Lundi 23 novembre 2020

« Nous étions brouillés, lui et moi »
Jean-Paul Sartre à propos de Camus, le lendemain de son accident mortel

<L’Obs> a republié le texte dans lequel Sartre essayait de rendre hommage à Camus le lendemain de sa mort. Cet hommage commence ainsi :

« Nous étions brouillés, lui et moi une brouille, ce n’est rien – dût-on ne jamais se revoir -, tout juste une autre manière de vivre ensemble et sans se perdre de vue dans le petit monde étroit qui nous est donné. »

Décrite ainsi, cette brouille pourrait paraître «gentille». Mais elle ne le fut pas du tout. Ce fut plutôt un lynchage, un ostracisme du monde intellectuel parisien.

Car à cet époque, Sartre dominait le monde intellectuel parisien et il est courant d’exprimer cette phrase qui serait de Jean Daniel : « J’aime mieux avoir tort avec Sartre que raison avec Raymond Aron ». Parce que Raymond Aron était classé à droite. Mais ce qui opposait Raymond Aron et Sartre était fondamentalement le même sujet que Camus et Sartre : Sartre défendait coûte que coûte les régimes communistes alors que Raymond Aron et Camus les vilipendaient en raison de leurs atteintes incommensurables à la liberté et aux droits humains. Raymond Aron leur reprochait aussi leur inefficacité économique.

Dans un < article de Libération publié en juillet 2017>, le journaliste Philippe Douroux, s’est rangé comme toute la gauche responsable derrière ce constat :

« Raymond Aron avait raison, hélas ! »

Après avoir vécu quelques temps à Oran avec son épouse Francine Faure, Camus va rejoindre, en pleine guerre, Paris. Il rencontrera Sartre et Simone de Beauvoir et ils furent bons amis. Mais alors que Camus entre dans la résistance et dirige le journal « Combat », Sartre et Beauvoir ne s’engagent pas dans l’action contre les nazis. Selon <Michel Onfray> ils participeront même à des médias collaborationnistes :

«Camus fut un adversaire philosophique terrible et Sartre a lâché les chiens contre lui. Sartre n’a rien compris à la politique : il n’a rien vu de la montée du nazisme, bien que vivant en Allemagne ; en 1933, il profite d’une offre faite par les fascistes italiens pour partir en vacances en compagnie de Beauvoir avec des billets à prix réduits ; il passe à côté de la Résistance ; il publie dans Comoedia, un journal collaborationniste, en 1941 et en 1944 ; il pistonne Beauvoir à Radio Vichy, où elle travaille, etc.»

Un article de <TELERAMA> détaille la genèse et les méandres de la querelle qui va les séparer.

Je n’en tire qu’un court extrait :

« Ce qui va séparer Sartre et Camus est la question communiste, la grande question de l’après-guerre. Camus, à Alger, a été communiste ; il connaît le Parti, sa grandeur quand il s’agit des militants pris individuellement, son dogmatisme bureaucratique quand il s’agit de l’appareil ; il se méfie des dirigeants, de leur soumission à Staline. Sartre, lui, n’a aucune expérience de l’action, il se pose des questions de principes et de théorie, en intellectuel. »

Un article récent du philosophe Roger-Pol Droit publié dans le journal « Les Echos » en dissèque les contradictions et les points saillants : <Camus-Sartre, on refait toujours le match>

« Entre lui et Jean-Paul Sartre, l’amitié avait laissé place à un conflit aigu entre deux conceptions de la politique et du rôle des intellectuels. […] leur querelle a marqué en profondeur, et jusqu’à nos jours, l’histoire intellectuelle et politique. »

A l’origine une réelle admiration réciproque les rapprochait :

« Avant de se rencontrer, ils ont commencé par se lire et s’apprécier, et même s’admirer, par romans interposés. Le jeune Camus, encore en Algérie, s’enthousiasme, en 1938, pour le premier roman de Sartre, La Nausée. Il en rend compte avec ferveur dans l’Alger républicain, le journal progressiste dans lequel il écrit. De son côté, Sartre lit L’Etranger dès sa parution en 1942. Il ne cache pas son engouement pour le jeune écrivain, parle abondamment de son talent, contribue à le faire connaître dans les cercles influents. Sartre, de huit ans l’aîné de Camus, commence ainsi par faire de ce jeune homme ardent, un peu sauvage, artiste plus qu’intellectuel, son protégé dans le petit monde littéraire de Paris occupé. »

Catherine Camus la fille d’Albert nous apprend que Sartre traitait Camus de « petit voyou d’Alger », lui qui était issu de la bourgeoisie parisienne, né dans le XVIème arrondissement. C’était dans le temps de l’amitié, un sobriquet affectueux. Par la suite, dans le temps du conflit ce sera un motif de supériorité, Camus n’ayant pas les mêmes lettres de noblesse que Sartre qui l’accusera de ne rien comprendre à la philosophie.

La dispute viendra de la publication de « L’homme révolté » de Camus et de la position devant le stalinisme :

« Leur entente philosophique et politique va se déliter, peu à peu, sous l’effet de la guerre froide. Un clivage aigu va bientôt séparer les amis des communistes, enclins à tout pardonner des pires méthodes de Staline, et les défenseurs des droits de l’homme, pour qui la révolution et ses lendemains enchantés ne peuvent justifier ni le totalitarisme de la dictature du prolétariat ni les meurtres de masse qui en découlent. Cette fracture, de plus en plus profonde entre Sartre et Camus, n’est pas visible d’un seul coup. Le fossé va se creuser par étapes. »

Le premier clivage vient de leur appréhension différente d’un livre que j’ai lu et qui dénonce avec force l’horreur et l’imposture du totalitarisme : « Le Zéro et l’infini » d’Arthur Koestler. Le zéro est l’individu, l’infini est le Parti :

« Camus soutient [ce livre]. En Algérie, il a vu de près, comment fonctionne la discipline communiste. Il refuse de passer sous silence les crimes des staliniens – éliminations, lavages de cerveau, procès truqués, déportations… Sartre, au contraire, choisit bientôt de soutenir coûte que coûte l’Union soviétique et le parti communiste, fût-ce au détriment de la justice et de la morale. Un soir, chez Boris Vian, Camus excédé claque la porte. Ce n’est qu’un premier signe. »

Et en 1951, Camus publie « L’homme révolté » :

« Dans ce maître-livre, il explique de manière incomparablement simple et forte comment toute révolte renferme un désir de justice, incarne une manière de se dresser contre la soumission, l’humiliation, la domination. Mais les révolutions confisquent ce désir. Elles renforcent le pouvoir de l’État, qui tue la révolte.

La Russie est ainsi devenue une « terre d’esclaves balisée de miradors ». La seule issue : se révolter contre la nouvelle oppression qui s’installe. « Tout révolutionnaire finit en oppresseur ou en hérétique », souligne Camus. La révolte, qui semble d’abord un mouvement individuel, devient à ses yeux le fondement du collectif : « Je me révolte, donc nous sommes », écrit le philosophe. »

Ceci va conduire non à une bataille d’arguments mais à une mise au ban, Camus n’est qu’un traître, un renégat, un transfuge parti rejoindre le camp de la bourgeoisie et des ennemis du prolétariat.

Et c’est un de ses aveugles qui adorait avoir tort avec Sartre qui va porter l’estocade :

« En mai 1952, Francis Jeanson se charge d’exécuter L’Homme révolté dans la revue de Sartre et de Simone de Beauvoir. Sa critique consiste à faire de Camus une « belle âme » sans ancrage dans l’histoire réelle : sa conception de la révolte ne tient aucun compte des « infrastructures », comme dit le jargon de l’époque, les bases économiques de la production, donc de la société et de la politique. »

Sartre finira par proclamer que

« Tout anticommuniste est un chien »

Vingt ans plus tard, un autre aveugle, Jean-Jacques Brochier donnera comme titre à un de ses ouvrages « Camus, philosophe pour classes terminales ! »

Pierre Bourdieu choisira le même camp :

« Que l’on pense simplement au Camus de L’homme révolté, ce bréviaire de philosophie édifiante sans autre unité que le vague à l’âme égotiste qui sied aux adolescences hypokhâgneuses et qui assure à tout coup une réputation de belle âme. »
(La distinction, p. 379.)

