Mercredi 24 octobre 2018

« Dans des sociétés grisonnantes, le poids politique des personnes âgées augmentera constamment et dans des économies en mutation rapide, leur capacité à s’adapter périclitera »
Edoardo Campanella

Brice Couturier a lors de sa chronique du 19 octobre 2018 évoqué un article d’un universitaire espagnol Edoardo Campanella qui explique une partie de la montée du populisme dans les pays occidentaux par l’attitude d’une majorité de seniors dont le poids démographique est de plus en plus prégnant dans le corps électoral de nos démocraties.

La réalité électorale est que les jeunes générations se désintéressent en grande partie du processus électoral qu’ils estiment sans grand intérêt.

Contrairement aux personnes âgées qui continuent à accomplir leur devoir d’électeur bien davantage que leurs enfants et petits-enfants.

A cette réalité comportementale, s’ajoute le fait que leur nombre devient intrinsèquement plus important du fait du vieillissement démographique des Européens.

Edoardo Campanelle explique dans son article « Le populisme des retraités va-t-il s’installer ? » sur le site de « project-syndicate » :

« Le populisme de droite qui a surgi ces dernières années dans de nombreuses démocraties occidentales pourrait durer bien plus qu’un feu de paille dans le paysage politique. Au-delà de la crise économique mondiale déclenchée en 2008 puis de la crise migratoire, qui créèrent toutes deux le terreau fertile des partis populistes, le vieillissement de la population occidentale va continuer d’infléchir les dynamiques politiques en faveur des populistes.

Il apparaît, en effet, que les électeurs âgés sont plutôt sympathisants des mouvements nationalistes.

Au Royaume-Uni, les personnes âgées ont voté massivement en faveur du départ de l’Union européenne, et ce sont elles qui, aux États-Unis, ont offert la présidence à Donald Trump. Ni le parti Droit et justice (PiS) en Pologne, ni le Fidesz en Hongrie ne seraient parvenus au pouvoir sans le soutien enthousiaste des plus vieux. Et en Italie, la Ligue doit son succès, en bonne part, à la façon dont elle a su exploiter le mécontentement du troisième âge dans le Nord. »

Il reconnait cependant qu’il existe des exceptions à cette règle, notamment en France et au Brésil :

« Seule Marine Le Pen, du Rassemblement national (ex Front national) en France – ainsi, peut-être, que Jair Bolsonaro au Brésil – peut compter, parmi les populistes de l’heure, sur le soutien des jeunes électeurs. »

En France au premier tour, Macron a réalisé un score de 23,7% mais les 60-69 ans ont voté à 26 % pour lui et ceux de 70 ans et plus à 27%. Il faut noter que ce dernier vote (celui des 70 ans et plus) s’était porté quasi majoritairement sur Fillon (45%). En France, les plus de 70 ans ont donc voté massivement (72% quand même) pour les deux candidats qui souhaitaient le plus réformer ou s’attaquer à l’Etat providence, vous choisirez le verbe qui vous va le mieux selon vos convictions politiques.

On pourrait aussi dire que c’était les deux candidats qui rassuraient le plus ou inquiétaient le moins, le monde économique.

Mais la France fait, pour l’instant encore, figure d’exception selon Edoardo Campanelle :

« Le plus probable est qu’un sentiment croissant d’insécurité pousse les plus âgés dans les bras des populistes. Si l’on met de côtés les particularismes de chaque pays, les partis nationalistes proposent tous de contenir les forces de la mondialisation, qui affectent plus que les autres les personnes âgées. »

Dans la plupart des autres pays, les personnes âgées ne sont pas vraiment en phase avec les aspirations des leaders économiques et plutôt que des réformes de l’état social, ils réclameraient selon l’universitaire espagnol plutôt davantage d’autorité et de fermeté pour lutter contre l’insécurité et l’immigration.

Campanelle pointe trois raisons

  • L’attachement aux valeurs traditionnelles et à un monde connu qui leur parait trop bousculé par l’apport d’immigrés venant d’autres civilisations ;
  • La peur des travailleurs vieux d’être exclus du marché du travail et ne plus trouver leur place dans le monde économique d’aujourd’hui ;

« De même, la mondialisation et le progrès technologique perturbent souvent les industries traditionnelles ou qui reposent sur un savoir-faire, où l’expérience est un facteur d’emploi. L’essor de l’économie numérique, où dominent les trentenaires, voire les moins de trente ans, relègue aussi vers les marges les travailleurs plus vieux. Mais à la différence d’autrefois, les systèmes de retraite, qui se décomposent, ne peuvent plus absorber ces chocs du marché du travail. En conséquence, les travailleurs les plus vieux qui perdent leur emploi sont condamnés au chômage de longue durée.  »

Enfin, la crainte, qui n’est pas infondée, sur la pérennité et le niveau des pensions de retraite :

