Mardi 12 novembre 2019

« J’ai une richesse incroyable, celle d’être la fille d’étrangers et en même temps d’être française. »
Ariane Ascaride, à la Mostra de Venise après avoir reçu le prix de la meilleure interprétation féminine pour « Gloria Mundi » de Robert Guédiguian

Ariane Ascaride est une actrice pleine de sensibilité et de talents. Fille d’immigrés italiens, elle est née en 1954 à Marseille.

Elle a surtout tourné ses films avec son mari, également né à Marseille, le réalisateur d’origine arménienne : Robert Guédigian

D’ailleurs les films de Guédigian sont presque toujours joués par le même noyau d’acteurs, Ariane Ascaride, Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin.

Ces trois acteurs jouaient dans le premier film de Guédigian que nous avons vu avec Annie : « Marius et Jeannette » qui avait reçu le César du Meilleur film en 1998.

Film admirable, à hauteur d’homme qui se situe dans le quartier de l’Estaque à Marseille. Il raconte la rencontre de deux représentants des « gens d’en bas » si on reprend les concepts utilisés aujourd’hui.

Nous en avons vu d’autres toujours avec grand plaisir, car ils expriment la profondeur des sentiments et la vie des gens, des vrais gens.

Depuis, nous allons peu au cinéma mais nous avons encore vu en 2006, « Le voyage en Arménie » dans lequel Robert Guédigian évoque la terre de ses ancêtres.

Beaucoup de films de Guédigian et d’Ariane Ascaride se passent à Marseille, mais ils habitent depuis longtemps à Montreuil-sous-bois, la ville de Georges Méliès, qu’Annie, Alexis, Natacha et moi avons aussi habité avec bonheur de 1991 à 2002.

Un nouveau film va donc sortir le 27 novembre 2019 : « Gloria Mundi »

Ce film a été présenté à la Mostra de Venise et Ariane Ascaride a eu le prix d’interprétation féminine.

Quand on reçoit un prix, on fait un discours.

Le discours d’Ariane Ascaride fut bref et poignant :

« Je suis la petite-fille d’immigrants italiens qui un jour ont pris le bateau pour tenter leur chance pour fuir la misère.

Ils sont finalement arrivés à Marseille, et c’est là que je suis née.

Ce prix me donne la possibilité de retrouver mes racines et c’est très important.

J’ai une richesse incroyable, celle d’être la fille d’étrangers et en même temps d’être française.

Sachez-le c’est très important d’avoir une, deux, trois cultures pour vivre dans ce monde.

Je dédie ce prix à tous ceux qui reposent pour l’éternité au fond de la Méditerranée. »

Vous trouverez derrière <ce lien> le discours en italien sans sous-titrage et pour avoir le discours sous-titré il faut aller sur la <page facebook de Robert Guédiguian>.

<France Info> dédie un article à lire sur ce prix et Ariane Ascaride.

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Vendredi 12 juillet 2019

« Celui qui sauve un seul homme est considéré comme ayant sauvé tous les hommes »
Coran, Sourate V verset 32, dans la traduction de Malek Chebel

C’est le Président Barack Obama, lors de son fameux <Discours du Caire> tenu le 4 juin 2009 à l’Université du Caire qui a rappelé ce verset du Coran :

« Le Saint Coran nous enseigne que quiconque tue un innocent tue l’humanité tout entière,
Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’humanité tout entière !»

Et j’ai lu dans diverses sources que dans le Talmud il en va de même : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière ». (Traité Sanhedrin, chapitre 5, Mishna 5).

Je n’ai pas trouvé l’équivalent dans la littérature chrétienne, mais cela m’a peut-être échappé.

Carola Rackete

Le magazine allemand « Der Spiegel » a mis son portrait à la Une de son journal le 6 juillet et lui a donné pour surnom : « Captain Europe »

Elle était la capitaine du navire « Sea Watch 3 » qui a forcé le barrage et l’ordre de Matteo Salvini, pour accoster à Lampedusa, le 29 juin 2019,  et faire débarquer les migrants en détresse sur la terre ferme, dans un port, comme le prévoit les règles internationales de la navigation.

Libération dans un article du <30 juin 2019> raconte :

« L’Allemande qui a accosté de force samedi à Lampedusa avec une quarantaine de migrants a été arrêtée par les autorités italiennes. »


Elle a été libérée depuis par une décision de la Justice italienne.

« Quelques jours avant d’accoster à Lampedusa, elle avait dit au Spiegel : «Si nous ne sommes pas acquittés par un tribunal, nous le serons dans les livres d’histoire.» […] Les autorités italiennes lui reprochent notamment d’avoir tenté une manœuvre dangereuse contre la vedette des douanes qui voulait l’empêcher d’accoster. Elle risque jusqu’à dix ans de prison pour «résistance ou violence envers un navire de guerre».