Aujourd’hui pour Michel Onfray, la victoire de Camus est totale.

Elle est aussi inscrite dans les chiffres :

  • Exemplaires de livre de Camus vendus·: 26 millions, Sartre : 15 millions
  • Livre le plus vendu de chacun : « L’Etranger » Camus : 9 millions « Huis Clos », Sartre : 3 millions
  • Traductions·de Camus : 70 langues, tous titres confondus, Sartre : 47 langues, tous titres confondus.
    (Données Gallimard)

Camus est dans l’éthique de la responsabilité : Même pour une cause juste il n’est pas possible de tout faire, de tout accepter. Il revient ainsi au message de son père, un des seuls qu’il a recueilli : « Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… ».

Sinon ce n’est pas un homme.

Sartre fait partie de ces hommes qui considèrent que les institutions notamment du capitalisme sont violentes et que les combattre permet d’excuser quelques débordements.

C’est aussi une manière d’excuser la violence qui peut exister en nous.

C’est enfin croire que tous les problèmes qui se dressent devant nous sont de la responsabilité d’autres, d’un ou de plusieurs autres. C’est ainsi une fuite devant nos responsabilités propres.

Dans mon esprit, il y a peu de doute que le combat de Camus est le bon combat.

Certains considèrent que ce n’est pas aussi simple. Ainsi Ronald Aronson écrit : « Sartre contre Camus : le conflit jamais résolu ».

Et le biographe de Camus, Olivier Todd, est aussi plus indulgent pour Sartre :

« Toute sa vie, Camus a été un homme du doute, incertain de son talent. Sartre, lui, croyait en son génie. Politiquement – aujourd’hui, c’est facile -, je suis plus proche de Camus. J’aimerais aussi qu’on se souvienne que Sartre, crypto-communiste, ne s’est pas toujours trompé. Par exemple, sur Israël et les Palestiniens, sur le Biafra. Il faut cesser de dire qu’il nous a trompés. On s’est trompé avec lui. J’ai de l’admiration pour Camus et je garde de l’affection pour Sartre. J’ai toujours aimé leurs livres. »

Même dans cette réaction mesurée d’Olivier Todd, je garde ma proximité avec Camus car je crois le doute très préférable aux certitudes qui sont l’essence même de l’intolérance et du totalitarisme.

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Vendredi 3 juillet 2020

« La part de ce qui unit [l’humanité…] demande de l’intelligence, encore de l’intelligence, comme de l’amour, encore de l’amour.»
Edgar Morin, ultime phrase de son dernier livre «changeons de voie»

Le 8 juillet 2021 sera la date du centième anniversaire de cet homme admirable qui a pour nom Edgar Morin, bien qu’il soit né Edgar Nahoum.

Il vient de publier, il y a quelques jours, en collaboration avec son épouse Sabah Abouessalam, un nouveau livre dans lequel il essaye de tirer les leçons du coronavirus, de comprendre les défis de l’après corona et de trouver un autre chemin, il parle de changer de voie.

Pour présenter son livre, il était l’invité de Nicolas Demorand et de Léa Salamé, sur France Inter le 25 juin 2020 : « Jamais je n’ai vu une crise aussi multidimensionnelle et aussi totale »

L’après-midi, je suis allé acheter le livre et j’ai commencé à le lire.

Le lire, comme on lit ce type de livre : l’introduction, puis la conclusion et ensuite on picore au milieu. Et quand cette approche donne faim, on lit de livre dans son intégralité. J’ai commencé cette dernière phase. Le silence qui s’annonce me permettra de le finir et aussi de commencer « Les souvenirs viennent à ma rencontre », ses Mémoires.

Edgar Morin n’aurait pas dû naître, c’est ce qu’il explique en introduction de son livre « Changeons de voie ».

Car il retrace rapidement les quasi cent ans qu’il a passé sur terre, et toutes les crises qu’il a rencontrées au cours de sa vie jusqu’à celle du coronavirus.

Les premiers mots de son livre concernent la grippe espagnole :

« Je suis une victime de l’épidémie de la grippe espagnole et du reste j’en suis mort, en fait né-mort, et ranimé par les giflements ininterrompus du gynécologue qui me tint trente minutes suspendu par les pieds. »

Sa mère Luna Beressi avait contracté une lésion au cœur suite à la grippe espagnole en 1917. Les médecins lui avait interdit d’avoir un enfant, car l’accouchement lui serait mortel. Elle n’en parla pas à son mari, ce n’était pas entendable à cette époque. Quand elle fut enceinte, elle consulta une « faiseuse d’anges » clandestine, puisque c’était interdit alors, qui lui donna des produits efficacement abortifs. Le résultat fut celui attendu, une fausse couche.

Enceinte à nouveau, elle tenta la même échappatoire, mais le fœtus s’accrocha. Edgar Morin écrit :

« Très perturbé, il naquit en sortant par le siège, étranglé par son cordon ombilical, le matin du 8 juillet 1921. Le gynécologue avait promis de sauver la mère. Il sauva mère et fils ».

Mais ce ne fut qu’un petit répit, Edgar Morin perdit sa mère à dix ans.

Puis, il y eut la crise de 1929 qui ruina son père, la montée de l’antisémitisme et la guerre. La guerre pendant laquelle Edgar Morin entra en résistance.

Avant de devenir l’immense intellectuel qu’il est, il y eut encore d’autres combats comme celui de prendre fait et cause pour le peuple algérien mais sans pactiser avec le FLN.

Faisant un grand bond en avant.

En 2008, il perd son épouse Edwige. Le Monde écrit :

« Ce grand intellectuel français, célébré dans de nombreux pays, n’en finit pas de pleurer Edwige, qu’il avait rencontrée pour la première fois au Chili en 1961 et épousée en 1978 après bien des péripéties. Elle est morte l’an dernier, après de longues souffrances, des crises terrifiantes, des nuits infernales, et il ne parvient pas à s’y résoudre. “Elle était mon rocher, ma citadelle”, écrit-il dans un ouvrage où larmes et sanglots sont présents à toutes les pages. “Je pleure, je pleure, je la pleure et me pleure. »”

Il a 87 ans. Et l’improbable surgit encore, lors d’un festival de musique, au Maroc : un coup de foudre. Sabah Abouessalam est sociologue. En 1979, elle a 20 ans, découvre Edgar Morin dans les livres, s’éprend de ses idées. En 2009, elle voit la main du père de la pensée complexe s’abattre sur la sienne : « Je vous lâche quand vous me donnez votre numéro de téléphone. » Edgar et Sabah se sont mariés quelques mois plus tard.

Ils ont écrit un livre sur leur histoire et sur l’amour : « L’homme est faible devant la femme »

Et c’est aussi avec elle qu’il a écrit ce dernier livre : « Changeons la voie ».