« En outre, les retraités ont aujourd’hui des raisons de craindre la menace pour leurs pensions que représentent leurs propres enfants. Les jeunes, insatisfaits de systèmes économiques qui jouent clairement en faveur des retraités, commencent à revendiquer une redistribution plus équitable entre générations de ressources devenues plus rares. Ainsi le Mouvement 5 étoiles italien, qui gouverne en coalition avec la Ligue, a-t-il récemment appelé à la création d’un « revenu citoyen », qui serait octroyé à toute personne au chômage, sans critère d’âge. Alors que les populistes de droite attirent à eux les électeurs âgés, les populistes de gauche ont gagné des partisans dans les générations plus jeunes. »

L’ensemble de ces « préoccupations » qui sont réelles constitue pour les partis politiques nationalistes une ressource dont ils usent pour convaincre l’électorat âgé de voter pour eux :

« De ce fait, les politiciens nationalistes recourent souvent à une rhétorique de la nostalgie, grâce à laquelle ils mobilisent leurs partisans âgés. Pour sa part, Trump a promis de ramener des emplois dans la « ceinture de la rouille », qui fut autrefois le centre de l’industrie manufacturière américaine. De même, on ne saurait trouver de symbole plus clair de la résistance au changement que le mur qu’il propose de construire à la frontière des États-Unis et du Mexique. Et la répression qu’il a engagée contre l’immigration illégale ainsi que l’interdiction d’entrer aux États-Unis imposée aux ressortissants de pays à majorité musulmane montrent son adhésion à une nation américaine « pure ».

En Europe continentale, les populistes de droite veulent eux aussi revenir en arrière, au temps d’avant l’euro et de l’espace Schengen de libre circulation dans la plupart des pays de l’Union. Et ils tentent de séduire directement les électeurs âgés en promettant d’abaisser l’âge de la retraite et d’augmenter les pensions (ce sont deux mesures phares de la Ligue italienne). »

On ne peut que souscrire à l’expression du défi qui se pose aux sociétés modernes :

Quoi qu’il en soit, la vague populiste est à tel point gonflée par la démographie qu’elle n’est probablement pas prête d’atteindre son point culminant. Dans des sociétés grisonnantes, le poids politique des personnes âgées augmentera constamment ; et dans des économies en mutation rapide, leur capacité à s’adapter périclitera. Les électeurs les plus vieux demanderont par conséquent de plus en plus de sécurité socio-économique, et des populistes irresponsables attendront en embuscade pour s’attirer leurs bonnes grâces.

Edoardo Campanelle se pose la question de ce qu’il convient de faire. Sa vision libérale plairait probablement à Emmanuel Macron puisqu’il donne l’injonction aux « personnes âgées » de se prendre en charge et d’être prêt de faire face aux perturbations actuelles, la politique devant simplement les aider à réaliser ces objectifs.

« Peut-on faire quelque chose ? Pour contenir la marée nationaliste, les partis traditionnels doivent instamment élaborer un nouveau pacte social qui puisse répondre au sentiment d’insécurité croissant des électeurs les plus vieux. Ils devront trouver un meilleur équilibre entre ouverture et protection, innovation et régulation ; et ils devront le faire sans tomber dans le piège régressif tendu par les populistes.

La réponse ne réside pas dans l’étouffement des forces de la mondialisation, mais dans la capacité à les rendre plus tolérables. Les citoyens de tous âges doivent être prêts à faire face aux perturbations actuelles et futures. En ce sens, il est préférable d’aider les personnes âgées à se prendre en charge plutôt que de se contenter de les protéger. Pour la plupart, les économies avancées ne pourront tout simplement pas se permettre d’allouer de nouvelles et énormes prestations à un groupe d’intérêts surdimensionné. Qui plus est, les mesures qui rendent les gens dépendants de quelque forme que ce soit de soutien extérieur posent, pour le moins, un problème moral.

Au lieu de cela, les gouvernements devraient s’attacher à renforcer les qualifications de la main-d’œuvre âgée, en créant plus d’opportunités pour qu’anciennes et jeunes générations puissent travailler ensemble, et en responsabilisant les perturbateurs du marché du travail sur les conséquences socio-économiques de leur activité. Les aides aux plus vulnérables ne devraient être accordées qu’en dernier ressort. »

La solution n’est certes pas simple.

Et je crains que cette prédiction : « ,Les économies avancées ne pourront tout simplement pas se permettre d’allouer de nouvelles et énormes prestations à un groupe d’intérêts surdimensionné. » se réalise.

Mais la capacité de s’adapter des personnes âgées dont parle Campanelle doit quand même être observée avec bienveillance.

La question qui se pose de plus en plus est de savoir quelle place la société laisse aux vieux.

Dans le monde du travail déjà cette question se pose, je ne crois pas raisonnable de croire qu’une personne de 30 ans et une personne de 60 ans soient interchangeables. Certes il faut s’adapter le mieux qu’on peut, mais je pense que si on suit simplement les conseils de cet universitaire espagnol et on laisse faire les règles de l’économie moderne on trouvera assez rapidement que l’employé de 60 ans n’est pas assez compétitif et que le mieux s’est de s’en débarrasser au plus vite. Le marché de l’emploi fonctionne d’ailleurs ainsi en grande partie.

