Mardi 25 septembre 2018

« Nous n’étions que des enfants »
Rachel Jedinak

La semaine dernière la cinéaste Marceline Loridan-Ivens, camarade de déportation de Simone Veil pendant la Seconde guerre mondiale dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, est morte à 90 ans.

Il y a un an c’était le tour de Simone Veil.

Il n’y a plus beaucoup de survivants de cette époque sombre et terrible de l’humanité.

Rachel Jedinak est l’une d’entre elle, elle est une des rescapées de la rafle de la Vel d’Hiv.

Elle vient d’écrire un livre publié le 19 septembre 2018 : « Nous n’étions que des enfants ». Elle était invitée sur France Inter le jeudi 20 septembre 2018.

Elle raconte sa vie de petite fille juive, dans le Paris en guerre.

A la question pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour raconter votre histoire ?

Elle répond :

« En fait, après la guerre on ne nous a pas laissé parler.
On parlait de la France résistante !

Il m’est arrivé, je le dis dans le livre, d’essayer de parler de cela. On me répondait tais-toi on ne parle plus de cela, on parle de l’avenir.
J’ai entendu aussi, tu as eu de la chance d’être resté en vie. Alors tais-toi.

On ne parlait que de la France résistante.
Pendant cinquante ans, nous nous sommes tus.»

Lors des mots consacrés à Simone Veil j’avais déjà abordé ce sujet des mémoires. C’était le mot du 6 septembre 2017 dans lequel je citais Simone Veil :

« Si nous n’avons pas parlé c’est parce que l’on n’a pas voulu nous entendre, pas voulu nous écouter»

Dans cet article je décrivais les différents types de mémoire à la sortie de la guerre et j’opposais notamment la mémoire triomphante des résistants à la mémoire blessée des déportés.

Rachel Jedinak considère que la véritable rupture de l’« omerta » se situe au moment de la reconnaissance par le Président Chirac de la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv.

« Lorsque Jacques Chirac, en 1995, a reconnu la responsabilité du régime de Pétain, de la France d’alors, les vannes se sont ouvertes et nous avons enfin pu nous exprimer, parler. Cela a mis du temps. »

En 1939, elle vivait une vie heureuse d’une enfant de Ménilmontant qui grandit, entouré d’amour par ses parents, dans une famille juive polonaise. Rachel Jedinak est née Rachel Psankiewicz. en 1934.

« Je vivais dans le quartier de Ménilmontant où vivait également des républicains espagnols, des italiens qui avaient fui le régime de Mussolini. Il y avait donc un melting pot d’enfants. Nous jouions ensemble, beaucoup dans la rue, parce qu’il y avait très peu de voitures à l’époque. »

En 1940, Pétain signe l’armistice avec Hitler, et la traque des juifs commence. Rachel Jedinak raconte des enfants qui ne veulent plus jouer avec elle, parce qu’elle est juive. Et l’étoile jaune qu’il faut porter, cela va valoir une scène avec sa mère qui est en train de coudre l’étoile jaune sur la robe de petite fille. Elle arrache la robe et l’étoile et dit : « je ne veux pas porter ça ! »

Et sa mère la gronde et lui dit : « C’est comme ça, je vais la porter, ta sœur va la porter et tu vas la porter ».

« Je garde l’image, parce que cela a été un moment difficile pour moi.
J’ai pu échanger, assez récemment avec des gens qui étaient plus âgés que moi.
Les adolescents bravaient cela.
Moi j’avais 8 ans et c’était très difficile de la porter.
Je garde de cela une honte non pas d’être juive, mais d’être juive avant toutes les autres choses que j’étais.»

Elle manifestait pourtant son hostilité, elle refusait de chanter l’hymne à Pétain que les écoliers devaient chanter en commençant la classe : « Maréchal nous voilà ». Et sa maîtresse lui permettait de ne pas le chanter.

« J’ai eu des maîtresses formidables qui nous ont materné, qui nous ont aidé. »

En juillet 1942, c’est la rafle du Vel d’Hiv. Elle est emmenée avec sa sœur et sa mère, parquées dans une cour dans un immeuble appelé « La Bellevilloise » qui est aujourd’hui un lieu festif où on joue du rock. Sa mère apprend qu’il y a une sortie de secours, alors elle ordonne à ses deux filles de s’enfuir. Mais Rachel refuse, elle s’accroche à la jupe de sa mère. La mère lui donne alors une gifle la première et la dernière qu’elle lui aura jamais donné. Cette gifle va lui sauver la vie. Sidérée elle obéit et s’enfuit avec sa sœur.

« Cette gifle m’a sauvé la vie, je ne l’ai réalisé que plus tard. »

Elle raconte les conditions dans lesquelles tout cela s’est passé, dans le petit matin, avec une chaleur insoutenable notamment parce que tous ces nombreux parents et enfants étaient serrés les uns contre autres, les petits réveillés dans la nuit criaient dans les bras de leurs mères. Personnes ne savaient ce qui allaient se passer, les enfants étaient angoissés, avaient peur. Quitter leur mère était un déchirement d’une violence inouïe.

Ni la mère, ni le père ne reviendront des camps.

Le récit de cette journée se trouve aussi sur cette « page ».

Rachel Jedinak est la présidente du « Comité « Ecole de la rue Tlemcen » », l’association pour la Mémoire des Enfants Juifs Déportés du XXe arrondissement de Paris.

<Ici vous verrez une video où elle raconte son histoire>

Ce n’était que des enfants.

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Mardi 30 janvier 2018

« Un environnement de terrorisme sexuel »
Natalie Portman

Si en France, le ralliement des femmes contre le comportement des hommes s’est fait autour du hashtag  « balance ton porc », les américains utilisent « #Metoo » c’est-à-dire « moi aussi ».

Ce mouvement s’est étendu en Chine. C’est la revue de presse assurée par Claude Askolovitch sur France Inter qui renvoie vers un article du Monde :

C’est à lire dans LE MONDE, « Les universités chinoises gagnées par le hashtag metoo ». En chinois, ça donne « wo ye shi » et si, dans un tout premier temps, les témoignages se sont faits rares, ils se multiplient désormais sur les réseaux sociaux chinois. Il s’agit donc d’étudiantes, des jeunes filles qui ont le courage de parler, et qui racontent les agressions sexuelles et les viols qu’elles ont subis au sein de leurs établissements. Ce sont, pour l’essentiel, des professeurs qu’elles accusent.
Une soixantaine d’universités serait concernée. Et certains estiment qu’on assiste ici à l’émergence d’un important mouvement féministe, le plus grand que la Chine n’ait jamais connu…

Mais c’est à un évènement des Etats-Unis que je voudrais revenir.

Le 21 Janvier 2017, quelques heures après l’investiture de Donald Trump, des centaines de milliers de manifestants ont défilé dans les rues du monde entier. A New York, Washington, Los Angeles, Portland, Chicago, etc ces manifestants voulaient protester contre les propos et l’attitude sexiste de Trump. On a appelé cela <la Marche des femmes>.

Il semblerait que cette manifestation devienne un évènement annuel. En effet, il y eut une nouvelle « women march » le samedi 20 janvier 2018, portée par le mouvement #Metoo. La plus importante manifestation a eu lieu à Los Angeles, deuxième ville du pays, avec quelque 600 000 manifestants, a tweeté le maire démocrate Eric Garcetti.

Plusieurs personnes ont pris la parole et le discours qui a suscité le plus d’intérêt fut celui de Natalie Portman.

Peut-être qu’il faut rappeler que Natalie Portman, née en 1981 à Jérusalem, est une actrice israélo-américaine. Wikipedia nous apprend qu’elle est née Natalie Hershlag. Elle est devenue très célèbre en interprétant, dans la saga de Star Wars, le rôle de la reine Padmé Amidala. Mais elle fait ses débuts au cinéma en 1993, à douze ans, en interprétant le rôle de Mathilda dans le film Léon de Luc Besson, aux côtés de Jean Reno.

