Mercredi 4 décembre 2019

« Le document 9 »
Document secret du pouvoir central chinois présidé par Xi Jinping

L’excellent documentaire, « Le monde selon Xi-Jinping » montre d’abord que le Président chinois est un prince rouge. C’est-à-dire un enfant du premier cercle de Mao lors de la proclamation en 1949 de la République populaire de Chine.

C’est une sorte de noblesse qui perpétue son pouvoir dans la Chine communiste et capitaliste non libéral.

Il raconte aussi la descente en enfer de son père et de lui-même lors de la purge réalisée pendant la révolution culturelle. Et dans laquelle ils comptèrent parmi les victimes. Il dit lui-même que les gardes rouges ont plusieurs fois menacé de le fusiller. Il fut victime de violences physiques, morales et aussi d’un travail dur à la campagne au milieu de rudes paysans. Sa sœur ainée s’est suicidée pendant cette période

Mais il garda toute sa confiance dans le Parti Communiste, il y adhéra après bien des péripéties. Puis, il fut suffisamment consensuel pour grimper tous les échelons.

Lors des dernières marches il sut écarter ceux qui pouvaient être des concurrents. Il affiche un motif noble : la lutte contre la corruption. Il semble que la corruption est importante en Chine communiste.

Dès lors, beaucoup peuvent être inquiétés pour cette raison.

Ainsi, il a pu écarter un autre prince rouge « Bo Xilai » qui apparaissait comme un rival très sérieux. Condamné à la prison à perpétuité et spolié de tous ces biens il ne constitue plus un obstacle pour Xi Jinping.

Mais la famille de XI Jinping est à la tête d’une fortune colossale de plus de 290 millions d’euros, selon une enquête de Bloomberg qui a valu au site de l’agence d’être suspendu quelques jours en Chine pendant l’été.

Cette fortune n’est elle que le fruit du travail ?

Xi Jinping est devenu le secrétaire général du Parti communiste en novembre 2012 et Président de la République le 14 mars 2013.

Normalement depuis Deng Xiao Ping, ce poste était occupé pendant dix ans puis tranquillement l’élite du Parti se mettait d’accord sur un successeur. Xi Jinping a rapidement su mettre en place les conditions de la prolongation indéfinie de son mandat. Il souhaite probablement « le refaire à la Mao » rester au pouvoir jusqu’à sa mort ?

Aujourd’hui, je souhaite m’arrêter sur un autre point développé dans le documentaire, le « document 9 ».

Xi Jinping, n’était pas depuis longtemps au pouvoir quand a été divulgué, en 2013, un document secret du Comité Central, « le document 9 ».

Le pouvoir chinois a accusé la journaliste Gao Yu née à Chongqing en 1944 et qui faisait partie de cercles d’intellectuels dissidents, d’être la responsable de cette fuite.

Elle avait été arrêtée en 1989 après les manifestations de la place Tian’anmen et libérée 14 mois plus tard pour raison de santé. De nouveau arrêtée en octobre 1993 et condamnée à 6 ans de prison, elle est arrêtée une troisième fois le 24 avril 2014, en raison du document 9.

Gao Yu est réapparu le 8 mai 2014 sur les écrans de la télévision chinoise, filmée assise sur une chaise en fer dans une salle capitonnée, une salle d’interrogatoire, d’un centre de détention, exprimant, d’un ton las et hésitant, une autocritique, pour son «crime», qui porterait «atteinte aux intérêts nationaux». Ses amis s’interrogent sur les moyens et les pressions exercées sur cette femme de conviction solide pour lui arracher une telle autocritique

En avril 2015, Gao Yu est condamnée, à une peine de sept ans de prison.

Ce document 9 dont un des principaux auteurs serait le président chinois lui-même, Xi Jinping, a vocation à servir de référence à la politique chinoise dans les dix ans à venir. Ce document identifie dix périls à combattre dans la société chinoise :

Le tout premier est la «démocratie constitutionnelle occidentale».

Les autres incluent la promotion des «valeurs universelles» des droits de l’homme, les idées d’indépendance des médias et de participation citoyenne inspirées par l’Occident, le «néolibéralisme» qui défend avec ardeur l’économie de marché et les critiques «nihilistes» du passé traumatisant du parti ».

Bref, il rejette toutes les valeurs auxquels nous autres occidentaux, malgré nos différences, sommes attachées.

François Bougon est journaliste au « Monde », il avait été correspondant de l’AFP en Chine pendant 5 ans. Il a écrit un livre : « Dans la tête de Xi Jinping » publié en 2017 et édité par Actes Sud.

François Bougon insiste d’abord sur une illusion que nous autres occidentaux pourrions avoir d’espérer qu’apparaisse au sein du PCC, un Gorbatchev chinois qui parle de réforme, de transparence, de refus de la violence et qui fasse évoluer la Chine vers un régime plus proche de nos valeurs.

C’est un espoir vain, selon ce journaliste. Gorbatchev est l’anti-modèle pour les responsables chinois.

Et particulièrement Xi Jinping est marqué par la chute de l’URSS en 1991, suite à la « mollesse » de Gorbatchev. Il est résolu à éviter cette faute et considère que le salut du Parti est dans la lutte pied à pied contre la démocratie, et la réactivation d’un marxisme aux couleurs de la Chine.

Bougon s’intéresse au document « n°9 » de 2013 et considère particulièrement important de constater que Xi Jinping y pourfend les « valeurs universelles », la « démocratie constitutionnelle», les ONG, les « forces hostiles » de l’étranger, et le « nihilisme historique » – le fait de tourner en dérision les héros révolutionnaires et leurs actes.

Bougon le constate mais il est sceptique sur les chances de survie d’un régime ayant tourné le dos à toute concession et toute réforme politique. L’auteur suggère que le pouvoir, entré dans la dernière phase de son existence, joue ses dernières cartes et ne pourrait survivre plus d’une à deux décennies. Sous l’angle économique, Xi veut rendre ses concitoyens réactifs et créatifs, pour obtenir des entreprises et des universités mondialement compétitives. Mais sous l’angle politique, Xi veut en même temps maintenir cette société muselée.

Un tel grand écart devrait devenir rapidement intenable : « aucun Parti ne peut régner ad vitam aeternam », conclut F. Bougon.

Vous pouvez voir François Bougon présenter longuement son ouvrage et ses idées dans une <vidéo> d’une conférence qu’il a fait à la fondation Jean Jaurés.

Il explique notamment que par rapport aux discours des droits de l’homme des occidentaux, aux leçons des valeurs universelles, Xi Jinping ne se situe pas dans une posture défensive, mais dans un discours revendicatif, un discours conquérant et même de sanctions économiques pour ceux qui ne voudraient pas comprendre. La Chine a sa propre civilisation, a des solutions pour le monde qui ne s’inscrivent absolument pas dans le corpus idéologique des occidentaux. Notamment dans cette vision, la Loi n’a pas pour vocation de garantir des droits individuels mais d’imposer des solutions pour que la Société fonctionne efficacement.

L’obsession de Xi Jinping est que la Chine «communiste» devienne la première puissance mondiale économique et militaire pour le centenaire de sa création, en 2049, et qu’elle surpasse enfin les Etats-Unis. Pour atteindre ce but, il choisit de faire prendre au pays un virage de plus en plus totalitaire.

<Le Figaro> parle aussi de ce document 9 et conclut très justement :

« En réalité, il ouvre une guerre idéologique frontale à un Occident qui, aveuglé par les chimères de l’eldorado chinois, réduit au commerce sa relation à la Chine. »

<Le Monde> explique

« Le Document n°9 apparaît aujourd’hui comme ayant tracé la feuille de route exacte de la répression qui n’a cessé de s’intensifier, dès l’automne 2013 et la fin du procès de Bo Xilai, contre la société civile chinoise, les intellectuels, les blogueurs, les avocats ou les militants d’ONG. […]

Cette « note de l’Office général du Comité central du parti », diffusée jusqu’aux plus bas échelons de l’organisation, a pris le nom de « Document n°9 », car il est alors le neuvième document de ce type diffusé depuis le début de l’année, selon le site China File, qui en offre une traduction intégrale en anglais, tirée de la version en chinois publiée par le magazine papier du site Mingjing News aux Etats-Unis en septembre 2013. […] le « Document n°9 » se lit comme le pense-bête d’un régime obnubilé par l’Occident, un »kit anti-subversion » qu’il faut suivre à la lettre. Il prévient que « les forces occidentales antichinoises et les “dissidents” de l’intérieur sont toujours en train d’essayer activement d’infiltrer la sphère idéologique chinoise et de mettre au défi notre principale idéologie ». Le combat est « complexe et intense », prévient le préambule. Pour ce faire, sept tendances ont été identifiées comme autant de moyens inventés par l’Occident pour saper l’autorité du parti et le renverser. Le document expose les principaux arguments en leur faveur, et les condamne d’autorité.

On y trouve la « démocratie constitutionnelle occidentale » : Certains « attaquent les dirigeants en disant qu’ils se placent au-dessus de la Constitution ». « D’autres prétendent que la Chine a une Constitution, mais qu’elle n’est pas gouvernée de manière constitutionnelle ». « Leur objectif est d’utiliser l’idée de la démocratie constitutionnelle occidentale pour saboter le rôle dirigeant du parti, abolir la démocratie populaire et nier la Constitution de notre pays ». Les « valeurs universelles » : « Ces gens croient que la liberté, la démocratie, les droits de l’homme sont universels et éternels. C’est évident dans la manière dont ils tordent la promotion par le parti de la démocratie, la liberté (etc.) ». « Le but est d’utiliser le système de valeurs de l’Occident » pour « supplanter les valeurs fondamentales du Socialisme ».