Au bout de sa vie et après toutes ces crises qu’il a vécu et étudié, il dit pourtant à propos de celle qui nous a saisi en ce début de 2020 :

« Jamais je n’ai vu une crise aussi multidimensionnelle et aussi totale »

Comment un minuscule virus dans une très lointaine ville de Chine a-t-il déclenché le bouleversement du monde ? Edgar Morin s’interroge surtout sur la capacité des humains à réagir :

« L’électrochoc sera-t-il suffisant pour faire enfin prendre conscience à tous les humains d’une communauté de destin ? Pour ralentir notre course effrénée au développement technique et économique ? »

Nous sommes aujourd’hui confrontés à de nouvelles perspectives : de grandes incertitudes et un avenir imprévisible. Ce à quoi l’humanité actuelle – qui vit à flux tendu – ne s’est pas préparée : « Il est temps de Changer de Voie pour une protection de la planète et une humanisation de la société. »

Morin et son épouse tirent des leçons de la crise que nous venons de vivre et de l’inimaginable – et inédit – confinement de plus de la moitié de l’humanité pendant trois mois : leçon sur nos existences ; sur la condition humaine ; sur l’incertitude de nos vies ; sur notre rapport à la mort ; notre civilisation ; le réveil des solidarités ; l’inégalité sociale dans le confinement ; la diversité des situations et de la gestion de l’épidémie dans le monde ; la nature de la crise ; la science et la médecine ; l’intelligence ; les carences de pensée et d’action politique ; les délocalisations et la dépendance nationale ; la crise de l’Europe ; la crise de la planète.

Dans l’émission de France Inter il dit :

« Il faut lier le politique, l’écologique, l’économie et le social »

Et aussi qu’il n’est pas pour la décroissance globale, mais il faut que la production de produits et de services futiles et superflus décroissent alors que des choses essentielles comme une bonne alimentation saine croissent.

Je ne peux pas faire une synthèse de ce livre que je n’ai pas encore approfondi.

Mais je voudrais, dès aujourd’hui, partager la conclusion qui me parait si essentielle dans son esprit, dans ses valeurs.

Aujourd’hui quand je discute avec des amis ou des gens moins proches, je sens souvent une immense colère, parfois même de la haine.

Certes, nos dirigeants ont fait des erreurs mais c’est une grande illusion de croire qu’ils sont responsables de tout et qu’il suffirait d’en changer pour que tout aille mieux.

Les choses sont plus complexes, une grande part du changement se trouve en chacun de nous.

Pepe Mujica nous invitait à la sobriété, Jean-Marc Jancovici nous disait qu’il fallait accepter de vivre avec moins et même les moins riches des pays occidentaux.

Rien de bon ne saurait être fait avec la colère qui aveugle et la haine qui détruit.

Edgar Morin et Sabah Abouessalam commencent leur conclusion de cette manière :

« Être humaniste, ce n’est pas seulement penser que nous faisons partie de cette communauté de destin, que nous sommes tous humains tout en étant tous différents, ce n’est pas seulement vouloir échapper à la catastrophe et aspirer à un monde meilleur ; C’est aussi ressentir au profond de soi que chacun d’entre nous est un moment éphémère, une partie minuscule d’une aventure incroyable qui tout en poursuivant l’aventure de la vie, effectue l’aventure hominisante commencée il y a sept millions d’années, avec une multiplicité d’espèces qui se sont succédé jusqu’à l’arrivée de l’Homo sapiens.

Un moment éphémère dans une aventure qui nous dépasse.

Et voici l’achèvement de sa conclusion

« Chacun est individu, sujet, c’est-à-dire presque tout pour lui-même et presque rien pour l’univers, fragment intime et infirme de l’anthroposphère ; mais quelque chose comme un instinct insère ce qu’il y a de plus intérieur à ma subjectivité dans cette anthroposphère, c’est-à-dire me lie au destin de l’humanité.

Au sein de cette aventure inconnue chacun fait partie d’un grand être avec les 7 milliards d’autres humaines, comme une cellule fait partie d’un corps parmi des centaines de milliards de cellules, mille fois plus de cellules chez un humain que d’êtres humains sur terre.

Chacun fait partie de cette aventure inouïe, au sein de l’aventure elle-même stupéfiante de l’univers. Elle porte en elle son ignorance, son inconnu, son mystère, sa folie dans sa raison, sa raison dans sa folie, son inconscience dans sa conscience, et chacun porte en lui l’ignorance, l’inconnu, le mystère, la folie, la raison de l’aventure. Je participe à cet insondable, à cet inachèvement, à cet inconnu si fortement tissé de rêve, de douleur, de joie et d’incertitude, qui est en nous comme nous sommes en lui…

Je sais que, dans l’aventure du cosmos, l’humanité est de façon nouvelle sujet et objet de la relation inextricable entre d’une part de ce qui unit (Éros) et d’autre part ce qui oppose (Polémos) ainsi que ce qui détruit (Thanatos). Le parti d’Eros est lui-même incertain, car il peut s’aveugler, et il demande de l’intelligence, encore de l’intelligence, comme de l’amour, encore de l’amour. »

C’est sur ces mots que je souhaite terminer cette saison de mots de jour, pour entrer dans le silence, la lecture, le ressourcement.

Je souhaite cependant terminer la série sur les œuvres que Schubert a écrites lors de l’ultime année de sa vie, l’année 1828.

Je me livrerai à cet exercice, au fil de l’eau et de l’inspiration en publiant ces mots quand ils seront prêts.

Pour la reprise de l’exercice quotidien d’écriture, il faudra attendre la seconde moitié de septembre, à une date qui reste à fixer.

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Jeudi 11 juin 2020

«L’idée même d’un système désigné sous le terme d’«économie» est un concept relativement récent. Il aurait été incompréhensible pour Luther, Shakespeare ou Voltaire»
David Graeber

Nous avons donc appuyé sur le bouton « Stop » de l’économie pour nous confiner., L’épidémiologiste, Martin Blachier, a expliqué dans l’émission « C en l’air de France > que c’était l’arme atomique pour lutter contre le virus.

Cette émission qui reprenant les informations de l’OMS nous annonce que si en Europe la pandémie est en recul, sur le plan mondial elle s’aggrave. Les États-Unis restent très touchés, l’Amérique du sud, l’Inde, l’Iran constatent une aggravation. Dimanche dernier le 7 juin a constitué, dans le monde, le bilan le plus élevé concernant les nouveaux cas de contamination.

Désormais, en Europe et aussi aux Etats-Unis il est surtout question de relancer l’Économie.

Jean-François de Dijon a attiré mon attention sur une tribune publiée le 27 mai dans Libération : <David Graeber : vers une «bullshit economy»>

David Graeber a été cité deux fois dans le mot du jour, sans en être le sujet principal :

  • La première fois, c’était le 4 novembre 2013. Cet article était consacré à la dette et plus précisément au concept allemand « Die Schuld » qui utilise le même mot pour désigner la dette et la faute ou la culpabilité.
  • La seconde fois, c’était beaucoup plus récemment le 21 mars 2019, dans lequel il était question des « Juicers », c’est-à-dire ces personnes qui sont chargées de chercher et de recharger électriquement les trottinettes qui encombrent les trottoirs de nos villes.

En fait, David Graber anthropologue américain a écrit un livre sur chacun de ces sujets.

Le premier consacré à la dette : « Dette : 5000 ans d’Histoire » publié en 2013, le second consacré au « Bullshit job » publié en 2018 et dont la traduction française la plus immédiate pourrait être : « Les emplois à la con ».

