Lundi 22 avril 2024

« Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante, sans tuer leurs semblables. »
Heathcote Williams

C’est une amie d’Annie, habitant la Guadeloupe, qui a conseillé de voir ce documentaire remarquable « Les gardiennes de la Planète ».

Il a été réalisé par Jean-Albert Lièvre et il est sorti en salle début février.
Il commence par ces mots écrits par Heathcote Williams dans son ouvrage : « The Whale Nation » traduit en français et ayant pour titre « Des Baleines. :

« Vue de l’espace, la planète est bleue
Vue de l’espace, la planète est le territoire
Non pas des hommes, mais de la baleine »

Le documentaire s’inspire librement de ce livre, écrit en 1988. Quand nous avions fini de regarder le documentaire, je me suis empressé d’aller emprunter à la bibliothèque le livre de Heathcote Williams traduit par Jacqueline Ollier.

Ce livre, plein de photos, est encore plus magnifique et instructif que le documentaire.

Je crois que le documentaire est une invitation à lire ce livre qui est un long poème en prose, un hymne à la beauté, à l’intelligence et à la majesté de ce grand mammifère : la baleine.

« D’anciens mammifères inconnus quittèrent la terre. En quête de nourriture ou de sanctuaire,Et entrèrent dans l’eau »
Page 10

Pendant longtemps les humains ont massacré les baleines. Tout était prétexte à les chasser, les dépecer. Les êtres humains ont utilisé chaque partie de la baleine une part pour la nourriture et une grande part pour l’industrie.
Heathcote Williams est non seulement écrivain et poète, il mobilise aussi de grandes connaissances scientifiques pour expliquer tout ce que les baleines apportent à la biodiversité, à l’équilibre de la vie sur terre.

Il montre comment elles se comportent et conseille aux humains d’apprendre de ces doux géants une nouvelle façon de vivre :

« Comme les bouddhistes,
Elles sont très sobres,
Elles peuvent rester huit mois sans nourriture
Et elles ne travaillent pas pour manger
Elles jouent pour manger.
La baleine à bosse attrape sa nourriture en faisant des bulles […]
Quand elles éclatent, elles font un cercle de brume aveuglante. »
Page 15

C’est ainsi que les baleines piègent le plancton : les crevettes arctiques, le krill, les papillons de mer.Leur énorme oreille est vingt fois plus sensible que celle de l’homme. Parce que : « La baleine se meut dans une mer de sons »

Elles sont naturellement écologistes :

« Elles se reproduisent en fonction exacte de la quantité de nourriture que contient la mer »
Page 31

Il décrit toujours avec poésie et précision comment les baleines qui sont mammifères comme nous se reproduisent. Il ajoute des détails qui touchent notre humanité :

« Si survient une mort prématurée
La mère portera son petit sur son dos
Jusqu’’à ce qu’il se désintègre. »
Page 47

Le livre après avoir montré la magie de ces immenses êtres vivants, ne va rien nous épargner de la brutalité, de la rapacité des gens de notre espèce qui voient en ces majestueux voyageurs des océans, uniquement des objets économiques :

« Quand la baleine arrive à portée de tir,
On met le moteur au ralenti.
Un tir précis la touche entre les omoplates […]
La pointe frappe,
Suivie par une charge-retard qui explose trois secondes après.
Déchiquetant et lacérant le flanc de la baleine au passage du harpon.[…]
La baleine serre les mâchoires
Halète, se convulse et crache du sang par son évent. […]
Vingt minutes s’écoulent […]
N’ayant pas d’ennemis dans la mer,
La baleine se refuse à croire qu’on l’attaque, […]
Elle suffoque et meurt […]
Une lance creuse
Fixée à un tube
Est lancée contre son ventre retourné,
Insufflant de l’air comprimé dans son cadavre
Pour le gonfler et le maintenir à flot […]
Le navire-usine, grand comme un porte-avions,
Capable de débiter une baleine toutes les demi-heures
S’approche d’elle… »
Pages 53 à 56

La description du carnage continue pendant plusieurs pages, avant que dans une dizaine de pages, l’auteur énumère la liste interminable de tous les usages que les humains ont réalisé à partir du géant des mers.

Les scientifiques se sont rendus compte de l’importance des baleines dans l’écosystème de la terre, la chasse en a été interdite en 1982. Pourtant 3 pays continuent à les tuer : Le Japon, la Norvège et l’Islande.

« France info » nous apprend qu’après la chasse le réchauffement climatique décime aussi la population des cétacés :

« De nouvelles recherches australiennes montrent qu’entre 2012 et 2021, en moins de 10 ans, le nombre de baleines a baissé de 20% dans le Pacifique Nord.
Car les vagues de chaleur marines bouleversent tout l’écosystème marin et réduisent la production de phytoplancton, ces plantes à la base de la chaîne alimentaire des baleines. […] Après avoir été décimées par les chasseurs, aujourd’hui, c’est donc la faim qui tue les baleines. […] Les scientifiques australiens, qui rappellent que les baleines sont des sentinelles de la santé des océans, appellent à agir d’urgence contre le changement climatique. »

Le documentaire se termine par ce texte de Heatchcote Williams :

« Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
Sans tuer leurs semblables.

Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
Bien qu’elles permettent aux ressources qu’elles utilisent de se renouveler.

Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
Bien qu’elles communiquent par le langage plutôt que d’éliminer leurs rivaux.

Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
Bien qu’elles ne défendent pas jalousement leur domaine, armées jusqu’aux dents.

Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
Sans troquer leur innocence contre l’illusion de posséder.

Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
Bien qu’elles admettent l’existence d’autres esprits que les leurs.

Dans l’eau, les baleines sont devenues l’espèce dominante,
Sans permettre à leur population d’atteindre des densités catastrophiques.

Dans l’eau, les baleines est l’espèce dominante,
Extra-terrestre, qui a déjà atterri…
Pages 99 à 101

Livre d’une beauté magique, d’une science confondante qui nous permet d’approcher et d’un peu mieux comprendre ce mammifère qui a choisi de vivre dans l’eau, qui ne se comporte pas comme homo sapiens et qui fait tant de bien à la terre. 

« Wikipedia » nous apprend qu’en outre les baleines jouent un rôle majeur dans la capture du dioxyde de carbone. Car elles agissent comme une pompe biologique, elles se nourrissent de zooplancton, remontent à la surface pour respirer et libèrent dans l’eau de gigantesques vagues de nutriments riches en azote, en phosphore et en fer.

Autrement dit, elles remettent en circulation des nutriments grâce à leurs fèces (excréments), qui vont par la suite nourrir et stimuler la croissance du phytoplancton et des algues marines qui absorbent le carbone de l’atmosphère par photosynthèse. Ainsi, elles contribuent à la séquestration du carbone en ingérant ces organismes qui concentrent une grande partie du carbone atmosphérique. Ces mêmes informations se trouvent dans le documentaire et le livre.

<1802>

Lundi 20 février 2023

« Airglow »
Lueur d’air, phénomène naturel rare d’origine chimique dans la haute atmosphère

Au départ il y a une magnifique photo d’un étudiant de 22 ans : Julien Looten.

La photo prise le 21 janvier 2023 vers 22 heures, est garantie sans trucage. Toutefois pour réaliser ce que l’on voit, il a fallu à ce jeune homme patient et disposant d’une solide connaissance de la technique photographique : réaliser un « grand panorama » d’une quarantaine d’images, cumulant environ une heure d’exposition. Il a ensuite dû les assembler et enfin utiliser un logiciel pour régler la distorsion, la balance des blancs.

S’il n’y a pas de trucage, il y a au moins beaucoup de technique.

Julien Looten l’a ensuite publié sur Instagram : < https://www.instagram.com/p/Cn42shuMNLs/> avec ce commentaire :

« Samedi soir, je me suis rendu au Château de Losse (Dordogne) pour prendre en photo la Voie lactée. Un phénomène exceptionnel s’est produit ce soir-là… un airglow extraordinaire

Le ciel semble être couvert de “nuages multicolores”… Il ne s’agit pas de couleurs parasites ou de traitements spéciaux. Il s’agit d’un phénomène naturel rare causé par une réaction chimique dans la haute atmosphère, où les rayons du soleil excitent des molécules qui émettent alors une très faible lumière (chimiluminescence).

Ces “nuages” sont situés entre 100 et 300 km d’altitude. La couleur du phénomène change en fonction de l’altitude. Il peut prendre des formes étranges, comme ici sous forme de “vagues ». Ces nuages semblent émerger du pôle Nord (extrémité droite) et Sud (extrémité gauche).

Le airglow peut être observé à l’œil nu. C’était le cas ce soir-là, je l’ai même confondu avec du brouillard. En revanche, les couleurs ne sont pas visibles par l’œil humain, qui est bien moins sensible qu’un capteur d’appareil photo.

L’arche de la Voie lactée est ici, visible dans sa totalité, grâce à un panorama de 180°. À gauche, la constellation d’Orion. Au centre : Mars, les Pléiades et la nébuleuse Californie. À droite : la constellation de Cassiopée et la galaxie d’Andromède »

Cette photo a été repérée par la Nasa, qui l’a ensuite publiée sur un de ses sites le mercredi 15 février : <Astronomy Picture of the Day>

Cette étonnante photo prise en Dordogne a ainsi fait le tour du monde

Pour ma part j’ai découvert cette photo sur le site du journal « La Montagne », quotidien régional de Clermont-Ferrand, : <Repérée par la Nasa>

Ce journal nous apprend que Julien Looten étudie l’archéologie à Bordeaux et se passionne pour l’astrophotographie, une discipline consistant à immortaliser des objets célestes.

Il nous apprend aussi que c’est la seconde fois que Julien Looten a été repéré par la NASA. En août, une de ses photos prise au cap du Dramont avait déjà été sélectionnée pour servir de « Picture of the day ».