Suivent la « société civile », accusée d’être « une tentative de démantèlement de la fondation sociale du parti dirigeant » ; le « néolibéralisme économique » ; le « journalisme à l’Occidental » (qui « met en question le principe que les médias et l’édition doivent être soumis à la discipline du Parti »). Le « nihilisme historique » : certains « dénient la valeur scientifique et pédagogique de la pensée Mao Zedong », d’autres « tentent de détacher ou même d’opposer entre elles la période de l’ouverture et des réformes [à partir de 1978] et celle qui a précédé [le maoïsme]. […]

Le « Document n°9 » s’attache ensuite à démasquer tous ceux qui œuvrent et s’agitent contre le parti : « Certains ont diffusé des lettres ouvertes et des pétitions en appelant à la réforme politique, à l’amélioration des droits de l’homme, (…) à revenir sur le verdict du 4 juin [1989] ». D’autres ont « monté en épingle la transparence du patrimoine chez les dirigeants », l’idée de la « supervision du gouvernement par les médias », ou ont prétendu « combattre la corruption sur l’Internet ». D’autres encore « réalisent des documentaires sur des sujets sensibles », « manipulent et montent en épingle les immolations de Tibétains » ou les « problèmes ethniques ou religieux ». Attention « aux ambassades étrangères, aux médias et aux ONG » qui « opèrent en Chine sous diverses couvertures, répandent les valeurs occidentales et cultivent à dessein les forces antigouvernementales ».

J’ai aussi trouvé cet article de <Slate>

Cet homme ne nous considère pas comme des partenaires, mais comme des ennemis.

Pendant ce temps les entrepreneurs occidentaux voient dans la Chine un marché immense et dévoilant tant de potentiel…

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Mardi 3 décembre 2019

« Je jure de préserver les secrets du Parti Communiste »
Serment des dirigeants chinois

C’est un lecteur du mot du jour habitant le Viet-Nam qui, il y a déjà assez longtemps, c’était le 20 décembre 2018, m’a écrit

« J’ai vu un super documentaire d’ARTE il y a peu, sur YouTube : “Le monde selon Xi Jinping”. Je pense que ça te plaira ».

J’ai plusieurs fois voulu partager ce documentaire ou le rappeler à celles et ceux qui l’ont déjà vu et écrire une série de mots du jour sur la Chine, la Chine de Xi Jinping.

Mais j’ai toujours reporté le moment d’aborder ce sujet.

Il faut bien se lancer…

Cette série aura toutefois une publication discontinue, car certains éléments vont me conduire à l’interrompre pour écrire des articles spécifiques.

La Chine est un empire qui aspire à devenir une nation.

C’est un empire, l’empire du milieu.

Pendant longtemps, cet empire dominait économiquement le monde.

Et puis il y a eu la révolution industrielle en Angleterre et en Europe.

Au XIXème siècle, les chinois qui avaient, et je dirais à juste titre, une haute opinion de leur culture et de leur civilisation ont été brusquement confrontés à une puissance militaire bien supérieure qui les a vaincu et, plus grave encore, à une civilisation britannique tellement fière d’elle-même et méprisante par rapport aux autres et particulièrement aux extra-européennes, que ce fut un choc, un choc d’humiliation.

Il y eut alors une réaction contre le système impérial qui va conduire à la révolution en 1911. La république de Chine est proclamée en février 1912 et met à sa tête « Sun Yat-Sen» qui était une personnalité en exil et qui va créer le parti nationaliste « Kuomintang ».

Il aura le plus grand mal à unifier le pays et devra combattre contre des Seigneurs de la guerre, des chefs de clan. Il crée une académie militaire et met à sa tête un militaire « Tchang Kaï-chek » qui prendra la tête du Kuomintang à sa mort en 1925.

Mais parallèlement, en s’inspirant de l’empire voisin de Russie, un Parti communiste chinois se crée et organise un premier congrès en 1921.

Par la suite, tantôt allié contre les Seigneurs de la guerre, puis contre le Japon, tantôt ennemi, le Parti Communiste et le Kuomintang vont s’affronter jusqu’à la victoire finale des communistes qui ont mis à leur tête Mao Tse Toung. Les nationalistes du Kuomintang et Tchang Kaï-chek, vont se retirer sur l’île de Formose que les chinois appellent Taïwan.

Mao proclame la république populaire de Chine le 1er octobre 1949.

Mao et les communistes vont avoir comme premier objectif de rendre sa fierté à la Chine.

Il y eut quelques succès, mais surtout beaucoup de répressions, beaucoup de morts et un désastre économique.

Le désastre économique conduit à limiter les pouvoirs de Mao et à donner une grande importance à un de ses proches collaborateurs Deng Xiaoping qui met en œuvre, avec d’autres, une libéralisation économique. Parmi ceux qui ont accompagné Mao très tôt et qui désormais sont au côté de Deng Xiaoping il y a Xi Zhongxun le père de Xi Jinping.

Nous savons que pour reprendre l’intégralité du pouvoir, Mao lance avec les jeunesses communistes la révolution culturelle qui va chasser du pouvoir, violenter, humilier, obliger à des « travaux de rééducation » en usine ou à la campagne tous ceux qui ont participé à cette première libéralisation économique. Pour être exact, « bénéficierons » de ce traitement, ceux qui n’ont pas été tués. Par ailleurs, le cercle de celles et de ceux qui seront opprimés est beaucoup plus large que ceux qui ont participé à la libéralisation de l’économie.

Xi Jinping en tant que fils de Xi Zhongxun va aussi subir la disgrâce. Wikipedia nous apprend que :

« En 1969, lors de la révolution culturelle, il est envoyé […] dans le village de Liangjiahe, dans la province de Shaanxi. Il y vit près de sept ans, de 15 à 22 ans, dans une habitation troglodytique. À cette époque, les enfants des hauts fonctionnaires intègrent en général l’armée, mais son père Xi Zhongxun étant exclu du PCC a perdu tout appui. Toutefois, la région est l’ancienne base révolutionnaire de son père, et Xi Jinping y est bien accueilli. Après quelques mois, il s’enfuit et regagne Pékin, où il est découvert et envoyé dans un camp de travail pour avoir déserté la campagne. »

Avec une telle histoire, on pourrait penser qu’il exprime un certain ressentiment à l’égard du Parti Communiste.

Mais et c’est ce que nous apprend le documentaire « le monde de Xi Jinping », en réalité il va subir l’effet qu’on appelle « le syndrome de Stockholm », terme créé par le psychiatre Nils Bejerot en 1973. Le syndrome de Stockholm est un phénomène psychologique observé chez des otages ayant vécu durant une période prolongée avec leurs geôliers et qui ont développé une sorte d’empathie, de contagion émotionnelle vis-à-vis de ceux-ci, selon des mécanismes complexes d’identification et de survie.

Et il fera tout ce qu’il pourra pour être intégré et gravir les échelons du Parti Communiste. Et pourtant ce ne fut pas simple : Il essuya neuf refus avant de pouvoir adhérer à la Ligue de la jeunesse communiste chinoise en 1971. Puis, il réussit en 1974 à adhérer au Parti communiste chinois.

Après le retour au pouvoir de Deng Xiaoping qui fut suivi rapidement de la réhabilitation de son père Xi Zhongxun, les choses devinrent plus simples pour lui.

Toujours est-il que sans bruit, avec beaucoup de diplomatie il parvint à grimper jusqu’à la plus haute marche du pouvoir en Chine.

Il est vrai que ce documentaire <Le monde selon Xi-Jinping> est passionnant et inquiétant aussi. Plusieurs points sont à souligner.

Aujourd’hui je me concentrerai sur le début du documentaire, cela commence à 3 min13.

Xi Jinping est arrivé au pouvoir suprême.

Accompagné d’un très petit nombre de dirigeants, il pénètre dans un endroit étrange qui est ce que j’appellerai « le sanctuaire du Parti Communiste Chinois », le lieu historique du premier congrès.

Ils sont sept.

Ces 7 dirigeants constituent le : « Comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois ». On les appelle parfois «les empereurs».

C’est en fait eux qui dirigent la Chine.

Et comme pour une cérémonie religieuse devant la stèle qui représente les premiers dirigeants du Parti, tous ces hommes lèvent le point et vont prêter serment. Le numéro 1, Xi Jinping parle en premier, puis les six autres répètent :

« Je jure de préserver les secrets du Parti Communiste

Je jure de lutter pour le communisme

Je jure de ne jamais trahir le parti »


C’est quand même un étrange serment.

Je peux comprendre qu’ils jurent de ne jamais trahir le parti.

Je pense que ne pas trahir le parti devrait conduire à ce qu’on ne dévoile pas ce qui n’a pas vocation à être dévoilé. Et donc, ne pas trahir le parti doit impliquer, doit englober le fait de ne pas trahir les secrets.

Et non seulement, il s’agit d’un verset spécifique de ce serment, il s’agit même du premier.

Ils ne doivent pas être très honorables ces secrets pour que ces 7 dirigeants trouvent si essentiel de le déclamer en premier.

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Mercredi 30 octobre 2019

« Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. »
Charles de Gaulle, Mémoire de guerre

Bien sûr, on peut parler des Kurdes, des turcs et des russes avec uniquement émotion et une vision binaire des luttes. Dire qui représente le bien et qui est le mal absolu.
Evidemment les milices qui ont sauvagement assassiné Havrin Khalaf ne peuvent pas apparaître autrement que le mal absolu.

Mais pour le reste, c’est beaucoup plus compliqué…

Comme souvent…

Bien sûr, on peut aspirer à ce souhait que le Général de Gaulle a écrit dans ses Mémoires de guerre : « Vers l’Orient compliqué, je volais avec des idées simples. ».

Pourquoi pas, encore ne faut-il pas que cela devienne des idées simplistes !

Les empires comme l’empire ottoman, l’empire austro-hongrois, l’empire russe et aussi l’empire chinois sont composés de plusieurs peuples, avec toujours un peuple dominant : les turcs pour le premier, les allemand pour le deuxième, les russes pour le troisième, les hans pour le quatrième.