Il reprend donc le terme de « bullshit » dans sa tribune pour l’appliquer à l’économie, l’économie qu’on veut relancer. Il explique d’abord que le terme économie est un concept récent qui date du XIXème siècle :

« Bien que cette notion soit aujourd’hui considérée comme un fait naturel, l’idée même d’un système désigné sous le terme d’«économie» est un concept relativement récent. Il aurait été incompréhensible pour Luther, Shakespeare ou Voltaire. Peu à peu, la société a accepté son existence, mais la réalité qu’il recouvre est restée mouvante. Ainsi, lorsque le terme d’«économie politique» est entré dans l’usage courant, au début du XIXe siècle, l’idée qu’il désignait était très proche de l’«écologie» (sa cousine étymologique) : les deux termes s’appliquaient à des systèmes dont on considérait qu’ils se régulaient d’eux-mêmes, et qui, tant qu’ils conservaient leur équilibre naturel, produisaient un surcroît de richesse – profits, croissance, nature abondante… – dont les humains pouvaient jouir sans limite. »

Il applique dès lors sa méthode d’analyse toujours décapante aux boulots générés par l’économie en s’appuyant sur quelques leçons tirées du confinement :

« Mais il semble que nous ayons atteint un stade où l’économie désigne non pas un mécanisme censé pourvoir aux besoins humains ou même à leurs désirs, mais majoritairement à ce petit surplus, la cerise sur le gâteau : ce qui naît de l’augmentation du PIB. Pourtant, le confinement nous l’a assez montré : ce n’est que de la poudre aux yeux. Pour le dire autrement, nous avons atteint le point où l’économie n’est qu’un vaste nom de code pour une bullshit economy, une «économie à la con» : elle produit de l’excès, mais non un excès glorifié pour sa propre superfluité, comme l’aristocratie aurait pu le faire jadis – un excès cultivé avec violence et présenté comme le royaume de la nécessité, de l’«utilité», de la «productivité», bref, d’un réalisme froid et forcené.

Or ce qu’on nous sommes en train de faire repartir en «relançant l’économie», c’est précisément ce secteur à la con où des managers supervisent d’autres managers, le monde des consultants en RH et du télémarketing, des chefs de marques, des doyens supérieurs et autres vice-présidents du développement créatif (secondés par leur cohorte d’assistants), le monde des administrateurs d’écoles et d’hôpitaux, ceux et celles qu’on paie grassement pour «designer» les visuels des magazines dédiés à la «culture» en papier glacé de ces entreprises dont les cols-bleus à effectif réduit et en perpétuelle surchauffe sont forcés de s’atteler à des monceaux de paperasserie superflue. Tous ces gens dont le boulot, en somme, consiste à vous convaincre que leur boulot ne relève pas de l’aberration pure et simple. Dans l’univers corporate, nombreux sont les employés qui n’ont pas attendu le début du confinement pour être intimement convaincus qu’ils n’apportaient rien à la société. Aujourd’hui, travaillant presque tous à domicile, ils sont bien obligés de regarder la réalité en face : la partie nécessaire de leur travail quotidien est pliée en un quart d’heure ; mieux, les tâches qui doivent impérativement être effectuées sur place – attendu qu’elles existent – le sont beaucoup plus efficacement en leur absence. Un coin du voile a été levé, et les appels à « faire repartir l’économie» dominent dans le chœur de nos politiques, terrifiés à l’idée que le voile pourrait se lever pour de bon si on tarde trop à venir le baisser. »

Je pense qu’il doit être possible de nuancer son propos. Toutefois, certaines de ses diatribes trouvent quand même quelque écho dans notre vécu. Non ?

Il continue résolument en impliquant la classe politique et le monde de la financiarisation :

« Cette question est d’une importance cruciale pour la classe politique en particulier, car c’est fondamentalement une question de pouvoir. Tous ces bataillons de larbins, de gratte-papier et de rafistoleurs professionnels, je crois qu’il faut les voir comme la version contemporaine du serviteur féodal. Leur existence est la conséquence logique de la financiarisation, ce système où les bénéfices de l’entreprise découlent non pas de la production ou même de la commercialisation de biens quelconques, mais d’une alliance toujours plus forte entre les bureaucraties entrepreneuriales et gouvernementales, créées pour produire de la dette privée et devenant de plus en plus nébuleuses à mesure qu’elles s’imbriquent. »

Et il donne un exemple, sans préciser dans quel pays cette histoire a eu lieu. Mais là aussi notre expérience nous conduit à croire crédible ce récit :

« Pour donner un exemple concret de ce système : récemment, une amie artiste s’est mise à fabriquer des masques en quantité industrielle pour les offrir à celles et ceux qui travaillent en première ligne. Et voilà qu’elle reçoit un communiqué en vertu duquel il lui est interdit de distribuer des masques, même gratuitement, sans avoir préalablement souscrit à une licence très onéreuse. Une demande à laquelle personne ne pourrait satisfaire sans emprunter ; ainsi, on ne demande pas seulement à l’individu de commercialiser son opération, mais aussi de fournir à l’appareil financier sa part de toutes les recettes futures. N’importe quel système fonctionnant sur le principe d’une simple extraction de fonds serait ainsi censé redistribuer au moins une part du gâteau pour gagner la loyauté d’une certaine partie de la population – ici, en l’occurrence, les classes managériales. D’où les boulots à la con. »

Il exprime cette idée qu’il partage avec d’autres comme Bruno Latour :

« Il est évident que nous nous porterions mieux si de nombreux emplois mis entre parenthèses étaient bientôt rétablis ; mais il y en a peut-être davantage encore que l’on aurait tout intérêt à ne pas voir revenir – à plus forte raison si nous voulons éviter la catastrophe climatique absolue. (Songeons un peu à la masse de CO2 recrachée dans l’atmosphère et au nombre d’espèces animales éradiquées pour toujours, à seule fin d’alimenter la vanité de ces bureaucrates qui, plutôt que de laisser leurs laquais travailler de chez eux, préfèrent les garder sous la main en haut de leurs tours scintillantes.) »

On peut cependant rétorquer que ces boulots donnent des emplois et des revenus. Et que trouver d’autres voies permettant à ces personnes de trouver des sources de revenus n’est peut-être ni évident, ni immédiat.

Il s’attaque alors à un autre « totem » de l’économie actuelle : « la productivité »

Si tout cela ne nous semble pas criant de vérité, si nous ne nous questionnons pas plus que ça sur le bien-fondé de la relance de l’économie, c’est parce qu’on nous a habitués à penser les économies à l’aune de cette vieille catégorie du XXe siècle, la fameuse «productivité». […] On sait aussi que les stocks de frigos, de blousons en cuir, de cartouches d’imprimantes et autres produits d’entretien ne se réapprovisionneront pas tout seuls. Mais si la crise actuelle nous a permis de tirer un constat, c’est bien que seule une infime partie de l’emploi, même le plus indispensable, est véritablement « productive » au sens classique – à savoir qu’elle produit un objet physique qui n’existait pas auparavant. Et la plupart des emplois « essentiels » sont en fait une déclinaison de la chaîne du soin : s’occuper de quelqu’un, soigner un malade, enseigner à des élèves, déplacer, réparer, nettoyer et protéger des objets, pourvoir aux besoins d’autres êtres ou leur garantir les conditions dans lesquelles ils peuvent s’épanouir. Ainsi, les gens commencent à se rendre compte que notre système de compensation est éminemment pervers, car plus on travaille pour soigner les autres ou les enrichir de quelque manière que ce soit, moins on est susceptible d’être payé.

Ce que l’on perçoit moins, c’est à quel point le culte de la productivité, dont la principale raison d’être est de justifier ce système, a atteint un point où il se grippe lui-même. Tout doit être productif : aux Etats-Unis, le bureau des statistiques de la Réserve fédérale [la Banque centrale américaine] va jusqu’à mesurer la « productivité » de l’immobilier ! Où l’on voit bien que le terme n’est qu’un euphémisme désignant en réalité les « bénéfices ». Mais les chiffres émanant de cet organisme montrent aussi que la productivité des secteurs de l’éducation et de la santé est en berne. Il suffit de faire quelques recherches pour constater que les secteurs du soin sont précisément ceux qui sont le plus submergés par des mers, des océans de paperasse ayant pour but ultime de traduire des résultats qualitatifs en données quantitatives, lesquelles pourront ensuite être intégrées à des tableaux Excel, afin de prouver que ce travail a une quelconque valeur productive – en faisant évidemment obstacle à l’enseignement, à l’accompagnement ou aux soins bien réels. »

Sa conclusion est un appel au vivant, à prendre soins les uns des autres et de repenser les indicateurs qui doivent guider notre activité.