«Ce n’était pas un acte de violence, seulement de désobéissance, a expliqué Carola Rackete dimanche au Corriere della Sera. Mon objectif était seulement d’amener à terre des personnes épuisées et désespérées. J’avais peur.» «Après dix-sept jours en mer et soixante heures en face du port, tout le monde était épuisé, explique à Libération Chris Grodotzki de Sea Watch. L’équipage se relayait vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin de surveiller les passagers pour les empêcher de se suicider.» »

Ce qui est marquant ici, c’est l’affrontement de deux groupes irréconciliables :

Carola Rackete a débarqué sur l’île italienne sous un mélange d’applaudissements et d’éructations haineuses : «Les menottes !» «Honte !» «J’espère que tu vas te faire violer par ces nègres». Dans un tweet, le ministre de l’Intérieur italien, Matteo Salvini, s’est réjoui de l’arrestation. «Prison pour ceux qui ont risqué de tuer des militaires italiens, mise sous séquestre du navire pirate, maxi-amende aux ONG, éloignement de tous les immigrés à bord, désolé pour les “complices” de gauche. Justice est faite, on ne fera pas marche arrière !»

Si l’extrême droite italienne la qualifie de «criminelle», Carola Rackete suscite l’admiration en Allemagne. Celle que le Tagespiegel surnomme «l’Antigone de Kiel» est née tout près de ce port en bordure de la mer Baltique il y a trente et un ans.

«J’ai la peau blanche, j’ai grandi dans un pays riche, j’ai le bon passeport, j’ai pu faire trois universités différentes et j’ai fini mes études à 23 ans. Je vois comme une obligation morale d’aider les gens qui n’ont pas bénéficié des mêmes conditions que moi», avait-elle expliqué à la Repubblica. Avant de rejoindre Sea Watch il y a quatre ans, elle a participé à des expéditions pour l’Institut Alfred-Wegener pour la recherche polaire et marine, et pour Greenpeace. […]

Les politiques allemands ont donc fini par réagir. Samedi, le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD), déclarait : «Sauver des vies est un devoir humanitaire. Le sauvetage en mer ne devrait pas être criminalisé. La justice italienne doit désormais clarifier rapidement ces accusations.» «Une phrase typique de diplomate allemand timoré, commente Chris Grodotzki de Sea Watch. Nous avons demandé un millier de fois à Heiko Maas de prendre position sur le sauvetage en mer, sans succès jusqu’ici.» Dimanche, le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, affirmait dans une interview télévisée : «Celui qui sauve des vies ne peut pas être un criminel.»

Les 42 migrants du Sea Watch 3 ont donc fini par débarquer à Lampedusa. Ils devraient être répartis entre cinq pays : la France, l’Allemagne, le Portugal, le Luxembourg et la Finlande. Ceux-là ne seront pas morts en Méditerranée, où 17 900 personnes ont péri entre 2014 et 2018 selon un récent rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et où demeurent toujours engloutis les restes de 12 000 personnes. »

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Pia Klemp

Pia Klemp est aussi une jeune allemande qui était la capitaine d’un navire qui a sauvé des migrants.

Elle est toujours en prison, elle risque 20 ans de prison après avoir sauvé des migrants de la noyade.

C’est Frédéric Pommier qui en a parlé lors <d’une chronique> diffusé sur France Inter le 14 juin 2019

Elle est accusée du délit suivant : « aide et complicité à l’immigration illégale ». Une pétition a été lancée pour la soutenir

Frédéric Pommier explique ;

« C’est une femme dont la peau blonde est parsemée de tatouages d’inspiration japonaise : des montagnes sur une épaule, un goéland sur l’autre, des fleurs, des poissons… Un long maquereau nage sur l’un de ses tibias… Son corps est un tableau, comme un carnet de voyage… Mais ce n’est pas pour ces gravures colorées que les médias nous ont parlé d’elle ces derniers jours. Pas non plus pour sa formation de biologiste, mais pour ses fonctions de capitaine, car Pia Klemp – c’est son nom – est capitaine de bateau.

C’est au sein de l’organisation Sea Shepherd qu’elle a tout d’abord travaillé.Une ONG de défense des océans, dont la maxime est une citation de Victor Hugo.

« Il vient une heure où protester ne suffit plus ; après la philosophie, il faut l’action. »

Phrase tirée des Misérables. Un appel à la lutte et, dans le cas présent, la lutte pour la préservation des écosystèmes marins. Premier engagement de cette trentenaire née à Bonn en 1983.

C’est pour ça que j’ai appris à diriger un navire, pour ça que j’ai appris à diriger un équipage. La petite sortie du dimanche à la voile, ce n’est pas pour moi.