L’introduction de son discours est consacrée aux conséquences pour elle de ce film.

La vidéo du discours de Natalie Portman se trouve derrière ce lien : <Discours de Natalie Portman Woman march>

Et voici le début de ce discours :

« J’ai eu 12 ans sur le plateau de mon premier film Léon […] Je découvrais moi aussi ma propre féminité, mes propres désirs et ma propre voix.
J’étais tellement enthousiaste à 13 ans quand le film est sorti, que mon travail et ma performance artistique touche le public.

J’ai ouvert avec enthousiasme ma première lettre de fan : un homme m’écrivait qu’il rêvait de me violer.
Une radio locale a organisé un décompte des jours jusqu’à mon 18e anniversaire, date à laquelle ça deviendrait légal de coucher avec moi.
Les critiques de cinéma faisaient référence à ma poitrine naissante. J’ai rapidement compris, même à l’âge de 13 ans, que si je m’exprimais sexuellement, je ne me sentirais pas en sécurité et que les hommes se sentiraient autorisés à discuter et considérer mon corps comme un objet, quitte à me rendre mal à l’aise […]

J’ai rejeté tous les rôles où il y avait ne serait-ce qu’une scène de baiser. Je faisais exprès de parler de ces choix dans les interviews, je mettais surtout en valeur mon côté sérieux. Je faisais attention à être élégante, je me construisais la réputation d’être quelqu’un de prude, conservatrice, cultivée, geek, sérieuse […]

Face à ces petits commentaires sur mon corps, face à des déclarations délibérées et menaçantes, je me suis imposée de contrôler mon comportement dans un environnement de terrorisme sexuel »,

Elle conceptualise le message que lui a envoyé le monde du réel à l’enfant de 13 ans qu’elle était :

« A seulement 13 ans, la société m’envoyait un message clair. J’ai ressenti le besoin de cacher mon corps et d’inhiber mes propos et mon travail. Tout ceci dans le but d’envoyer mon propre message au monde : que j’étais quelqu’un qui méritait la sécurité et le respect ».

Je trouve le terme de « terrorisme » particulièrement bien choisie. Le terrorisme a pour objet de créer un climat de terreur, de peur qui paralyse.

Dans beaucoup de témoignages, on ne comprend pas certaines réactions de femmes qui justement sont tétanisées par leur prédateur sexuel, non seulement en raison de ce monstre mais aussi d’un environnement qui tolère cela et qui quelque part ne dit pas : « Ceci est anormal ».

Brigitte Bardot qui fut un temps l’égérie de la liberté sexuelle des femmes critique la dénonciation du harcèlement sexuel dans le monde du cinéma français :

« Concernant les actrices, et pas les femmes en général, c’est, dans la grande majorité des cas, hypocrite, ridicule, sans intérêt. […] Il y a beaucoup d’actrices qui font les allumeuses avec les producteurs pour décrocher un rôle. Ensuite, pour qu’on parle d’elles, elles viennent raconter qu’elles ont été harcelées…  »

Peut-être que certains d’entre vous approuvent ces propos
Peut-être même est-ce vrai dans certains cas.

Mais alors je vous pose la question : « Qui assume la responsabilité la plus importante ? la jeune fille qui aspire à devenir actrice ou l’homme de pouvoir installé qui profite de sa position dominante, de faire ou défaire des carrières et qui s’inscrit dans un environnement où seul le désir masculin compte et que la femme n’est qu’objet qui participe à cette recherche du plaisir égoïste.

Vous comprendrez que mon opinion n’est pas de condamner les jeunes actrices qui ne disposent pas du réseau ou des intermédiaires d’influence pour accéder à l’accomplissement de leur objectif artistique mais de m’élever contre les mâles dominants qui profitent, abusent, salissent.

Ce que j’aime chez Chimamanda Ngozi Adichie, cité vendredi et Natalie Portman c’est leur discours sur le désir et le plaisir partagé.

Natalie Portman, dans le discours du 20 janvier 2018, s’insurge contre les critiques qui voudraient enfermer la parole des femmes dans le puritanisme, la pruderie, alors que la demande est simplement celui d’un désir partagé, d’un plaisir réciproque, d’une écoute de l’un envers l’autre.

Elle rêve d’un monde

« dans lequel je pourrais m’habiller comme je le veux, dire ce que je veux et exprimer mes désirs de la façon dont je le souhaite, sans craindre pour ma sécurité physique ou ma réputation : voilà ce que serait le monde dans lequel le désir des femmes et leur sexualité pourraient s’exprimer pleinement”,

C’est donc à « une révolution du désir » qu’appelle Natalie Portman comme le fait aussi Chimamanda Ngozi Adichie.

Car tous ceux qui veulent couvrir que ce soit les extrémistes islamiques dans la démesure, que ce soit les bourgeois occidentaux dans ce qu’ils appellent la décence et qui disent « elle l’a bien cherchée » sont prisonniers d’un schéma où le désir masculin est premier et souvent excusable.

Alors qu’« un homme ça s’empêche ou alors ce n’est pas un homme ».

Mais un monde où le désir est réciproque, partagé et consenti est un monde où la civilisation a beaucoup progressé.

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Jeudi 25 janvier 2018

« Le premier porc »
La journaliste Sandra Muller désignant ainsi Eric Brion pour inaugurer un hashtag qui va avoir une énorme résonance sur les réseaux sociaux.

Le 13 octobre 2017, j’avais poussé l’égocentrisme jusqu’à écrire comme mot du jour « un anniversaire » et à disserter sur cet évènement annuel le jour de mes 59 ans. Mais mon mot du jour n’enflamma pas les réseaux sociaux.

En revanche, le 13 octobre 2017 fut le jour de naissance du hashtag  « balance ton porc », ce qui s’écrit sur les réseaux sociaux de la manière suivante « #balancetonporc » qui lui parvint à cette fin.

C’est la journaliste Sandra Muller qui l’a créé sur twitter. Avec #balancetonporc, elle souhaitait encourager les femmes victimes de harcèlement sexuel à dénoncer leur agresseur.

Mais pour inaugurer ce nouveau concept, il fallait qu’elle en désigne un.

Et c’est ainsi qu’il y eut un premier porc sur les réseaux français.

L’hebdomadaire « Le Point » s’est intéressé à ce « phacochère domestique » et a publié un article « L’édifiante histoire du premier « porc » »

En effet, ce premier porc possède un nom social et patronymique : « Brion » et un prénom « Eric »

Je vous propose dans ce mot du jour de vous intéresser à ce porc et même, peut être, avoir de la compassion pour lui.

Nous sommes donc le 13 octobre et tous les médias parlent de l’affaire Weinstein et de ses suites.

On parle de la libération de la parole des femmes et des comportements inacceptables des hommes à l’égard des femmes, dans tous les milieux sociaux et professionnels.

Beaucoup disent, à juste titre, qu’il faut que ça cesse !

Dans ce contexte, la journaliste Sandra Muller prend une initiative sur twitter :

  • Elle invente le hashtag  « balance ton porc »
  • Désigne son porc : Eric Brion
  • Et raconte ce que ce porc a fait : il lui a dit un soir, alors qu’il était éméché : « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. ». Ce qui n’est ni élégant, ni fin, ni malin, ni bienveillant, ni rien …seulement très vulgaire.
  • Puis toujours avec ce hashtag « #balancetonporc  » elle invite celles qui la lise de faire de même : « toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends »

Cette invitation aura un grand succès, la parole sera libérée, totalement libre, follement libre.

Le mot du jour du 17 novembre 2017 aura pour exergue : « C’est l’époque qui veut ça. ». Cette Réflexion est la réponse d’une journaliste qui avait réclamé avec insistance à Nicolas Bedos de lui donner le nom d’un homme ayant dérapé un jour avec une femme, devant le refus et même l’agacement de ce dernier.