C’est aussi une aubaine pour le site touristique du château de Losse.

« La Montagne », écrit :

« Le gestionnaire de ce site touristique, Martin de Roquefeuil, se dit « très fier » de voir cette magnifique bâtisse du XVIème siècle ainsi mise en avant. « J’ai énormément de retours. Et notre site Internet, qui est d’habitude plutôt en sommeil à cette époque de l’année puisque nous sommes fermés jusqu’au printemps, a connu un gros pic de fréquentation ces derniers jours. Localement, on m’en parle beaucoup, les gens m’envoient les reportages qui sont faits sur le sujet. » »

Les journaux se sont fait l’écho de cette photo et de sa destinée :

« La Voix du Nord » : : <La superbe photo astronomique d’un Nordiste mise à l’honneur par la Nasa !>

Même « TF1 » en a parlé : <Ce photographe nous en met plein la vue !>

Et « Ouest France » <Sa photo d’un « airglow » capturée en Dordogne est l’image du jour sélectionnée par la Nasa>

La plateforme numérique : « Lille Aux Artistes » qui promeut les artistes et la culture des Hauts-de-France dispose d’une page consacrée à cet étudiant artiste : <Julien Looten>

Il faut savoir que sur le site de la NASA, « Apod » c’est généralement, des images capturées par des télescopes comme James Webb ou Hubble qui sont publiées.

Un tel voisinage ne peut être que valorisant

On pourrait dire que la nature est belle.

Cela est certes vrai.

Il faut cependant savoir qu’il n’est pas possible de voir ce que montre cette photo, à l’œil nu.

<1731>

 

Lundi 17 octobre 2022

« La nature, ça n’existe pas. »
Philippe Descola

Philippe Descola est un anthropologue, disciple de Claude Levi Strauss. Il est né en 1949.

Je l’avais évoqué lors du confinement en renvoyant vers une page de Radio France. C’était le mot du jour du <22 avril 2020>:

Il a été l’invité du Grand Face à Face du samedi 15 octobre 2022, interrogé par Ali Baddou, Natacha Polony et Gilles Finchelstein.

C’était en raison de son actualité : il vient de publier un livre avec Alessandro Pignocchi : « Ethnographies des mondes à venir » paru le 23/09/2022.

Seuil présente cet ouvrage ainsi :

« Au cours d’une conversation très libre, Alessandro Pignocchi, auteur de BD écologiste, invite Philippe Descola, professeur au Collège de France, à refaire le monde. Si l’on veut enrayer la catastrophe écologique en cours, il va falloir, nous dit-on, changer de fond en comble nos relations à la nature, aux milieux de vie ou encore aux vivants non-humains. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Dans quels projets de société cette nécessaire transformation peut-elle s’inscrire ? Et quels sont les leviers d’action pour la faire advenir ? En puisant son inspiration dans les données anthropologiques, les luttes territoriales et les combats autochtones, ce livre esquisse la perspective d’une société hybride qui verrait s’articuler des structures étatiques et des territoires autonomes dans un foisonnement hétérogène de modes d’organisation sociale, de manières d’habiter et de cohabiter.

Des planches de BD, en contrepoint de ce dialogue vif, nous tendent un miroir drôlissime de notre société malade en convoquant un anthropologue jivaro, des mésanges punks ou des hommes politiques nomades et anthropophages en quête de métamorphoses. »

J’ai trouvé cet entretien très intéressant et j’ai d’ailleurs tenté d’acheter le livre dans ma librairie habituelle, mais elle avait vendu tous les exemplaires disponibles.

Cet entretien vous pouvez l’écouter en version audio, à partir de la 24ème minute : <Le Grand Face à face>

Ou en version vidéo à partir de la 27ème minute : <Le Grand Face à Face>

Il avait également été invité par « La tête au carré » du 4 octobre de Matthieu Vidard. Dans cette émission il était accompagné d’Alessandro Pignocchi.

Jeune étudiant, dans les années 1970, il était parti au fin fond de l’Amazonie, entre l’Équateur et le Pérou, à la découverte du peuple des « Achuars ». Il y a passé trois ans en immersion puis y a fait plusieurs séjours.

Dans l’émission, il revient plusieurs fois sur cette expérience et surtout sur l’évolution de sa conception des relations entre les humains et les non humains.

L’anthropologue avait déjà développé ces idées et donné les mêmes exemples dans une interview du 1er février 2020 à « REPORTERRE » : <Philippe Descola : « La nature, ça n’existe pas.»>

Je dois dire quelques mots sur ce site et son fondateur qui est aussi l’interviewer de Philippe Descola.

Ce site « REPORTERRE » a été créé en 2007 par le journaliste du « Monde » Hervé Kempf et a pour sous-titre « Le quotidien de l’Ecologie ».

Ce site en ligne est en accès libre, sans publicité et il est financé par les dons de ses lecteurs

Hervé Kempf avait quitté le quotidien Le Monde en 2013, estimant que ce journal ne prenait pas assez en compte les défis écologiques. Il s’était notamment vu opposé un refus répété de la direction du journal de le laisser réaliser des reportages sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Il s’agit d’un très long article, le site estime à 25 minutes le temps de lecture.

Dans cet article il explique pourquoi il considère que la nature n’existe pas :

«  « La nature a-t-elle une conscience ? » : cela renvoie à des interprétations romantiques parce que la nature est une abstraction.
La nature, je n’ai cessé de le montrer au fil des trente dernières années : la nature, cela n’existe pas.
La nature est un concept, une abstraction. C’est une façon d’établir une distance entre les humains et les non- humains qui est née par une série de processus, de décantations successives de la rencontre de la philosophie grecque et de la transcendance des monothéismes, et qui a pris sa forme définitive avec la révolution scientifique.
La nature est un dispositif métaphysique, que l’Occident et les Européens ont inventé pour mettre en avant la distanciation des humains vis-à-vis du monde, un monde qui devenait alors un système de ressources, un domaine à explorer dont on essaye de comprendre les lois. »

Et il me semble très intéressant de savoir que le mot « nature » est un mot quasi exclusivement utilisé par les européens dans leurs langues :

« Non seulement les Achuars n’ont pas de terme pour désigner la nature, mais c’est un terme quasiment introuvable ailleurs que dans les langues européennes, y compris dans les grandes civilisations japonaise et chinoise. »

C’est donc une invention européenne : l’idée que l’homme est un animal à part et qu’il dispose pour son bien-être et son plaisir d’un environnement qu’il peut utiliser à sa guise. Cet environnement, l’européen l’appelle la nature comprenant les autres animaux, les végétaux et aussi les minéraux. :

« Ce n’est pas une invention d’ailleurs -,cela s’est fait petit à petit. C’est une attention à des détails du monde qui a été amplifiée. Et cette attention a pour résultat que les dimensions physiques caractérisent les continuités. Effectivement les humains sont des animaux. Tandis que les dimensions morales et cognitives caractérisent les discontinuités : les humains sont réputés être des êtres tout à fait différents du reste des êtres organisés, en particulier du fait qu’ils ont la réflexivité. C’est quelque chose qui a été très bien thématisé au XVIIe siècle, avec le cogito cartésien : « Je pense donc je suis. » Je suis capable réflexivement de m’appréhender comme un être pensant. Et, en cela je suis complètement différent des autres existants. »

Descartes qui écrit aussi sans son « Discours de la méthode » de se rendre maîtres et possesseurs de la nature :

« Et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. »
Descartes, Discours de la Méthode

Mais les religions « du Livre » l’avait précédé et ont joué dans cette dérive un rôle essentiel :

« Dieu les bénit et leur dit : Reproduisez-vous, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la ! Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se déplace sur la terre ! »
Genèse 1.28

Et c’est ainsi que la culture occidentale s’est construite en séparant radicalement l’Homme, de la Nature.

Et Descola revient sur les raisons de son intérêt pour les Achuars :

« Pourquoi l’Amazonie m’intéressait-elle ? Parce qu’il y a dans les descriptions que l’on donne des rapports que les Indiens des basses terres d’Amérique du Sud entretiennent avec la forêt, une constante qu’on dénote dès les premiers chroniqueurs du XVIe siècle : d’une part, ces gens là n’ont pas d’existence sociale, ils sont ‘sans foi, ni loi sans roi’ comme on disait à l’époque. C’est-à-dire ils n’ont pas de religion, pas de temple, pas de ville, pas même de village quelquefois. Et en même temps, disait-on, ils sont suradaptés à la nature. J’emploie un terme moderne, mais l’idée est bien celle-là : ils seraient des sortes de prolongements de la nature. Buffon parlait au XVIIIe siècle « d’automates impuissants », d’« animaux du second rang », des termes dépréciatifs qui soulignaient cet aspect de suradaptation. Le naturaliste Humbold disait ainsi des Indiens Warao du delta de l’Orénoque qu’ils étaient comme des abeilles qui butinent le palmier –- en l’occurrence, un palmier Morisia fructosa, dont on extrait une fécule. Et donc ils vivraient de cela comme des insectes butineurs. »

Mais Philippe Descola en tire une tout autre conclusion :

« Les Achuars mettent l’accent – et d’autres peuples dans le monde – sur une continuité des intériorités, sur le fait qu’on peut déceler des intentions chez des non-humains qui permettent de les ranger avec les humains sur le plan moral et cognitif.