Il faut réfléchir à la place des vieux dans une société qui vieillit. Et pas seulement dire qu’ils n’ont qu’à faire comme les jeunes.

Sinon je pense que les forces nationalistes et populistes verront s’ouvrir des boulevards à leurs ambitions politiques.

Et hélas, ils ne disposent d’aucune solution raisonnable et pérenne.

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Mardi 23 octobre 2018

« Que nous apprend le cancer sur la vie ?»
Réflexions personnelles sur cette maladie

Le cancer fait mourir beaucoup de personnes autour de nous et porte en lui un imaginaire inquiétant.

C’est aussi une réalité, j’évoquais hier notre amie Françoise, il y a quelques années notre amie Cécile fut également emportée par ce mal et beaucoup plus tôt dans son histoire de vie.

Je poursuis, depuis quelques années, moi-même, une histoire intime avec cette maladie.

Parmi vous, il en est qui ont perdu des êtres aimés que la science actuelle des hommes n’a pas su prémunir d’une fin prématurée.

C’est bien sûr très encourageant quand on apprend que les recherches récentes offrent de nouvelles pistes de guérison qui viennent d’être honorées : Lundi 1er octobre, le prix Nobel de médecine 2018 a été décerné conjointement à l’Américain James P. Allison et au Japonais Tasuku Honjo pour leurs travaux sur l’immunothérapie.

Mais ce n’est pas de cette lutte scientifique contre la maladie que je souhaite parler aujourd’hui, ni d’explications scientifiques sur l’apparition et le développement du cancer. Dans le mot du jour du 29 septembre 2017, j’avais indiqué ce <Lien> vers une vidéo du site « science étonnante » dans laquelle, le créateur de ce site David Louapre était allé interroger des médecins de l’Institut Gustave Roussy.

Mon propos tente d’approcher une réflexion philosophique.

Je me souviens que très jeune et encore très peu préoccupé par cette maladie, avoir entendu parler un professeur de médecine qui d’après mes souvenirs était le professeur Jean Bernard.

Et ce qu’il a dit m’a beaucoup marqué, même si je n’en avais approfondi la signification.

Il avait exprimé cette réalité qu’il voyait dans les laboratoires :

« Qu’est-ce que le cancer en fin de compte ? Ce sont des cellules qui ne veulent pas mourir. Nous avons dans nos laboratoires des cellules cancéreuses, prélevées sur des humains qui sont morts depuis de nombreuses années. »

Le cancer ce sont des cellules qui ne veulent pas mourir !

Elles se reproduisent à un rythme accéléré et ne meurent pas en proportion.

Ce sont des parties, des éléments d’un corps global, d’un corps humain ou animal.

Ces éléments ne veulent pas mourir et de ce fait, ils font mourir le corps dont ils ne sont qu’un élément.

Alors je ne peux pas m’empêcher de penser à cette catégorie de transhumanistes qui ne veulent pas mourir, qui poursuivent le fantasme de Gilgamesh celui de devenir immortel ou a-mortel.

Un article de « Science et vie » pose cette question : « Pourquoi meurt-on ? ».

« Comment expliquer qu’on ait été mis au monde pour, un jour, mourir ? […] Au fil des générations, la sélection naturelle n’aurait-elle pas dû éliminer les gènes qui, in fine, nous sont fatals ? Là réside justement le secret. […]

Car si mourir paraît inacceptable au niveau de l’individu, c’est tout le contraire à l’échelle de l’espèce : si nous mourons, c’est parce que la finalité de la vie n’est pas sa préservation, mais sa perpétuation.

Une fois que l’individu a rempli sa mission de reproduction, la sélection naturelle ne le préserve plus. En sorte, c’est notre faculté à donner la vie qui, mécaniquement, signe notre arrêt de mort.

Pour comprendre cette surprenante conclusion, il faut avoir à l’esprit une loi intangible : au sein d’une même espèce, entre un individu doté d’une faible longévité mais se reproduisant abondamment, et un individu vivant longtemps tout en se reproduisant peu, le premier obtiendra les faveurs de la sélection naturelle, via une diffusion plus importante de ses gènes au cours des générations.

[…] En tout cas, dès que les organismes vivants ne sont plus capables de se reproduire, la sélection naturelle laisse s’accumuler les mutations délétères dans leurs génomes, lesquelles les mènent à une mort inéluctable.

[…] Si nous mourons, c’est pour mieux donner la vie. Tel est le véritable paradoxe de notre finitude. »

Les êtres vivants que nous sommes ont vocation à se reproduire et à survivre par leur descendance.

C’est à nouveau ce combat entre l’Ego et le Nous, le Nous de l’espèce.