Sympathisante de la gauche radicale allemande, Pia Klemp a mené des expéditions dans les eaux de l’archipel nippon où, avec d’autres, elle est allée batailler contre les pêcheurs de baleines. Des centaines de cétacés harponnés chaque année… Massacre qui, là-bas, va d’ailleurs redevenir légal en juillet… Puis, après les rorquals, la jeune activiste a décidé de porter assistance aux hommes, espèce qui, elle aussi, parfois, mérite d’être protégée.

On est en 2016, et Pia Klemp se met au service d’autres ONG. Cette fois en Méditerranée, devenue, depuis le début de la guerre en Syrie, le plus grand cimetière d’Europe.

Aux commandes de deux bateaux humanitaires, elle participe au sauvetage de plus d’un millier de naufragés, en perdition sur des canots pneumatiques

Elle a sauvé des vies, des femmes, des ados, des enfants mais, suite à cela, elle est sous la menace d’un procès en Italie. […]

Calcul simple : 1 000 vies sauvées, amende de 15 millions d’euros . […]

Pour sa défense, elle invoque le droit maritime international, qui impose de porter secours à toute personne en détresse. C’est aussi ce qu’évoquent ceux qui la soutiennent. Une pétition en ligne a été lancée pour exiger l’abandon des charges qui pèsent sur elle… Elle a déjà recueilli plus de 100.000 signatures, et une photo accompagne le texte, celle d’un petit corps gisant sur une plage de Turquie ; le cliché tristement célèbre du petit Alan Kurdi, mort noyé à l’âge de trois ans, alors qu’il fuyait avec sa famille la guerre en Syrie.

C’était en 2015, et il était devenu le symbole de ces désespérés qui, au péril de leur vie, tentent de rejoindre une Europe qui ne sait les accueillir. Pia Klemp, elle, est devenue un autre symbole.

Elle est le nouveau visage de ceux que l’on accuse de délit de solidarité

Sur les réseaux sociaux, certains écrivent qu’elle aurait dû reconduire les naufragés de l’autre côté de la mer et que oui, elle mérite la taule !

Non. Elle mérite notre respect.

Cette femme aux tatouages d’inspiration japonaise fait honneur à l’humanité. »

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Klaus Vogel

Klaus Vogel est aussi allemand, un peu moins jeune que ses deux compatriotes. En octobre 2014, l’Italie met fin à l’opération humanitaire Mare Nostrum, chargée de porter secours aux migrants en Méditerranée. Klaus Vogel est alors capitaine dans la marine marchande. Il démissionne et crée avec Sophie Beau, en mai 2015, l’association <SOS Méditerranée> qui a pour ‘objectif d’affréter un bateau pour ne pas laisser des hommes et des femmes mourir aux portes de l’Europe. Ce bateau est l’Aquarius. Il écrira un livre qui raconte cette aventure : «Tous sont vivants»

C’est encore Frédéric Pommier qui en parle si justement et si simplement. <La revue de presse est de 2017>

« Il s’appelle Klaus Vogel, il a 60 ans, il est Allemand et pendant des années, il a fait le même cauchemar : un homme à la mer à qui il tend la main.

Son regard est empli d’effroi, mais impossible de l’agripper, sa main ne cesse de glisser et il n’est que le premier d’une longue farandole de naufragés désespérés qui tentent de flotter. Puis les plus éloignés disparaissent progressivement. « Je n’ai pas pu attraper le premier, et finalement ils sont tous morts », raconte Klaus Vogel dans les colonnes de SOCIETY.

C’est il y a 25 ans que, pour la première fois, il a fait ce cauchemar-là. A l’époque, il est lieutenant sur un cargo et la veille, son capitaine a refusé de prendre la route qu’il avait tracée – la route pourtant la plus rapide, la route pourtant la plus logique.

Mais non, il n’avait pas voulu, au motif qu’elle passait près des côtes du Vietnam et qu’ils risquaient donc de croiser des boat people en détresse. Klaus a donc obéi, tracé un autre itinéraire. Puis le soir même, il faisait le cauchemar de l’homme à la mer à qui il tend la main.

C’est le cauchemar de la mauvaise conscience

« J’étais prêt à participer à des sauvetages, et l’équipage aussi je crois, et c’est simplement par souci économique qu’on a fait un détour : au moins, on était sûr de ne pas croiser un boat people en difficulté qui nous aurait retardé. Mais, poursuit-il, cette idée de perdre du temps, et donc de l’argent parce que l’on sauve des hommes, du point de vue moral, c’est incompréhensible.
On ne perd pas du temps dès lors qu’on gagne des vies ! »

Lui en a gagné, des vies. Il a sauvé des milliers de vies.