Et il raconte une expérience qu’il a cité aussi dans l’émission de France Inter plus succinctement :

« J’ai été en Amazonie avec l’idée que peut-être, s’ils n’avaient pas d’institutions sociales immédiatement visibles c’était parce qu’ils avaient étendu les limites de la société au-delà du monde des humains. […]

Nous avons commencé à comprendre ce qui se passait lorsque nous avons discuté avec les gens de l’interprétation qu’ils donnaient à leurs rêves. C’est une société — on le retrouve dans bien des régions du monde — où, avant le lever du jour, les gens se réunissent autour du feu, il fait un peu frais, et où l’on discute des rêves de la nuit pour décider des choses que l’on va faire dans la journée. Une sorte « d’oniromancie. »

L’oniromancie, c’est-à-dire l’interprétation des rêves. Il y avait des rêves étranges, dans lesquels des non-humains, des animaux, des plantes se présentaient sous forme humaine au rêveur pour déclarer des choses, des messages, des informations, se plaindre. Là, j’étais un peu perdu, parce qu’autant l’oniromancie est quelque chose de classique, autant l’idée qu’un singe ou qu’un plant de manioc va venir sous forme humaine pendant la nuit déclarer quelque chose au rêveur était inattendue. […]

C’était donc une femme qui racontait son rêve et disait qu’une jeune femme était venue la voir pendant la nuit. L’idée du rêve est simple et classique dans de nombreuses cultures : l’âme se débarrasse des contraintes corporelles, et entretient des rapports avec d’autres âmes qui sont également libérées des contraintes corporelles et s’expriment dans une langue universelle. Celle-ci permet donc de franchir les barrières de la communication qui rendent difficile pour une femme de parler à un plant de manioc.

Donc, la jeune femme venue la visiter lui avait dit : « Voilà, tu as cherché à m’empoisonner » « Comment ? Pourquoi ? » Et elle répondait : « Parce que tu m’as plantée très près d’une plante toxique ». Celle-ci est le barbasco, une plante utilisée dans la région pour modifier la tension superficielle de l’eau et priver les poissons d’oxygène. Elle n’a pas d’effet sur la rivière à long terme mais elle asphyxie les poissons, et c’est d’ailleurs une plante qu’on utilise pour se suicider. La jeune femme disait : « Tu m’as planté tout près de cette plante. Et, tu as cherché à m’empoisonner. » Pourquoi disait-elle cela ? Parce qu’elle apparaissait sous une forme humaine, parce que les plantes et les animaux se voient comme des humains. Et lorsqu’ils viennent nous parler, ils adoptent une forme humaine pour communiquer avec nous. »

Et quand Hervé Kempff le relance en envisageant que la femme avait l’intuition d’avoir mal agi et que son rêve est une conséquence de cette intuition : :

« Je ne sais pas. On peut supposer qu’en effet, elle avait soupçonné qu’elle avait planté ses plants de manioc trop près de ses plants de barbasco. Et que c’est apparu sous la forme d’un rêve. En tout cas, ce genre de rêve met la puce à l’oreille puisque les non-humains y paraissent comme des sujets analogues aux humains, en mesure de communiquer avec eux. »

Je ne peux pas citer tout ce long article que vous pouvez aller lire.

A une question d’Hervé Kempff il répond qu’il rêve aussi mais pas comme les achuars car :

« On ne devient pas animiste comme ça. »

En conclusion il dit comme son grand ami Bruno Latour qui vient de mourir :

« [Il faut] Inventer des formes alternatives d’habiter la Terre, des formes alternatives de s’organiser entre humains et d’entretenir des relations avec les non-humains. Je reprends la formule de Gramsci, « le pessimisme de la lucidité et l’optimisme de la volonté ». Moi, je dirais « le pessimisme du scientifique et l’optimisme de la volonté »

Je redonne les différents liens :

<1723>

Lundi 3 octobre 2022

« Les Krafft […] ne sont plus vulcanologues, ils deviennent des artistes, qui entrainent les spectateurs […] dans un royaume à la beauté insolite »
Werner Herzog à propos des images tournées par Katia et Maurice Krafft

Werner Herzog, né en 1942 est un des plus grands cinéastes allemands.

Ses films sont connus par tous les cinéphiles et notamment ses films avec Klaus Kinski :

  • 1972 : Aguirre, la colère de Dieu
  • 1979 : Nosferatu, fantôme de la nuit
  • 1979 : Woyzeck
  • 1982 : Fitzcarraldo
  • 1987 : Cobra Verde

Mais il est aussi l’auteur de documentaires et particulièrement de documentaires sur les volcans : La soufrière (1977) et Au fin fond de la fournaise (2016).

Sa dernière œuvre qu’ARTE vient de diffuser le samedi 1er Octobre est encore consacrée aux volcans, mais cette fois à travers les images, les vidéos qu’ont réalisées les époux Maurice Krafft et Katia Krafft-Conrad.

Ils sont tous les deux nés en Alsace : Maurice Krafft, le 25 mars 1946 à Guebwiller (Haut-Rhin) et Katia Conrad le 17 avril 1942 à Soultz-(Haut-Rhin).

Ils se rencontrent en 1966 pour ne plus jamais se quitter et parcourir le monde, sur les lieux où la terre rugit et les volcans déversent leur magma de manière fascinante et dangereuse pour tous ceux qui sont en proximité.

Ils voudront s’approcher toujours au plus près pour filmer et photographier ces monstres fascinants et dévastateurs.

Plusieurs fois, comme le montre le documentaire, ils échapperont de peu aux griffes de ces géants qu’ils sont allés contempler

Ils sont morts ensemble, victimes de leur passion commune, emportés avec 41 autres personnes par une nuée ardente, les techniciens parlent de coulée pyroclastique, sur les flancs du mont Unzen au Japon le 3 juin 1991.

Le choix des images et le commentaire que fait Werner Herzog magnifient le travail des époux Krafft, les images sont d’une beauté stupéfiante.

Quelquefois Herzog laisse défiler le film, par exemple celui tourné à Hawaï, simplement accompagné de la messe en Si de Jean-Sébastien Bach à partir de 33:13.

Werner Herzog introduit cette séquence :

« Les Krafft ne cessent d’être captivés par ces puissantes et fascinantes éruptions de magma à la surface de la terre.

Ils ne sont plus vulcanologues, ils deviennent des artistes, qui entrainent les spectateurs que nous sommes dans un royaume à la beauté insolite. Ils nous offrent un spectacle qui n’existent que dans les rêves.

Ces images se suffisent à elles-mêmes nous ne pouvons que contempler. »

Ce documentaire a pour nom « Au cœur des volcans, Requiem pour Katia et Maurice Krafft»

ARTE le rediffusera dimanche 9 octobre à 07:00.

Mais il peut être visionné en replay sur la chaîne <ICI> ou encore sur la chaîne Youtube d’Arte : <
Requiem pour Katia et Maurice Krafft>

<TELERAMA> commente :

« Dans un documentaire contemplatif et habité, le cinéaste rappelle le destin hors du commun du couple Krafft, volcanologues et faiseurs d’images hors pair disparus en 1991 lors d’une éruption au Japon.

Sur les photos, leurs bonnets rouges vissés sur le crâne leur donnent des airs de lutins défiant les crachats de montagnes turbulentes. Deux minuscules points rouges dans un théâtre de cendres et de fumées dont ils ne voulaient rater aucune des représentations. Au grand spectacle du magma, Katia et Maurice Krafft avaient pris un abonnement à vie. Vingt-cinq ans d’assiduité sans relâche à danser sur les volcans. Cent soixante-quinze éruptions guettées, filmées et photographiées au plus près des cratères, pour mieux partager, dans des dizaines de livres, de conférences ou d’émissions télé, leur passion de cette pyrotechnie jaillie des entrailles de la Terre.

Trente et un ans après leur disparition sur les flancs du mont Unzen, au Japon, avalés par une de ces ravageuses coulées pyroclastiques qu’ils étaient venus filmer, Katia et Maurice Krafft, volcanologues unis par le mariage et la lave qui coulait dans leurs veines, crèvent […] l’écran en ce début d’automne. »

Et <le Monde> écrit :

« Cette fois, le cinéaste allemand recourt aux images des spécialistes moins pour retracer leur parcours scientifique que pour interroger leur nature. Et sa réponse est sans appel : le couple (surtout Maurice, qui tenait la caméra pendant que Katia photographiait) était des cinéastes, et sa production est comme un film sans début ni fin, fait de plans prodigieux, que chaque imagination peut agencer.

On connaît les moteurs de celle de Werner Herzog : sa fascination pour les moments ultimes à l’approche de la mort, sa conscience aiguë de l’insignifiance de l’homme face au cosmos. [Il montre] une admiration inconditionnelle pour Katia et Maurice Krafft, qui ont toujours travaillé avec une conscience aiguë des risques qu’ils prenaient. Il remonte leurs images – les éruptions, mais aussi la désolation que les volcans répandent parmi les hommes – pour composer un poème qui laisse entière l’énigme que pose aux gens ordinaires le destin des vulcanologues alsaciens. »

Le Monde évoque un autre documentaire récent sur le même sujet que je n’ai pas vu

« Par une heureuse coïncidence, on pourra, sinon la résoudre, du moins avancer vers la solution, en découvrant Fire of Love, le très délicat documentaire que l’Américaine Sara Dosa a composé à partir du même matériau que Herzog, les images tournées et prises par le couple Krafft. La réalisatrice s’attache à superposer la passion amoureuse de Katia et Maurice Krafft (on pourrait presque croire que pour eux, l’humanité se résumait à leur couple) et leur passion pour les volcans, au point que la conclusion de leur odyssée tellurique, point d’orgue d’une tragédie chez Herzog, apparaît ici comme la culmination de l’intimité fusionnelle entre Maurice, Katia et les volcans. »

En conclusion des images uniques de beauté et de violence.


Quand on voit ces images, on se rend compte que lorsque la nature et la terre déclenchent de telles forces telluriques, homo sapiens redevient un animal fragile dont la seule issue est la fuite si elle reste possible.

<1716>

Vendredi 23 septembre 2022

« L’automne débute aujourd’hui. »
Cette année, comme le plus souvent, l’automne débute le 23 septembre

Moi je croyais que le plus souvent l’automne tombait le 21 septembre.

C’est manifestement faux.

Nous savons que le jour de l’automne est celui où la durée du jour et la durée de la nuit sont égales.