Il existe même des espèces qui meurent en se reproduisant. On pense à la mante religieuse qui au terme de l’accouplement voit la femelle dévorer le mâle. Il en existe d’autres comme certains marsupiaux qui s’épuisent lors d’une frénésie d’accouplement :

« Certains d’entre eux se reproduisent avec différentes femelles pendant de longues heures et finissent par mourir d’épuisement. Selon des chercheurs australiens, ce comportement sexuel particulier leur permettrait de fertiliser le plus grand nombre de femelles possible et d’assurer ainsi leur descendance. »

Tout comportement excessif est déraisonnable.

Je crois que nous avons raison d’aspirer à une belle et longue vie qui ne soit pas brisée prématurément par une maladie brutale.

Les scientifiques et les médecins sont donc légitimes à chercher des moyens pour essayer de réaliser ces objectifs.

Mais lorsque le cofondateur de PayPal : Peter Thiel  dit

« Je pense qu’il y a probablement trois grandes façons d’aborder la mort. L’accepter, la nier ou la combattre. Je crois que notre société est dominée par des gens qui sont dans le déni ou l’acceptation ; pour ma part je préfère la combattre. »

(cité par Harari)

Je crois qu’il a tort. Il faut accepter la mort, sans cela nous nous comportons comme un cancer pour notre espèce.

Je finirai ce mot du jour un peu âpre par une reproduction du tableau de Gustav Klimt : « La Vie et la Mort » achevé en 1916.


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Vendredi 12 octobre 2018

« Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous nous connaissons ? »
Yuval Noah Harari « Homo deus » ultime phrase du livre.

Nous avons tous à résoudre notre questionnement par rapport à notre avenir incertain.

Chacun fait comme il peut, pour ma part je ne blâmerai personne.

Certains ne pensent pas à toutes ces choses trop angoissantes et se contentent de vivre au jour le jour, en essayant de croquer à pleines dents dans toutes les opportunités qui se présentent : les relations avec leurs proches, les fêtes, les loisirs, les jeux de toute sorte, les voyages, les compétitions, les expériences artistiques et culturelles, le bien être personnel du corps et de l’esprit, peut-être la réussite professionnelle ou l’augmentation de leur capital pécuniaire. Bref, tout ce qui ressort du divertissement Pascalien.

Il y a bien sur quelques-uns qui se réfugient dans l’absorption de substances diverses qui permettent à l’esprit de s’échapper des réalités.

D’autres restent résolument optimistes et pensent que l’instinct de survie d’homo sapiens surmontera les difficultés et que toutes les découvertes techniques, l’intelligence artificielle permettront encore d’améliorer les soins aux maladies et le sort global des humains. Celles et ceux qui ont perdu un être cher de manière prématurée, une fille, un fils d’une maladie que la médecine ne savait pas encore guérir ne peuvent qu’espérer et soutenir une telle perspective.

Il y a aussi celles et ceux qui se réfugient dans la transcendance, la croyance dont, pour l’instant, le modèle le plus accompli est la foi religieuse. Ce type de réponse est très confortable puisque même si les humains se fracassent dans une catastrophe apocalyptique ayant pour dimension la terre entière, la perspective de se retrouver parmi les élus dans un autre monde au sein d’un univers dominé par la puissance et la sagesse divine, permet de se projeter dans un avenir rassurant et rimant avec l’éternité. L’humilité m’oblige à écrire que je ne peux définitivement affirmer que cette perspective constitue une chimère. Toutefois mon esprit rationnel, ce que je comprends de l’évolution d’homo sapiens, notre espèce, si remarquablement décrit par Yuval Noah Harari, mon expérience personnelle et ma fréquentation des religions, des croyants et de leurs discours, me pousse à penser qu’il s’agit d’une perspective peu vraisemblable.

Il y a bien sûr les transhumanistes extrémistes comme Kurzweil qui rêvent un homo sapiens augmenté, « a-mortel » agrémenté pour des gens comme Ellon Musk d’une fuite de quelques humains hors de notre vaisseau terrestre pour aller coloniser une autre planète, permettant de repartir sur de nouvelles bases après avoir définitivement abimé la terre. Pour ces esprits, il faut bien comprendre que la suite de l’aventure ne se fera pas avec 10 milliards d’homo sapiens. La quasi-totalité d’ « homo sapiens » sera probablement traitée par les « Homo deus » comme aujourd’hui les autres animaux sont traités par « homo sapiens »

Je privilégie quant à moi, le choix d’essayer de regarder la réalité en face, tout en gardant l’optimisme de la volonté et en essayant d’agir modestement et en essayant de comprendre ce qui se passe et quelles idéologies, quels mythes sont à l’œuvre quand des hommes de pouvoir économique ou politique, des intellectuels s’expriment ? mettent en œuvre des actions concrètes ou font des choix et prennent des décisions.

Yuval Noah Hariri soulève, à la fin de son livre ce défi intellectuel qui nous est posé :

« Nous sommes en face de tant de scénarios et de possibilités […]. Le monde change plus vite que jamais et nous sommes inondés de quantités inimaginables de données, d’idées, de promesses et de menaces [qu’il est essentiel de comprendre à quoi nous devrions prêter attention.]