Le porc en question, le 13 octobre, est en train d’accrocher guirlandes et ballons pour l’anniversaire de sa fille cadette quand un ami lui signale le tweet. Le Point raconte alors :

« Tout à son joyeux événement familial, Brion ne prête au départ à l’affaire qu’une attention distraite… Puis, les heures passant, il découvre peu à peu, abasourdi, les innombrables reprises sur Twitter, sur Facebook, les insultes qui commencent à pleuvoir et il mesure enfin, avec effroi, la force inouïe de l’emballement viral. La machine est en route, impossible à stopper. Il contacte Sandra Muller, sans succès. Peine à se souvenir de la date exacte du cocktail cannois durant lequel, ivre, il lui tint ces propos. « Je sais seulement que nous avions ensuite échangé sur Messenger et que, désolé, je lui avais présenté mes excuses », dit-il dans le café où il a accepté, après mille réticences, de nous rencontrer, exigeant que la conversation soit enregistrée. « Cela va sans doute passer, mais je suis pour le moment dans un état de grande paranoïa. Je ne veux pas que mes phrases soient détournées, transformées. »

Et le Point décrit le déchainement contre cet homme qui un jour, ivre, a été grossier et stupide. Il lui donne la parole :

« Durant ces quelques semaines où cette affaire a tourné en boucle partout, seuls deux médias ont pris la peine de m’appeler pour avoir ma version des faits. Il était pourtant facile de vérifier certaines informations, comme le fait que je n’avais jamais travaillé avec Sandra Muller. Certains ont été prudents, mais beaucoup ont donné mon nom ou m’ont désigné par mes anciennes fonctions, ce qui me rend aisément reconnaissable. Quoi que je fasse, la « tache » est là, donc… » Des photos de lui grimé en porc circulent, Éric Brion voit commenter son physique ou ses capacités sexuelles dans des tweets ou des posts Facebook qui n’ont pas grand-chose à envier, sur l’échelle de la vulgarité, à ses propres propos. ll s’astreint, malgré la colère, à ne pas répondre, à ne pas entrer dans la mêlée délirante des réseaux sociaux, et ne publie qu’un droit de réponse, le 16 novembre, dans L’Obs, qui l’avait à tort désigné un mois plus tôt comme l’« ancien patron » de Sandra Muller. « De toute façon, quoi que je dise, cela allait se retourner contre moi. Et, pour ma famille, je ne voulais pas m’exposer plus encore. »

À poil devant le monde entier, devant ses proches, surtout, qui ont brutalement accès à cette part de lui-même, sa sexualité, qu’on ne dévoile évidemment jamais en famille, il n’ose bouger de peur de focaliser à nouveau l’attention sur lui et assiste impuissant à son lynchage virtuel. Il est nu devant sa sœur. Ses vieux parents. Ses deux filles, qu’il tente comme il peut de préserver de cette violence symbolique terrible que peut constituer l’exposition aux détails d’une sexualité paternelle. « J’ai tout de suite pensé à ses filles, dit son amie la productrice Alexia Laroche-Joubert. Je connais suffisamment de cas autour de moi pour savoir que le harcèlement sexuel est une réalité et pour approuver que la parole des femmes se libère. Mais pas comme ça. Les propos d’Éric sont d’une incroyable goujaterie, mais Sandra Muller et lui n’avaient aucun lien de dépendance professionnelle. Et puis, dans un tribunal, on peut se défendre, mais Twitter, ce sont des armées invisibles contre lesquelles on ne peut rien. »

Cette campagne contre lui va avoir des conséquences immédiates :

« À l’automne 2017, après une carrière à France Télévisions puis au PMU et à la tête de la chaîne Equidia, Éric Brion était consultant indépendant pour plusieurs médias, en même temps qu’en recherche d’emploi. À partir du 13 octobre, une à une, les trois missions qu’il menait ont été annulées ou non reconduites : il n’a plus de travail. Il était membre d’un jury : son nom en a été radié. Peu à peu, tous les rendez-vous programmés dans le cadre de sa recherche d’emploi ont été, les uns après les autres, annulés ou reportés sous divers prétextes. Il a 51 ans et son agenda est vide. Il dort mal. Ne sait plus comment envisager son avenir professionnel. Se mord les lèvres en évoquant la manière dont ses vieux parents ont été touchés par cette affaire. « Je suis bien entouré, j’ai eu la chance de pouvoir partir à l’étranger pour prendre du recul, mais songe-t-on à l’effet que peut produire ce genre de déferlement sur une personnalité fragile ? Je me suis beaucoup interrogé sur moi. »

Le journaliste du Point précise deux éléments, essentiels :

  • Éric Brion n’a jamais travaillé avec Sandra Muller, ce qui rend le rapprochement de ses propos avec l’affaire Weinstein littéralement hors sujet.
  • Et il n’a pas réitéré ses avances, stoppant net aussitôt que Sandra Muller lui signifia son refus, contexte qu’elle-même ne nie pas et qui rend là encore l’idée d’un « harcèlement » sujet à caution. Pourtant, sur les sites d’information de la plupart des grands médias qui reprennent le tweet, ces précisions utiles sont passées à la trappe. « Cela fait vingt-cinq ans que je travaille dans les médias mais je ne suis pas journaliste, et loin de moi l’idée de donner des leçons d’éthique journalistique ni surtout de me faire passer pour une victime. Mais j’ai tout de même été surpris…

Sandra Muller a été adoubée « silent breaker » (briseuse de silence) par Time en décembre, reçue par la ministre Marlène Schiappa, Sandra Muller, dont le mouvement a pris une ampleur considérable et qui est en train de déposer les statuts d’une association d’aide aux victimes, justifie a posteriori le fait d’avoir donné le nom d’Éric Brion par le nombre de témoignages similaires le concernant reçus par la suite.

« Si je ne l’avais pas fait, personne n’aurait osé le signaler, s’emporte-t-elle. J’ai levé un lièvre. »

Lever un lièvre, c’est un terme de chasse, non de justice.

Un combat peut être juste et pourtant se pervertir dans des batailles incertaines et nauséabondes qui le salissent tout en faisant de grands dégâts et en semant, à la fin, l’injustice.

Un des livres de chevet d’Eric Brion est « La tâche » de Philip Roth dont Marc, dans un message privé, m’a dit le plus grand bien après le mot du jour qui évoquait ce grand auteur américain.

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Lundi 11 décembre 2017

« Nos parents sont d’un naturel vraiment très optimistes.
Ils nous ont montré que les rêves pouvaient se réaliser,
et que ça valait le coup de tout donner pour les vivre. »
Alice Calvet en parlant des réussites de son frère François Gabart

La course en mer constitue une activité très éloignée de mes centres d’intérêt.

Toutefois, j’ai entendu parler de François Gabart à la revue de presse de France Inter de ce dimanche du 10 décembre et j’en tire une réflexion très féconde sur la confiance et la réussite.

Avant ce dimanche, je ne savais rien de François Gabart, qui est pourtant quelqu’un de très connu, je l’ai compris depuis, dans le sport et notamment dans la voile.

Il a 34 ans, il est charentais et dans son domaine il réussit tout ce qu’il entreprend. En ce moment il fait un tour du monde en solitaire.

Ce <Site> nous apprend que ce dimanche il a franchi l’équateur et qu’il est très en avance par rapport au record du monde qu’il entend battre.