Ce moment a lieu entre le 21 et le 24 septembre, mais le 21 septembre est très rare.

Sur ce <site> qui donne la date des quatre saisons entre 1970 et 2037, soit 68 automnes, ce ne fut jamais le 21 septembre, ni le 24 d’ailleurs.

25 fois cela tomba un 22 et 43 fois, comme cette année, le 23 septembre.

<Le Figaro> nous apprend que la prochaine fois que l’équinoxe d’automne aura lieu un 21 septembre sera en… 2092 !

<Ce site belge> affirme que l’automne ne serait jamais tombé un 21 septembre depuis l’instauration du calendrier grégorien qui a été mis en place progressivement à partir de 1582.

Je ne sais pas pourquoi, l’idée que l’automne débute le 21 septembre s’est répandue.

Le Figaro non plus :

« Contrairement à une idée reçue, les saisons ne débutent pas toutes les 21 du mois. Pour l’automne, c’est même plutôt une chose rare […] »

Et le journal explique :

« Chaque année, le début de l’automne commence au moment exact de l’équinoxe d’automne, quand la ligne qui marque la limite entre le jour et la nuit à la surface de la planète passe par les deux pôles. La durée du jour y est donc égale à la durée de la nuit, partout sur Terre. Et en conséquence, lors de l’équinoxe, le soleil se lève exactement à l’est et se couche exactement à l’ouest.

Mais pourquoi cet équinoxe ne tombe-t-il pas le même jour chaque année ?

Premier paramètre, l’année peut durer 365 jours, ou 366 quand elle est bissextile. Cette variation entraîne donc un décalage dans les dates des saisons. »

L’année correspond à la révolution de la Terre autour du Soleil qui s’effectue précisément en 365 jours 5h48 minutes et 45 secondes.

« Le deuxième paramètre, c’est que la Terre ne décrit pas une orbite parfaitement circulaire autour de son étoile. Si c’était le cas, les saisons seraient de durées égales, et leur début pourrait se caler plus régulièrement sur le calendrier grégorien, qui a justement été conçu pour éviter que ces dates ne se décalent dans le temps.

Mais voilà, l’orbite terrestre est un tout petit peu excentrique : ce n’est pas un cercle, mais une ellipse très légèrement allongée, avec une distance Terre-Soleil qui varie entre 147 et 152 millions de kilomètres. »

Et le site belge apporte encore un troisième paramètre appelé « la précession des équinoxes. » ce qui signifie que la rotation de la Terre sur elle-même n’est pas parfaitement circulaire. En réalité, notre planète décrit un cône tous les 26 000 ans.

Cette année la date d’entrée de l’automne a intéressé beaucoup de monde. Ainsi sur France Culture, Guillaume Erner a invité Florent Deleflie, astronome à l’Observatoire de Paris- PSL, chercheur à l’Institut de Mécanique Céleste et de Calcul des Ephémérides, le 21 septembre pour expliquer que la saison des « sanglots longs des violons… » commencerait 2 jours plus tard.

< Pourquoi le début de l’automne ne commence-t-il jamais à la même date ?>

Florent Deleflie a précisé que l’équinoxe d’automne qui marque le début de la saison automnale tombe cette année « le 23 septembre et pour ce qui concerne la France à 3h, 3 minutes du matin et 43,51 secondes », d’après l’astronome à l’Observatoire de Paris.

Il s’git donc d’une position précise par rapport au soleil.

Selon <Geo> :

« Durant l’équinoxe, les deux hémisphères sont éclairés de la même façon, car le soleil est pile à la verticale au-dessus de l’équateur : en astronomie, il est dit que notre astre passe au Zénith, point d’intersection entre la verticale de l’équateur et la sphère céleste. »

Cet article donne aussi des éléments sur les éléments symboliques de l’Automne

« Le passage à l’automne est associé à des traditions et rites dans de nombreuses cultures à travers le monde. Moment de collecter une grande partie des récoltes avant les gelées de l’hiver, il a longtemps été célébré par les païens. Le « Mabon » nom celtique associé à cet équinoxe, s’accompagnait ainsi de festivités de gratitude. En Grande-Bretagne, c’est ce qui est appelé le « Harvest festival » habituellement fêté le dimanche de la pleine lune la plus proche de l’événement astronomique, mais la date diffère selon les célébrations locales.

Durant les équinoxes d’automne et de printemps, des milliers de voyageurs se rassemblent par ailleurs sur les ruines mayas de Chichén Itzá (Yucatán, Mexique). Car sur la pyramide de Kukulcán à cette période exacte, un jeu d’ombre et de lumière se crée : il laisse apparaître un serpent, descendant ou montant les 364 marches de l’escalier (365 avec l’entrée du temple) que forme le monument.

Aussi, le calendrier républicain mis en place le 6 octobre 1793 par les révolutionnaires (et utilisé jusqu’en 1805) avait fixé l’équinoxe d’automne comme premier jour de l’année. Car hasard du sort, l’institution de la République avait eu lieu ce jour même, le 22 septembre 1792 — ou plutôt, le 1er vendémiaire an I — au lendemain de l’abolition de la royauté. Mais il est supprimé par Napoléon Ier à son arrivée au pouvoir, qui revient au calendrier grégorien. ».

Ce début d’automne correspond pour nous à une semaine de repos.

Le mot du jour devrait revenir le 3 octobre.

<1715>

Mardi 23 novembre 2021

« Le Sabot de Vénus. »
Une fleur

Il existe tant de domaines dans lesquels je suis totalement ignorant. La botanique en fait partie.

Toutefois il reste toujours possible d’être capté par la beauté, par l’insolite, par l’intelligence de la nature.

C’est probablement un algorithme qui dans les méandres de ses raisonnements obscurs, m’a envoyé dans un flux d’actualité un titre parlant du « sabot de vénus ».

J’ignorais totalement de quoi il s’agissait.

Associé la déesse raffinée et sophistiquée de l’amour : « Vénus » et un sabot que « le Petit Robert » définit comme « une Chaussure paysanne faite généralement d’une seule pièce de bois évidée » me semblait constituer toute l’apparence de l’oxymore.

J’ai été intrigué et j’ai cliqué pour connaître la source de cette information qui m’avait été envoyée.

C’est ainsi que j’ai découvert l’Association : « Humanité et bio diversité »

C’est une association de protection de la nature et de la biodiversité qui a été créée en 1976.

Hubert Reeves était son président jusqu’en 2015, depuis il est président d’honneur.

Il avait succédé, en 2000, à Théodore Monod, au décès de ce dernier.

Aujourd’hui, elle est présidée par Bernard Chevassus-au-Louis qui est un biologiste et écologue français, normalien, élève de la Rue d’Ulm et qui a été directeur de recherche à lINRA.

Cette association est donc très sérieuse, et elle a un site : < https://www.humanite-biodiversite.fr/ >

Le message renvoyait vers <cette page du site> qui présente le sabot de Vénus.

J’ai appris ainsi que le sabot de Vénus était une fleur et plus précisément une orchidée.

Grâce à <Wikipedia> j”ai compris que les Orchidées ou Orchidacées (Orchidaceae), forment une grande famille de plantes comptant plus de 25 000 espèces et que la majorité des espèces se rencontrent dans les régions tropicales.

L’étymologie est un peu coquine et peut avoir quelques proximités avec Vénus. Car le nom provient de Orchis, qui est un mot latin dérivé du grec ancien órkhis.

Ce mot grec désigne un « testicule ». Wikipedia justifie cette filiation :

« En référence à la forme des tubercules souterrains de certaines orchidées terrestres des régions tempérées, lorsque ces tubercules sont jumelés. »

Le site < https://www.humanite-biodiversite.fr/ > donna la légende grecque qui lui vaut son nom

« La déesse Vénus découverte par un berger, s’enfuit en abandonnant un de ses sabots. Le berger voulût le ramasser mais le sabot disparût et à sa place poussa une orchidée : notre Sabot de Vénus. »

Selon les grecs on pouvait donc être déesse et porter des sabots.

Mais son nom provient probablement plus de l’observation de la fleur car :

« Ses fleurs ont la forme d’un petit sabot d’où elle tire son nom populaire. C’est en fait un “piège d’amour” dans lequel tombent les insectes (souvent une abeille sauvage du genre Andrena), d’où ils repartent couverts de pollen, avant d’aller visiter d’autres fleurs qui seront ainsi pollinisées. On l’appelle aussi Sabot de la Vierge ou Soulier de Notre-Dame. »

C’est aussi une plante rare qui est protégée au niveau national

« C’est une plante protégée au niveau français, mais aussi européen au titre de la Directive Natura 2000 et au niveau mondial au titre de la convention de Berne. Si vous la croisez dans la nature, prenez-la en photo mais ne la cueillez surtout pas, vous seriez en infraction. »

Elle est dans l’air du temps, elle n’a pas de genre ou plutôt elle est « en même temps » :

« Le Sabot de Vénus développe des fleurs hermaphrodites (à la fois mâle et femelle). Chaque fleur possède trois pétales et trois sépales. Les sépales, longs de 5 cm sont de forme lancéolée. Leur couleur varie entre brun rouge et brun chocolat. Généralement, cette espèce ne produit qu’une à deux fleurs par individu, très rarement trois. »

Elle est une des preuves que dans la nature la coopération est essentielle. Elle a besoin d’un champignon

« C’est une plante qui est très liée aux champignons ! Ainsi, les racines de la plante doivent s’associer avec les filaments d’un champignon permettant à l’orchidée de prélever l’eau et les sels minéraux dans le sol. Pour germer, les graines elles doivent être infectées par un autre champignon microscopique. »

Dans beaucoup de civilisations elle est considérée comme une plante médicinale :

« Le Sabot de Vénus fait également partie de la pharmacopée des indiens d’Amérique du Nord comme sédatif des états nerveux, de l’anxiété et du stress. Cette superbe orchidée soulagerait des troubles de l’insomnie et des dépressions, calme les tensions nerveuses et soulage des douleurs de la menstruation. En Europe, elle a surtout été utilisée comme plante hypnotique et sédative, d’où son nom anglais de Lady’s slipper. »

L’espèce fleurit de mai à juillet

Elle se trouve dans la nature en France, surtout dans les Alpes, plus rarement dans le Jura, la Côte d’Or, les Pyrénées et le Massif Central et presque dans tous les autres pays d’Europe et aussi en Amérique du Nord et en Asie.