Dans le passé, la censure opérait en bloquant le flux de l’information. Au XXIème siècle, elle opère en inondant la population d’informations non pertinentes. [nous] passons notre temps à débattre de problèmes annexes.

Dans les temps anciens, avoir le pouvoir voulait dire accéder aux données. Aujourd’hui, cela signifie savoir ce qu’il faut ignorer. » P.426

Et c’est alors qu’Harari exprime ces problématiques dans différentes unités de temps. C’est en cela que je trouve l’apport de Yuval Noah Harari particulièrement structurant et fécond.

« Si nous pensons en mois, nous ferions probablement mieux de nous concentrer sur des problèmes immédiats comme les troubles au Moyen-Orient, la crise des réfugiés en Europe et le ralentissement de l’économie chinoise. »

Et l’historien israélien évoque ensuite les questions qui se posent dans les décennies qui viennent :

« Le réchauffement climatique, l’inégalité croissante et les problèmes du marché de l’emploi passent au premier plan. »

Mais les questions à long terme, si on prend encore plus de recul mettent au premier plan trois processus liés les uns aux autres :

« 1 La science converge sur un dogme universel, suivant lequel les organismes sont des algorithmes et la vie de réduit au traitement des données.

2. L’intelligence se découple de la conscience.

3. Des algorithmes non conscients, mais fort intelligents, pourraient bientôt nous connaître mieux que nous-mêmes. »

Et en face de ces questions essentielles pour l’avenir d’«homo sapiens », Yuval Noah Harari finit son livre par trois questions cruciales dont il espère qu’elles resteront présentes à notre esprit longtemps après avoir refermé ce livre :

  • «Les organismes ne sont-ils réellement que des algorithmes, et la vie se réduit-elle au traitement des données ?
  • De l’intelligence ou de la conscience, laquelle est la plus précieuse ?
  • Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous nous connaissons ? » P. 427

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La semaine prochaine, je ne vais pas écrire de mots du jour.

Le mot du jour reviendra le 22 octobre 2018.


Jeudi 11 octobre 2018

« Le dataïsme : l’humanité n’aura été qu’une ondulation dans le flux de données cosmique »
Yuval Noah Hariri : « Homo deus » page 425

Dans le mot du jour du 2 octobre je précisais que mon objectif n’est pas de réaliser un résumé de « Homo deus » mais d’aborder des questions et des développements qui m’ont interpellé et pour lesquels Harari m’a appris quelque chose ou m’a permis de me poser des questions nouvelles.

Aujourd’hui, j’aborderai dans cet avant dernier article de la série, le sujet central de la préoccupation de Yuval Noah Harari qui se trouve dans l’exploration des capacités de l’intelligence artificielle, de ce qu’il appelle le découplage entre l’intelligence et la conscience et de la confiance de plus en plus grande que manifestent les hommes à l’égard des données, les data en anglais et qui amènerait à une nouvelle religion qui est le « dataïsme »

Yuval Noah Harari insiste beaucoup dans ses développements que dans notre manière de fonctionner et de réagir, nous les humains, mais aussi les autres animaux il y a une grande partie de procédures algorithmiques. Des algorithmes déclenchés par des événements extérieurs ou intérieurs.

Un algorithme n’est rien d’autre qu’un traitement de données, qui reçoit des données, les analyse puis donne un résultat qui est une action, une réflexion, un comportement. Et pour ce faire des processus biologiques, électriques et chimiques sont à l’œuvre dans notre corps.

Ces processus sont les mêmes chez homo sapiens et les autres animaux. L’animal voit, ressent, décide et agit comme le fait un humain. La différence est la taille du cerveau, le nombre de neurones, qui confère à un individu humain sa supériorité sur les autres animaux. Mais pour Harari, l’être humain se différencie aussi de l’animal par la conscience.

Harari a donné pour sa dernière partie un titre explicite : « Homo sapiens perd le contrôle » dont des sous parties sont :

  • Le grand découplage
  • L’océan de la conscience
  • Et l’ultime chapitre : la religion des data

Et je commencerai par citer le début de « L’océan de la conscience »

« Il est peu probable que les nouvelles religions émergeront des grottes d’Afghanistan ou des madrasas du Moyen-Orient. Elles sortiront plutôt des laboratoires de recherche. De même que le socialisme s’est emparé du monde en lui promettant le salut par la vapeur et l’électricité, dans les prochaines décennies les nouvelles techno-religions conquerront peut le monde en promettant le salut par les algorithmes et les gênes. […]

On peut diviser ces nouvelles techno-religions en deux grandes catégories :

  • Le techno-humanisme
  • La religion des données [ou dataisme] »

Et Yuval Noah Harari, s’efforce d’abord de définir le techno-humanisme :

« Le techno-humanisme reconnaît qu’Homo sapiens, tel que nous le connaissons a vécu : il arrive au terme de son histoire et cessera d’être pertinent à l’avenir. Il conclut toutefois que nous devons créer Homo deus, un modèle d’homme bien supérieur. Homo deus, conservera des traits humains essentiels, mais jouira aussi de capacités physiques et mentales augmentées qui lui permettront de se défendre contre les algorithmes non conscients les plus sophistiqués. Comme l’intelligence est découplée de la conscience et que l’intelligence non consciente se développe à vitesse grand V, les hommes doivent activement optimiser leur esprit s’ils veulent rester dans la course. […]