Dans un empire il est admis et nécessaire que l’empereur ou celui qui dirige l’empire soit en mesure, tout en préservant la domination de son clan, de faire en sorte que ces peuples puissent vivre ensemble.

Mais les européens et particulièrement la France ont fait émerger l’idée de l’État-nation. Une nation qui se réunit et qui fonde une structure juridique internationale qui est l’État.

Un État-nation a beaucoup de mal à accepter une division en son sein. Parce qu’étant donné son essence : « c’est une nation qui fonde un état » dès qu’un peuple veut revendiquer sa singularité en son sein, il va très naturellement aspirer à devenir lui-même un Etat nation. Ce qui est évidemment insupportable pour l’Etat nation qui l’entoure, puisque si ce processus va à son terme il sera amputé à la fois d’un grand nombre de citoyens et d’une partie de son territoire.

L’empire austro-hongrois a connu ce processus à un degré tel que son cœur, l’Autriche, est devenu un tout petit pays, sans aucune commune mesure avec l’Empire qui l’a précédé.

Les parties de l’empire qui ont tenté de créer des nouvelles nations : yougoslaves, tchécoslovaques ont connu aussi, dès que les régimes autoritaires ont été balayés, de nouvelles scissions pour créer de nouveaux Etats-nations.

Lors de guerres terribles pour la Yougoslavie, parce qu’il y avait un peuple dominant : les serbes et un autre qui l’était en second : les croates. Mais les peuples qui ont le plus soufferts étaient les peuples dominés des bosniaques et des kosovars.

La séparation s’est faite de manière beaucoup plus apaisée entre les tchèques et les slovaques, parce que chacun allait de son côté et que personne ne pensait être amputée d’une partie de son État.

L’ordre mondial, une fois que les frontières ont été dessinées, n’aime pas beaucoup qu’on les remette en cause, car cela crée des tensions, des violences et de l’instabilité.

Peu d’États se sont levés pour défendre la tentative de sécession du Biafra au Nigeria, que l’ethnie Igbos a tenté de réaliser. Et quand cela fonctionne comme au Soudan, où le Sud Soudan a pu devenir indépendant du Nord Soudan. Une fois que les sud soudanais se sont retrouvés entre eux et qu’ils n’avaient plus d’ennemi commun, ils se sont battus entre eux dans une guerre civile d’une telle violence et barbarie, de nature à décourager tout géopoliticien de soutenir la création d’un état-nation par scission d’un État préexistant.

C’est pourquoi, une fois que les kurdes n’ont pas pu ou su saisir leur chance en 1920, c’est devenu extrêmement compliqué. Et rien ne dit que si par un hasard de l’Histoire, il puisse exister un jour un État des Kurdes, celui-ci ne serait pas la proie de querelles internes, comme le Sud-Soudan. Tant il est vrai qu’une fois l’ennemi commun disparu, le lien qui unit ceux qui l’ont combattu peut se révéler fragile et mettre en évidence des antagonismes d’une violence inouïe.

Contrairement à l’Autriche, la Turquie a su conserver par les armes une grande partie de son territoire, cœur de l’empire ottoman.

Et l’état nation ne supporte pas qu’une fraction d’entre elle puisse vouloir entrer en résistance.

Mustafa Kemal a d’abord chassé les chrétiens de son pays, après le génocide il a découragé par tous les moyens les arméniens de revenir sur leurs terres, de même que pour les autres minorités chrétiennes qui existaient dans l’Empire.

Pour les kurdes musulmans, ils devaient rester mais en devenant turc.

Et il y a nombre de kurdes qui ont accepté, mais il en est d’autres qui ont créé le PKK qui a pris les armes pour lutter contre l’Etat Turc.

Et pour le reste je vais vous renvoyer vers un article sur le site de <France Culture> qui explique d’abord que si la Syrie a pratiqué de la même manière que la Turquie à l’égard de ses Kurdes, en réprimant toute velléité d’autonomie voire seulement de liberté d’usage de la langue :

« [La Syrie a] en revanche soutenu, financé, armé et entraîné les rebelles kurdes de Turquie, ceux du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) depuis 1981 et jusqu’en 1998. C’est en effet à partir du territoire syrien que les militants armés du PKK lancent leurs premières attaques en Turquie en 1984. Jusqu’à l’automne 1998, le leader du PKK lui-même, Abdullah Öcalan, a sa résidence permanente à Damas. Quant à ses cadres, on les rencontre régulièrement dans les quelques grands hôtels de la capitale syrienne où ils ont pris pension, très vraisemblablement aux frais du régime.  »

La Syrie et la Turquie ne sont pas des alliés, pour formuler leur situation respective par une litote.

Et c’est alors que d’une part l’invasion américaine de l’Irak a déstabilisé la région et conduit à la création Daesh et d’autre part le printemps arabe a touché le régime autoritaire et sanguinaire de Bachar Al Assad.

Dans cette situation très compliquée pour lui, son régime ne tenait alors, avant l’intervention de la Russie, qu’à un fil fragile, Bachar al-Assad a pris une initiative pour concentrer ses forces autour de Damas :

« à la mi-2012, les troupes de Bachar al-Assad décident d’évacuer la quasi-totalité des provinces nord et nord-est de Syrie, laissant toute la zone aux Kurdes, le régime fait le pari que ces derniers préserveront la région des avancées de la rébellion. C’est un pari risqué : si les Kurdes de Syrie ne revendiquent pas une indépendance stricto sensu, ils entendent tout de même administrer leur territoire de façon autonome et suivant les principes d’une idéologie bien précise : celle du PKK, ancien “compagnon de route” du régime syrien.

[…]Or le parti kurde le plus important dans le nord-syrien en 2012, celui à qui le régime laisse les clefs de la région, est le PYD : le Partiya Yekita Demokrat, ou Parti de l’Union Démocratique. Parti kurde syrien mais surtout “parti-frère” du PKK, construit dans le pays par des cadres du PKK sur le même modèle, avec la même idéologie. Comme le PKK, le PYD est aussi flanqué d’une branche armée, sa milice : les Unités de Protection du Peuple ou Yekîneyên Parastina Gel (YPG). Depuis les premières manifestations de défiance envers le régime syrien, vite transformées en rébellion armée, ces miliciens de l’YPG se sont davantage retrouvés du côté de la répression des manifestations que de leur organisation, n’hésitant pas à détruire complètement quelque centre communautaire, ou le QG d’une formation politique d’opposition au régime.

Quand celui-ci évacue quasi complètement le nord et le nord-est du pays, le PYD et les YPG investissent les centres du pouvoir administratif ou économique et contrôlent le terrain sur trois régions, correspondant approximativement aux zones où la population est majoritairement kurde  ».

Vous avez donc bien lu que l’YPG s’est davantage retrouvé du côté de la répression des manifestations que de leur organisation. Cela correspond certainement à de la real politique. Le PYD souhaitait préserver un minimum de relations convenables avec Al-Assad . L’avenir lui a donné raison puisque, même si cela est délicat, il a pu demander l’aide du maître de Damas, pour faire contrepoids à l’invasion turque actuelle.

Par la suite quand Daesh a attaqué les terres kurdes l’YPG s’est défendu, très bien défendu et a aidé les armées occidentales qui en réciproque ont fait de même.

Et ils ont ainsi créé le « Rojava » ou « Rojavayê Kurdistanê » en langue kurde, c’est-à-dire Kurdistan occidental.


Et :

«  Lorsque le PYD et ses YPG se retrouvent maître des trois cantons du Rojava, à l’été 2012 et surtout à partir de mars 2013, les transferts de combattants et surtout de cadres du PKK en provenance de Turquie ou du nord Irakien (où le groupe armé dispose de bases arrières) vont se poursuivre, voire se multiplier. En Turquie, en effet, l’heure est à la détente, voire à la paix. Le chef du PKK Abdullah Öcalan, embastillé dans l’île-prison d’Imrali au sud d’Istanbul depuis 1999, et le pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan ont entamé des discussions baptisées “processus de résolution”. A l’été 2013, le leader du PYD, Saleh Muslim est même officiellement invité à Istanbul par le ministre des Affaires étrangères turc pour y participer. Ces pourparlers prévoient un arrêt de la lutte armée en Turquie et un retrait des combattants du PKK hors du territoire turc. Ceux-ci se replient en effet, en nombre, sur le nord-irakien et surtout dans le Rojava syrien… Résultat de quoi, une bonne partie des combattants des YPG en Syrie, notamment ceux qui affronteront les djihadistes de l’organisation Etat Islamique à partir de l’été 2014, semblent être arrivés de Turquie. C’est en tout cas ce qu’indique la recension de leurs “morts au combat”. Les YPG en effet indiquent systématiquement le lieu de naissance de leurs combattants dans les avis de décès et selon un décompte de l’Atlantic Council, entre janvier 2013 et janvier 2016, 49 % des “morts au combat” des YPG en Syrie étaient nés en Turquie, contre 44% nés en Syrie. Autrement dit, près de la moitié des combattants YPG disparus lors d’affrontements étaient probablement des citoyens turcs.  »

Je n’ai aucune espèce de début de sympathie pour Erdogan

Mais lorsqu’il affirme que les kurdes de Syrie sont alliées au PKK kurde et que des kurdes de Turquie se réfugient en Syrie pour combattre son État, il est probable qu’il ait raison.

Pour donner le change, les forces kurdes vont créer une nouvelle organisation les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) :

« Durant l’année 2015 et les suivantes, sur le théâtre syrien, le partenariat militaire kurdo-américain va toutefois se poursuivre et s’accélérer. En quelques mois, les forces des YPG, appuyés par l’aviation occidentale, attaquent et réduisent les positions de l’organisation Etat Islamique qui lui sont le plus accessibles ; d’abord à Tal Abyad, entre les cantons de Kobanî et d’Al Hasakah. Avec la conquête de Tal Abyad, les YPG contrôlent dorénavant une bonne partie de la frontière turco-syrienne et poussent également vers l’Ouest, récupérant d’autres zones non majoritairement kurdes. Ankara s’en inquiète de plus en plus ouvertement. D’autant qu’au printemps 2015, cette même Turquie, pour des motifs de politique intérieure, a relancé sa guerre contre le PKK.