Pour celles et ceux qui voudraient en planter dans leur jardin ou sur leur balcon, ce site <Le sabot de Vénus, une orchidée à la beauté raffinée> se veut très rassurant : « Nul besoin d’être « expert » pour cultiver le sabot de Vénus qui est, à de multiples égards, l’orchidée du débutant. »

Et j’ai trouvé cette belle vidéo dans laquelle une professionnelle nous dit : <Tout ce qu’il faut savoir sur les sabots de vénus>. C’est à la fois beau et instructif.

Voilà,  c’était un sujet nouveau de mot du jour.

Je ne suis pas devenu un spécialiste des sabots de vénus, mais j’ai appris de petites choses et je les ai partagées.

C’est ainsi que fonctionne le mot du jour.

Et puis après Beethoven et Maria Joao Pires, je ne me sentais pas en capacité de parler de sujets plus difficiles et parfois un peu déprimants.

<1627>

Vendredi 19 novembre 2021

« Les PFAS : produits chimiques éternels. »
Substances per- et polyfluoroalkylées

Nous avons parlé hier des livraisons de plus en plus rapides. Homo sapiens a ce goût de la vitesse, aller toujours plus vite et surtout plus vite que l’autre.

C’est une enquête du quotidien sportif « L’Equipe », publié le 10 novembre qui nous donne l’information <Peur sur la glisse> :

« C’est un scandale sanitaire qui touche plusieurs centaines, voire milliers de personnes. Depuis la fin des années 1980, un produit appelé « fluor » a rendu accros les skieurs de fond. Il aide à glisser et fait gagner de précieuses secondes à qui badigeonne ses skis avec. Loin des pistes, les chimistes connaissent mieux ce « fluor » sous le nom de « substances perfluorées », ou sous le sigle « PFAS ». Ces mêmes chimistes savent aussi que c’est un poison dit « éternel » qui contamine durablement l’être humain, l’environnement et l’ensemble des vivants.

Plusieurs utilisateurs français, dont d’anciens membres des équipes de France de ski, ont accepté de témoigner et disent être gravement touchés par le fluor. Des médecins et toxicologues estiment que l’ensemble des personnes ayant farté en employant cette substance, ou fréquenté des ateliers de préparations de ski sans protections importantes, ont mis leur intégrité physique en danger. « L’Équipe » a enquêté sur ce produit « miracle », dont l’usage longtemps incontrôlé a pu causer de graves dommages sur la santé et l’environnement. »

Mais il faut être abonné pour pouvoir lire la totalité de l’enquête

Claude Askolovitch dans sa revue de Presse du <11 novembre> en donne ce résumé :

« On parle d’un poison…

Qui comme souvent les poisons a pris l’apparence d’un grand bonheur, ici celui de glisser sur la neige dans une fluidité, une rapidité jamais éprouvée. Mais le prix de ce bonheur aura été la santé et parfois la vie de passionnés de ski de fond, un sport lové dans la nature, que la chimie a perverti… Sur son site, dans une enquête impressionnante où l’image, le son le texte se complètent, l’Equipe raconte le scandale du fartage… Ce geste rituel qui consiste à lubrifier ses skis, a changé de nature dans les années 80, quand arrivent des produits de la grande industrie chimique… Les PFAS, les substances perfluorées, des poudres au fluor qui repoussent l’eau, et libèrent les skis de l’attraction neigeuse… Et qui deviennent alors, chez les champions leurs préparateurs, chez les amateurs passionnés, un enchantement, une addiction…

Pour mieux glisser et faire glisser les autres, on devient alchimiste, on s’enferme dans des ateliers aux fenêtres et volets clos pour ne pas se faire voler ses secrets ses dosages, et là, avec des fers à souder, on porte le produit à incandescence, car il faut, dit-on, pour que le fartage soit efficace, que la poudre cristallise et que volent devant vous des petites étoiles… On voit les étoiles, on farte, on glisse, mais on ressort des ateliers surchauffés dans un état second, comme ivre, drogués, titubants… Et vous lisez dans l’Equipe, des toux, des poumons qui s’étiolent, des fièvres qui prennent, la mort d’un maitre italien de la glisse, l’AVC d’un entraineur français au sortir d’une séance de fartage où il avait dit, « on va en crever. ».. En quelques années le ski de fonds réalise qu’il s’est donné à une substance maléfique que la chaleur rend létale, qui se dépose et imprègne la peau, le sang de hommes, et la nature aussi, et qui a déjà provoqué autour de ses usines scandales et procès.

Il faudrait farter ses skis protégé par des gants, des masques, il faudrait ne plus farter au fluor, mais si on l’interdit, il y aura des tricheurs, un dopage fluoré au mépris du danger, tant la glisse fut bonne et les médailles belles, lis-je, sur le site de l’Equipe : ainsi le poison prend aussi les âmes… »

Ces produits ne posent pas que des soucis à toutes celles et ceux qui les ont manipulés pour farter les skis, mais plus généralement à la santé et à l’environnement, parce qu’on avait trouvé efficient d’en mettre partout.

<ECHA> qui est une agence de l’Union européenne dans la chimie explique que les substances perfluoroalkylées (PFAS) forment une grande famille de plusieurs milliers de produits chimiques synthétiques qui sont couramment utilisés dans l’ensemble de la société et que l’on retrouve dans l’environnement :

« Elles contiennent toutes des liaisons carbone-fluor, qui comptent parmi les liaisons chimiques les plus fortes de la chimie organique. Cela signifie qu’elles ne se dégradent pas après utilisation ou rejet dans l’environnement. La plupart des PFAS sont également facilement transportées dans l’environnement sur de longues distances, loin de leur source d’émission.

On a fréquemment observé une contamination des eaux souterraines, des eaux de surface et du sol par les PFAS. Le nettoyage des sites pollués est techniquement difficile et coûteux. Si elles continuent à être rejetées, elles ne cesseront de s’accumuler dans l’environnement, dans l’eau potable et dans les aliments. »

<Ce site> explique en outre que la famille des PFAS est constituée de plus de 4700 molécules chimiques artificielles produites depuis les années 40. Leurs propriétés physico-chimiques de résistance aux fortes chaleurs, aux acides, à l’eau et aux graisses expliquent leur présence dans de nombreuses applications industrielles et dans une multitude de produits de consommation.

« A titre d’exemples, les PFAS sont utilisés dans les emballages en papier et en carton pour un usage alimentaire, dans les ustensiles de cuisines (notamment pour tout le matériel anti-adhésif), dans les textiles (vêtements d’extérieur, tissus d’ameublement), dans certains pesticides et médicaments, dans les mousses anti-incendie, dans les imperméabilisants, les isolants de fils électriques, les vernis, les peintures et même dans certains cosmétiques.

Extrêmement persistantes dans notre environnement et dans notre corps, ces molécules sont connues sous le nom de « produits chimiques éternels ». S’accumulant au fil du temps dans l’environnement et chez l’être humain, ces substances pourraient avoir de potentiels impacts sur la santé. L’exposition à ces contaminants peut se produire de différentes manières (métiers à risques, contacts avec la peau, inhalation) mais aussi via la consommation d’aliments à risque : l’eau potable, le poisson, les fruits, les œufs ou les produits transformés à base d’œuf, aliments en contact avec emballages en contenant ou cuisinés avec des ustensiles en contenant. »

<La mission pour la Science et la Technologie> de l’Ambassade de France Aux États-Unis montrent qu’aux États-Unis ces produits chimiques sont très présents dans les eaux potables et inquiètent les américains alors que les normes américaines sont beaucoup plus laxistes que les normes européennes.

Un article du Figaro du 18 octobre 2021 rapporte que L’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a décidé de mener une action vigoureuse pour limiter l’utilisation de ces substances. Le chef de cette agence, Michael Regan a déclaré :

«Depuis bien trop longtemps, les familles américaines — notamment dans les quartiers défavorisés — ont souffert des PFAS dans leur eau, leur air ou les terrains sur lesquels jouent leurs enfants […] Cette stratégie nationale complète sur les PFAS va protéger les personnes qui en souffrent, en prenant des mesures concrètes et courageuses s’attaquant au cycle de vie complet de ces substances chimiques.»

Et « National Geographic » nous apprend que les emballages de fast-food aussi en sont des grands utilisateurs : < Les PFAS, ces substances nocives omniprésentes dans nos emballages alimentaires >

Il semble que certains fabricants comme 3M cité par Wikipedia ont renoncé à utiliser ces substances.

Mais vu le nombre important d’articles récents sur ce sujet, il semble bien que la prise de conscience du danger soit assez récente.

<1625>

Lundi 21 septembre 2020

«Sais-tu […] que la perdrix cacabe, que la cigogne craquette et que si le corbeau croasse, la corneille corbine ?»
Fernand Dupuy, «L’albine»

Je reprends donc l’écriture quotidienne d’un mot du jour. C’est une discipline exigeante, parfois difficile et particulièrement complexe dans notre monde troublé par une pandémie, par des défis encore plus considérables de la destruction en cours de la biodiversité, du dérèglement climatique, de l’amenuisement des ressources naturelles.

Pour ce faire je ne dispose que du langage, cette structure verbale qu’utilise depuis des millénaires les humains pour échanger des informations, des récits, des injonctions et même des sentiments qui eux peuvent aussi s’exprimer différemment.

