passions et de le condamner au rôle de machine délivrant du travail sans trêve ni merci. »

À partir de 1906, il rédige régulièrement des éditoriaux pour l’Humanité.

À 69 ans, en 1911, proche de la limite d’âge de 70 ans qu’il s’était fixé, il se suicide à Draveil avec sa femme Laura Marx, en se justifiant dans une courte lettre : « Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles ne paralyse mon énergie, ne brise ma volonté et ne fasse de moi une charge à moi et aux autres. »

Paul Lafargue et Laura Marx sont enterrés au cimetière du Père-Lachaise (division 76), face au mur des fédérés.

« Libération » prétend qu’il faut relire le droit à la paresse <d’urgence>

Moustaki a chanté une chanson lui rendant hommage : <Georges Moustaki – Le droit à la paresse>

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