Il y a 70 000 ans, la révolution cognitive a transformé l’esprit de Sapiens, faisant d’un insignifiant signe africain le maître du monde. L’esprit amélioré de Sapiens a soudain eu accès au vaste champ de l’intersubjectivité, ce qui lui a permis de créer des dieux et des sociétés, de bâtir des cités et des empires, d’inventer l’écriture et la monnaie et , finalement de scinder l’atome et d’aller sur la lune. Pour autant que nous le sachions, cette révolution stupéfiante a été le fruit de quelques menus changements dans l’ADN de Sapiens et d’un léger recâblage de son cerveau. Si tel est le cas, explique le techno humanisme, peut-être quelques changements supplémentaires de notre génome et un autre recâblage de notre cerveau suffiront-ils à lancer une seconde révolution. »

Par la suite Harari documente toutes les possibilités qui pourraient exister pour étendre nos capacités mentales, permettre de voir un spectre plus large de la lumière par exemple, augmenter nos capacités de raisonnement et notre rapidité de réaction et je vous renvoie par exemple vers le casque évoquée hier et qu’a expérimenté et décrit la journaliste au New Scientist Sally Adee.

Mais Harari reconnaît que le techno-humanisme conduit à un paradoxe :

« Le techno-humanisme est ici confronté à un dilemme insoluble. Il tient la volonté humaine pour la chose au monde la plus importante, et pousse donc l’humanité à élaborer des technologies qui puissent la contrôler et la remodeler. Après tout, il est tentant de contrôler ce qu’il y a de plus important dans l’univers. Or, si nous obtenions un tel contrôle, le techno-humanisme ne saurait qu’en faire car l’être humain sacré ne deviendrait plus qu’un produit manufacturé parmi d’autres. Tant que nous croirons que volonté et expérience humaines sont la source suprême de l’autorité et du sens, il nous sera impossible de composer avec ces technologies. »

C’est ainsi qu’Harari nous amène à son ultime chapitre :

« Aussi une techno-religion plus audacieuse cherche-t-elle à couper carrément le cordon ombilical humaniste. Elle voit se dessiner un monde qui ne tourne pas autour des désirs et expériences d’êtres de l’espèce humaine. Qu’est ce qui pourrait remplacer les désirs et expériences d’êtres de l’espèce humaine […] désirs et expériences qui sont à la source de tout sens et de toute autorité ?

Aujourd’hui, un candidat a pris place pour l’entretien d’embauche dans l’antichambre de l’histoire. Ce candidat n’est autre que l’information. La religion émergent la plus intéressante est le dataïsme, qui ne vénère ni les dieux ni l’homme, mais voue un culte aux data, aux données. »

Je ne peux affirmer que le concept « dataisme » ait été inventé par Harari mais, c’est lui qui l’a rendu populaire au point de parler d’une nouvelle religion celle des « données » des « data » puisqu’il faut donner un nom anglais pour que le concept paraisse sérieux.

Pour retracer l’histoire d’homo sapiens sur la longue période on pourrait écrire que pendant des milliers d’années, les humains ont pensé que l’autorité venait des dieux. Puis à l’ère moderne, la  période « humaniste » l’autorité a été progressivement transmise aux êtres humains, aux savants, aux philosophes et aux humains élus par les citoyens. Aujourd’hui la révolution du numérique, des « big data » et des algorithmes qui savent analyser rapidement ces immenses masses de données conduisent à légitimer l’autorité des algorithmes et du Big Data.

Harari explique :

« Pour le dataïsme, l’univers consiste en flux de données, et sa contribution au traitement des données détermine la valeur de tout phénomène ou entité. […] p. 395

Prenons des exemples concrets :

Vous êtes gravement malade. Voici une machine qui recueille par des dizaines de connecteurs toutes les informations essentielles de votre organisme, elle peut rapidement se connecter à la base de vos données pour connaître vos antécédents et puis analyser dans des milliards de données d’autres humains pour trouver les cas analogues, similaires et choisir le traitement qui a eu le meilleur effet sur des personnes dont l’état de santé et le profil ressemblent au vôtre.

Voici un médecin, certes réputé, certes plein d’empathie mais qui possède beaucoup moins de connaissances que la machine, réfléchit beaucoup moins vite. Et en plus c’est un humain, il est fatigué, il pense à sa compagne, à son fils, à son prochain voyage, à une chanson qu’il a entendu en passant. En plus il est émotif, il a peur de se tromper.

Quel est la thérapie que vous choisirez ?

Notre vieil ami Luc Ferry, dira qu’il est stupide de présenter cette situation de cette manière. Cet optimiste nous dira qu’il ne faut pas opposer la machine et le médecin mais les associer, le médecin utilisera la force de l’intelligence artificielle pour parfaire son diagnostic et choisir la bonne thérapie.