Et c’est pour cette raison que le quinzomadaire dresse son portrait sur trois pages. Décidant de faire le boulot dont l’Europe et les politiques se sont, en somme, lavé les mains, l’ancien responsable de la marine marchande a fondé, il y a deux ans, SOS MEDITERRANEE. Une ONG dont le patrouilleur baptisé L’Aquarius, vient en aide à ceux qui ont eu la malchance de naître du mauvais côté de la mer.

L’Aquarius a déjà récupéré près de 20.000 naufragés au large des côtes libyennes, et depuis ces missions de sauvetage, Klaus Vogel ne fait plus le cauchemar qui l’a hanté durant plus de 30 ans. Plus de cauchemar, mais ce sont les témoignages des rescapés qui l’empêchent désormais de dormir. Il a donc décidé de passer le relais. Il a transmis à d’autres les rennes de l’ONG et de son projet Aquarius. « Pour moi, aller plus loin serait aller trop loin », dit-il.

Et l’on songe alors à cette parole du Coran qui, du reste, est également un proverbe juif : « Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière. »

Libération lui avait également consacré un article le 5 juin 2017 : « Klaus Vogel, cœur en stock » :

« Pas à pas, tenace et organisé, Vogel jette son dévolu sur un patrouilleur de 77 mètres. Depuis un an et demi, Aquarius a accompli 100 opérations de sauvetage et a récupéré 18 000 naufragés. Voici quelques jours, 1 000 personnes se sont hissées à bord, bien au-delà des capacités autorisées. Mais comment faire autrement, quand la flotte marchande se tient prudemment à distance de ces parages où se noie la misère du monde, et que les navires de guerre sont tenus de contenir le flux plutôt que venir au secours de ceux qu’emporte le vent noir de l’histoire immédiate ?

Initiateur de l’ONG SOS Méditerranée, le marin a dirigé les premières campagnes comme maître à bord. Depuis, il est le porte-voix et le glaneur de fonds de l’association.[…]

Pour pouvoir mener à bien une mission dont il ne tire aucun revenu, Vogel a créé une petite boîte de conseil. Il intervient auprès d’une association qui fait du coaching pour demandeurs d’emploi et leur explique comment il a réussi à mettre à flot sa structure maritime. De l’intérêt serpentin qu’il y a à se mordre la queue… Karin, sa femme de toujours, est infirmière. Leurs 4 enfants sont adultes. Récemment, ils ont vendu la grande maison de Göttingen et se sont installés à Berlin. Ils se promettaient des évolutions seniors de préretraités prêts à tout et intéressés par beaucoup. Et puis, SOS Méditerranée a tout bouleversé. Il ne sait trop de quoi demain sera fait. Si la caisse de bord sonne le creux, il pourra toujours retrouver un commandement au long cours. Il aime le large, moins l’éloignement qu’il impose. Et puis, il y a les vagues d’actualité qui se fracassent, et l’urgence en exigence. »

Après avoir perdu son pavillon et avoir été harcelé, immobilisé par les autorités maritimes, la justice italienne a demandé le placement sous séquestre du navire, SOS Méditerranée et ses partenaires ont annoncé en décembre 2018, renoncer à continuer d’utiliser <L’Aquarius>,.


Les Inrocks lui ont également consacré un article : « Un héros de notre temps : Klaus Vogel, capitaine au long cours au secours des migrants »

La question de la migration n’est pas chose simple. Elle ne peut pas être résumé à des tableaux de chiffres qui pour les uns disent qu’il y a peu de migration et que nous n’avons aucune peine à l’intégrer et qui pour les autres prétendent qu’un grand remplacement est en marche.

Mais on ne peut pas laisser mourir des enfants, des femmes et des hommes qui sont en train de se noyer dans la mer.

C’est aux États de réaliser cette mission.

Ils ont renoncé et c’est des femmes et des hommes qui se sont levés pour aller en mer réaliser ce devoir premier de l’humanité : empêcher les humains de mourir.

« Celui qui sauve une vie sauve l’humanité entière »

Le mot du jour se met au repos et au silence pour la trêve estivale. Il reviendra, si tout va bien, dans la seconde moitié du mois de septembre.

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Jeudi 29 novembre 2018

«Il y avait partout des réfugiés. Comme si le monde entier devait se déplacer ou attendait de le faire»
Homer Folks, le directeur du bureau des affaires civiles de la Croix Rouge (1)

L’actualité récente parle beaucoup des réfugiés, mais il faut savoir que la Première Guerre mondiale avait engendré des déplacements de population d’une ampleur sans précédent, de plus de 12 000 000 de civils. La seconde guerre mondiale fera encore pire (près de 60 000 000).