Voici ce qu’en disait la revue de Presse de France Inter évoquée ci-dessus :

« Jusqu’ici, tout réussit à ce surdoué. » Phrase à lire dans LE JDD… Alors, qui donc est ce « surdoué » qui réussit à transformer tout ce qu’il touche « en or »  ? Eh bien c’est un navigateur de 34 ans, le Charentais François Gabart, qui, depuis plusieurs années, remporte toutes les courses auxquelles il participe : le Vendée Globe, la Route du Rhum, la Transat Jacques-Vabre, la Transat anglaise… Et il est actuellement en passe de battre le record du tour du monde en solitaire… Un record détenu par Thomas Coville – c’était il y a exactement un an, il l’on imaginait alors qu’il serait ancré pour longtemps, ce record… Thomas Coville avait mis un petit peu plus de 49 jours… Le tour du monde en 49 jours.

Or s’il poursuit au rythme auquel il s’est lancé, au tout début du mois dernier, François Gabart pourrait donc bien terminer son périple avec quatre à six jours d’avance… Il le raconte, son périple, dans LE JOURNAL DU DIMANCHE… La lutte contre la fatigue et le manque de sommeil, la peur et les souffrances physiques : « En baver, c’est ce que je recherche… Tout donner et puis terminer sur la ligne d’arrivée à bout de force. » Mais, dans LE PARISIEN, qui le présente comme « le petit Mozart de la voile », il dit aussi ses émotions : des instants où les larmes peuvent lui monter aux yeux… Un coucher de soleil ou quand la mer est belle… Des sensations très fortes, quatre ou cinq fois par jours. Et puis, ce qu’il aime surtout, c’est la vitesse… Tant pis si, par moments, par gros temps, des eaux agitées, il risque de casser son bateau… Il prend le risque, il aime le risque, parce qu’il a confiance… Une confiance qui, si l’on en croit sa sœur Alice, lui vient de son enfance – déjà, à l’époque, il se rêvait skippeur. « Nos parents, confie-t-elle, sont d’un naturel vraiment très optimistes. Ils nous ont montré que les rêves pouvaient se réaliser, et que ça valait le coup de tout donner pour les vivre. »

Comme une leçon de vie.

Confiance et optimisme… sur un trimaran. »

Je retiens de tout cela que la force qui anime ce jeune homme vient de la confiance et de l’optimisme que lui ont insufflés ses parents.

Cela n’enlève rien à ses mérites et certainement à une grande part de travail, d’entrainement et de volonté.

Mais au départ il y a la confiance.

La confiance qu’on possède, la confiance qu’on donne, la confiance qu’on reçoit.

J’ai trouvé aussi cette vidéo : <Alice parle de son frère et de son tour du monde>

Un des premiers mots du jour citait Eleanor Roosevelt, épouse du Président Franklin D. Roosevelt «L’avenir appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves. »

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Jeudi 7 décembre 2017

« Les pandas n’ont pas un mauvais fond, c’est encore pire : ils n’ont pas de fond du tout. »
David Plotz

Déjà nos vacances avaient été occupées par les médias qui nous racontaient par le détail la naissance d’un bébé panda au zoo de Beauval.

Voilà qu’il y a deux jours, nous avons eu droit à un nouvel épisode où l’épouse de notre Président de la République, Brigitte Macron, est allée solennellement baptiser le bébé panda du zoo de Beauval prêté par la Chine.

Si vous voulez en savoir davantage, il faut lire cet article <du Figaro> qui décrit cette visite avec précision et montre même la rencontre entre Madame Macron et le panda Yuan Meng, en français «la réalisation d’un rêve» en vidéo. Vous verrez ainsi Brigitte Macron un peu décontenancé par l’agressivité de ce petit animal si mignon. Elle était accompagnée et encouragée par Jean-Pierre Raffarin.

Le panda !

Est-ce vraiment un animal si mignon ? Gentil ? Bref la version vivante de la peluche, le doudou de notre enfance ?

<A la naissance de Yuan Meng, Slate avait publié une ancienne tribune> parue en 1999 dans laquelle David Plotz, journaliste puis rédacteur en chef de Slate.com, avait commis une nécrologie de Hsing-Hsing, panda géant offert aux États-Unis par le gouvernement chinois.

Je livre ce témoignage :

« Hsing-Hsing et moi, nous avons grandi ensemble. Je suis arrivé à Washington fin 1970, j’étais un bébé de six mois. Il a fait son entrée au Parc zoologique national un an plus tard. Enfant, avec ma famille, j’ai rendu visite à Hsing-Hsing et Ling-Ling, sa compagne de cellule, plus souvent qu’à mon tour. Ces six dernières années, j’ai été son voisin et une semaine s’est rarement écoulée sans que j’aille courir ou me promener dans les environs du zoo. D’ourson, j’ai vu Hsing-Hsing mûrir et devenir un panda géant et j’ai suivi, avec toute l’attention du monde, ses tribulations reproductives avec Ling-Ling.

Je connaissais ce panda. C’est donc du fond de mon cœur que je peux dire: bon débarras, sale demi-ours.

Ce qui fait de moi un cas isolé. D’ordinaire, Hsing-Hsing et Ling-Ling, morte en 1992, étaient du genre à faire hurler d’amour. Au moment de sa disparition, Hsing-Hsing était l’un des animaux les plus célèbres au monde. Plus de 60 millions de personnes lui avaient rendu visite durant sa détention à perpétuité au zoo de Washington. Une pandaphilie qui allait même transformer le Washington Post en organe de propagande. Selon les nécrologies, Hsing-Hsing «enchantait» et «captivait» les visiteurs. Il était un merveilleux «diplomate» entre la Chine et les États-Unis. Il était le plus «gentil», le plus adorable, le plus «câlin» de tous les animaux. «Il n’y aura jamais trop de peluches dans le monde», se lamenta le quotidien dans son hommage.

Pour George Schaller, éminent biologiste spécialiste de ces créatures, les pandas géants sont les animaux symboliques parfaits. Avec leur belle fourrure, leur démarche pataude et leur tête d’abruti, ils semblent incarner l’innocence, l’infantilité et la fragilité. Et c’est aussi l’image que les militants de la protection des espèces menacées leur ont soigneusement cultivée. Reste que sous ces abords affables se cache un ennui mortel. Tant qu’à anthropomorphiser ces bestioles, autant faire preuve de réalisme. L’idée que les pandas seraient mignons et géniaux est absolument ridicule.

Les pandas n’ont pas un mauvais fond, c’est encore pire: ils n’ont pas de fond du tout. Ce sont les animaux les plus emmerdants que vous puissiez imaginer. Ils sont profondément antisociaux et détestent les interactions, que ce soit avec des humains ou leurs congénères. Toutes les fois où j’ai pu me rendre dans leurs quartiers ou devant leurs cellules, jamais je ne les ai vus faire preuve d’espièglerie, d’affection, d’énergie ou même de violence. Par rapport à n’importe quel animal de zoo –les singes, les félins, les phoques, les chiens de prairie ou les serpents–, les pandas sont plus chiants que la pluie. Leur existence n’est qu’une longue et pénible plage de neurasthénie. Ce sont des mollusques à poils. Ils sont atrocement paresseux, tellement qu’ils rechignent à grimper aux arbres par peur de se fatiguer. Toute leur vie, ils ne font que dormir et manger du bambou. […]

En outre, Hsing-Hsing et Ling-Ling ne se contentaient pas d’être insipides, ils étaient mal-aimables. Le confinement déprime les animaux de zoo, et les pandas n’ont pas fait exception. Ils étaient plus proches du psychopathe que du doudou. Un jour, sans la moindre provocation, Ling-Ling a sauté sur un de ses soigneurs et l’a mordu à la cheville.

Et si les tentatives coïtales du couple ont été présentées comme un opéra-comique, elles relevaient davantage du film d’horreur. Au départ, Hsing-Hsing n’avait pas réussi à féconder Ling-Ling parce qu’il avait voulu pénétrer son bras et son oreille. (Une gaucherie peut-être due au fait qu’il n’avait jamais appris à copuler dans son espace naturel). Ensuite, le zoo de Washington était allé chercher à Londres un nouveau compagnon pour Ling-Ling. Il l’avait tabassée (trop bien, l’amabilité des pandas).