Ah bon ?

Mais enfin, c’est l’intelligence artificielle qui diagnostiquera et décidera de la thérapie, le médecin ne sera que son porte-parole. je suis même persuadé qu’il n’osera pas contredire la machine.

Il pourra, peut-être mettre un peu d’empathie. Et même sur ce point Harari n’est pas convaincu, l’intelligence artificielle saura mieux que le médecin analyser dans quel état de stress et d’émotion vous êtes et trouver les mots les plus appropriés pour communiquer avec vous.

Harari cite l’exemple de la célèbre actrice Angelina Jolie. En 2013, l’actrice américaine a découvert grâce à un test génétique qu’elle portait une dangereuse mutation du gène BRCA1. Selon les bases de données statistiques, les femmes portant cette mutation ont 87% de probabilités de développer un cancer du sein. Sans attendre le cancer, Angelina Jolie a décidé de faire confiance aux algorithmes et de procéder à une double mastectomie.

Et le choix de l’âme sœur ? L’intelligence artificielle saura tout de vous et même mieux que vous et il saura tout des autres. Qui mieux qu’elle pourra réaliser la meilleure association pour la vie ? Ce ne serait pas rationnel de ne pas suivre son avis …

Et alors le choix du gouvernement démocratique ou la stratégie économique ? Peux t’on vraiment faire confiance à homo sapiens ? Pour les dataistes, c’est bien sûr l’intelligence artificielle qui sera la plus compétente pour faire les bons choix et décider des mesures à prendre.

Dans ce nouveau récit, c’est l’information analysée par des programmes sachant la maîtriser qui est source de sens et non plus les désirs et les expériences humaines.

Et Harari de conclure :

« Les dataïstes sont sceptiques envers le savoir et la sagesse des hommes, et préfèrent se fier au Big Data et aux algorithmes informatiques » p.396.

Pour les partisans de ce mouvement l’univers tout entier est un flot de données, les organismes comme des algorithmes biochimiques.

Car Harari explique que contrairement à ce qu’on pourrait penser, les sentiments ne sont pas l’opposé de la rationalité. Mais Ils représentent davantage la rationalité de l’instinct. Quand un babouin, une girafe ou un humain voit un lion, il éprouve de la peur car son algorithme biochimique lui indique qu’un individu à proximité représente une menace immédiate. Cet algorithme biochimique a évolué et s’est amélioré au fil de millions d’années d’évolution. Si les sentiments d’un ancêtre lui font commettre une erreur, les gènes autour de ce sentiment n’ont pas été transmis à la génération suivante. Il y a donc bien aussi dans ce cas production de données et d’informations.

L’humanité est à la confluence de deux vagues scientifiques. D’un côté, les biologistes déchiffrent les mystères du corps humain, et plus particulièrement ceux du cerveau et des sentiments humains. D’un autre côté, les informaticiens sont détiennent désormais un pouvoir de traitement de données sans précédent. L’association de ces deux sciences permet de créer des systèmes externes capables de surveiller et de comprendre nos sentiments mieux que nous-mêmes. Une fois que les systèmes Big Data nous connaîtront mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, l’autorité sera transmise des humains aux algorithmes.

Et harari pose alors cette question

« Si le dataïsme réussit à conquérir le monde, qu’adviendra-t-il de nous les hommes ?

Dans un premier temps, le dataïsme accélèrera probablement la quête humaine de la santé, du bonheur et du pouvoir. Le dataïsme se propage en promettant de satisfaire ces aspirations humanistes. Pour accéder à l’immortalité, à la félicité et aux pouvoirs divins de la création, il nous faut traiter d’immenses quantités de données qui dépassent de loin les capacités du cerveau humain. Les algorithmes le feront donc pour nous. Mais du jour où l’autorité passera des hommes aux algorithmes, il se peut que les projets humanistes perdent toute pertinence. » P.424

Et il devient poète :

« Nous nous efforçons de fabriquer l’Internet-de-tous-les-objets dans l’espoir qu’il nous rendra bien portants, heureux et puissants. Mais une fois que celui-ci sera opérationnel, les hommes risquent d’être réduits du rôle d’ingénieurs à celui de simples puces, puis de data, pour finalement se dissoudre dans le torrent des données comme une motte de terre dans une rivière […] Rétrospectivement, l’humanité n’aura été qu’une ondulation dans le flux de données cosmique. »

P. 424 & 425

Et il pointe ce danger :

« Le dataïsme menace de faire subir à l’Homo sapiens ce que ce dernier a fait subir à tous les autres animauxP. 424

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Mardi 9 octobre 2018

« Les guerres et les conflits qui ont jalonné l’histoire pourraient bien n’être qu’un pâle prélude au vrai combat qui nous attend : le combat pour la jeunesse éternelle »
Yuval Noah Harari, « Homo deus » page 41

La mort de la mort est un des grands fantasmes de certains transhumanistes de la silicon Valley

Yuval Noah Harari nuance :

« L’immense majorité des chercheurs des médecins et des spécialistes se tiennent encore à distance de ces rêves affichés d’immortalité, affirmant qu’ils essaient simplement de surmonter tel ou tel problème particulier.»