On comprend alors que les exhortations à relancer l’économie ne sont que des incitations à risquer notre vie pour permettre aux comptables de retrouver le chemin de leur box. C’est pure folie. Si l’économie peut avoir un sens réel et tangible, ce doit être celui-ci : les moyens grâce auxquels les êtres humains pourront prendre soin les uns des autres, et rester vivants, dans tous les sens du terme. Qu’exigerait cette nouvelle définition de l’économie ? De quels indicateurs aurait-elle besoin ? Ou faudrait-il renoncer définitivement à tous les indicateurs ? Si la chose s’avère impossible, si ce concept est déjà trop saturé d’hypothèses fallacieuses, nous serions bien inspirés de nous souvenir qu’avant-hier, l’économie n’existait pas. Peut-être que cette idée a fait son temps.

 On peut ne pas être d’accord avec toutes ses assertions, mais on ne peut nier que son analyse est revitalisante et pose questions

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Lundi 4 mai 2020

«La revue XXI»
Mook fondé par Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry

Sortons résolument de l’actualité et du bruit médiatique.

Un jour une amie, lectrice du mot du jour, est venue à la maison avec un livre.

Elle nous a dit que ce livre pourrait nous intéresser Annie comme moi et que je pourrais même y trouver matière à mot du jour.

C’était il y a déjà longtemps, probablement en 2017.

Il a fallu le temps de la maturation pour suivre ce sage conseil.

Ce livre a pour titre « Comprendre le monde », il se trouve encore mais difficilement.

Ce titre fait sens avec l’exergue général que j’ai mis sur la page d’accueil de mon blog : « Comprendre le monde c’est déjà le transformer »

Cette phrase n’est pas de moi, mais de Guillaume Erner lors de sa première émission « Des matins de France Culture », le 31 août 2015, lorsqu’il a remplacé Marc Voinchet qui venait d’être nommé Directeur de France Musique. J’en avais d’abord fait un mot du jour, <le 9 septembre 2015>.

Le livre « Comprendre le monde » a pour sous-titre « Les grands entretiens de la revue XXI »

« XXI » est une revue trimestrielle française de journalisme de récit. Elle a été créée en janvier 2008.

C’est plutôt un livre qu’un journal, elle est vendue en librairie et sur abonnement.

Ce concept a été désigné sous le nom de « Mook », (contraction de “magazine” et de “book”, livre en anglais).

Le nom de la revue, XXI, fait référence au XXIe siècle. Selon Wikipedia, elle est diffusée à 22 000 exemplaires en moyenne.

Le choix est celui de la qualité et du refus de la publicité. Chaque tome est vendu 16 euros.

Pour ses fondateurs Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry :

« L’idée était de rassembler le meilleur du journalisme avec le meilleur de l’édition”4 sur le modèle des grands reportages américains du New Yorker et de Vanity Fair ».

La propriété de la revue a évolué depuis 2008 elle est désormais associée à l’éditeur Le Seuil.

<TELERAMA> a salué le lancement de cette revue par un article élogieux :

XXI N°29

« Mais il y a aussi de bonnes nouvelles. Et même de très bonnes surprises venant de la presse magazine comme le succès d’une jeune revue atypique « XXI » (Vingt et un). Succès qu’aucun spécialiste du marketing et aucun éditeur de presse n’auraient prédit. Imaginez : un magazine papier, sans publicité, diffusé en librairie et exceptionnellement en kiosque, à la périodicité compliquée (trimestrielle) et qui offre des reportages et des enquêtes, du récit long, dépassant souvent les dix ou douze pages !

[…]  Avec son goût pour le récit, cette revue qui fait facilement tomber ses lecteurs dans l’addiction est née de la rencontre de Patrick de Saint-Exupéry avec l’éditeur Laurent Beccaria. Directeur et fondateur des Arènes, ce dernier aime prendre des risques et publier à contre-courant, qu’il s’agisse de Denis Robert ou d’Eva Joly.
Les amateurs de généalogie iront rechercher les lointains ancêtres de XXI dans la famille du défunt L’Autre journal de Michel Butel, du New Yorker ou même de la presse populaire qui diffusait, en feuilletons, au début du XXe, les grands reportages d’Albert Londres. Peu importe. La leçon de XXI est qu’un journal de journalistes, né sur une intuition, sans penser produit marketing ni cœur de cible, semble avoir réussi son pari »

Jusqu’en 2020 le sous-titre était « L’information grand format ». Elle est désormais sous-titrée « Dans l’intimité du siècle », cela correspond à une nouvelle formule lancée le 10 janvier 2020.

Lors de ce lancement, le magazine « Les Inrocks » a consacré un article à cette nouvelle formule :

XXI N°46

« A son lancement il était un ovni, une exception. Bref, un objet surprenant et innovant. Mais douze ans plus tard, il fallait se rendre à l’évidence : XXI n’est plus la seule revue grand format. Plus d’un an après son rachat, ce trimestriel lance alors sa nouvelle formule ce vendredi 10 janvier. Exit “L’information grand format”, et bienvenue “Dans l’intimité du siècle”, nous dit le sous-titre. “XXI c’est avant tout une revue trimestrielle, sans publicité, qui raconte des histoires avec des reportages et des histoires incarnées humaines, à hauteur d’hommes”, résument les rédactrices en chef Léna Mauger et Marion Quillard.

Fondé en 2008 [ce mook] recevait un bel accueil médiatique. Et pour cause, dans un milieu confronté à un manque de moyens, et où l’uniformisation de l’information devient la règle, l’objet fascine les journalistes.

Du slow média dans un secteur devant toujours faire plus vite, le pari était lancé avec cette revue indépendante privilégiant les reportages de terrain au long cours et une écriture soignée via des sujets éloignés d’une actualité sur laquelle tout le monde a les yeux rivés. Le tout vendu en librairies (16 euros), et donc libéré des contraintes des circuits de diffusion de la presse écrite.

XXI reste encore aujourd’hui un bel objet. Avec sa maquette, ses illustrations et ses photos élégantes, le mook attaque directement par le vif du sujet : son article de Une.[…]. Petite nouveauté : les formats courts du début sont supprimés au profit d’articles qui nourrissent les grands formats et permettent d’aller plus loin.»

Selon cet article la revue compte 8 000 abonnés et se vend à 22 000 exemplaires.

<Le dernier numéro> porte le numéro 50 et a pour sujet « Achetez votre nationalité préférée ».

L’édito de Léna Mauger qui me semble d’une grande pertinence est en accès libre. Je le partage ci-après :

« Je m’amuse toujours de l’étonnement des jeunes, quand je leur raconte qu’avant 1914 je voyageais en Inde et en Amérique sans posséder de passeport, sans même en avoir jamais vu un », raconte Stefan Zweig dans Le Monde d’hier, Souvenirs d’un Européen, chef-d’œuvre écrit à la veille de son suicide au Brésil, où l’écrivain autrichien, dépossédé de sa nationalité, s’était réfugié pour fuir le nazisme. Aujourd’hui, un Français peut se rendre sans visa dans 164 pays, un Syrien, dans 37, un Afghan, dans 30. Se déplacer, voyager est un marqueur de puissance, de richesse, de pouvoir. Et le passeport pourrait être l’allégorie d’un monde globalisé divisé entre ceux qui peuvent se payer le luxe d’aller partout, et ceux qui ne vont nulle part. Ce numéro de XXI explore des lignes de fracture à travers des histoires vraies sans frontières. En Australie, où l’eau est désormais cotée en Bourse, le marché a gagné et les agriculteurs trinquent. En Arabie Saoudite, le prince héritier se repose sur un yacht à un demi-milliard de dollars alors que les caisses de son royaume sont presque vides. En France, la mer engloutit des marins payés 3 euros de l’heure, et des invisibles, des oubliés, saisis dans l’objectif d’un photographe, se privent pour nourrir leurs enfants. À défaut de pouvoir leur offrir des visas pour un monde plus juste, XXI leur donne un visage. »

La revue XXI a bien sur un site sur lequel vous pouvez acheter un numéro ou vous abonner : https://www.revue21.fr/

<Ici vous trouverez tous les numéros déjà parus>

Pour ma part, à partir de demain je reviendrai sur un certain nombre d’articles qui date des 8 premières années de cette revue.