Pour présenter un visage moins évidemment kurde le long de cette frontière turque, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) sont officiellement fondées en octobre 2015. Elles regroupent des brigades syriennes arabes, des forces tribales et des Chrétiens autour des YPG qui en demeure pourtant le contingent le plus important et le fer de lance. En 2015-2016, ces FDS sont les seules forces qui affrontent les djihadistes de l’organisation Etat Islamique en Syrie. Elles grignotent son territoire, reprenant Aïn Issa, au sud de Kobanî, fin 2015, puis Mambij, à l’Ouest de l’Euphrate, à l’été 2016. En plus des avions de la coalition internationale qui les appuient, les combattants des FDS sont maintenant épaulés sur le terrain par un contingent de plus en plus important de soldats occidentaux des forces spéciales : jusqu’à 2 000 Américains, environ 200 Français et peut-être autant de Britanniques sont présents à leurs côtés. Raqqa, la “capitale” de l’organisation Etat Islamique en Syrie est conquise en octobre 2017. Dans la foulée, les FDS poursuivent leurs avancées dans la province sud-est de Deir Ez-Zor. Fin 2017, elles contrôlent pratiquement toute la zone à l’est de l’Euphrate ; près d’un tiers du territoire syrien est dorénavant passé sous leur coupe, dont l’essentiel des régions productrices d’hydrocarbures. »

Dans sa logique d’État nation, Erdogan, en dehors de toute moralité défend ses intérêts. Les menaces qu’il dénonce ne sont pas inexistantes.

Ce qui ne m’empêche pas d’avoir plutôt de la sympathie pour le peuple kurde.

Mais les choses ne sont pas simples, c’est ainsi que je commençais ce mot du jour.

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Jeudi 24 octobre 2019

« Trump est en train de mettre en pièces tout le réseau d’alliances, politiques et militaires, patiemment mis en place par ses prédécesseurs. »
Shlomo Ben-Ami, ancien ministre israélien des Affaires étrangères

Les américains ont lâché les Kurdes de Syrie et ont permis à la Turquie d’Erdogan de se déchaîner contre eux.

Le Canard Enchaîné qui trouve les mots justes, a titré : « Les Kurdes victimes d’un meurtrier en Syrie ».

Quand il a fallu se battre contre les fous de Dieu de Daesh, les Américains et leurs alliés occidentaux ont bien voulu bombarder, envoyer des troupes spéciales et des formateurs. Mais se battre sur le terrain, envoyer de l’infanterie étaient beaucoup trop dangereux. C’est alors les hommes et aussi les femmes combattantes kurdes qui se sont battues et ont vaincu sur le terrain Daesh, malgré le jeu trouble de la Turquie d’Erdogan, qui a toujours considéré que les Kurdes étaient plus dangereux pour la Turquie que l’État islamique.

Les États-Unis ont donc trahi les Kurdes.

Les États sont des monstres froids.

Leurs trahisons sont multiples. Les américains ont abandonné de la même manière, à la vindicte des Nord-Vietnamiens triomphants, les Sudvietnamiens qui avaient combattus à leurs côtés.

Notre pays a agi de même avec les Harkis qui avaient choisi la France et qui étaient donc des traîtres pour le FLN, ils n’ont pas été défendus ou protégés par le pays qu’ils croyaient être le leur.

Plus récemment les Français ont abandonné leurs traducteurs afghans <Les interprètes afghans, un scandale français>. Il semble que depuis la France ait un peu assoupli sa politique de visa pour ceux qui l’ont aidée dans leur guerre contre les talibans.

Il ne fallait pas beaucoup d’américains, 2000 ont été rapatriés, pour retenir les Turcs d’attaquer, ces derniers ne pouvant se permettre de risquer de blesser ou tuer un soldat américain.

Mais l’homme cynique et connaissant si peu des leçons d’Histoire que les états-uniens ont mis à leur tête, a décidé de rapatrier les troupes américaines.

L’allié français, Emmanuel Macron a été informé par un tweet comme tout le monde.

Par la suite, l’hôte de la maison blanche a tenu des propos décousus, ignobles, stupides.

« Nous sommes en train de quitter la Syrie, mais nous n’avons absolument pas abandonné les Kurdes qui sont des gens formidables et de merveilleux combattants » <ICI>

Puis il menace : « Si la Turquie fait quoi que ce soit qui dépasse les bornes je détruirais son économie » et ajoute pathétique et grotesque : « Si cela dépasse les bornes selon ma grande et inégalable sagesse ».

Puis, dans un autre tweet, il affirme que les Kurdes ont reçu énormément d’argent.

Puis il a affirmé « [les kurdes] ne nous ont pas aidés pendant la Deuxième Guerre mondiale, ils ne nous ont pas aidés en Normandie ! ».  A priori pendant la seconde guerre mondiale, c’étaient des États qui combattaient et les Kurdes n’avaient pas d’État mais devait se soumettre à l’autorité des quatre États dont ils étaient une minorité.
Puis il a dit : « Nous devons entretenir de bonnes relations avec les membres de l’OTAN et la Turquie est un membre de l’OTAN ».

Et il a écrit à Erdogan dans un langage de cour de récréation : « Ne jouez pas au dur ! Ne faites pas l’idiot ! »

Pour finalement se ranger totalement derrière Erdogan : « Le PKK est une menace terroriste pire que Daech ». Rappelons que le PKK est l’organisation kurde en Turquie qui se bat pour obtenir sinon une indépendance au moins une autonomie qui lui a toujours été refusé, peuple sans état, trahi par les traités le lendemain de la première guerre mondiale. La principale organisation des kurdes « YPG « de Syrie est accusée par Erdogan d’être l’allié du PKK

Et quand ses envoyés en Turquie obtiennent une suspension de l’attaque turque de 5 jours en contrepartie de l’acceptation par les kurdes de se soumettre aux objectifs de guerre d’Erdogan et de se retirer de trente kilomètres sur une terre qu’ils habitent et qu’ils peuvent considérer être la leur, sans même avoir eu la possibilité d’exprimer leur avis, Trump déclare :

« C’est un grand jour pour la civilisation, pour les Etats-Unis, la Turquie et les Kurdes. Nous avons obtenu tout ce dont nous aurions pu rêver ».

Cet homme inculte sait-il ce qu’est une civilisation ?

Comprend-il ce qu’il dit ? Ou se croit-il toujours dans une émission de télé-réalité dans laquelle les mots n’ont pas grande portée ?

Brice Couturier qui lit les auteurs autres que français rapporte des avis qui pensent qu’il fait une grande bêtise : <La trahison déraisonnable d’un allié stratégique>

Il cite ainsi Shlomo Ben-Ami, ancien ministre israélien des Affaires étrangères et intellectuel de notoriété internationale :

« La décision précipitée du président Donald Trump de retirer les troupes américaines de Syrie, dégageant la voie à une offensive turque contre les Kurdes, constitue la trahison déraisonnable d’un allié stratégique. Une telle malhonnêteté, on aurait pu l’attendre d’un régime fasciste ou dictatorial et pourtant, ce sont les Etats-Unis – leader mondial doté, paraît-il d’idéaux élevés – qui ont ainsi émergé comme empire de perfidie. […]

Trump est en train de mettre en pièces, tout le réseau d’alliances, politiques et militaires, patiemment mis en place par ses prédécesseurs. Il déclare la guerre commerciale à ses alliés européens. Il dit se laver les mains du retour en Europe des djihadistes de Daesh, jusqu’à présent gardés par les forces kurdes de l’YPG. »

Et en effet, énième saillie du milliardaire golfeur et président  il a déclaré en conférence de presse.

« Bon, ils vont s’échapper vers l’Europe, c’est là qu’ils veulent aller. Ils veulent rentrer chez eux ».

Et Brice Couturier de conclure :

« Les alliés des Etats-Unis sont amenés à des révisions déchirantes. L’Inde se tourne vers la Chine et la Russie. La Corée du Sud, constatant que Washington a perdu tout intérêt pour empêcher le « petit rocket man » de se doter d’un arsenal nucléaire, envisage des concessions préjudiciables à son dangereux voisin. Taïwan, qui se sent abandonnée, va être contrainte de se rapprocher de la Chine continentale. L’Arabie saoudite, consciente du peu de valeur de l’alliance américaine, entame des négociations urgentes avec l’Iran – qui lui fait si peur… »

Richard Haass, diplomate, ancien membre important de l’administration de George W Bush et aujourd’hui président d’un des principaux think tank américains, « le Council on Foreign Relations », juge l’abandon des Kurdes catastrophique. Parce qu’il renforce les doutes que pouvaient nourrir les alliés des Américains à travers le monde sur la fiabilité de ce partenaire. Il analyse :

« Ce que faisaient les Etats-Unis dans le Nord de la Syrie était intelligent et efficace .Ils se contentaient de fournir aux forces kurdes un soutien logistique, de l’entraînement et de l’information. Mais la seule présence d’un millier d’Américains sur place suffisait à dissuader les Turcs, les Syriens, les Russes ou les Iraniens de s’attaquer au territoire ainsi gagné par les Kurdes et leurs alliés arabes sur le soi-disant « Etat islamique ».

Le problème, souligne Haass, c’est que, comme souvent, Trump apparaît en phase avec une grande partie de l’opinion américaine. Beaucoup d’électeurs ont été séduits par son précédent slogan de campagne « America First ». Ils estiment que les besoins de leur pays dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement ont été, dans le passé, sacrifiés aux besoins de financement de guerres lointaines qui n’ont apporté que des ennuis. Une vague isolationniste traverse à présent les Etats-Unis. Et c’est sur elle que Trump entend surfer pour obtenir une réélection qui se présente mal.