La création d’Etats-Nation dans lesquels apparaissait des minorités, le nouveau tracé des frontières, les conflits qui perduraient ont jeté sur les routes des foules de réfugiés. Parmi les plus importants il y a eu des transferts de population entre la Grèce et la Turquie, l’arrivée de Russes blancs, d’Arméniens dans les pays d’Europe occidentale, le départ d’Allemands de territoires germains intégrés au nouvel État polonais.

L’historien « Bruno Cabanes » a écrit un article dans la revue « L’Histoire » consacré à la Grande guerre. Article qui a pour titre : «Réfugiés : La catastrophe humanitaire »

« « Il y avait des réfugiés dans toute l’Europe. Pendant cinq ans, c’est comme si presque tout le monde devait partir ou attendait de le faire. » Ces mots de Homer Folks, le directeur du département des affaires civiles de la Croix-Rouge américaine en France, résument bien la situation à la fin de la Première Guerre mondiale. Tout le conflit a été marqué par d’importants mouvements de populations : entre 1914 et 1918 déjà, près de 3 millions de personnes, en Belgique, en France, en Italie, dans les Empires allemand, russe et ottoman, avaient dû quitter leurs maisons et leurs terres.

Loin d’apaiser la situation, la sortie de guerre l’intensifie pour plusieurs raisons. D’abord, on assiste au retour chez eux de nombreux réfugiés : dès la fin 1918, c’est le cas des personnes ayant fui les départements du nord de la France, libérés de l’occupation allemande. Ensuite, de nouveaux affrontements armés éclatent à la fin de la Première Guerre mondiale ou immédiatement après, comme la guerre civile russe (1917-1923), la guerre soviéto-polonaise (1919-1921) ou la guerre gréco-turque (1919-1922), qui poussent sur les routes des centaines de milliers de personnes, chassées aussi par les catastrophes humanitaires comme la grande famine russe de 1921-1922. Ensuite, la fin de la guerre entraîne le démantèlement de quatre empires, allemand, austro-hongrois, russe et ottoman, créant de nouveaux États et une résurgence des tensions ethniques. Enfin, les traités de paix instaurent des clauses de protection des minorités et généralisent le principe d’option qui oblige tout individu à transférer sa résidence dans le pays dont il a adopté la nationalité. Le traité de Trianon (4 juin 1920), par exemple, place quelque 3 millions de Hongrois hors des frontières du nouvel État. »

Parmi tous ces réfugiés, il y a d’abord des réfugiés russes qui fuient la guerre civile et la brutalité des bolcheviques :

« Le premier groupe est composé de 800 000 « réfugiés russes » : certains ont quitté la Russie avant la révolution et ne peuvent y revenir (c’est le cas du compositeur Stravinsky installé en France et en Suisse), d’autres ont dû fuir le pays en 1917 (par exemple, Rachmaninov et sa famille). A la fin 1920, après la défaite des armées blanches, d’anciens militaires de l’armée Wrangel et leurs familles sont évacués de la Crimée vers la région de Constantinople que le diplomate britannique Philip Baker décrit comme « l’un des points noirs de l’histoire européenne de l’après-guerre » »

Il y a bien sûr le premier peuple victime d’un génocide :

« Le deuxième grand groupe de réfugiés de l’après-guerre est constitué par les quelque 700 000 survivants du génocide arménien de 1915, éparpillés en Syrie, au Liban, ou en Égypte après la guerre. Originaires d’un pays qui n’existe plus (l’Empire ottoman), ils sont victimes de la loi du 15 avril 1923 sur la confiscation des biens des « absents », par laquelle le gouvernement kémaliste refuse de reconnaître comme ses ressortissants les Arméniens ayant trouvé refuge hors des frontières de la nouvelle Turquie entre 1914 et 1923. »

Et puis les mouvements de population issus du conflit entre les grecs et les turcs.

Troisième groupe enfin, le plus important en termes numériques, les 1,5 million de personnes concernées par l’échange forcé de populations au terme de la Convention gréco-turque du 30 janvier 1923, intégrée au traité de Lausanne du 24 juillet 1923, qui remplace le traité de Sèvres du 10 août 1920 et met fin à la guerre gréco-turque. Environ 1,3 million de Grecs orthodoxes sont contraints de quitter la Thrace orientale, la Cappadoce ou le Pont pour partir s’installer en Grèce, tandis que 385 000 musulmans grecs font le chemin inverse vers la Turquie. En l’espace de quelques mois, la Grèce doit accueillir un afflux de réfugiés équivalent à 20 % de sa population, essentiellement à Athènes et à Thessalonique, ce qui ne manque pas de susciter de vives réactions de la part de la population locale. »

C’est une première dans le droit international qui conduit à ce que la reconnaissance du fait national s’accompagne d’une volonté de « purification » de la nation dont ceux qui n’en font pas strictement partie doivent partir.