Après dix ans d’efforts, Hsing-Hsing allait enfin réussir à trouver le bon trou et, entre 1983 et 1989, Ling-Ling donna naissance à cinq petits, qui moururent tous en quelques jours. Pour l’un, parce que Ling-Ling s’était assise dessus. Un autre a visiblement succombé à une infection urinaire transmise par Ling-Ling. Selon les soigneurs, Ling-Ling s’était elle-même infectée en s’introduisant des carottes et des tiges de bambou dans l’urètre. Un comportement pas du tout névrotique.

[…] le zoo projette d’empailler Hsing-Hsing. C’est parfait. Qu’ils lui mettent des bambous dans les pattes et le collent dans son ancienne cage en disant qu’il s’agit d’un nouveau panda. Personne ne verra la différence. »

<Vous pouvez encore lire cet article qui donne 5 raisons de mépriser le panda>

On apprend dans cet article que la libido du panda est une véritable catastrophe. Non seulement plus de la moitié d’entre eux ne montre aucun intérêt pour le sexe, mais si l’envie de flirter leur vient, encore faut-il tomber au bon moment pour la femelle. Cette dernière n’est en effet sensible au charme du sexe opposé que deux jours, trois maximums, par an.

On apprend également qu’un Panda a failli tuer le Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing qui avait voulu tester le caractère convivial de la bestiole.

J’ai aussi trouvé cette vidéo où on voit la manière avec laquelle cet animal paresseux devient brusquement hyperactif lorsqu’il s’agit d’embêter le personnel qui s’occupe de lui.

Bref un animal qui ne mérite pas sa réputation.

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Lundi 13 novembre 2017

« Un homme de 22 ans a une relation sexuelle avec une enfant de 11 ansElle tombe enceinte puis l’enfant qui naît est placé dans une famille d’accueilCet homme vient d’être acquitté par la cour d’assisses de Seine-et-Marne »
Un problème de Loi en France

Non, je ne répète pas un mot du jour que j’ai déjà écrit le 27 septembre : « Un enfant de 11 ans peut consentir à une relation sexuelle avec un homme de 28 ans » et que j’avais complété quelques jours après avec ce jugement remarquable du père d’Albert Camus : «Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… ».

Il s’agit d’une nouvelle affaire !

D’ailleurs l’affaire que j’avais déjà relatée n’est pas encore jugée, je m’étais élevé contre la position du parquet qui avait refusé de qualifier cet acte sexuel de viol.

Cette fois nous sommes un degré plus loin, il y a eu jugement alors que le parquet poursuivait pour viol.

Le Monde du 11 novembre titre : « Une cour d’assises acquitte un homme accusé d’avoir violé une fille de 11 ans. »

Je cite le Monde :

« Jugé pour le viol d’une fille de 11 ans en 2009, un homme de 30 ans a été acquitté mardi soir par la cour d’assises de Seine-et-Marne. Huit ans de prison avaient été requis contre lui, mais les jurés ont estimé que le viol n’était pas caractérisé, a-t-on appris de sources concordantes, samedi 11 novembre.

Au terme de deux jours d’audience, mardi soir, ceux-ci ont argué que les éléments constitutifs du viol, « la contrainte, la menace, la violence et la surprise, n’étaient pas établis », a expliqué la procureure de Meaux, Dominique Laurens. Le parquet général a fait appel de l’acquittement vendredi, selon Le Parisien.

Les faits se sont produits en août 2009, a raconté Laure Habeneck, l’avocate de la jeune fille, aujourd’hui âgée de 20 ans. Elle s’était rendue dans un parc avec un homme, âgé de 22 ans à l’époque, qui l’avait abordée alors qu’elle jouait avec sa cousine à Champs-sur-Marne (Seine-et-Marne).

Ils avaient eu une relation sexuelle, consentie selon l’accusé. Ce dernier affirme que la jeune fille avait menti sur son âge, en lui disant, selon son avocat, Samir Mbarki, « qu’elle avait 14 ans et qu’elle allait vers ses 15 ans », ce qu’elle conteste. La famille de la jeune fille avait eu connaissance des faits en 2010, en découvrant sa grossesse. Son enfant, 7 ans aujourd’hui, avait été placé dans une famille d’accueil.

La mère de la jeune fille s’est dite atterrée par le jugement, rapporte Le Parisien : « Cet homme a détruit la vie de ma fille, qui est tombée dans son piège. Après le viol, elle avait été placée dans une famille car elle était enceinte, c’était pour éviter les contacts avec les voisins. » « Pour ma cliente », ce verdict « est un deuxième traumatisme », a dit son avocate. « Je ne le comprends pas ».

« J’ai plaidé le droit, rien que le droit », a de son côté argumenté Me Samir Mbarki, avocat de la défense. « A charge pour le législateur de changer la loi. Ce n’est ni à l’avocat, ni à l’accusé de porter la responsabilité de cette défaillance légale ».

Si c’est cela la Loi, il faut la changer comme le dit d’ailleurs l’avocat de la défense.

Il semblerait que le gouvernement a l’intention de le faire

La secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa a tweeté : « Projet de loi en cours d’élaboration notamment sur la présomption irréfragable de non-consentement des enfants ».

Je vous redonne le lien, déjà donné lors des articles précédents, vers une pétition qui réclame une évolution de la Loi qui devrait mettre un âge en dessous duquel, le consentement ne peut pas exister <ICI>.

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Mercredi 8 novembre 2017

« Avec plus de 500 portraits, [Luther] est l’homme le plus représenté de son temps, devançant même les monarques ! »
Marion Deschamp dans un article dans la Revue Histoire (Hors série de septembre 2017)

Je vais finir, aujourd’hui, avec cette série de mots sur Luther.

Luther ne peut se résumer ni à son antisémitisme que j’ai évoqué hier, ni sa soumission à l’injustice du monde que j’ai rapportée lundi.

Mais Luther, ce croyant irréductible, a aussi écrit ces textes assez terrifiants, haineux et manquant beaucoup de l’amour qu’il prêchait par ailleurs.

Il y aurait encore tant de choses à raconter sur lui. Notamment son conflit avec le grand humaniste Erasme qui fut avant tout philosophe, humaniste et théologien né à Rotterdam dans le comté de Hollande, bien qu’aujourd’hui il soit surtout connu parce que son nom a été utilisé pour le célèbre programme «Erasmus» de l’Union européenne.

Probablement que dans le conflit entre le réformateur intraitable et l’humaniste pondéré nous serions aujourd’hui beaucoup plus proche d’Erasme.

Lucien Febvre dans son ouvrage de référence cite encore un écrit de Luther :

« Je hais Erasme du fond du cœur »
Martin Luther un destin page 82

Et un peu plus loin : « En ces matières, Erasme est bien plus ignorant que Lefèvre d’Etaples. Ce qui est de l’homme l’emporte en lui sur ce qui est de Dieu »

En titre de ce chapitre, Lucien Febvre cite l’accusation principale de Luther à l’encontre d’Erasme :

« Du bist nicht fromm !»

Tu n’es pas pieux. Voilà le grand reproche, Erasme n’était pas assez illuminé par la Foi ! Il s’intéressait trop à l’homme et à l’humanité.

En creux, cela dessine encore une fois Luther en croyant radical, absolu. Je n’utilise pas à dessein le terme « intégriste » qui serait décalé et utiliserait un terme d’aujourd’hui pour décrire un monde qui était si différent. Le terme exact pour qualifier cette erreur est «anachronisme».