Mais l’histoire nous apprend, poursuit Haass, que les périodes de repli sur soi finissent souvent par des chocs violents, qui obligent les Etats-Unis à se lancer dans de nouvelles odyssées risquées. Croire qu’il suffit de se retrancher dans la “citadelle Amérique” pour éviter les périls est une illusion. Les attentats du World Trade Center et du Pentagone devraient servir de leçon…

Et pour les européens la leçon est amère. Brice Couturier dit lucidement : :

« Les Européens, qui avaient misé sur le renversement du régime sanguinaire de Bachar Al-Assad comme d’ailleurs, la Turquie d’Erdogan, peuvent renoncer au rêve d’une Syrie démocratique. Ce sont les Russes, les Iraniens et les Turcs qui vont régler entre eux l’avenir de la Syrie. L’Europe est aux abonnés absents… comme souvent. Elle n’a encore rien compris au XXI° siècle. »

Et il est vrai que Poutine et Erdogan se sont rencontrés, mardi, à Sotchi et semblent s’être bien entendu sur le dos des Kurdes et des occidentaux mais pour le plus grand intérêt de la Russie, de la Turquie et du régime de Bachar Al Assad.

<Syrie: Erdogan et Poutine imposent leur paix dans le nord du pays>

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Mardi 26 mars 2019

« En 1990, le PIB chinois représentait le 1/3 du PIB français. En 2005, ils sont au même niveau. Aujourd’hui il est 4 fois plus important. »
Pascal Boniface

Pascal Boniface est le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques.

En quelques mots tout est dit.

1990, c’était il y a 30 ans…

Il y a là une dynamique en œuvre que l’on ne sent pas s’arrêter.

Vous savez tous que le Président chinois rend visite à notre Président.

Ajoutons une petite photo d’actualité pour être complet


Imaginez-vous un monde où la première puissance mondiale est un régime dictatorial ?

C’est ce qui se prépare.

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Mardi 12 mars 2019

« Citoyens d’Europe »
Emmanuel Macron

Emmanuel Macron a écrit une lettre à tous les membres de l’Union européenne qu’il a commencée par cette invite : « Citoyens d’Europe », ce qui peut surprendre car il n’existe pas de citoyens d’Europe parce qu’il n’existe pas de nation européenne. On est citoyen d’un État national.

J’ai écouté plusieurs émissions sur ce sujet

D’abord « Du grain à moudre » du 8 mars 2019 : <L’Europe a-t-elle besoin d’Emmanuel Macron ?>

Puis le nouvel esprit public de France Culture de ce dimanche du 10 mars, animé par Emilie Aubry mais qui a gardé pour nom « L’Esprit Public » : <Macron, Superman de l’Europe ?>

Et enfin, l’ancien esprit public animé par Philippe Meyer qui se trouve désormais sur internet et qui s’appelle « Le nouvel esprit public » : <Macron, l’Europe au pied de la lettre ?>

Philippe Meyer a introduit le sujet de la manière suivante :

« Lundi 4 mars, Emmanuel Macron a fait paraitre dans les médias des 28 États membres de l’UE une tribune intitulée « Pour une Renaissance européenne ». Il y met en avant des propositions ordonnées en trois thèmes : « la liberté, la protection et le progrès ». Le chef de l’État veut « remettre à plat » l’espace Schengen avec la création d’une authentique police des frontières communes et un office européen de l’asile. En matière économique, il souhaite une redéfinition de la politique de concurrence avec en corollaire l’affirmation d’une « préférence européenne ».

Emmanuel Macron propose par ailleurs la création d’une banque européenne du climat pour financer la transition écologique ainsi qu’une Agence européenne de protection des démocraties contre les ingérences étrangères notamment en ce qui concerne les élections. En France, ces propositions ont suscité une fracture à droite de l’échiquier politique.

[…] En Europe, le volontarisme du président français est applaudi mais des réserves s’expriment quant à l’hypothèse de réformer l’espace Schengen. Les Premiers ministres belge, slovaque ou finlandais, qui ont salué le texte de M. Macron, se sont gardés de s’exprimer sur ce point. En Allemagne, des responsables de la CDU, du SPD et des Verts ont appelé le gouvernement à répondre aux propositions d’Emmanuel Macron. Le gouvernement hongrois a, quant à lui, fait part de son scepticisme tandis qu’en Italie c’est par le silence qu’ont régi les actuels dirigeants du pays. Une stratégie qu’ils avaient déjà employé la veille de la publication de la tribune, lorsqu’Emmanuel Macron avait accordé une interview à la chaine de télévision italienne « Rai Uno ».

Plus intéressant est la réponse à ce texte de la nouvelle patronne de la CDU allemande, Annegre Kramp-Karrenbauer rebaptisée AKK. Vous en trouverez la traduction <ICI>.

C’est globalement plutôt une fin de non-recevoir.

Aujourd’hui je n’écrirai pas grand-chose et je vous renvoie vers les émissions indiquées ci-dessus, mais je vais laisser parler les cartes, et notamment la carte politique mondiale dont nous avions l’habitude dans les salles de classe que nous avons fréquenté jadis.

Cette carte « classique » pose d’ailleurs des problèmes de taille relative à cause de la projection MERCATOR que je n’expliquerais pas aujourd’hui, mais vous pourrez lire quelques critiques sur cette carte que nous utilisons habituellement.

Juste pour vous donner un exemple de distorsion : le Groenland a en réalité une superficie de 2,166 millions de km2, elle est ainsi plus petite que la République démocratique du Congo 2,335 millions de km2 qui a la caractéristique de se trouver au centre du planisphère. Il apparaît clairement que sur cette carte « classique » les proportions ne sont absolument pas respectées pour ces deux états.

Mais que voit-on à la seule lecture de cette carte ?

Une Europe morcelée façon puzzle, en face de géants comme les États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil, le Canada.

Et si on s’intéresse à la démographie la situation est pire, l’ensemble des pays européens pèse de moins en moins dans le monde. L’Europe pesait en 1900, 20%, elle pèse aujourd’hui moins de 10% de la population mondiale.

Et la vraie carte du monde est celle qui montre la Chine, l’Empire du milieu, au centre. Le monde s’organise autour de l’Océan Pacifique, L’Europe se trouve morcelée et à la marge.


Notre Président, s’y prend peut être mal, mais il a raison de s’adresser aux « citoyens de l’Europe », soit nous arrivons à nous unir et alors nous pourrons peser dans le monde, engager, par rapport au défi climatique, des politiques significatives et ne pas subir la puissance économique des autres géants de la planète, soit nous n’y arrivons pas et nous serons une petite chose qui ne comptera guère et qui sera renvoyé aux marges de l’Histoire en train de se faire.

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Lundi 11 mars 2019

«Le monde est comme un masque qui danse : pour bien le voir, il ne faut pas rester au même endroit.»
Proverbe igbo cité en conclusion de la lettre de Dominique Eddé à Alain Finkielkraut.

Sauf à refuser tout contact avec les médias, personne ne saurait ignorer qu’Alain Finkielkraut a fait l’objet, à Paris d’une agression verbale, lors d’un samedi de manifestation des gilets jaunes par un salafiste qui après l’avoir traité de « sale merde de sioniste » a eu cette imprécation : « Nous sommes le peuple, la France elle est à nous, retourne à Tel Aviv ».

Il faut une certaine audace, pour qu’un Salafiste puisse s’écrier, dans le pays de Voltaire, le pays de la séparation de l’Église et de l’État, que la France est à des personnes qui professent ses idées.

C’est aussi d’une grande stupidité, parce qu’étant donné l’idéologie d’où cet individu parle, il ne pourra qu’attiser la haine et la division dans notre pays et alimenter la rhétorique d’extrême droite contre les musulmans et la théorie du grand remplacement.

Quasi tous les intellectuels, tous les journalistes, même ceux qui sont très opposés à certaines idées d’Alain Finkielkraut ont pris fait et cause pour lui et ont dénoncé l’acte haineux et stupide du salafiste.

J’ai avoué ma faiblesse pour l’émission de Finkielkraut sur France Culture : « Répliques » qui est selon moi un exemple d’émission tolérante où des idées peuvent s’exprimer et se discuter dans le respect.

Les opinons d’Alain Finkielkraut sont quelquefois plus contestables.

J’ai lu un point de vue que j’ai trouvé intéressant et qui a d’autant plus attiré mon attention en raison d’une censure du journal « Le Monde ».

L’article a été écrit par Dominique Eddé qui est libanaise. Elle est romancière, essayiste, critique littéraire, traductrice et éditrice. Elle écrit aussi des articles politiques publiés dans Le Monde et Le Nouvel Observateur.

Son dernier ouvrage traite d’Edward Said, universitaire palestino-américain décédé en 2003 que j’ai déjà évoqué parce qu’il a créé avec Daniel Barenboim, l’orchestre comprenant des musiciens arabes et israéliens, le <West-Eastern Divan Orchestra>

Cet ouvrage a pour titre : « Edward Saïd, Le roman de sa pensée ».

Après l’agression elle a souhaité écrire une lettre à Alain Finkielkraut.

Elle raconte :

« Rédigée le 23 février dernier, cette lettre à Alain Finkielkraut a été acceptée par le journal Le Monde qui demandait qu’elle lui soit « réservée », puis elle a été recalée, sans préavis, 9 jours plus tard alors qu’elle était en route pour l’impression.

L’article qui, en revanche, sera publié sans contrepoids ce même jour, le 5 mars, était signé par le sociologue Pierre-André Taguieff. Survol historique de la question du sionisme, de l’antisionisme et de « la diabolisation de l’État juif », il accomplit le tour de force de vider le passé et le présent de toute référence à la Palestine et aux Palestiniens. N’existe à ses yeux qu’un État juif innocent mis en péril par le Hamas. Quelques mois plus tôt, un article du sociologue Dany Trom (publié dans la revue en ligne AOC) dressait, lui aussi, un long bilan des 70 ans d’Israël, sans qu’y soient cités une seule fois, pas même par erreur, les Palestiniens.