Cette situation déplorable des réfugiés et relayés par les journaux va conduire à développer les mouvements humanitaires.

Mais parmi les réfugiés il y a une catégorie encore plus fragilisée et en détresse, c’est celle « des apatrides » :

« Comme on l’imagine, cette situation est particulièrement intenable pour les apatrides. Au lendemain de la Grande Guerre, l’apatridie, jusqu’ici tenue pour une anomalie juridique, est de plus en plus fréquente, puisqu’elle concerne environ 3 millions d’individus au début des années 1920, en particulier les Russes blancs que Lénine a dénaturalisés par un décret d’octobre 1921. Elle pose divers problèmes liés à la liberté de circulation, à l’attestation de leur identité, ou au droit civil (droit des successions, droit de la famille). Des juristes, nombreux à travailler sur ce sujet à l’époque, en soulignent les terribles conséquences pour les individus : déni de la protection qu’un État devrait apporter à ses ressortissants (c’est le sens de la fameuse formule de la philosophe allemande Hannah Arendt, le « droit d’avoir des droits »), exclusion de la communauté humaine, et perte de dignité.

Il est créé aussi un « passeport » pour les apatrides et nous apprenons à connaître le Norvégien Fridtjof Nansen :

« Pour faire face à cette crise humanitaire sans précédent, la Société des nations fait appel au Norvégien Fridtjof Nansen, nommé en 1921 haut-commissaire de la SDN aux réfugiés russes. […]

Explorateur, océanographe, skieur habile, le Norvégien Fridtjof Nansen, né en 1861, devient diplomate sur le tard. Grand admirateur des idées de Wilson, il prend la tête, en 1920, du Haut-Commissariat de la SDN chargé du rapatriement des prisonniers de guerre puis, un an plus tard, du Haut-Commissariat aux réfugiés. Il donne son nom au « passeport Nansen », créé en juin 1922 lors de la Conférence intergouvernementale de Genève. Ce certificat, accordé aux Russes, puis aux Arméniens en 1923, enfin aux Assyriens et Assyro-Chaldéens en 1928, donne aux réfugiés une identité. Sans conférer à ses porteurs une totale liberté de mouvement ni la protection de leur pays de résidence, ce document constitue un premier pas vers la reconnaissance d’un droit international des réfugiés – défendue par Nansen jusqu’à sa mort, en 1930. »

En 1922, Nansen reçoit le prix Nobel de la paix pour son travail au nom des victimes déplacées de la Première Guerre mondiale et des conflits liés.

On constate, une fois de plus que les malheurs et les grandes souffrances pour des populations n’ont pas cessé avec le 11 novembre 1918. Ces déplacements de population feront des émules après 1945, avec des transferts massifs d’allemands chassés des pays dans lesquels ils vivaient avant la guerre, on peut aussi citer les terribles transferts de populations lors de la séparation entre l’Inde et le Pakistan.

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  1. Peter Gatrell et Philippe Nivet, La Première Guerre mondiale. sous la direction de Jay Winter Volume III Chapitre VIII Les réfugiés et les exilés pages 209 à 240, Fayard, 2014