Mais Luther a déclenché un mouvement d’une telle ampleur que probablement il n’avait pas imaginé et même pas voulu :

  • Il ne voulait pas le schisme avec l’église catholique, mais il l’a provoqué.
  • Il voulait convaincre, faire évoluer la théologie catholique. Il a provoqué les guerres de religion, la terrible guerre de trente ans.
  • Il pensait que l’alphabétisation générale servirait à l’unique but que chacun passe tout son temps disponible à lire et à commenter la Bible et les autres textes saints. Il ne pensait pas que cela permettrait aux ouvriers de lire Marx ou d’autres penseurs socialistes, par exemple.
  • De même la liberté de penser devait permettre à chacun de mieux interpréter la parole divine et non pas de blasphémer, de réaliser des caricatures du Christ et d’appeler à la révolte contre les classes possédantes.

Mais il a aussi provoqué cela.

Avant que je ne m’intéresse de plus près à son destin et à ce qu’il a vraiment écrit et professé, je le trouvais plutôt sympathique. Notamment dans son évolution entre le moine rigide, austère passant son temps et son énergie à se soumettre à des contraintes disciplinaires dans l’espérance de plaire à Dieu au vieux bourgeois gras, aimant la bonne chère, le vin et aussi le sexe.

Lucien Febvre cite une lettre à sa femme Catherine de Bore qui avait été nonne et qu’il a libéré de ses vœux puis épousé dans laquelle il reconnaît que l’âge l’a rendu impuissant et que s’il ne l’était pas, il lui ferait bien l’amour.

De multiples convives ont rapporté les « Tischreden », « ses propos de table » pleins de verves, d’outrance et de vulgarité.

Il fait ainsi plusieurs fois l’éloge de l’alcool et même plus… :

« Il y a des fois où il faut boire un coup de trop, et prendre ses débats et s’amuser, bref commettre quelque péché en haine et en mépris du diable.»

Pour boire et pratiquer les choses du sexe, il évoque le diable pour mieux s’en moquer :

« Au moment des épreuves spirituelles les plus graves, j’ai souvent saisi les seins et les tétons de ma Käthe, mais cela ne m’a pas aidé et n’a pas chassé mes mauvaises pensées .»

Ou encore :

« Oh ! si je pouvais enfin imaginer quelque énorme péché, pour décevoir le diable et qu’il comprenne que je reconnais aucun péché, que ma conscience ne m’en reproche aucun ! »

Il allait parfois si loin dans ses extravagances que son plus fidèle collaborateur Philippe Mélanchthon s’est écrié « Utinam Lutherus etiam taceret » Ah si Luther pouvait seulement se taire !.

Pour comprendre comment avec un tel homme à l’origine, les protestants ont pu devenir des « puritains » dénoncés pour leur rigidité par Ingmar Bergman et tant d’autres cinéastes ou écrivains ayant vécu en terre protestante, il faut comprendre que d’autres influences, d’autres hommes comme Calvin par exemple ont joué un rôle essentiel dans le développement du protestantisme

Mais Luther ce n’est pas qu’un vieil homme autoritaire, aimant boire et faire la fête.

Lucien Febvre écrit page 182 de son ouvrage :

« Il ignore l’avarice, et même l’économie. Il aime donner. Il se montre très simple, très accessible à tous. Peu à peu, il reçoit dans son logis des pensionnaires. Des privilégiés, […] et qui, à table du grand homme, ouvre les oreilles pour bien tout écouter. Souvent Luther se tait. Il s’assied sans mot dire. On respecte son silence, lourd de méditation et de rêverie. Souvent aussi, il parle. Et des propos épais sortent de sa bouche : grossier mais, car le maître a pour un certain genre d’ordures, pour la scatologie, un goût qui ne fait que s’affirmer davantage, à mesure que passent les années. Mais parfois aussi, de ce gros corps qui s’enlaidit, un autre homme se dégage et surgit. Un poète, qui dit sur la nature, sur la beauté des fleurs, le chant des oiseaux, le regard brillant et profond des bêtes, toutes sortes de choses fraîches et spontanées. »

Et je voudrais finir par la grande modernité de Luther. Je tire cet extrait d’un article du hors série Histoire publiée par la Vie consacrée à Luther :

« Luther est instrumentalisé dès sa mort en 1546. Un dispositif mémoriel se met en place, et son discours est recyclé à des fins politiques. Le réformateur y a lui-même contribué en pariant de son vivant sur une diffusion de son message par l’image. Avec plus de 500 portraits, c’est l’homme le plus représenté de son temps, devançant même les monarques ! Cette culture du souvenir, alimentée sous toutes les formes possibles, traduit une modernité dans la communication : Luther parlait au peuple, pas seulement aux élites. »

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Lundi 2 octobre 2017

“«Non, un homme ça s’empêche.
Voilà ce qu’est un homme,
ou sinon… »”
“Le père d’Albert Camus
Cité par Albert Camus dans « Le premier homme » page 65 et suiv.”

Je veux revenir sur ce fait divers d’une enfant de 11 ans qui a été la proie de la perversité d’un prédateur.

A la suite du commentaire de Benoit, j’ai mis un lien vers une pétition qui réclame une évolution de la Loi qui devrait mettre un âge en dessous duquel, le consentement ne peut pas exister. Je redonne le lien vers cette pétition : <ICI>

Alors, j’ai lu des réactions qui mettent en cause les parents de cette enfant qui auraient manqué de prudence, qui auraient du intervenir plus tôt après ce qu’a raconté leur enfant et la protéger du prédateur. C’est certainement vrai.

Mais pour moi, ce n’est en aucune façon ni une excuse, ni un argument qui peut s’entendre par rapport à la question fondamentale d’un homme de 28 ans qui abuse d’un enfant de 11 ans.

Si une femme ou un homme se promène nu dans la rue, il faut la ou le couvrir, peut-être lui mettre une amende pour atteinte aux bonnes mœurs. En aucune façon cela constitue le début du commencement d’une justification d’une agression sexuelle.

Et si la femme, car il faut quand même constater que c’est le corps des femmes qui posent problème à un certain nombre de mâle de l’espèce homo sapiens, est habillée de quelque manière que ce soit, il en va exactement de même.

Dans ce monde, où des penseurs commencent de plus en plus à développer les thèses de l’antispécisme, c’est-à-dire cette théorie qui consiste à ne plus faire de différence entre les espèces, donc entre les humains et les autres animaux, il me parait particulièrement important d’essayer d’esquisser ce que doit être un homme ou alors d’abdiquer et rallier les thèses de ces associations comme « L214» .

C’est alors que m’est revenu cet épisode dans lequel Albert Camus raconte la réaction de son père lors d’un acte ignoble d’hommes sur d’autres hommes : « Un homme ça s’empêche ! »

Albert Camus est mort à 46 ans, le 4 janvier 1960, sur le trajet de Lyon à Paris, au lieu-dit Le Petit-Villeblevin, dans l’Yonne, dans un accident de voiture.
Trois ans auparavant, le 16 octobre 1957, le prix Nobel de littérature lui avait été décerné.
Son père, Lucien Auguste Camus est mort au début de la première guerre mondiale, le 11 octobre 1914, alors qu’Albert n’avait pas encore un an.

« Le Premier Homme » est un roman autobiographique inachevé d’Albert Camus, publié par sa fille en 1994 aux éditions Gallimard. Albert Camus n’avait pas encore mis un titre à son nouveau manuscrit.
Le premier chapitre de ce livre s’intitule : « Recherche du père »

Dans ce livre, Albert Camus désigne son père sous le nom de Cormery et lui-même avait pris pour prénom Jacques.
Et il cite un épisode dans la vie de son père, en pleine période colonialiste dans lequel des hommes colonisés attaquent les soldats du colonisateur et agissent de manière ignoble, ce qui va entraîner la réplique du père d’Albert Camus :
Cet épisode met en scène le père de Camus et un autre soldat appelé Levesque qui trouve des excuses à ceux qui ont commis l’ignoble.

« Il était dans les zouaves.