Ce livre est, en effet, paru fin 2016.

Ce livre reprend donc de grands entretiens d’écrivains, photographes, militants, historiens ou scientifiques…

Ils ont 30 comme 90 ans. Ils viennent d’Europe, d’Asie, d’Amérique ou d’Afrique.

Ils ont pour nom Xu Ge Feï, Raymond Depardon, Amin Maalouf, Michelle Perrot,Tobie Nathan, Vandana Shiva, Bronislaw Geremek…et d’autres encore.

A partir de demain, je vais vous inviter à partager leurs réflexions, leurs histoires, leurs analyses et souvent leurs histoires.

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Jeudi 16 avril 2020

« Mais non, ce virus n’est bon pour rien, ni personne »
Camille Islert dans une Tribune à Libération

Depuis le début de la propagation du Covid-19, on voit fleurir des articles, des émissions, des messages, des dessins qui expliquent les bienfaits écologiques et humains du confinement. Il y a même des films, presque des récits religieux, dans lesquels un être quasi divin envoie COVID-19 pour punir les humains ou au moins les contraindre à changer, parce qu’ils n’ont pas compris la sagesse supérieure.

Voici par exemple une <vidéo> mise en ligne le 1er avril et déjà vu près de 1 300 000 fois, qui correspond à un tel récit religieux qui ne me parait ni utile, ni pertinent.

Si on veut avoir une vision plus large de la situation, il faut aussi donner la parole à celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec ce point de vue positif.

Il y a d’abord Bernard Pivot qui du haut de ces 84 ans, ne voit pas d’un esprit bienveillant que le 11 mai il est possible que des jeunes soient déconfinés et que lui et les autres « vieux » seront toujours privés de liberté.

C’est ce qu’il a dit dans un entretien à distance dans l’émission <C à Vous du 14/04/2020> :

« Je me voyais à mon balcon le 11 mai le matin, voyant les enfants aller à l’école, des jeunes gens montés sur leur bicyclette et des hommes et des femmes aller dans le métro et moi dans l’incapacité de descendre mes escaliers ».

Et puis il fait cette description du virus :

« On écrit « Covid-19 » avec un « C » majuscule, parce qu'[on considère] que c’est un être vivant comme James Bond 007. Peut-être qu’un jour on aura un film James Bond contre COVID-19. Le bon contre le méchant.

Je crois qu’aujourd’hui on peut faire le portrait de ce COVID-19

C’est un anticapitaliste, il déteste les échanges mondiaux

C’est un écologiste, parce qu’il n’y a plus d’avion dans le ciel, la circulation des voitures a fortement décliné. L’air est frais, l’air est pétillant. Le Covid-19 a des supporters du côté des ours blancs.

C’est un misanthrope, il déteste que les hommes et les femmes parlent entre eux, boivent, déjeunent, chantent, rigolent ensemble. Il déteste cela, c’est un super misanthrope, même Molière n’aurait jamais imaginé un misanthrope pareil.

Et puis c’est un puritain, il déteste qu’on se touche, qu’on s’embrasse, qu’on se caresse etc…

Il hait le sexe, il ne s’introduit pas dans le corps par le sexe mais il le hait quand même, il déteste la sensualité.

Et puis enfin, c’est un tueur et quand même un peu spécialisé dans les personnes âgées. C’est cela qui est assez terrible.

Moi j’essaie de ne pas montrer mon âge, j’essaie de passer inaperçu. Par exemple je ne parle plus d’Apostrophes, parce que ça fait vieux et je me dis le Covid-19  va me bondir dessus parce qu’il va se dire c’est un vieux. »

Ensuite, c’est une tribune publiée par <Libération> et écrit par une doctorante en lettres modernes : Camille Islert qui dit tout le mal qu’on peut penser de ce coronavirus :

« Alors, oui, il fait beau et le ciel est clair, mais non, ce virus n’est bon pour rien, ni personne, et il serait temps d’arrêter de vouloir nous remonter le moral à grands coups de projections aussi sensationnelles qu’indécentes. »

Elle ne croit pas à ses vertus écologiques, c’est-à-dire la vertu de pouvoir convertir les humains à une autre manière de vivre sur cette planète :

« Non, le confinement n’est pas avantageux pour la planète, et il est encore moins un message que mère Nature nous envoie. Trois mois sans dégueulasser le monde ne sauveront rien du tout, et il y a de fortes chances, vu l’entêtement lunaire de nos dirigeants, que tout reprenne exactement comme avant à la fin des mesures. C’est déjà ce qu’ils nous disent, quand à l’heure où les trois quarts de la planète se rendent compte que leur travail n’est pas indispensable (oups), on force la moitié de ces trois quarts à continuer de produire. Que les choses ne changeront pas. C’est ce qu’ils nous disent quand ils nous distribuent les jours de confinement au compte-gouttes alors qu’on sait tous qu’on va y rester deux mois, comme des gentils papas qui ne veulent pas nous brusquer, quand ils nous racontent que les masques ça sert à rien ça-tombe-bien-y-en-a-pas puis que finalement c’est indispensable mais seulement si tu te le fabriques toi-même avec une vieille chaussette et un élastique. »

Elle ne croit pas non plus que cela changera quelque chose pour les animaux :

« Et non, ce n’est pas parce que des canards, des cerfs, des meutes de loups argentés se trimballent en ville et qu’on verra bientôt des dauphins dans les fontaines que c’est une bonne nouvelle : ils ont juste faim, parce que plus personne n’est là pour leur balancer des miettes de sandwich au jambon. Faim, comme les milliers d’animaux de compagnie abandonnés qui se traînent dans les rues désertes et qui finiront euthanasiés dans les fourrières parce que les refuges sont pleins à craquer.

Non, le confinement n’est pas une bonne nouvelle pour les animaux. Ceux que nous avons rendus dépendants crèvent, et ceux qui n’ont pas besoin de nous crèvent, parce que les forêts, ça repousse pas en trois mois, et que même s’ils se promènent en ville, ça m’étonnerait qu’ils s’installent durablement dans un meublé. Sans compter que les jolis canards et les mignons hérissons d’aujourd’hui seront les premiers fauchés par les bagnoles dès la fin du confinement. »

Et pour les humains le confinement ne peut pas pas non plus les conduire à faire ce qu’ils ne sont jamais arrivés à faire :

« Non, le confinement n’est pas bénéfique pour les gens. Etre confiné, c’est nul. Etre à la rue, c’est bien plus nul encore. Le mieux, sans suspense, c’est de pouvoir passer de l’un à l’autre. C’est de pouvoir rentrer au chaud, dormir en sécurité, et à l’inverse, c’est de pouvoir sortir quand tu es seule et isolée du monde, juste pour voir des gens, c’est de pouvoir aller voir tes proches et tes amis quand tu en as, c’est de pouvoir baiser quand tu en as envie. Tout le monde sait ça, mais il semblerait que les pubs, les discours officiels, les contenus sponsorisés de toutes sortes aient trouvé bon de nous abreuver d’images de bonheur, avec des bouquins de Musil et de Cohen que-j’avais-encore-jamais-réussi-à-lire-en-entier, des miches de pain dorées faites maison, des armoires triées-rangées-pliées, des muscles dont on ne connaissait pas l’existence qui apparaissent en dessous du bras si on se tient à un programme bien réglé, des sites pour apprendre en quelques jours tous les rudiments du suédois. »

Les vrais héros de cette aventure sont les soignants, on leur donne de la reconnaissance saura t’on les récompenser tout simplement par une rémunération plus proportionnée à leur importance dans la société ?