Mais aujourd’hui je vais m’intéresser aux sons qui sortent des la bouche des autres animaux ou des animaux non humains. C’est encore avec le langage humain qui a nommé ces sons que je vais pouvoir évoquer ce début de langage de nos colocataires sur terre.

C’est mon amie Marianne qui m’a signalé un texte qu’elle a trouvé sur une page Facebook.

Mais j’ai aussi trouvé ce même texte sur ce blog de <Henri Girard : Auteur de romans et de nouvelles>.

En réalité ce texte a été écrit par Fernand Dupuy dans un livre : « L’Albine, scènes de la vie en Limousin et en Périgord vert ».

Qui est Fernand Dupuy ?

Fernand Dupuy est né en1917 à Jumilhac-le-Grand en Dordogne à la limite du Limousin. Il sera instituteur puis résistant et s’engagera dans l’action politique. Il sera élu député et maire communiste de Choisy-le-Roi de 1959 à 1979.

Il fut aussi le secrétaire de Maurice Thorez (1948-1951) et membre du Comité central du PCF (1947-1964).

Il était aussi écrivain.

A son décès, en 1999, <L’Humanité> a écrit un hommage qui commence ainsi :

« Celui qui ne connaît pas le plaisir de voir se lever le jour sur le clapotis de l’eau ; qui, tapi dans les herbes, n’a jamais vu une biche venir boire ; celui-là est un infirme »

Et le journal ajoutait qu’il avait déclaré cela au Matin de Paris, en 1977.

Il a écrit des livres politiques comme « Jules Ferry, réveille-toi ! » (Fayard) et puis des livres sur la nature : « Histoires de bêtes » et « Pêcher la truite vagabonde ».

Et donc « L’Albine ». Ce livre est présenté par le site <Persée> :

« On appelle parfois Périgord Vert le pays qui prolonge au sud-ouest le plateau Limousin : même paysage de châtaigniers, de prairies plantées de pommiers et de cultures pauvres. Autour de l’Albine […]  une femme de tête qui anime la vie et le travail d’une ferme de moyenne importance en Périgord Vert, dont la mentalité présente un mélange d’ouverture au progrès et d’attachement à de vieux usages et superstitions, Fernand Dupuy a tracé un vivant tableau de la vie rurale en ce pays ; il montre les profondes transformations survenues dans les trente dernières années. Dans ce pays où la scolarisation s’est poursuivie avec retard, les transformations ont été d’autant, plus lentes. »

Voici donc le langage des autres animaux, les animaux non humains :

« Sais-tu que le chien aboie quand le cheval hennit ?
Que beugle le bœuf et meugle la vache,
Que l’hirondelle gazouille, la colombe roucoule et le pinson ramage.
Que les moineaux piaillent, le faisan et l’oie criaillent quand le dindon glousse.
Que la grenouille coasse mais que le corbeau croasse et la pie jacasse.
Et que le chat comme le tigre miaule, l’éléphant barrit, »

L’hirondelle gazouille, mais les animaux humains le font aussi sur ce réseau social qui a pour nom anglais : « Twitter ». Je vous donne ci-dessous quelques exemples de la polémique sur la 5G et le modèle amish

« Que l’âne braie, mais que le cerf rait. »

Mais enfin, le cerf brame allez vous me dire ! Oui, mais il rait aussi, du verbe <réer>.

Mais que pourrait nous dire ce cerf victime de ce jeu qu’ont inventé les homos sapiens : la chasse à courre.

« Que le mouton bêle évidemment et bourdonne l’abeille, brame la biche quand le loup hurle. »

Nous sortons masqués en ce temps de COVID. Certains ne sont pas d’accord et utilisent pour expliquer leur désaccord la comparaison avec ce pauvre animal bêlant qui se laisse faire. « Nous ne sommes pas des moutons » devient le cri de ralliement.

« Tu sais, bien sûr, tous ces cris-là mais sais-tu ?
Que si le canard nasille, les canards nasillardent,
Que le bouc ou la chèvre chevrote,
Que le hibou hulule mais que la chouette, elle, chuinte,
Que le paon braille et que l’aigle trompette. »

Mais Donald Trump, qui semble être un animal humain chevrote t’il ? ou chuinte t’il ? quand il affirme ça finira bien par se refroidir ?

« Sais-tu encore ?
Que si la tourterelle roucoule, le ramier caracoule et que la bécasse croule, que la perdrix cacabe, que la cigogne craquette et que si le corbeau croasse, la corneille corbine, et que le lapin glapit quand le lièvre vagit ».

Les humains aussi peuvent roucouler. Mais les humains ont créé des séparations, des groupes et des communautés dont il ne faut pas sortir pour roucouler. Ainsi une famille bosniaque et de confession musulmane n’a pas toléré qu’une de ses femmes, veuille se marier avec un serbe chrétien

« Tu sais tout cela ? Bien.
Mais sais-tu ?
Que l’alouette grisolle,
Tu ne le savais pas ? Et, peut-être, ne sais-tu pas davantage
que le pivert picasse.  C’est excusable !
Ou que le sanglier grommelle, que le chameau blatère
Tu ne sais pas non plus (peut-être…) que la huppe pupule. (Et je ne sais pas non plus si on l’appelle en Limousin la pépue parce qu’elle pupule ou parce qu’elle fait son nid avec de la chose qui pue.)
Qu’importe ! Mais c’est joli : la huppe pupule ! »

Le chameau blatère ! Je ne le savais pas. Les humains déblatèrent plutôt. Le dictionnaire du CNRS explique que ce verbe déblatérer signifie ; « parler avec violence et prolixité contre quelque chose ou contre quelqu’un. » . Ce verbe vient du latin deblaterare « dire en bavardant à tort et à travers ». Verbe latin qui vient de blaterare « causer de quelque chose ». Le chameau causerait-il de quelque chose ?

Et voici la fin toute poétique de ce texte :

« Et encore sais-tu ?
Que la souris, la petite souris grise : devine ? La petite souris grise chicote ! Hé oui !
Avoue qu’il serait vraiment dommage d’ignorer que la souris chicote et plus dommage encore de ne pas savoir, que le geai cajole ! »

C’était un texte de Fernand Dupuy (L’Albine, scènes de la vie en Limousin et en Périgord vert).

<1457>

Jeudi 28 mai 2020

«Pour ma part, j’en suis sûr : le sens de la solidarité nous vient du fond des âges, il est profondément ancré dans notre nature.»
Frans de Waal

Franciscus Bernardus Maria de Waal, plus connu sous le nom de Frans de Waal est né en 1948 aux Pays-Bas. C’est un primatologue et un éthologue.

La primatologie est la discipline qui étudie les espèces de l’ordre des Primates donc essentiellement les singes, les humains et leurs ancêtres.

L’éthologie est l’étude scientifique du comportement des espèces animales, incluant l’humain, dans leur milieu naturel ou dans un environnement expérimental, par des méthodes scientifiques d’observation et de quantification des comportements animaux.

Deux mots du jour lui ont déjà été consacrés :

Frans de Waal a fait l’objet d’un entretien de la revue XXI, c’était dans le numéro 12 paru en octobre 2010.

L’entretien, qui avait été mené par Pierre Vandeginste a été repris dans l’ouvrage « comprendre le monde 

Dans son introduction le journaliste présente Frans de Waal de la manière suivante :

« L’homme descend du singe ? alors observons les singes pour mieux comprendre l’homme ! Tel est le point de départ du travail considérable abattu par Frans de Waal.

Il explique comment lui est venu le principal objet de ses études : l’observation de l’empathie chez les grands singes :

« Dans les années 1970, j’étais étudiant aux Pays-Bas et le grand sujet à la mode en éthologie était l’agression. C’était l’un des thèmes favoris de Konrad Lorenz, lauréat du prix Nobel 1973 qui avait publié en 1969 : « l’Agression, une histoire naturelle du mal ».

J’ai commencé à travailler sur ce sujet. Et, très vite, j’ai été surpris. J’ai constaté en observant des macaques, à Utrecht, que les conflits étaient rares et brefs. Et surtout, ils étaient séparés par de longues périodes pacifiques pendant lesquelles les ennemis de la veille vivaient en bonne entente. »

Et il raconte des choses étonnantes qu’il a vu :

« Un jour, mon attention a été attirée par une étrange scène : après une sévère bagarre, le groupe encerclait deux chimpanzés qui s’embrassaient, en les encourageant bruyamment. Or les deux singes s’étaient battus dix minutes plus tôt. Je venais de découvrir la réconciliation chez les primates.

J’ai longuement étudié le phénomène. Régulièrement, après une bagarre, je voyais les protagonistes entamer ce patient processus de réconciliation, qui les ramène l’un vers l’autre. Pendant un certain temps, ils gardent leurs distances, évitent de se croiser. Puis, insensiblement, ils se rapprochent, sans se regarder. Ils finissent par se trouver à proximité, mais dos à dos. Arrive enfin le moment où ils rétablissent le contact. Ils se rapprochent un peu plus, toujours sans croiser leur regard. Jusqu’à ce que l’un des deux pose une main – tout à fait par hasard – sur le dos de son adversaire pour se mettre négligemment à l’épouiller. »

Le plus étonnant de cette expérience, ce n’est finalement pas que Frans de Waal ait fait ces constats, mais c’est que la communauté scientifique ne les a pas tout de suite accepté et reconnu :

« A l’époque, tout comportement considéré comme négatif pouvait être associé aux animaux sans choquer. A l’inverse, les esprits n’étaient pas prêts à entendre que l’on observe chez l’animal, fut-il primate, un comportement présumé « humain ».

L’agression étant considérée comme quelque chose de « mal », il semblait logique que les bêtes en soient aussi capables. L’idée commune était que l’agressivité des hommes tenait à leur lointaine condition animale, ce n’était donc pas un problème d’utiliser le même mot pour parler de ce type de comportement chez l’homme et chez l’animal.