Oui. Il a fait la guerre au Maroc.
C’était vrai. Il avait oublié. 1905, son père avait 20 ans. Il avait fait, comme on dit, du service actif contre les marocains.
Jacques se souvenait de ce que lui avait dit le directeur de son école lorsqu’il l’avait rencontré quelques années auparavant dans les rues d’Alger. Monsieur Lévesque avait été appelé en même temps que son père. Mais il n’était resté qu’un mois dans la même unité. Il avait mal connu Cormery selon lui, car ce dernier parlait peu.

Dur à la fatigue, taciturne, mais facile à vivre et équitable.
Une seule fois, Cormery avait paru hors de lui.
C’était la nuit, après une journée torride, dans ce coin de l’Atlas où le détachement campait au sommet d’une petite colline gardée par un défilé rocheux.
Cormery et Lévesque devaient relever la sentinelle au bas du défilé. Personne n’avait répondu à leurs appels.

Et au pied d’une haie de figuiers de barbarie, ils avaient trouvé leurs camarades la tête renversée, bizarrement tournée vers la Lune. Et d’abord il n’avait pas reconnu sa tête qui avait une forme étrange. Mais c’était tout simple. Il avait été égorgé, dans sa bouche, cette boursouflure livide était son sexe entier. C’est alors qu’ils avaient vu le corps ou jambes écartées, le pantalon de zouave fendu, et au milieu de la fente, dans le reflet cette fois indirect de la Lune, cette flaque marécageuse. À 100 m plus loin, derrière un gros rocher cette fois, la deuxième sentinelle avait été présentée de la même façon. […]

À l’aube, quand ils étaient remontés au camp, Cormery avait dit que les autres n’étaient pas des hommes.

Lévesque qui réfléchissait, avait répondu que, pour eux, c’était ainsi que devaient agir les hommes, qu’on était chez eux, et qu’ils usaient de tous les moyens.

Cormery avait pris son air buté. « Peut-être. Mais ils ont tort. Un homme ne fait pas ça. »

Lévesque avait dit que pour eux, dans certaines circonstances, un homme doit tout se permettre et tout détruire.

Mais Cormery avait crié comme pris de folie furieuse : « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… ».

Et puis il s’était calmé. « Moi, avait-il dit d’une voix sourde, je suis pauvre, je sors de l’orphelinat, on me met cet habit, on me traîne à la guerre, mais je m’empêche.»

Il y a des Français qui ne s’empêchent pas avait dit Lévesque.

Alors, eux non plus, ce ne sont pas des hommes. » »

Alors, ce ne sont pas des hommes.
Parce qu’un homme, ça s’empêche !

 

 

 

 

 

 

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Mercredi 27 septembre 2017

« Un enfant de 11 ans peut consentir à une relation sexuelle avec un homme de 28 ans »
Le parquet de Pontoise

C’est une information publiée le 25/09/2017 par Mediapart.

C’est un fait divers.
Il ne se passe pas dans un pays éloigné, il se passe en France.
Plus précisément dans la Région Ile de France, dans le département du Val d’Oise.

D’abord une précision quand on est dans le domaine du Droit Pénal ; c’est-à-dire le Droit qui punit des crimes ou des délits, si vous êtes victime vous pouvez porter plainte mais seul l’Etat peut poursuivre et faire en sorte que l’affaire soit portée devant un tribunal pour être jugé. Le bras armé de l’Etat, pour ce faire, s’appelle le parquet et le nom du magistrat qui a cette mission est le Procureur avec ses adjoints substituts etc.

Résumons d’abord cette affaire dans laquelle Mediapart donne le nom d’emprunt de Sarah à une jeune fille de 11 ans. Dans le Val-d’Oise, Sarah a eu une relation sexuelle avec un inconnu de 28 ans. Elle l’a suivi, puis a subi l’acte sans protester. Le parquet a conclu qu’elle était consentante. Seule le Parquet peut poursuivre !

Et cette conclusion du Parquet a pour conséquence que l’homme de 28 ans va être jugé pour « atteinte sexuelle », et non pour «viol.»

Mediapart appelle cela ironiquement : « Une spécificité française. »

Un viol sur mineur peut entrainer jusqu’à 20 ans de prison, ce qui n’est absolument le cas d’une atteinte sexuelle.

Voici plus précisément le récit que fait Mediapart de cette sordide histoire :

« Le 24 avril 2017, Sarah, 11 ans, scolarisée en sixième dans le Val-d’Oise, accepte de suivre un homme de 28 ans qui l’a abordée dans un square. […]

Cet après-midi-là, le cours de sports est annulé. Sarah sort donc du collège plus tôt, à 15 heures. Elle rentre doucement chez elle, fait une pause, quand “l’Homme” l’aborde dans un petit parc, avec « un ton rassurant, affable, aimable, rien qui n’incite à la méfiance », rapporte la mère de Sarah. Ce n’est pas la première fois. Dix jours, plus tôt, il l’a déjà accostée : « Eh ! belle gosse, tu habites dans le quartier ? Comment ça se fait que je ne t’ai jamais vue ? » Elle parle le soir même de cet homme à sa mère, qui lui conseille de rentrer en transports pour plus de sécurité. Quatre jours plus tard survient une nouvelle rencontre, lors de laquelle Sarah, qui fait un peu plus que son âge, finit par sortir son carnet de liaison scolaire pour lui prouver qu’elle a bien 11 ans. « Quand il a vu le carnet, il a dit : “Ha ! mais tu es un bébé !” », raconte la mère de Sarah. Il s’agit toutefois d’un des seuls points que L’homme conteste : il assure qu’il ne connaissait pas l’âge exact de Sarah, et a déclaré à l’expert-psychiatre qu’il lui donnait entre 14 et 16 ans.

Lors de la troisième approche, dans le parc donc, il la complimente de nouveau : « Qui tu attends ? Ton petit copain ? », « Quoi ? Une belle fille comme toi n’a pas de petit copain ? », « Est-ce que tu veux que je t’apprenne à embrasser ou plus ? ». Sarah n’a jamais embrassé un garçon de sa vie. D’après sa mère, elle « a dû se sentir flattée, reconnue dans ce corps nouveau », que la puberté lui a donné. « Le piège s’est tissé sans qu’elle s’en rende compte, car elle n’avait pas la maturité pour comprendre. Elle n’a pas vu la manipulation. L’embrassade, elle l’a prise comme une plaisanterie. C’est une enfant : elle entend, mais ne comprend pas ce qui se cache derrière les propos. »

Sarah a alors une réaction que sa mère qualifie d’« atypique : elle n’a dit ni oui ni non, elle a haussé les épaules, sans donner de réponse claire et nette. » Sarah dira : « Il a insisté, et il m’a retourné le cerveau. » Elle accepte de le suivre, sans qu’il exerce la moindre violence physique.

Tous deux montent dans l’ascenseur, et dès que la porte se referme, il essaie de l’embrasser. « Elle a compris à cet instant que le piège s’était refermé sur elle, qu’on avait endormi sa conscience. Mais elle était tétanisée, elle n’osait pas bouger, de peur qu’il la brutalise. Elle a pensé que c’était trop tard, qu’elle n’avait pas le droit de manifester, que cela ne servirait à rien, et elle a donc choisi d’être comme une automate, sans émotion, sans réaction », relate sa mère.

Arrivés au 9e étage, il exige d’elle une fellation. Elle s’exécute. « Il lui demandait de manière pressante, mais en gardant le sourire », rapporte sa mère, infirmière de profession. Puis il essaie de la pénétrer, mais le gardien de l’immeuble passe par là. L’homme se cache. Sarah ne saisit pas le moment pour crier ou appeler au secours, ce qui participera à l’imperméabilité des policiers. « Elle était tétanisée, gênée, et avait honte », explique son avocate, Me Carine Diebolt.