Mercredi, le 28/10/2015

Mercredi, le 28/10/2015
«Ils disent que c’est un beau pays où un prince pourrait vivre
alors pourquoi l’abandonnas-tu, donne m’en la raison »
Extrait d’un chant traditionnel irlandais « Dear Old Skibbereen» se souvenant de l’immigration irlandaise du XIXème siècle.
Parmi les remarquables émissions de France Culture, il en est une encore plus singulière que les autres : « Concordance des temps » dont l’objet est celui « d’offrir sur l’actualité l’éclairage des précédents historiques, débusquer dans le passé des similitudes avec nos conjonctures contemporaines, rappeler des épisodes et des mutations qui trouvent, par les temps qui courent, des résonances inattendues, replacer dans la longue durée les événements, les émotions et les débats du présent, avec l’ambition d’aider ainsi à mieux les interpréter.»
Cette émission est animée par un homme d’une culture exceptionnelle, Jean-Noël Jeanneney né en 1942 dans une famille d’hommes politiques, son grand père, Jules, fût le dernier Président du Sénat de la 3ème République. Il fut lui-même secrétaire d’Etat, mais il est avant tout agrégé d’Histoire et fut président de Radio France, président de la mission d’organisation du bicentenaire de la révolution française et enfin président de la Bibliothèque Nationale de la France. Aujourd’hui, il jette son regard distant et cultivé sur l’Histoire et les évènements, à 73 ans.
Dans son émission du < du 03/10/2015 > il avait invité Philippe Chassaigne, professeur d’histoire des îles britanniques à l’université Michel de Montaigne à Bordeaux, pour se mettre en quête de similitudes avec notre présent en évoquant l’immigration des Irlandais.
Les irlandais catholiques avaient été dominés et colonisés par les anglais anglicans ou protestants qui étaient au début du XIXème siècle les vrais propriétaires des terres irlandaises. C’est dans ces conditions que se déclencha la grande famine en Irlande entre 1845 et 1852. Cette catastrophe fut en grande partie la conséquence de l’apparition du mildiou sur l’île, un parasite qui anéantit presque intégralement les cultures locales de pommes de terre, nourriture de base des paysans irlandais.
Dans un pays de 8 millions d’habitants, en quelques années, au moins un million de personnes sont mortes et deux millions ont été forcées de quitter leur île, dans des conditions dramatiques, quant au voyage et quant à l’accueil des terres promises, celles-ci étant pour beaucoup closes ou hostiles, en dépit des compassions et des solidarités.
Les irlandais émigrèrent aux Etats-Unis, au Canada et en Australie. Cette immigration ne fut pas facile, ils furent très mal accueillis aux Etats-Unis. Le film « Gangs of New York » de Martin Scorsese (2002) montra un exemple de cette violence et ce rejet à l’égard des migrants irlandais.
Et au début de cette émission, Jean-Noël Jeanneney eu l’excellente idée de faire écouter une chanson de la tradition irlandaise merveilleusement interprétée par <Sinéad O’Connor et que vous trouverez derrière ce lien>
Cette chanson est une réponse du migrant à la question de son fils « Pourquoi as-tu abandonné ton beau pays ?»
Voici les paroles de ce chant :
Dear Old Skibbereen.
O, father dear I often hear you speak of Erin’s Isle
Her lofty scenes, her valleys green, her mountains rude and wild
They say it is a lovely land wherein a prince might dwell
So why did you abandon it, the reason to me tell
oh cher père j’entends souvent que vous parlez de l’île d’Erin
ses vues incomparables, ses vertes vallées, ses montagnes rudes et sauvages
Ils disent que c’est un beau pays où un prince pourrait vivre
alors pourquoi l’abandonnas-tu, donne m’en la raison
My son, I loved my native land with energy and pride
Till a blight came over all my crops and my sheep and cattle died
The rents and taxes were to pay and I could not them redeem
And that’s the cruel reason why I left old Skibbereen
Mon fils j’aimais mon pays avec énergie et fierté
jusqu’à ce que ce fléau ravage toutes mes récoltes et tue mon bétail
les loyers et taxes étaient à payer et je ne pouvais rembourser
voilà la raison cruelle pour laquelle j’ai dû quitter mon vieux Skibbereen
‘Tis well I do remember that bleak November (/December) day
When the bailiff and the landlord came to drive us all away
They set the roof on fire with their cursed English spleen
And that’s another reason why I left old Skibbereen
Je me souviens en effet de ce jour de décembre glacial
quand le propriétaire et l’huissier sont venus nous chasser
ils ont mis le feu à la maison avec leur maudite mauvaise humeur d’Anglais
et c’est une autre des raisons pour laquelle j’ai quitté ce bon vieux Skibbereen
Your mother, too, God rest her soul, lay on the snowy ground
She fainted in her anguishing seeing the desolation round
She never rose, but passed away from life to immortal dreams
And that’s another reason why I left old Skibbereen
ta mère aussi, dieu ait son âme, repose sur le sol enneigé
elle s’évanouit de désespoir à la vue de la désolation alentour
elle ne s’est jamais relevée, mais elle a quitté cette vie pour les rêves immortels
et c’est une autre des raisons pour laquelle j’ai quitté ce bon vieux Skibbereen
Then sadly I recall the days of gloomy forty-eight.
I rose in vengeance with the boys to battle again’ fate.
We were hunted through the mountains as traitors to the queen,
And that, my boy, is the reason why I left old Skibbereen.
Alors tristement je me souviens de ces sinistres journées de 1848
je me soulevai l’esprit vengeur avec les garçons pour lutter contre le destin
nous étions chassés à travers les montagnes comme des traîtres à la couronne
et ça, mon gars, c’est la raison pour laquelle j’ai quitté Skibbereen.
Oh you were only two years old and feeble was your frame
I could not leave you with my friends for you bore your father’s name
So I wrapped you in my cóta mór at the dead of night unseen
And I heaved a sigh and I said goodbye to dear old Skibereen
Oh tu avais seulement deux ans et frêle était ton corps
je ne pouvais pas te laisser avec mes amis puisque tu portais le nom de ton père
alors je t’ai enroulé dans ma redingote au beau milieu de la nuit,
et j’ai soupiré et dit au revoir à ce bon vieux Skibereen
well father dear, the day will come when on vengeance we will call
And Irishmen both stout and tall will rally unto the call
I’ll be the man to lead the van beneath the flag of green
And loud and high we’ll raise the cry, “Revenge for Skibbereen!”
eh bien mon cher père, le jour de la vengeance viendra
et tous les Irlandais costauds et grands se rallieront unanimes à l’appel
je serais l’homme qui conduira le convoi sous la bannière verte
Haut et fort retentira ce cri, “revanche pour Skibbereen!”
Oh you were only two years old and feeble was your frame
I could not leave you with my friends for you bore your father’s name
So I wrapped you in my cóta mór at the dead of night unseen
And I heaved a sigh and I said goodbye to dear old Skibereen
Oh tu avais seulement deux ans et frêle était ton corps
je ne pouvais pas te laisser avec mes amis …
alors je t’ai emballé dans mon … à la fin de la nuit
j’ai soupiré et j’ai dit au revoir à ce vieux Skibereen
well father dear, the day will come when on vengeance we will call
And Irishmen both stout and tall will rally unto the call
I’ll be the man to lead the van beneath the flag of green
And loud and high we’ll raise the cry, “Revenge for Skibbereen!”
eh bien mon cher père, le jour de la vengeance viendra
et tous les Irlandais costauds et grands se rallieront unanimes à l’appel
je serais l’homme qui conduira le convoi sous la bannière verte
sonore et haut retentira ce cri, “la revanche de Skibbereen!”
<Ecoutez cette intéressante émission de la concordance des temps> et dont le titre est : “Des migrants en nombre immense : le cas de l’Irlande”
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Jeudi 16 avril 2015