Cette nouvelle vague de négationnisme par omission ressemble étrangement à celle qui en 1948 installait le sionisme sur le principe d’une terre inhabitée. Derrière ce manque d’altérité ou cette manière de disposer, à sens unique, du passé et de la mémoire, se joue une partie très dangereuse. Elle est à l’origine de ma décision d’écrire cette lettre. Si j’ai choisi, après le curieux revirement du Monde, de solliciter L’Orient-Le Jour plutôt qu’un autre média français, c’est que le moment est sans doute venu pour moi de prendre la parole sur ces questions à partir du lieu qui est le mien et qui me permet de rappeler au passage que s’y trouvent par centaines de milliers les réfugiés palestiniens, victimes de 1948 et de 1967.

Alors que j’écris ces lignes, j’apprends qu’a eu lieu, cette semaine, un défilé antisémite en Belgique, dans le cadre d’un carnaval à Alost. On peine à croire que la haine et la bêtise puissent franchir de telles bornes. On peine aussi à trouver les mots qui tiennent tous les bouts. Je ne cesserai, pour ma part, d’essayer de me battre avec le peu de moyens dont je dispose contre la haine des Juifs et le négationnisme, contre le fanatisme islamiste et les dictatures, contre la politique coloniale israélienne. De tels efforts s’avèrent de plus en plus dérisoires tant la brutalité ou la surdité ont partout des longueurs d’avance. »

L’Orient-Le Jour est un quotidien francophone libanais. C’est un des principaux journaux libanais du Moyen-Orient. Et vous trouverez l’article derrière ce lien : < Cher Alain Finkielkraut>

Elle commence à condamner sans ambigüité l’agression :

« Cher Alain Finkielkraut,

Permettez-moi de commencer par vous dire « salamtak », le mot qui s’emploie en arabe pour souhaiter le meilleur à qui échappe à un accident ou, dans votre cas, une agression. La violence et la haine qui vous ont été infligées ne m’ont pas seulement indignée, elles m’ont fait mal. Parviendrais-je, dans cette situation, à trouver les mots qui vous diront simultanément ma solidarité et le fond de ma pensée ? Je vais essayer. Car, en m’adressant à vous, je m’adresse aussi, à travers vous, à ceux qui ont envie de paix. »

Le plus simple est de lire l’article dans lequel, elle critique Alain Finkielkraut sur son refus de l’altérité et je dirai son manque d’empathie à l’égard du plus grand nombre des musulmans qui ne sont pas salafistes.

Elle écrit ainsi :

«  Ainsi, l’islam salafiste, notre ennemi commun et, pour des raisons d’expérience, le mien avant d’être le vôtre, vous a-t-il fait plus d’une fois confondre deux milliards de musulmans et une culture millénaire avec un livre, un verset, un slogan. Pour vous, le temps s’est arrêté au moment où le nazisme a décapité l’humanité. Il n’y avait plus d’avenir et de chemin possible que dans l’antériorité. Dans le retour à une civilisation telle qu’un Européen pouvait la rêver avant la catastrophe. Cela, j’ai d’autant moins de mal à le comprendre que j’ai la même nostalgie que vous des chantiers intellectuels du début du siècle dernier. Mais vous vous êtes autorisé cette fusion de la nostalgie et de la pensée qui, au prix de la lucidité, met la seconde au service de la première. Plus inquiétant, vous avez renoncé dans ce « monde d’hier » à ce qu’il avait de plus réjouissant : son cosmopolitisme, son mélange. Les couleurs, les langues, les visages, les mémoires qui, venues d’ailleurs, polluent le monde que vous regrettez, sont assignées par vous à disparaître ou à se faire oublier. Vous dites que deux menaces pèsent sur la France : la judéophobie et la francophobie. Pourquoi refusez-vous obstinément d’inscrire l’islamophobie dans la liste de vos inquiétudes ? Ce n’est pas faire de la place à l’islamisme que d’en faire aux musulmans. C’est même le contraire. À ne vouloir, à ne pouvoir partager votre malaise avec celui d’un nombre considérable de musulmans français, vous faites ce que le sionisme a fait à ses débuts, lorsqu’il a prétendu que la terre d’Israël était « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Vous niez une partie de la réalité pour en faire exister une autre. Sans prendre la peine de vous représenter, au passage, la frustration, la rage muette de ceux qui, dans vos propos, passent à la trappe. »

Elle revient sur cette idée sotte de vouloir légiférer sur le mot « antisioniste » :

« Peut-être aurez-vous l’oreille du pouvoir en leur faisant savoir qu’ils ne cloueront pas le bec des opposants au régime israélien en clouant le bec des enragés. On a trop l’habitude en France de prendre les mots et les esprits en otage, de privilégier l’affect au mépris de la raison chaque fois qu’est évoquée la question d’Israël et de la Palestine. On nous demande à présent de reconnaître, sans broncher, que l’antisémitisme et l’antisionisme sont des synonymes.

Que l’on commence par nous dire ce que l’on entend par sionisme et donc par antisionisme. Si antisioniste signifie être contre l’existence d’Israël, je ne suis pas antisioniste. Si cela signifie, en revanche, être contre un État d’Israël, strictement juif, tel que le veulent Netanyahu et bien d’autres, alors oui, je le suis. Tout comme je suis contre toute purification ethnique.

Mandela était-il antisémite au prétexte qu’il défendait des droits égaux pour les Palestiniens et les Israéliens ?

L’antisémitisme et le négationnisme sont des plaies contre lesquelles je n’ai cessé de me battre comme bien d’autres intellectuels arabes. Que l’on ne nous demande pas à présent d’entériner un autre négationnisme – celui qui liquide notre mémoire – du seul fait que nous sommes défaits. Oui, le monde arabe est mort. Oui, tous les pays de la région, où je vis, sont morcelés, en miettes. Oui, la résistance palestinienne a échoué. Oui, la plupart desdites révolutions arabes ont été confisquées. Mais le souvenir n’appartient pas que je sache au seul camp du pouvoir, du vainqueur. Il n’est pas encore interdit de penser quand on est à genoux. »

L’article est beaucoup plus riche que ce que j’en cite. Elle finit par un proverbe igbo :

« Le monde est comme un masque qui danse : pour bien le voir, il ne faut pas rester au même endroit. »

L’igbo aussi appelé ibo est une langue parlée au Nigéria, dans la région qui avait abritée la révolte du Biafra.

Ce proverbe igbo ressemble un peu à l’expression que j’ai parfois utilisé de tourner autour du pot, afin de voir le pot sous tous ses aspects.

J’ai avoué mon incapacité actuellement de rédiger un mot du jour équilibré sur Israël, mais je crois qu’il faut lire cette intellectuelle arabe modérée et qui dit une autre partie de la réalité de ce qui se joue dans cet orient complexe.

Je ne comprends pas la censure du Monde.

Je redonne le lien vers son article : « Cher Alain Finkielkraut »

<1209>

Jeudi 20 septembre 2018

« Pour le moment, il semble qu’Huntington soit gagnant »
Francis Fukuyama

Francis Fukuyama, universitaire américain, est devenu mondialement célèbre quand il a écrit et publié en 1992, le livre « La Fin de l’Histoire et le dernier homme ».

Cet ouvrage est contemporain d’un autre écrit en 1996 par un autre universitaire américain spécialiste de science politique : Samuel Huntington qui est l’auteur de « Le choc des civilisations ».

Ces deux livres, écrit tous deux lors de la dernière décennie du XXème siècle, défendent des thèses opposées.

Pour Fukuyama l’Histoire s’achèvera le jour où un consensus universel sur la démocratie libérale mettra un point final aux conflits idéologiques. Et en 1992, pour lui ce jour était très proche. Il a bien sûr pour modèle la démocratie américaine. Il a écrit cet essai alors que l’Union soviétique venait de se dissoudre et que les USA et le monde occidental libéral venait de gagner la guerre froide. Il avait publié, dès 1989, le camp des « démocraties populaires » de l’Europe de l’Est n’étaient déjà plus en grande forme et le mur de Berlin venait de tomber, un article sur ce même sujet : « The end of History ? ».

Wikipedia nous apprend que cet article fut publié par la revue The National Interest puis repris dans la revue française Commentaire no 47, automne 1989.

Huntington commença aussi à écrire d’abord un article « The Clash of Civilizations ? » en 1993 dans la revue Foreign Affairs.. Wikipedia nous apprend que cet article est inspiré de l’ouvrage de Fernand Braudel : « Grammaire des civilisations ». Et comme Fukuyama il va développer cet article pour en faire un livre, traduit en France en 1997 aux éditions Odile Jacob.

Je cite Wikipedia qui décrit cela fort bien :

« Dans un premier temps, les guerres avaient lieu entre les princes qui voulaient étendre leur pouvoir, puis elles ont eu lieu entre États-nations constitués, et ce jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Puis la révolution russe de 1917 a imposé un bouleversement sans précédent, en ce qu’elle a promu une idéologie. Ainsi, dès ce moment, les causes de conflits ont cessé d’être uniquement géopolitiques, liées à la conquête et au pouvoir, pour devenir idéologiques. Cette vision des relations internationales trouve son point d’aboutissement dans la Guerre froide, celle-ci ayant institué l’affrontement de deux modèles de société.

Cependant, la fin de la Guerre froide marque un nouveau tournant dans les relations internationales.