L’homme lui propose alors de rentrer dans son appartement. Elle le suit. Il lui demande une deuxième fellation, puis d’enlever en partie son pantalon, et la pénètre. Ensuite, il l’embrasse sur le front. Et une fois qu’elle s’est rhabillée, lui dit de ne rien dire à personne. Il lui demande son numéro de portable, avant de lui proposer de la raccompagner chez elle. Elle décline.

À peine sortie, paniquée, elle appelle sa mère. « Elle était dans une peine immense, complètement désespérée. C’était comme si la vie avait perdu son sens. Une des premières choses qu’elle m’a dite, c’est : “Papa va croire que je suis une pute.” »

Ensuite Mediapart relate les propos de la mère de Sarah après qu’elle ait appelé la police qui auditionne la jeune fille et qui lui font ce retour :

« Ils m’ont expliqué qu’elle l’avait suivi sans violence, sans contrainte, que la seule chose qui jouait en sa faveur, c’était son âge. C’était comme si on me martelait un message pour que ça s’imprime. C’était complètement en décalage avec la tragédie. »

Mediapart rapporte aussi des propos tenus par le prédateur, puisqu’il m’est interdit par la justice française, pour l’instant, de l’appeler le violeur :

Pendant l’enquête, [Cet homme] a livré son sentiment sur les femmes : « Vous savez, maintenant, les filles sont faciles. Avant, à mon époque, il fallait rester au moins un an avec une fille pour la baiser, mais maintenant c’est en dix minutes. » L’homme peut difficilement plaider qu’il est incapable de déterminer l’âge d’un enfant : il est père d’un bébé, mais aussi d’un enfant de 9 ans. En outre, l’examen aux unités médico-judiciaires mentionne que « l’allure physique de Sarah peut laisser penser qu’elle est plus âgée, mais que ses mimiques de visage et sa manière de parler montrent rapidement qu’elle n’a que 11 ans ».

Mediapart explique que le parquet de Pontoise n’a pas souhaité répondre à ses questions sur la qualification choisie dans cette affaire.

L’avocate de Sarah va tenter de faire requalifier, lors de l’audience prévue en février, les faits d’« atteinte sexuelle » en « viol » et rappelle que l’article 227-25 du Code pénal définit ainsi l’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans : « Le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. » Il s’agit donc d’un rapport sexuel consenti, moins répréhensible qu’une agression sexuelle (pas de pénétration) ou un viol (avec pénétration), tous deux non consentis.

Le journal précise et analyse :

A contrario, pour qu’un viol (punissable de 15 ans de réclusion criminelle, 20 ans sur mineur) ou une agression sexuelle soient caractérisés juridiquement, il doit être démontré que la victime a subi une contrainte, une violence, une menace ou une surprise (art. 222-22 et 222-23 du Code pénal). Il n’existe dans le Code pénal aucune atténuation à ce principe lorsque la victime est un enfant. Depuis 2005, la Cour de cassation considère cependant que la contrainte est présumée pour les enfants en « très bas âge ».

La loi du 8 février 2010 est seulement venue préciser que « la contrainte peut être physique ou morale. La contrainte morale peut désormais résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits ».

La plupart des législations occidentales ont pourtant adopté une « présomption irréfragable d’absence de consentement du mineur victime d’actes sexuels » : 14 ans en Allemagne, Belgique, Autriche ; 16 ans pour l’Angleterre et la Suisse, 12 ans en Espagne et aux États-Unis. À chaque fois, avant que cet âge soit atteint, il ne peut y avoir consentement.

En se fondant sur ces comparaisons, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a préconisé dans son avis de novembre 2016 d’instaurer « un seuil d’âge de 13 ans en dessous duquel un enfant est présumé ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur ». Pour Ernestine Ronai, une des rapporteures de l’avis, et responsable de l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, « l’âge de 13 ans paraît adapté car c’est un âge en dessous duquel les relations sexuelles ne nous paraissent pas souhaitables. C’est aussi un âge couperet, qu’on retrouve souvent dans le droit français ».

Emmanuelle Piet, présidente du collectif féministe contre le viol, préférerait que ce soit 15 ans. Quand on lui parle de la situation de « Sarah, une jeune fille de 11 ans » (le terme employé par les policiers dans leur rapport au procureur), elle explose : « 11 ans ! Mais ce n’est pas une jeune fille ! C’est une petite fille ! » Puis elle se désespère : « C’est honteux. On a dû batailler 20 ans pour que l’âge légal du mariage soit le même pour les filles que pour les garçons [18 ans et non plus 15]. Mais que voulez-vous ? Les vieux garçons aiment la chair fraîche.

Je suppose que vous êtes aussi surpris que moi de cette affaire judiciaire et de la manière dont elle est actuellement traitée par le ministère public.

Il faut attendre que les juges du siège s’en emparent pour savoir s’ils vont requalifier les faits.

Mais pour l’instant et par rapport à ce que vit cet enfant, elle ne peut que se trouver dans un état de sidération et de culpabilité si l’autorité qui représente la société traite ces faits de cette manière.

Pour revenir à l’exergue de ce mot du jour qui tire les conséquences de la qualification du parquet, je ne peux pas être d’accord.

Un enfant de 11 ans ne peut être en situation de consentir à une relation sexuelle avec un adulte.

J’ai comme l’impression que nous nous retrouvons en pleine régression.

Non cet enfant n’est pas coupable, elle est la victime d’un pervers, d’un prédateur qu’il faut punir sévèrement et dissuader de recommencer.

C’est cela que j’attends de la société dans laquelle je vis et de l’autorité qui la représente.

<Voici le lien vers l’article de Mediapart>

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Vendredi 22 septembre 2017

« Le bébé gnou protégé par la lionne »
Histoire naturelle

Dans la nature il y a des prédateurs et des proies.

Et la loi de la nature est la loi du plus fort

De nombreuses théories humaines politiques et économiques se fondent sur ce constat pour élaborer des analyses qu’ils essayent d’appliquer au monde des humains.

Franz de Waal, nous explique que les choses sont plus complexes. Il ne dit pas que la nature n’est pas peuplée de prédateurs et de proies mais qu’il arrive que d’autres phénomènes puissent exister.

Des cinéastes animaliers avaient le projet de tourner un film sur la migration des gnous du Serengetti dans le nord de la Tanzanie. C’est ce qu’ils vont faire. Mais pendant leur tournage, ils vont assister et filmer un épisode incroyable.

Une petite femelle gnou vient de naître. Dans la journée de sa naissance elle va être chassée par une lionne, la mère gnou ne peut pas la sauver. La lionne renifle la petite gnou de quelques heures, on pense qu’elle va la dévorer. Et cela ne se passe pas ainsi

L’empathie dont parle Franz de Waal se produit devant la caméra et par voie de conséquence devant nos yeux.

Le commentateur évoque la thèse que peut être la lionne a perdu ses petits et exprime ses instincts maternels sur un petit de substitution.

Peut-être que se rendant compte que cet animal porte encore toutes les traces de sa naissance, la lionne considère-t’elle qu’elle ne doit pas le tuer.

Toujours est-il que la lionne et la petite gnou se font des câlins que la présence de la lionne fait renoncer des hyènes de faire de la petite gnou leur repas. Par la suite la lionne laisse partir le bébé gnou rechercher et retrouver sa mère.

Le documentaire continue alors sur son projet initial : montrer les migrations de ces animaux qui reviennent régulièrement vers le Serengetti mais doivent s’en éloigner lors de la saison sèche.

C’est ce que nous montre la nature.

La violence existe, le conflit, la mise à mort des proies par leurs prédateurs.

Mais l’empathie, la protection même inattendue entre espèces peut exister aussi.

C’est une leçon de vie, c’est une leçon de complexité.

Ce film s’appelle « sauvée par la lionne », vous le trouverez derrière <ce lien>.

L’épisode dont je parle commence vers la sixième minute.

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