Jeudi 16 avril 2015
« La culture du bien-être nous rend insensibles aux cris d’autrui [et] aboutit à une globalisation de l’indifférence. »
Pape François
Le Monde du 15 avril 2015 annonce que « 400 migrants auraient disparu dans le naufrage d’une embarcation de fortune, dimanche 12 avril, aux dires des 150 survivants, débarqués mardi matin en Italie et interrogés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et l’ONG Save the Children. Sur l’échelle de l’horreur, cet accident se situerait donc au-dessus des 366 noyés de Lampedusa, [d’octobre 2013] qui était à ce jour la plus grande tragédie de la Méditerranée en ce début de XXIe siècle.
Depuis ce week-end, et l’amélioration des conditions météorologiques, les passages entre la Libye ou la Tunisie et les côtes italiennes se multiplient. Le week-end a été très chargé, puisque les garde-côtes italiens auraient porté secours à 42 bateaux chargés au total de plus de 6 500 migrants dimanche et lundi. Lundi, ils annonçaient avoir sauvé 144 personnes et récupéré neuf corps après le naufrage de l’une des embarcations. Les informations sont encore insuffisantes pour comprendre si ces neuf corps sont une partie des 400 noyés ou sont issus d’un autre accident. […] Si le naufrage de ce week-end se confirme, ce sont 900 personnes qui auront péri sur cette route la plus meurtrière du monde en deux mois et demi, selon les comptages de l’OIM. A la même époque en 2014, 47 migrants y avaient perdu la vie. La fin de l’opération « Mare Nostrum » – un vaste programme de sauvetage pris en charge par les Italiens – et son remplacement par une patrouille de surveillance européenne des frontières, qui n’a pas mission première de sauver mais de surveiller, expliquent en partie cette hécatombe.»
Depuis l’an 2000, plus de 22.000 migrants ont perdu leur vie en Méditerranée.
La Méditerranée est devenue «la route la plus mortelle du monde» en 2014, avec au moins 3.419 migrants qui ont perdu la vie en tentant de la traverser en quête d’un avenir meilleur, a annoncé mercredi l’agence des Nations Unies en charge des réfugiés. En 2014, ce sont plus de 207 000 migrants qui ont tenté de traverser la Méditerranée, un chiffre presque trois fois plus élevé que le précédent record de 2011 lorsque 70 000 migrants avaient fui leur pays lors du printemps arabe.
Le pape François qui a du mal avec <la liberté sexuelle> et aussi avec <la liberté d’expression>, trouve les mots qui touchent quand il s’agit de parler de la misère et de l’attitude de nos pays riches devant la pression des opprimés et des pauvres qui sont prêts à mourir pour débarquer sur nos côtes européennes.
Il était allé en juillet 2013 à Lampedusa et avait tenu ce discours : «  La culture du bien-être nous rend insensibles aux cris d’autrui [et] aboutit à une globalisation de l’indifférence. […] Nos frères et sœurs cherchaient à sortir de situations difficiles pour trouver un endroit meilleur pour eux et leur famille mais ils ont trouvé la mort […] Qui est responsable du sang de ces frères et sœurs ? […] nous avons perdu le sens de la responsabilité fraternelle. »
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