Huntington nous dit qu’il faut désormais penser les conflits en termes non plus idéologiques mais culturels : « Dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit sont culturelles. Les États-nations resteront les acteurs les plus puissants sur la scène internationale, mais les conflits centraux de la politique globale opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations différentes. Le choc des civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur1. »

En effet, les opinions publiques et les dirigeants seraient nettement plus enclins à soutenir ou à coopérer avec un pays, une organisation proche culturellement. Le monde se retrouverait alors bientôt confronté à un choc des civilisations, c’est-à-dire une concurrence plus ou moins pacifique, à des conflits plus ou moins larvés, tels ceux de la Guerre froide, entre blocs civilisationnels. Huntington définit les civilisations par rapport à leur religion de référence (le christianisme, l’islam, le bouddhisme…), et leur culture. Il définit sept civilisations et potentiellement une huitième : Occidentale (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord, Australie…), latino-américaine, islamique, slavo-orthodoxe (autour de la Russie), hindoue, japonaise, confucéenne (sino-vietnamo-coréenne) et africaine. »

Les attentats du 11 septembre 2001 et l’émergence d’organisation terroristes islamiques visant à pousser à un affrontement entre le monde musulman et l’occident ont donné du crédit à sa thèse.

Il y a deux différences entre ces penseurs.

La première n’est pas essentielle, mais elle m’est personnelle j’ai acheté l’ouvrage d’Huntington et je l’ai parcouru. Je le lirai probablement un jour. Je n’ai pas acheté l’ouvrage de Fukuyama et je n’ai pas l’intention de le faire.

La seconde différence est que ces deux ouvrages n’ont pas été écrits à la même période de la vie de leur auteur.

Samuel Huntington avait près de 70 ans quand il a écrit « Le choc des civilisations ». Il était né en 1927 à New York, diplômé de l’université Yale à dix-huit ans, il débute sa carrière d’enseignant à vingt-trois ans à l’université Harvard dans laquelle il travaillera 58 ans. Il a aussi été membre du Conseil de sécurité nationale au sein de l’administration Carter. Et Samuel Huntington est décédé en 2008.

Francis Fukuyama, né en 1952 a écrit son ouvrage à 40 ans et il vit toujours.

En raison de cette situation inégalitaire, aujourd’hui seul ce dernier peut encore s’exprimer.

Brice Couturier, dans son émission <Le tour du monde des idées> du 14 septembre, nous apprend que Fukuyama reconnaît que Huntington avait raison. Mais profitant d’être le rescapé du débat, il émet des nuances et ne reconnaît qu’en partie la supériorité de son rival.

Brice Couturier explique :

« Souvenez-vous du début des années 1990 […]

A cette époque, s’affrontaient deux visions de l’histoire rivales. Celle de Samuel Huntington et celle de Francis Fukuyama.

Huntington […] prédisait que ce qui allait succéder à la lutte entre les Etats-Unis et l’URSS. La guerre froide, disait-il, avait gelé un certain nombre de conflits latents. A présent, ce qui allait faire retour, ce serait les conflits entre blocs culturels, entre grandes civilisations. Et il mettait en garde en particulier contre les turbulences qui agitaient le monde musulman : les frontières de l’islam sont sanglantes, disait-il. Partout où la civilisation islamique entre en contact avec une autre, il y a conflit.

En France, il fut vilipendé, mis à l’index. Nul besoin d’exposer ses thèses. Il suffisait de les condamner sans les connaître. Mais je me souviens qu’en Pologne, où j’arrivai cette année-là, il était considéré comme un oracle.

A la même époque, en 1992, dans «La fin de l’histoire et le dernier homme», Fukuyama nous annonçait un tout autre scénario. En gros, le modèle libéral, démocratique et capitaliste, avait vaincu son dernier adversaire. Ses réussites matérielles étaient tellement éclatantes que toute l’humanité tôt ou tard s’y convertirait. Bientôt, le monde entier ne serait plus qu’un seul unique et vaste marché, dont les conflits sanglants aurait disparu. Le tragique avait déserté l’histoire. Il fallait célébrer notre humanité réconciliée sous l’égide de l’Empire américain bienveillant. Cette année-là, Bill Clinton, élu président des Etats-Unis, semblait incarner le « fukuyamisme »…

Un quart de siècle plus tard, alors qu’Huntington est décédé depuis 10 ans, Fukuyama, publie une étude sur la pensée de son rival.

Dans la revue The American Interest, Fukuyama écrit : « Pour le moment, il semble qu’Huntington soit gagnant ». « Le monde d’aujourd’hui n’est pas en train de converger autour d’un gouvernement démocratique et libéral, comme cela semblait être le cas il y a une génération. » Il y a, une « récession démocratique ». « De grands pouvoirs autoritaires, comme la Russie et la Chine, sont devenus sûrs d’eux et agressifs. » Les démocraties libérales ont perdu de leur pouvoir de séduction à cause de la crise financière de 2008. Elles sont menacées en interne par la montée des populismes.

Car le clivage droite/gauche fait progressivement place à un autre, fondé sur les questions d’identité culturelle, ce qui, encore une fois, semble donner raison à Huntington.

Il n’avait pas tort aussi de prédire un retour en force du religieux dans l’espace politique. Le Moyen-Orient, l’Inde et même les Etats-Unis semblent lui donner raison. ».

C’est ensuite que viennent les nuances :

« Mais la religion n’est plus que l’une des composantes de l’identité culturelle, parmi beaucoup d’autres. Et ça, Huntington ne l’avait pas vu venir.

L’identité sexuelle est au moins aussi déterminante, comme le démontrent les mouvements des femmes dans des pays comme l’Iran. L’appartenance nationale redevient essentielle au Japon, en Chine et en Corée, en opposition, malgré leur commune appartenance à la « civilisation confucéenne ». Et le fait que la Russie et l’Ukraine relèvent de la même civilisation « orthodoxe » n’empêche pas la première de livrer à la seconde une guerre larvée.

Quant au monde musulman, même s’il correspond mieux que d’autres à la définition de la civilisation que proposait Huntington, en raison du concept d’Umma, communauté des croyants, il n’en est pas moins profondément divisé entre sunnites et chiites.

La vie politique s’est redéployée autour de la notion d’identité. Pas selon les clivages civilisationnels, annoncés par Huntington.

Non, le concept d’identité, tel qu’il a redéfini l’espace politique, ces dernières années, n’a pas grand-chose à voir avec « les civilisations » de Huntington. Il provient de l’idée que nous avons « un moi intérieur caché », qui nous rattache à d’autres, et dont la dignité est ignorée ou méprisée par la société environnante. Ces identités veulent être reconnues. Elles sont instrumentalisées par des leaders qui en font un usage politique.

Huntington croyait que les individus allaient faire allégeance aux grandes civilisations mondiales, aux dépends de leur appartenance nationale. Il s’est trompé. La politique des identités fracture les sociétés en groupes de plus en plus minoritaires. L’affirmation identitaire ne mène pas à la solidarité inter-civilisationnelle, mais à un fractionnement sans fin des nations. Et les Etats-Unis offrent l’un des exemples les plus frappants. »

Probablement que Huntington n’avait pas tout prévu. Les prévisions sont toujours périlleuses surtout quand elle concerne l’avenir.

Mais la Fin de l’Histoire était une vaste blague. Le monde des idées et des organisations politiques divergent. La démocratie libérale ne constitue plus un objet de désir pour beaucoup et notamment les jeunes comme le relate Yascha Mounk sur lequel je reviendrai un jour prochain.

Et concernant le choc des civilisations, s’il ne s’inscrit pas précisément dans le cadre des civilisations anciennes tel que le décrivait Huntington, il existe de vraies divergences d’aspiration et d’idéologie aujourd’hui dans le monde.

Tout ceci nous fait quand même songer que la civilisation humaine dans son ensemble est aujourd’hui en grande difficulté, parce qu’elle n’a pas suffisamment respecté les limites de sa terre nourricière qui lui a permis jusqu’à aujourd’hui de se déployer. Peut-être que le vrai choc sera celui de la civilisation humaine avec les réalités et les limites de la nature et de son lieu de vie.

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Jeudi 9 mars 2017

Jeudi 9 mars 2017
« De la manière de négocier avec les souverains »
François de Callières (1645-1717)

Ce qu’il y a de remarquable avec des hommes comme Michel Serres, c’est qu’ils ouvrent votre esprit et vous font connaître d’autres esprits féconds.

Je ne connaissais pas François de Callières, mais à partir du moment où j’ai appris à le connaître grâce à la lecture des pages 124 à 127 de son ouvrage sur une Philosophie de l’Histoire, une rapide recherche sur le « côté lumineux » d’Internet montre alors que cet homme compte et a compté dans l’histoire des idées et des relations internationales.

Michel Serres présente François de Callières comme symbole du deuxième héros de l’âge doux, le négociateur (le premier étant le médecin symbolisé par le samaritain).

Je cite donc simplement Michel Serres :

« Louis XIV ne cessa de faire la guerre, plus de 300 000 morts; à peine si son règne ensoleillé connus quelques mois de paix. De ces années la France sortit épuisée, exsangue, ruinée ; ledit grand siècle coûta un prix exorbitant. […]

Avant Louis XIV, Richelieu fonda l’Académie française. Nous conservons la liste de ceux qui occupèrent, tour à tour, les 40 fauteuils. Quelques gloires incontestables s’y noient parmi mille noms oubliés. Longtemps pris pour un auteur médiocre, l’un de ces académiciens de l’ombre écrit, dans son œuvre précise, le déséquilibre vie-mort, thème de ce livre et tente de l’inverser. Conseiller auprès de ce roi mortifère, François de Callières publia en effet, en 1716, année qui suivit la mort du monarque qui précéda la sienne propre, un livre décisif : « de la manière de négocier avec les souverains », texte qui sombra dans l’oubli pendant deux siècles avant de connaître, à partir de 1917, une résurrection imprévue. Je tiens désormais son auteur comme l’un des grands penseurs de ce temps et du nôtre, d’autant qu’il partage avec Vauban le mérite de prendre à rebours les usages pugnaces du roi.

Il n’eut pas le courage ou la possibilité, pendant un règne où régnaient, aux frontières, le bruit et la fureur, de publier ce livre paisible, qui resurgit à une date où la première guerre mondiale développait son inutile boucherie et avant que le traité de Versailles ne devînt le contrat léonin dont les conséquences néfastes entraînèrent les années suivantes à une guerre pire et se font encore sentir aujourd’hui.

