Jeudi 12 mars 2020

« Se laver les mains est une mesure très efficace et peu coûteuse pour éliminer germes, microbes et virus… »
Découverte d’Ignace Philippe Semmelweis

L’épidémie du Covid-19 a remis à l’honneur la discipline élémentaire et essentielle pour l’hygiène de se laver les mains.

Et ce rappel conduit au souvenir du médecin hongrois de Vienne : Ignace Philippe Semmelweis.

Plusieurs articles récents ont fait référence à cet homme essentiel qui fut rejeté par ses pairs et qui découvrit trop tôt ce que les gens de l’époque ne voulait entendre.

L’exergue du mot du jour est le titre d’un article du Monde publié le 13 février et écrit par Loïc Monjour, ancien professeur de médecine tropicale à la Pitié-Salpêtrière, Paris.

Dans cet article il écrit :

« Le nom d’Ignace Philippe Semmelweis, né à Budapest en 1818, est peu connu. Pourtant, depuis deux siècles, la plupart des femmes à travers le monde, de toutes conditions sociales, bénéficient de sa perspicacité et de ses travaux… Ce génie médical a aboli la tragédie des fièvres puerpérales (après l’accouchement) dans son service de la maternité de Vienne et découvert l’importance de l’asepsie avant le grand Pasteur.

Ses étudiants en médecine pratiquaient des autopsies avant de se rendre à la maternité pour effectuer des examens de femmes en travail ou procéder à des accouchements. La mortalité des parturientes était considérable, et Semmelweis, après une véritable enquête épidémiologique, imposa aux étudiants de se laver les mains avant toute intervention obstétricale, non pas avec du savon, mais avec une solution de chlorure de chaux, une initiative inconnue à l’époque.

Par cette seule mesure, le pourcentage de décès causés par la fièvre puerpérale s’effondra de 12 % à 3 %. Il allait révéler à ses confrères le danger que représentent ces infections que l’on appelle aujourd’hui « manuportées » et « nosocomiales » et l’intérêt de l’utilisation d’un antiseptique pour y parer. Mais, sans appui officiel, n’ayant pas su convaincre, peu à peu, il sombra dans la démence et mourut à 47 ans. »

Guillaume Erner dans sa chronique du 9 mars a également rendu hommage à ce précurseur :

« C’est ça l’intérêt du Covid : maintenant je peux vous demander sans passer pour un type un peu étrange si vous vous êtes lavé les mains… Lave toi les mains, ne dis pas bonjour à la dame, jette moi ce mouchoir, nous sommes tous devenus des parents, je veux dire des parents avec des gens qui ne sont manifestement pas nos enfants. Les délires les plus hygiénistes ont désormais complètement droit de cité. […]

Le Covid accompagne le retour en force d’Ignace Philippe Semmelweis, médecin obstétricien hongrois du XIX e siècle, lequel a beaucoup fait pour l’espèce humaine, en obligeant ses semblables à se laver les mains. C’est que l’on doit à Semmelweis : l’éradication de la fièvre puerpérale. Ce médecin avait découvert qu’il fallait se laver les mains après avoir procédé à une dissection de cadavre et avant de se livrer à un accouchement. Mais, hélas, le destin de Semmelweis fut d’être un Galilée du savon, je veux dire qu’il fut persécuté pour ce conseil étrange, il mourut à l’asile pour avoir suggéré à ses contemporains de se laver les mains…

Et qui pris la plume quelques années plus tard pour défendre cet homme ?

Louis Ferdinand Céline, romancier mais aussi médecin, Céline consacra sa thèse de médecine, en 1924, à la vie et à l’œuvre de Semmelweis, ce qui évidemment n’arrange pas la mémoire de Semmelweis, je m’en voudrais de franchir le point Céline avant 7 h du matin.

L’épidémie de coronavirus marque une nouvelle victoire posthume de Semmelweis : l’idée que le salut de l’espèce passe désormais non seulement par le savoir, mais aussi et surtout par le savon. »

Le Figaro a publié le 9 mars 2020 : <Ignace Philippe Semmelweis, martyr du lavage des mains>

Et, Slate a publié un article le 10 mars 2020 : <Semmelweis, le médecin hongrois qui apprit au monde à se laver les mains> qui rappelle un peu plus précisément le destin de ce médecin :

« Vienne, été 1865. Dans l’asile psychiatrique du quartier de Döbling, au nord de la capitale autrichienne, un savant hongrois rongé par la démence vit sans le savoir ses deux dernières semaines. Interné par ses amis et ses parents, Ignace Semmelweis n’est plus que rage et rancœur contre un monde abhorrant son avant-gardisme. Le personnel de l’institution répond par les coups à la violence de l’homme dont la santé mentale s’est considérablement détériorée en quelques années. Le 13 août, Semmelweis succombe à ses blessures, laissant un héritage médical seulement reconnu post-mortem. »

Et il raconte son histoire :

« Deux décennies plus tôt, le praticien budapestois réalisa la découverte qui le rendit aussi fou que célèbre. En 1847, une femme sur cinq meurt en couches de la fièvre puerpérale dans le service de l’hôpital viennois où l’obstétricien officie. La même année, un ami professeur d’anatomie décède d’une infection similaire à celle des mères après s’être coupé le doigt avec un scalpel.