Pour ma part, je n’ai jamais considéré l’agression comme quelque chose de « mauvais ». C’est simplement une réalité biologique, un comportement que la sélection naturelle a retenu parce qu’il améliore la survie des individus »

Frans de Waal ne peut pas être considéré comme un homme naïf croyant à la bienveillance générale. Il a simplement observé que la bienveillance existait chez les primates, comme le désir de réconciliation.

Mais il a aussi constaté que les grands singes étaient des animaux politiques :

« Dans mon premier ouvrage pour le grand public « la Politique du chimpanzé », nos proches cousins ne sont pas présentés sous leur meilleur jour. C’est même souvent leur machiavélisme que je pointe.

Par la suite il va s’installer aux Etats-Unis, à Atlanta au Yerkes, un centre de recherche sur les primates, où il disposera de moyens de recherche tout à fait remarquables. Lui et son équipe réalise des expériences sur des thèmes comme le partage de la nourriture, la réciprocité, la coopération et la résolution de conflits. Et son analyse est la suivante :

« Ces résultats scientifiques montrent qu’à des degrés divers, les grands singes, notamment le chimpanzé et le bonobo, mais aussi des petits singes comme le capucin ou le macaque, sont capables de certains comportements que nous avons l’habitude de qualifier de « moraux ».

Il devient de plus en plus raisonnable de soutenir l’hypothèse que la propension humaine à se préoccuper du bien d’autrui est apparue bien avant nous, et s’appuie sur des mécanismes présents depuis longtemps au cours de l’évolution. »

Il publie en 1996 un ouvrage au titre provocateur : « Le bon singe » dans lequel il entend étudier les origines du bien et du mal chez les humains et d’autres animaux :

« J’ai voulu poser clairement la question de la morale en termes évolutionnistes. »

Cet ouvrage suscite des réticences chez certains chercheurs qui l’accuse d’appliquer une grille de lecture humaine au comportement animal, de se laisser subjuguer par son amour des animaux. Il conteste cela et invente un nouveau concept « l’anthropodéni » :

« Nos expériences sont réalisés dans des conditions rigoureuses. […] Nous nous donnons beaucoup de mal pour nous en tenir à des faits observables, mesurables. […]

J’ai fini par construire le « anthropodéni », anthropodenial en anglais. L’anthropomorphisme consiste à prêter abusivement une caractéristique humaine à un animal. A contrario, quand tout montre que certains animaux partagent réellement quelque chose avec l’homme, mais que, pour des raisons extérieures, philosophiques, religieuses ou autres, on ne veut pas le voir, c’est une attitude que je propose de nommer « anthropodéni ».

Dans la conclusion de l’article, l’éthologue donne sa conviction :

« Aujourd’hui encore, des économistes, des hommes politiques, notamment dans le camp républicain aux Etats-Unis, émaillent de justifications naturalistes leurs discours prônant le chacun pour soi. A les entendre, puisque l’homme est naturellement égoïste, il serait contre-nature de proposer des réformes allant dans le sens de la solidarité ou d’une réduction des inégalités. Nous ne serions, disent-ils, que motivés par la conquête du pouvoir, l’accumulation de biens matériels, sans aucune considération pour les autres.

  Ces discours sont anciens. Darwin avait à peine publié que, déjà, on lui faisait dire – au mépris de ses textes – que l’homme se devait d’être un loup pour l’homme. Au nom du struggle for life*, de la lutte pour la survie, ce qu’il n’a jamais écrit.

  Pour un biologiste, tout particulièrement pour un éthologue, c’est énervant, pour ne pas dire plus. A fortiori quand vous avez passé quarante ans à étayer la thèse inverse. Pour ma part, j’en suis sûr : le sens de la solidarité nous vient du fond des âges, il est profondément ancré dans notre nature. »

<1432>

Lundi 18 mai 2020

«Et je me suis lancée dans le combat contre le brevetage du vivant que je juge illégal, non scientifique, immoral et injuste.»
Vandana Shiva

Probablement ne le saviez-vous pas, mais il est possible désormais de breveter le vivant en Europe. C’est ce que nous apprend cette page de France 5, mise à jour le 11-02-2020. Je la cite :

« On croyait le brevetage des plantes non modifiées génétiquement impossible en Europe. Pourtant, l’Office européen des brevets (OEB) vient d’octroyer plusieurs brevets pour des légumes au profit de firmes internationales. Comment cette décision a-t-elle été possible et avec quelles conséquences ?

C’est une décision de la Grande Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets datée du 25 mars 2015 qui a permis de faire avancer “la cause” des multinationales sur le brevetage du vivant .

A la question “si l’on découvre un lien entre une séquence génétique existant naturellement dans une plante cultivée et un caractère particulier de cette plante, peut-on devenir propriétaire de toutes les plantes qui expriment ce caractère” , la Grande Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets a répondu …”oui”.

La décision de l’Office européen des brevets (OEB) d’accorder un brevet pour une tomate et un autre pour un brocoli, fait donc réagir de nombreux acteurs de l’écologie, comme du secteur semencier et agro-alimentaire.

Cette décision d’accorder des brevets pour des plantes non modifiées génétiquement était crainte et attendue : près de mille demandes de brevets de la part des industriels du secteur ont été effectuées en quelques années. Toutes ces demandes le sont pour des plantes dites “classiques”.

Christine Noiville, présidente du Haut Conseil des biotechnologies, docteur en droit et directrice de recherche au CNRS confirme la propriété temporaire qu’obtient l’entreprise sur la plante : ” Par cette décision, la Grande Chambre de Recours de l’Office Européen des Brevets confirme que l’entreprise peut bien obtenir un monopole temporaire sur le brocoli dit « anti cancer » et, au-delà, sur le caractère « anti cancer » lui-même, tel qu’il pourrait être intégré dans n’importe quel autre type de plante. Donc les sélectionneurs, voire les agriculteurs, qui produiraient des plantes possédant ce caractère breveté seraient astreints à payer une redevance à l’entreprise détentrice du brevet. ”

Jusqu’alors, en Europe, seul le Certificat d’obtention végétal (COV), lui-même déjà contesté par une partie des agriculteurs, pouvait être utilisé pour protéger la “propriété intellectuelle” de certaines semences issues des sélections naturelles.

L’inscription obligatoire au catalogue officiel [des semences] n’est pas toujours appréciée des agriculteurs, comme les redevances qu’ils doivent payer, mais dans l’absolu, l’échange de semences est toléré. Le COV semble un “moindre mal” comparé aux brevets, pour les agriculteurs. Pour la présidente du HCB, le basculement du COV vers les brevets est très important : “Le principe qui consiste à accepter que des plantes issues de procédés essentiellement biologiques, donc les produits de sélections essentiellement conventionnelles, soient protégées par des brevets, est une étape supplémentaire très importante dans l’évolution qu’ont connue les droits de propriété intellectuelle dans la sélection végétale ces 20 dernières années.”

Ce principe de brevetage du vivant — importé des Etats-Unis où il est actif depuis des décennies — est un cran au-dessus du COV, et amène un changement majeur pour le monde agricole, et par ricochet, pour la souveraineté alimentaire et l’autonomie semencière du continent européen. Par le biais de ce système, les plantes qui nourrissent la population peuvent devenir la propriété d’entreprises — le plus souvent spécialisées dans la génétique. Ces entreprises peuvent attaquer en justice — pour contrefaçon — les agriculteurs qui cultivent des plantes sous brevets sans autorisation et paiement d’une redevance. Comme dans le cas des plants d’OGM brevetés, majoritairement interdits à la culture en Europe. »

C’est dire combien est important le combat de cette formidable femme indienne Vandana Shiva qui se bat depuis de longues années contre le brevetage du vivant. Il me semble que je ne l’ai jamais cité dans les mots du jour. Ceci constitue un grave oubli que je répare aujourd’hui, parce qu’elle fait partie de ces personnes que la Revue XXI a interviewé et dont l’entretien a été inséré dans le livre « Comprendre le Monde » dans lequel je suis en train de butiner pour partager certains de ces entretiens.

L’article que je partage aujourd’hui a pour titre « L’illégal brevetage du vivant » et a été publié à l’automne 2015 dans la revue N° 32. La journaliste qui a réalisé l’entretien est Coralie Schaub.

<Wikipedia> la présente ainsi : Vandana Shiva est née le 5 novembre 1952 à Dehradun en Inde. Après avoir obtenu une licence de physique en 1972, puis un master en 1974, à l’université du Panjab, à Chandigarh en Inde, Vandana Shiva poursuit ses études au Canada. Elle y obtient un master de philosophie des sciences à l’université de Guelph en 1977, puis un doctorat dans la même discipline obtenu en 1978 à l’université de Western Ontario. Elle réoriente ensuite ses recherches dans le domaine des politiques environnementales à l’Indian Institute of Science.

Elle est l’une des chefs de file des écologistes de terrain et des altermondialistes au niveau mondial, notamment pour la promotion de l’agriculture paysanne traditionnelle et biologique, en opposition à la politique d’expansion des multinationales agro-alimentaires et au génie génétique. Elle lutte contre le brevetage du vivant et la bio-piraterie.

Tout en poursuivant sa lutte contre l’introduction des OGM dans son pays, Vandana Shiva s’engage dans une forme d’activisme mondial en faveur de la paix, la biodiversité et du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes.