À partir de 1917, donc en plein conflit, traduit en de nombreuses langues et mis au programme de maintes universités, même des écoles de commerce soucieuses d’enseigner la négociation. Cet ouvrage parcourt la planète, de la Chine au Portugal et du Japon à la Pologne. Considéré désormais comme un  classique, traduit en anglais, par exemple, par le secrétaire de Sir Winston Churchill, l’ouvrage de François de carrière eut pour lecteurs assidus et admirateurs de hauts personnages de la politique ou de l’économie, comme Thomas Jefferson ou John Galbraith. Dans un livre récent, mon ami et collègue Amin Maalouf le remit en scène devant nos yeux et, pour mon bonheur, me l’enseigna.

À distance immense de Machiavel, avant, ou de Clausewitz après lui, François de Callières voit d’abord, son pays d’un œil lucide : notre nation est si belliqueuse, écrit-il, qu’elle ne connaît presque point d’autre gloire ni d’autres honneurs que ceux qui s’acquièrent par la profession des armes…, avant de définir le but du négociateur : éviter au maximum les conflits. »

Cette sentence de François de Callières me fait penser à un échange que j’ai eu un jour avec des jeunes Allemands.

Un ami, m’avait emmené à Sarrebruck rencontrer un groupe de jeunes Allemands. Et nous discutions des relations entre la France et l’Allemagne. Ces jeunes allemands décrivaient notre pays, la France, comme un des pays les plus belliqueux qu’il n’y eut jamais sur la terre et notamment en Europe, au cours des siècles. Je fus étonné, car mes cours d’histoire parlant de la guerre de 1870 de la première et la seconde guerre mondiale m’ont toujours conduit à penser que s’il y avait un fauteur de guerre en Europe c’était l’Allemagne ou la Prusse. Cette discussion m’avait troublé et je repartis vers les livres d’Histoire. C’était évidemment ces jeunes Allemands qui avaient raison.

Au cours des siècles, Louis XIV comme Napoléon ou la révolution sont particulièrement dans cette logique, la France a attaqué systématiquement tous les pays d’Europe pour asseoir sa suprématie, pour accroître son territoire. La France est la nation de la guerre par excellence.

Michel Serres cite encore François de Callières :

« Tout prince chrétien, doit avoir pour maxime principale de n’employer la voie des armes, pour soutenir et faire valoir ses droits, qu’après avoir tenté et épuisé celle de la raison et de la persuasion. Mieux encore, son livre comporte des pages qui décrivent quasi  expressément la manière adoptée par ceux qui construisirent, passé la seconde guerre mondiale, notre Europe pacifiée. Existe-t-il meilleure preuve de génie qu’une telle prophétie ? Après François de Callières, Edgar Faure allait disant que la guerre coûte toujours plus cher que la paix, même acquise à n’importe quel prix. […]

Certains experts anglo-saxons disent de François de Callières qu’il inventa le soft power. Preuve en est ce texte dont les pages, conseillant le doux tout court et comment y parvenir, restèrent inouïes pendant deux siècles assourdis par le bruit des conflits, jusqu’à ce que ces derniers deviennent absurdes et monstrueux. Pour cette innovation héroïque, je salue François de Callières, initiateur de l’Europe actuelle et de mon petit livre, comme le deuxième héros de l’âge doux : le négociateur après le médecin, Schuman et Adenauer après Schweitzer et Monod. Je proclame cet homme de l’ombre comme l’une des gloires de l’Académie et de la France. […]

Je rêve que, dans un Panthéon réaménagé, soient transportées les cendres du grand homme et qu’avant ma mort je puisse fleurir sa statue érigée entre les Invalides et le Quai d’Orsay, après que l’on aurait fabriqué des cymbales et des casseroles avec les métaux fondus à partir des statues médiocres de Louis XIV sur la place desdites Victoires ou de Foch au Trocadéro. Nous agrémenterions la fête d’une musique accompagnée du son de ces percussions. »

Comme je l’ai écrit au début de cette chronique, on trouve sur Internet énormément de pages consacrées à cet homme qui devrait être illustre selon Michel Serres.

Il dispose bien sûr d’une page très documentée sur <Wikipedia>

<L’extraordinaire bibliothèque en ligne Gallica, permet de lire l’ouvrage cité>

<Sur le site de l’Académie française, il est possible de lire le discours de réception, prononcé le 7. Février 1689, par François de Callières>.

Ainsi un nouvel homme remarquable entre dans notre panthéon de la connaissance grâce à Michel Serres.

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Mercredi 21 Janvier 2015

«La maison des Saoud»
Film de Jihan El Tahri

Si on veut dépasser les émotions et les propos simpliste, il faut tenter de comprendre.

Pour tenter de comprendre la complexité du Monde il faut s’en donner les moyens.

Si on se contente de regarder TF1 et consorts, ce n’est pas gagné.

Sur Internet il y a de tout : des sites conspirationnistes, des informations erronées mais aussi de vrais trésors d’intelligence et de science.

Tel est le cas du documentaire « La Maison des Saoud » de Jihan El Tahri.

Jihan El Tahri est une journaliste franco-égyptienne qui a fait ce film en 2005 après les attentats du 11 septembre.

En effet, si on veut comprendre d’où viennent les djihadistes, il faut revenir à leur source religieuse des salafistes et des wahhabites.

Ils ont été financés et soutenus par l’Arabie Saoudite qui voulait imposer sa vision de l’Islam partout dans le monde.

Comme souvent, ces créatures ont échappé en partie à l’Arabie Saoudite qui n’aime pas cette publicité ainsi que le manque de distinction et de diplomatie de ces mouvements extrémistes.

Ces mouvements qui en outre risquent même de vouloir remettre en cause le pouvoir de la famille Saoud.

Evidemment pour appréhender ce documentaire, il faut y consacrer un peu de temps, il dure 1 h 43, mais on y apprend énormément de choses.

En synthèse j’ai retenu les choses suivantes :

1° D’abord il est étonnant que ce pays des lieux sacrés de La Mecque et de Médine et qui professe une soumission totale à Dieu, soit le seul pays du monde dont le nom intègre la référence à la famille régnante terrestre “Les Saoud”.

A cela une explication est donnée, à l’intérieur de l’empire Ottoman et au milieu de tribus rivales, c’est l’alliance entre des religieux, « les oulémas » issus de la secte des Wahhabites (de  Ibn Abdelwahhab nom du prédicateur qui a créé cette secte fondamentaliste qui veut revenir au texte initial du Coran sans le faire évoluer) et d’un chef de guerre de la famille des Saoud qui ont permis à l’Arabie Saoudite de naître et de devenir ce pays à la fois florissant à cause du pétrole mais aussi archaïque et totalitaire.

Dès lors, la famille Saoud ne saurait, sans danger pour son pouvoir politique et économique, remettre en cause la stricte application de la charia voulue par ces religieux.

Les wahhabites sont très proches des salafistes qui s’inspirent aussi de Ibn Abdelwahhab  (nom issu de salaf les ancêtres, c’est à dire les premiers compagnons de leur prophète et qui prônent de la même manière un retour absolu vers l’islam des premiers temps).

Distinguer les deux n’est pas aisé, sauf sur un point : les salafistes souhaitent un retour du califat, c’est à dire une autorité religieuse unique qui exerce le pouvoir religieux mais aussi politique sur la communauté des croyants : l’oumma. Vous comprendrez que la naissance particulière de l’Arabie Saoudite implique, pour les wahhabites, une séparation entre le chef politique et les docteurs de la loi religieuse.

2° Ce documentaire montre aussi les relations très fortes qu’il y a eu entre les Etats Unis et ce pays qui repose sur le contrat suivant : L’Arabie approvisionne les Etats Unis de Pétrole bon marché et en quantité importante, en retour les religieux et le roi font ce qui leur plait dans leur pays avec la protection extérieure de l’armée américaine.

Un accord qui permettra aux quatre plus grandes compagnies pétrolières américaines regroupées sous le nom d’Aramco de s’installer dès les années 30 au cœur du royaume. Evidemment les choses sont plus compliquées depuis les attentats du 11 septembre qui ont été réalisés par des ressortissants de ce pays.

3° Les Etats-Unis ont trompé l’Arabie Saoudite sur la création de l’Etat d’Israël.

Le 14 février 1945, le président Roosevelt et Ibn Saoud se réunirent à bord du croiseur Quincy, à cette occasion le Pacte de Quincy fut signé.

Ce pacte portait sur l’accord expliqué ci-avant. Mais lorsque Roosevelt tenta d’obtenir l’appui du roi pour la création d’un foyer national juif en Palestine, Ibn Saoud répondit que ce que Hitler avait fait aux juifs étaient abominable mais posait cette question :

«  pourquoi prendre de la terre arabe pour la donner aux juifs ? Si vous voulez faire quelque chose pour les juifs, pourquoi ne pas leur donner une partie de l’Allemagne ? »

Sur ce, Roosevelt promis de ne pas aller contre l’avis de l’Arabie Saoudite. Mais son successeur, Truman ne tint aucun compte de cet accord et votera pour la création de l’Etat d’Israël. Ce qui sera vécu comme une trahison par les saoudiens.

Pour le reste je vous engage à regarder ce documentaire, lorsque vous aurez du temps de cerveau disponible pour l’Histoire (1) : <Maison des Saoud>

<Et ici pour le fun vous verrez que certains Oulémas d’Arabie Saoudite interdisent même de construire des bonshommes de neige>

(1) je ne me lasse jamais de faire référence à ce magnifique aveu de Patrick Le Lay, ancien PDG de TF1 qui avait expliqué que le rôle des émissions de TF1 était de conserver du temps de cerveau disponible pour que par la publicité Coca Cola puisse vendre ses produits.

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