Semmelweis prescrit un lavage des mains via une solution d’hypochlorite de calcium entre le travail à la morgue et l’examen des patientes. La mortalité dévisse, Ignace a vu juste, mais le corps médical niera longtemps l’évidence.

[…] Semmelweis redoutait les cercles savants de Vienne et attendra le crépuscule de son existence avant d’assumer sa trouvaille. La majorité des scientifiques de l’époque, acquis à la médecine antique, pensaient que toute maladie résulte d’un déséquilibre des quatre éléments fondamentaux (air, feu, eau, terre) imprégnant le corps humain.

Qu’à cela ne tienne, le médecin hongrois étendit ses mesures d’hygiène aux instruments sollicités pour l’accouchement et éradiqua quasiment la fièvre puerpérale. Craignant l’influence croissante du Hongrois, le professeur Johann Klein le chassa de son service en 1849.

Semmelweis demande à obtenir un poste de professeur non rémunéré en obstétrique mais n’obtiendra gain de cause qu’au bout de dix-huit mois, sans accès aux cadavres et avec l’obligation d’utiliser des mannequins. Humilié, le praticien regagne sa Budapest natale et prend la direction de la maternité de l’hôpital Szent-Rókus de Budapest.

La recette Semmelweis fait de nouveau des miracles. Entre 1851 et 1855, seules huit patientes meurent de la fièvre puerpérale sur les 933 naissances enregistrées durant la période. Le praticien devient professeur et instaure le lavage des mains dans la clinique de l’université de Pest.

Semmelweis se marie, décline une offre à Zurich, rédige une série d’articles défendant sa méthode controversée et tacle le scepticisme de ses pairs dans un ouvrage de 1861 compilant ses découvertes. Fâché par plusieurs critiques défavorables de son livre, Semmelweis attaque ses détracteurs comme Späth, Scanzoni ou Siebold en les traitant de «meutriers irresponsables» et de «sombres ignorants» via une série de lettres ouvertes amères et courroucées. Médecins et biologistes allemands, emmenés par le pathologiste Rudolf Virchow, rejettent énergiquement sa doctrine. Le début de sa descente aux enfers. […]

Sa volonté de convaincre l’ensemble de ses confrères du bien-fondé de ses théories vire à l’obsession. Semmelweis n’a plus que la fièvre puerpérale en tête. Des portraits réalisés entre 1857 et 1864 montrent un état de vieillissement avancé, la quarantaine à peine passée. Les syndrômes de la dépression nerveuse l’envahissent. Au milieu de l’année 1865, son attitude préoccupe ses collègues et ses proches. Il sombre dans l’alcoolisme, s’éloigne de plus en plus souvent de sa famille et cherche le réconfort en fréquentant des péripatéticiennes. Son comportement sexuel intrigue son épouse Mária.

Le célèbre chirurgien János Balassa, pionnier de la réanimation cardiaque et médecin traitant de Semmelweis, monte une commission recommandant son placement en établissement spécialisé. Le 30 juillet, son ancien professeur Ferdinand Ritter von Hebra, partageant dès 1847 les découvertes de Semmelweis dans une revue médicale viennoise de renom, l’attire vers l’asile où il mourra en prétendant lui faire visiter l’un de ses nouveaux instituts locaux. Comprenant le piège, Semmelweis tenta de fuir avant d’être frappé par des gardes, mis en camisole et enfermé dans une cellule sombre. »

En 2013, l’Unesco adouba le «sauveur des mères» dont l’université de médecine de Budapest porte le nom en inscrivant ses constatations sur la fièvre puerpérale au patrimoine mondial de l’humanité. Aujourd’hui, plus personne ne conteste la nécessité de se désinfecter les mains afin d’éviter la propagation des maladies. Surtout en pleine épidémie de coronavirus.

Il y a encore du travail en France. Le premier article cité donne les informations suivantes :

« Dans une étude internationale portant sur 63 nations, la France se trouve en 50e position en ce qui concerne l’hygiène des mains. L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) concluait en 2012 que seulement 67 % des Français se lavent les mains avant de cuisiner, 60 % avant de manger et à peine 31 % après un voyage en transport en commun. Dans les toilettes publiques, 14,6 % des hommes et 7,1 % des femmes négligent ce geste de propreté élémentaire. »

En janvier 2017, un mot du jour avait déjà été consacré à « Ignace Philippe Semmelweis »

<1368>