« Non, «rester chez soi» ne sauve pas des vies. C’est le stade minimum de j’arrête de ne penser qu’à mon petit confort et à mon café en terrasse. Ça ne fait pas de nous, de toi, de moi, des héros. Ce qui sauve des vies, ou plutôt ceux qui sauvent des vies, aimeraient bien, sûrement, rester chez eux. Les médecins, les infirmières, bien sûr, mais aussi les livreurs, les caissières, les ouvrières, celles et ceux qui nous sauvent un peu la vie à toutes échelles. Ils ou elles ne sont pas des héros non plus d’ailleurs. Les héros, ça fait les choses pour le mérite et la gloire. C’est beau. Et c’est pratique surtout, de hisser les gens au rang de héros quand on a besoin d’eux, de stimuler leur besoin de reconnaissance pour ne surtout pas leur donner ce dont ils ont vraiment besoin, cette petite chose basse et sale et pas du tout héroïque qui s’appelle l’argent. »

Et de citer toutes celles et ceux qui sont même en danger par ce confinement :

« En fait, ça en met même en danger, des vies, de «rester chez soi». Celles des personnes qui sont seules, qui sont dépressives, qui sont malades et qui n’osent plus appeler les médecins, qui sont enceintes et culpabilisent d’avoir recours à une IVG en période de crise sanitaire, celles des gens qui vivent dans des logements minuscules, insalubres, sans accès à du confort de base. Celles des travailleur·ses du sexe qui n’ont plus de source de revenu. Celles des femmes et des enfants qui sont enfermés avec des hommes violents, avec des hommes qui vont parfois oublier tout principe de consentement parce qu’en étant enfermés H24 ensemble c’est inconcevable qu’on n’ait pas envie, et puis faut bien passer le temps, et puis les besoins naturels et tout et tout. Celles des LGBTQI+ coincés avec des familles homophobes. Plus largement, celles de toutes les personnes dont le foyer n’est pas cette chose molletonnée et rassurante avec crépitement de cheminée qu’on nous vend dans les pubs. Forcément, on a moins envie de les regarder que la cellule familiale parfaite, où tout le monde met la main à la pâte (à pain), où on vit l’enfermement comme une folle aventure. »

Le virus, une catastrophe pour les femmes :

« Il n’y a qu’à sortir pour s’en rendre compte : dans les magasins, dans les rues, partout, une majorité de femmes, avec ou sans masque, trimballent des sacs de victuailles. Des hommes aussi, mais moins, quand même, si, si. Parce que quand on a une chance dans la semaine d’acheter les trucs qu’il faut pour la famille, il vaut mieux pas se louper, et il vaut mieux que ce soit la personne en «charge», vous savez cette fameuse charge mentale, qui se «charge» directement des achats, pour éviter les erreurs. Et devinez qui c’est, dans la majorité des couples hétéros ? Vous avez deviné : probablement la même qui s’occupe des enfants d’une main tout en télétravaillant de l’autre. Jean-Michel, lui, il va sûrement penser à acheter des choses hors du commun, des petits plaisirs pour rendre la vie plus belle, mais pas sûr qu’il pense aux œufs et aux couches. Héros, Jean-Michel, avec ses chips d’exception qui rendent la vie plus belle, mais qui torchent définitivement mal les fesses de bébé. Héros, encore, comme quoi, tout se recoupe. »

Et sa conclusion

« En fait, il révèle et empire : les personnes agées, précaires, racisées sont en première ligne, encore. Non, le coronavirus n’apporte et n’apportera rien de bon, de la chambre à coucher à l’organisation mondiale, pas de bouleversement positif à l’horizon. Des milliers et des milliers de morts, des centaines de milliers de muscles atrophiés en réanimation, des millions de deuils. Non, la planète ne s’en portera pas mieux. C’est de la merde de bout en bout, on fait avec, c’est indispensable, salvateur, mais nous abreuver de raisons vaseuses de le nier n’est bon pour personne. Aidons-nous quand on le peut, donnons-nous du courage puisqu’on ne peut pas (a-t-on jamais pu ?) compter sur le haut de la chaîne pour ça, faisons-nous rire et relativiser quand on le peut. Mais par pitié, arrêtez de vouloir nous forcer à loucher sur les «bons côtés du virus». Il n’y en a pas, et c’est beaucoup plus normal et sain de se sentir dépassé, mou, déprimé, improductif, de faire ce qu’on peut, d’accepter qu’on ne peut pas. Cessez de vouloir nous faire «positiver» et «profiter» au prix de la décence : ça va, on va mal mais ça va. »

Bon….

C’est un point de vue.

Il permet de relativiser et il dit des choses très justes.

Il est un peu pessimiste pour l’avenir. Peut-être, en nous y prenant bien, saurons-nous la faire mentir, au moins en partie.

Prenez soin de vous et bon confinement.

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Mardi 10 octobre 2017

« Le fait est : un poulet a traversé la route. La question est : Pourquoi ? »
Mise en perspective du mot du jour d’hier

L’humour est essentiel dans la vie, comme le fait de savoir ne pas se prendre trop au sérieux. Alors quand j’avais fini d’écrire le mot du jour d’hier celui qui donnait une sorte de morale en affirmant que les esprits cultivés parlaient des idées et non seulement des faits, je me suis souvenu d’un message d’humour que j’avais reçu il y a quelques années.

Je le reprends ici, après avoir mis à jour certaines références, car il y a aujourd’hui des hommes bien oubliés, mais nous pouvons être rassurés, ils ont été remplacés par d’autres.

Cette suite d’affirmations est aussi une leçon de pédagogie.

Nous avons un fait simple, peu ambigüe : un poulet a traversé la route.

Et…

Nous allons faire appel au Monde des idées pour essayer de répondre à la question : Pourquoi ?

Voici les réponses :

RENE DESCARTES : Pour aller de l’autre côté.

PLATON : Pour son bien. De l’autre côté est le Vrai.

ARISTOTE : C’est dans la nature du poulet de traverser les routes.

KARL MARX : C’était historiquement inévitable.

DONALD TRUMP : Le poulet n’a pas traversé la route, je répète, le poulet n’a JAMAIS traversé la route.

GEORGES LUCAS : Pour aller là où aucun autre poulet n’était allé avant.

HIPPOCRATE : A cause d’un excès de sécrétion de son pancréas.

NICOLAS MACHIAVEL : L’élément important c’est que le poulet ait traverse la route. Qui se fiche de savoir pourquoi ? La fin en soi de traverser la route justifie tout motif quel qu’il soit.

SIGMUND FREUD : Le fait que vous vous préoccupiez du fait que le poulet a traversé la route révèle votre fort sentiment d’insécurité sexuelle latente.

BILL GATES : Nous venons justement de mettre au point le nouveau “Poulet Office 2017”, qui ne se contentera pas seulement de traverser les routes, mais couvera aussi des œufs, classera vos dossiers importants, etc.

OLIVER STONE : La question n’est pas : “Pourquoi le poulet a-t-il traverse la route ?” mais plutôt : “Qui a traversé en même temps que le poulet, qui avons-nous oublié dans notre hâte et qui a pu vraiment observer cette traversée ?”

CHARLES DARWIN : Les poulets, au travers de longues périodes, ont été naturellement sélectionnés de telle sorte qu’ils soient génétiquement enclins a traverser les routes.