Dans l’entretien, elle parle d’abord de son enfance :

« Je suis née après la colonisation britannique dans les premières années de l’indépendance de l’Inde. Mes parents s’étaient engagés dans ce mouvement. Ma mère a persuadé mon père, major dans l’armée britannique, de quitter l’armée pour rejoindre le service indien des forêts. C’était un acte fort. Mes parents m’ont donné une éducation gandhienne, empreinte de spiritualité. Ils m’ont enseigné la non-violence, la simplicité et la compassion. […] J’ai eu la chance de grandir autour de gens exceptionnels. J’ai été marquée par les longues discussions qu’avait mon père avec deux disciples de Gandhi. Ces deux femmes, d’origine britannique, avaient été baptisées Mirabehn et Sarla Behn par le Mahlatma. Elles étaient très engagées dans la défense des forêts. Lakshmi Pandit, la sœur de Nehru alors Premier ministre, venait aussi à la maison. »

Elle précise que ses parents étaient rebelles au pouvoir, mais elle garde aussi le souvenir de sa vie dans la forêt et de ce que disait sa mère :

« Nous aimions jouer dans les ruisseaux, cueillir des fougères et des fleurs que nous faisions sécher pour décorer nos cartes de vœux. Grandir dans la forêt, c’était faire l’expérience de la beauté.

Ma mère, elle, plantait de nombreux arbres autour de la maison. Les gens ne comprenaient pas et s’étonnaient : « Mais ces arbres donneront des fruits dans vingt ans ! et vous ne serez plus là pour les manger ; » Elle leur expliquait : « on ne plante pas un arbre pour soi-même, mais pour l’avenir. D’autres mangeront les fruits »

C’est évidemment une philosophie de vie difficilement accessible aux possesseurs des grandes entreprises qui déposent des brevets sur le vivant : « D’autres mangeront les fruits ! ».

Ses parents étaient des esprits de progrès qui souhaitaient l’abolition des castes et l’égalité entre femmes et hommes. Un de ses grands-pères a donné sa vie pour que les filles puissent aller à l’école :

« En 1956, le père de ma mère est mort d’une grève de la faim pour défendre la création d’une école de filles, qui existe toujours. Il était persuadé que l’Inde ne pourrait se reconstruire sans l’éducation des filles. J’avais 4 ans, il a forgé la personnalité de ma mère et la mienne. »

La chaîne <Brut> présente la vie de Vandana Shiva en moins de quatre minutes

Elle commence des études de science dans la physique nucléaire. Mais elle va s’en détourner quand elle comprend que ce savoir est partiel et ne s’intéresse pas à l’humain :

« En physique nucléaire, on apprenait à calculer la libération d’énergie d’une réaction en chaîne, mais les effets des radiations n’étaient pas enseignés. J’ai compris que mon savoir était parcellaire et je me suis demandé pourquoi on ne nous apprenait pas tout. Pourquoi la science ne cherchait-elle pas à connaître ses impacts ? […] Alors, j’ai voulu me tourner vers l’essentiel, le plus fondamental. J’ai lu tous les journaux à la recherche des personnes qui posaient les questions et tentaient d’y répondre. Ils étaient tous au Canada. C’est là que j’ai poursuivi mes études, en physique quantique et en philosophie des sciences ».

Après ses études au Canada elle est retournée dans son pays natal. Elle fait des recherches et mène une étude sur l’exploitation minière de la vallée où elle a grandi pour le Ministère de l’Environnement :

« Nous avons démontré qu’il était plus rentable de ne pas extraire le calcaire qui stocke l’eau naturellement, car le détruire obligeait à construire tout un système de stockage. LE ministère a fermé les mines et notre travail a servi de base à la première jurisprudence de la Cour suprême indienne en faveur de l’environnement : « Quand le commerce détruit la vie, il doit cesser. »

Elle date son engagement militant dans l’écologie lorsqu’elle fait le constat des ravages de la déforestation :

« Avant de partir au Canada, j’ai voulu emporter avec moi un peu de la joie ressentie enfant dans la forêt et j’ai refait le chemin de mes anciennes randonnées, pas loin de Dehradun. C’était un choc : ma forêt de chênes avait disparu, les ruisseaux aussi. C’était comme si une partie de moi-même était morte. J’avais grandi en imaginant que les forêts étaient éternelles. Pour la première fois, je prenais conscience de la puissance des forces de destructions commerciales. [un vendeur de thé] lui dit : « Il y a de l’espoir, grâce aux activistes de Chipko ». C’est alors que je me suis promis de me consacrer à cette cause. […]

La forêt himalayenne a été ma seconde université, et les femmes de Chipko mes professeurs. Avant de les rencontrer, la forêt était jusque-là, pour moi, la beauté. Pour elles, c’était la survie : la source de leur approvisionnement en eau, en énergie… Je me suis mise à lire des livres de sylviculture. Tous ces ouvrages considéraient la diversité comme gênante : une plantation forestière uniforme était commercialement bien plus utile ! J’ai alors décidé de mêler le savoir pratique des femmes à mon savoir universitaire pour obtenir un tableau complet. Les villageoises avaient compris que la déforestation tarissait les sources et cela n’était pas abordé dans les livres !»

Du combat pour la sauvegarde de la forêt elle va aller vers l’engagement qui l’a mondialement fait connaître dans l’agriculture :

« En 1984, deux évènements terribles sont arrivés qui m’ont donné envie de comprendre pourquoi l’agriculture devenait un monde si violent.

Le premier était l’explosion de l’usine de pesticides de l’American Union Carbide, à Bhopal. Après l’explosion, les substances chimiques répandues ont causé la mort de milliers de personnes. Je me suis interrogée sur la raison de l’utilisation de produits aussi dangereux.

Le second évènement était la vague de violence dans l’Etat du Pendjab […] Pourquoi les fermiers de cette région, réputée la plus fertile d’Inde prenaient-ils les armes alors que la révolution verte était censée nous apporter prospérité et paix ? Quelque chose clochait. Quelque chose lié à la terre et aux ressources. […] Je me suis plongée dans l’histoire des engrais et des pesticides chimiques. Et je me suis rendu compte que ces produits, utilisés pour nous nourrir, avaient été conçus pour tuer par la machine de guerre nazie et l’industrie allemande, à l’époque IG Farben. »

Et c’est en 1987 qu’elle découvre les noirs desseins de certains industriels. :

« Cette année-là, je suis invitée à un séminaire sur les biotechnologies organisé par une fondation suédoise à Genève. […] A un moment, les industriels évoquent leurs plans pour développer les OGM et prendre le contrôle des semences. Ils disent vouloir modifier génétiquement les plantes pour les breveter et accroitre leurs profits. Ils en parlent ouvertement et expliquent qu’ils comptent se regroupe pour mieux conquérir les marchés. Je suis secouée et j’entrevois ce qui risque de passer dans les fermes. Les paysans qui s’endettent pour acheter des engrais et des pesticides allaient aussi devoir s’endetter pour se procurer les semences.

Et c’est ce qui se passe ! Regardez : Ciba-Geugy, Sandoz et AstraZeneca ont fusionné pour devenir Syngenta ! Et Monsanto a racheté presque tous les semenciers de la planète. Ce que je n’imaginais pas à l’époque, c’est à quel point ces entreprises musèleraient les scientifiques s’intéressant à l’impact des OGM. A mes yeux, il n’y avait pas de temps à perdre et je me suis lancée dans le combat contre le brevetage du vivant que je juge illégal, non scientifique, immoral et injuste. Le plan exposé par les industriels me paraissait si totalitaire que seule une réponse gandhienne pouvait convenir pour lutter contre les multinationales et leur emprise sur la vie, les paysans, les citoyens »

Et c’est ainsi contre le brevetage du vivant et pour la conservation des semences anciennes et leur gratuité que Vandana Shiva va engager le combat.

L’entretien de la revue XXI et sa transcription dans le livre « Comprendre le Monde » ne se trouve pas sur Internet. Mais elle explique, de la même manière, sa stratégie et les outils de sa lutte dans <cet article d’Agora Vox> :

« Gandhi a été un modèle pour moi dès mon enfance, au travers de mes parents, qui m’habillaient avec le Khadi, un textile tissé à la main, mais surtout un symbole fort de son apport idéologique à l’Inde, son arme de lutte contre l’impérialisme britannique à une époque où tous les textiles provenaient d’Angleterre. Il clamait que nous ne serions jamais libres tant que nous ne produirions pas nos propres textiles. C’est la raison pour laquelle le tissage des vêtements a été une part importante de notre indépendance. […]

En 1987 à la Conférence de Genève, […] J’avais encore à l’esprit la façon dont Gandhi a symboliquement ressorti le rouet pour tisser et fabriquer des vêtements et je me suis demandé ce qui pourrait être le rouet de notre époque. J’ai pensé à la graine et j’ai commencé à en conserver depuis ce jour de 1987 en fondant Navdanya, mouvement de sauvegarde de la graine. La seconde facette de cette inspiration est le puissant concept de Satyagraha, que nous avons continuellement mis en pratique pour défendre notre droit aux semences libres..

Satyagraha signifie littéralement le « combat pour la vérité ». Et Bija Satyagraha signifierait le « combat pour la vérité de la graine ». Concrètement, la graine se reproduit, elle se multiplie, elle est partagée. Les paysans doivent avoir accès à ces semences. Nous avons commencé à pratiquer la « Bija Satyagraha » lorsque les grandes multinationales se sont mises à établir des monopoles sur les semences et ont utilisé notre gouvernement pour créer et mettre en place des lois qui existaient déjà en Europe et aux Etats-Unis, interdisant aux paysans d’utiliser leurs propres graines, rendant illégales des semences indigènes. »

Vous pouvez lire la suite dans l’article précité et dont je redonne le lien : < Vandana Shiva : graines de résistance>.

Je crois profondément que le combat de Vandana Shiva est juste.

Quand on réfléchit au monde d’après le COVID-19, cette question du brevetage du vivant et plutôt du non brevetage devrait se trouver parmi les tous premiers sujets à traiter.

Ce combat sera très âpre, tant les intérêts de puissantes forces financières sont à l’œuvre pour empêcher toute remise en cause de ces procédés qui leur assurent fortune et pouvoir.

<1426>