BOUDDHA : Poser cette question renie votre propre nature de poulet.

MARTIN LUTHER KING, JR.: J’ai la vision d’un monde où tous les poulets seraient libres de traverser la route sans avoir à justifier leur acte.

MOISE : Et Dieu descendit du paradis et Il dit au poulet : Tu dois traverser la route. Et le poulet traversa la route et Dieu vit que cela était bon.

TOMAS DE TORQUEMADA : Tout poulet ayant traversé la route et qui reviendra en arrière sera considéré comme relaps et sera remis entre les mains de la Sainte Inquisition.

GALILEO GALILEI : Et pourtant, il traverse…

ERNEST HEMINGWAY : Pour mourir. Sous la pluie.

UN MEMBRE DU MEDEF : Parce que les taxes sont trop lourdes de ce coté de la route !

EMMANUEL MACRON :Parce que contrairement aux fainéants et aux fouteurs de bordel, ce poulet a la volonté d’entreprendre et c’est pourquoi il est allé de l’avant et a traversé la route.

EDOUARD PHILIPPE : Le gouvernement travaille pour que des milliers de poulets puissent traverser la route !

CANTONA : Le poulet, il est libre le poulet. Les routes, quand il veut il les traverse.

L’EGLISE DE SCIENTOLOGIE : La raison est en vous, mais vous ne le savez pas encore. Moyennant la modique somme de 10 000 € par séance, plus la location d’un détecteur de mensonges, une analyse psychologique nous permettra de la découvrir.

MELENCHON : Parce que ce poulet est un insoumis !

POUTOU : Poulettes, poulets, ne vous laissez plus spolier par le patronat qui vous oblige à traverser les routes.

MANUEL VALLS ou GERARD COLLOMB: Parce qu’il n’avait pas de titre de séjour.

BILL CLINTON : JE JURE sur la constitution qu’il ne s’est rien passé entre ce poulet et moi.

ALBERT EINSTEIN : Le fait que le poulet traverse la route ou que la route se déplace sous le poulet dépend de votre référentiel.

Vous pourrez peut être compléter cette énumération par d’autres idées …

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Lundi 9 octobre 2017

«L’homme médiocre parle des personnes,
L’homme moyen parle des faits,
L’homme de culture parle des idées »
Citation attribuée quelquefois à Jules Romain d’autre fois à Eleanor Roosevelt

Cette citation que j’ai choisie entre en résonance avec mon expérience de la vie, mais elle doit être expliquée et nuancée.

Je l’ai entendue citer et aussi trouvée à plusieurs reprises sur internet.

Force est de constater qu’on ne sait pas à qui l’attribuer. Même le journal « le Monde » l’attribue à Jules Romain <Ici> mais l’attribue à l’épouse de Franklin Roosevelt <Ici>

Quelquefois, les « faits » sont remplacés par le mot « les évènements ».

Mais ce qu’il y a de plus problématique c’est de désigner les hommes qui ne sont ni moyens, ni médiocres.

Les uns parlent « des grands esprits », d’autres « d’esprits supérieurs ou d’élite ».

Pour ma part, j’ai préféré utiliser le terme plus neutre et probablement plus juste d’homme qui s’inscrit dans une culture et donc qui cherche à comprendre, à expliquer, à mettre en perspective.

Si cette citation entre en résonance avec mon expérience, c’est que j’ai souvent entendu, notamment dans le monde professionnel, des collègues parler d’autres collègues, des collègues absents cela va de soi et en parler pour en dire du mal.

Un jour, j’ai même entendu une personne dire : « Moi si je ne peux pas dire de bien de quelqu’un, je m’abstiens d’en parler. Et notamment de X et Y je n’ai rien à dire ! ». Sorte de stratégie d’évitement.

Je n’ai pas la prétention d’avoir toujours échappé à cette faiblesse, je pense cependant que c’est devenu très rare aujourd’hui. Mais après de tels échanges, je n’ai jamais été satisfait.

D’autres parlent des faits, ils racontent ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu, ce qu’ils ont vécu et encore avec les plus infimes détails. Ce sont des conversations qui entraînent chez moi le plus grand des ennuis.

Ce qui me semble intéressant c’est de parler des faits en en tirant des enseignements donc d’aller vers le monde des idées. Ce qui me parait important c’est ce que l’on apprend des faits, ce qu’ils peuvent signifier.

Donc Oui je préfère échanger sur les idées.

Mais c’est là qu’il faut nuancer.

D’abord, je ne crois pas qu’il y ait trois populations distinctes : l’une des médiocres, l’autre des moyens et la dernière des idées.

Je pense plutôt que cette fracture se situe en chacun de nous, parfois nous sommes médiocres, parfois nous ne sommes que moyens et quelquefois nous arrivons à nous hisser au niveau des idées.

L’intelligence serait alors d’augmenter, dans nos conversations, la part des idées et de faire diminuer celle qui ne nous rend que moyen, voire médiocre.

Ensuite, il faut quand même se méfier des idées et des concepts qui peuvent conduire à des constructions hors sols et quelquefois à des résultats parfaitement inhumains. Par exemple, le soviétisme c’était des idées non confrontées à la réalité et à la critique et conduisaient à des aberrations.

Cette dérive que Brassens avait expliqué dans cette chanson : « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente ».

Cela étant, je préfère parler des idées que de m’arrêter aux simples faits ou de parler des personnes.

Quand j’ai échangé avec Annie sur ce mot du jour, elle m’a simplement répondu avec son intelligence et sa sensibilité toujours vive : « Et le cœur et les sentiments dans cette énumération, où se trouvent-ils ?».

Car Oui, on peut exprimer brillamment des idées et ne pas savoir parler des sentiments, être incapable de laisser parler son cœur.

« L’intelligence ne sert à rien dans les rapports humains. » disait Françoise Giroud (mot du jour du 16 avril 2013)

Ou comme l’exhortait la famille de Yannick Minvielle, une des victimes du bataclan : «Dîtes aux gens que vous aimez, que vous les aimez.» (mot du jour du 11 décembre 2015)

Car en effet, dans la vie, les idées ne suffisent pas, il faut aussi savoir laisser parler son cœur.

J’espère qu’ainsi cette citation inspirante a été suffisamment nuancée pour insuffler un peu de sagesse.

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Vendredi 20 décembre 2013

A propos des auditeurs de radio :
« Faire découvrir quelque chose qu’ils ne savaient pas vouloir »
Jean-Luc Hees, Président de Radio France

Ces propos ont été tenus par Jean-Luc Hees lors des cérémonies des 50 ans de radio France.

Vous trouverez cette réponse sur une vidéo en bas de la page d’agora vox que je vous envoie. Sur cette page vous lirez aussi, avec perplexité (?), ce propos de notre président :

« Je préfère ne pas trancher »

Cela aurait pu être un mot du jour, mais la phrase aurait été sortie de son contexte. Dans le fond elle est probablement juste, mais dans la forme, le procédé eut été malhonnête. Je ne souhaite pas que le mot du jour soit malhonnête.

Mais revenons au mot du jour

«  faire découvrir quelque chose qu’ils ne savaient pas vouloir », voilà la mission du service public. C’est une politique de l’offre pour élever l’esprit.

Et non une politique de la demande pour consommer, pour laisser du temps de cerveau disponible pour accueillir la publicité de coca cola et toutes ces autres émissions de l’apparence, du superficiel, de la vacuité…

Découvrir quelque chose que je ne savais pas vouloir, voilà un beau défi.

Le lien promis : http://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/francois-hollande-aux-50-ans-de-la-145279#forum3900165

Ajout :

Ce lien ne fonctionne plus. Agora Vox a publié une autre page consacrée à cet évènement <ICI>. Malheureusement, cette page ne fait plus mention à la phrase de Jean-Luc Hees.

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