Mais il est une minorité et qui selon Harari voit son nombre croître et qui :

« Parlent plus franchement, ces temps-ci et assurent que le projet phare de la science moderne est de vaincre la mort et d’offrir aux humains l’éternelle jeunesse.

Ainsi du gérontologue Aubrey de Grey et du polymathe et inventeur Ray Kurzweil. En 2012 Kurzweil a été nommé directeur de l’ingénierie chez Google et un an plus tard Google a lancé une filiale, Calico, dont la mission déclarée est de « résoudre le problème de la mort » ».

Vous pouvez aller sur le site internet de cette entreprise à la pointe de la modernité et dont l’objectif est donc de trouver les solutions techniques à la mort.

Et vous pouvez aussi voir cette conférence TED traduit en français dans laquelle Aubrey de Grey prétend « que le vieillissement n’est qu’une maladie — et de surcroît une maladie guérissable ».

Puis cette autre conférence TED dans laquelle Ray Kurzweil, explique comment selon lui « L‘homme sera transformé par la technologie ». Selon lui, d’ici les années 2020, nous aurons démonté le cerveau humain et des nano-robots opéreront notre conscience.

Larry Page et Sergey Brin, les patrons de Google avaient demandé à un autre convaincu de l’immortalité, Bill Maris, un neuroscientifique de formation, de prendre la tête du fonds d’investissement Google Ventures. Harari nous apprend que :

« Dans une interview de janvier 2015, Maris déclarait : «  Si vous me demandez aujourd’hui s’il est possible de vivre jusqu’à 500 ans, la réponse est oui » […] Google Venture investit 36% de ses deux milliards de dollars en portefeuille dans des start-up spécialisées en sciences de la vie dont plusieurs projets ambitieux visent à prolonger la vie. Recourant à une analogie avec le football américain, Maris ajoute : dans le combat contre la mort, « nous n’essayons pas de gagner quelques mères. Nous cherchons à gagner la partie. Parce que mieux vaut vivre que mourir. »

L’édition anglaise d’Homo deus étant paru en 2016, Harari ne savait pas à l’époque que Bill Maris allait quitter Google Venture en août 2016, pour des raisons très louables : « s’occuper de son fils et être davantage avec son épouse » et aussi parce que Google Venture va très bien.

Et Harari cite aussi le cofondateur de PayPal : Peter Thiel :

« Je pense qu’il y a probablement trois grandes façons d’aborder la mort. L’accepter, la nier ou la combattre. Je crois que notre société est dominée par des gens qui sont dans le déni ou l’acceptation ; pour ma part je préfère la combattre. »

Harari explique :

« Le développement à vitesse grand V de domaines comme le génie génétique, la médecine régénérative et les nanotechnologies nourrit des prophéties toujours plus optimistes. Certains experts croient que les humains triompheront de la mort d’ici 2200, d’autres parlent même de 2100. Kurzweil et de Grey sont encore plus confiants. Ils soutiennent qu’en 2050 quiconque possède un corps sain et un solide compte en banque aura une chance sérieuse d’accéder à l’immortalité en trompant la mort de décennie en décennie. Tous les dix ans, selon Kurzweil et De Grey, nous ferons un séjour dans une clinique pour y subir une transformation qui nous guérira de nos maladies, mais régénérera aussi nos tissus en décomposition et améliorera nos mains, nos yaux et notre cerveau. Entre deux hospitalisations, les médecins auront inventé pléthore de nouveaux médicaments, d’extensions et de gadgets. »

Harari rappelle que ces projets s’ils aboutissent ne rendront pas ces humains immortels, mais plutôt a-mortels, car ils pourraient encore mourir dans une guerre ou un accident. Mais je crois qu’on peut rejoindre Yuval Noah Harari dans l’hypothèse, si ces choses arrivent cela ferait :

« Probablement d’eux les gens les plus angoissés de l’Histoire. »

Et Harari d’imaginer ce que cette nouvelle longétivité aurait pour conséquence sur la société et la famille :

« La structure familiale, les mariages et les relations parent-enfant s’en trouveraient transformés. Aujourd’hui, les gens s’imaginent encore mariés « jusqu’à ce que la mort les sépare » et une bonne partie de leur vie tourne autour de l’éducation des enfants.[…]. Une personne dont la durée de vie est de 150 ans […] se marie à 40 ans […] sera-t-il réaliste d’espérer que son couple dure cent dix ans ? […] A 120 ans une femme qui aura eu des enfants à quarante ans n’aura qu’un lointain souvenir des années passées à les élever qui seront comme un épisode plutôt mineur de sa longue vie. […]

Dans le même temps, les gens ne prendront pas leur retraite […] qu’éprouveriez-vous à avoir un patron de 120 ans, dont les idées ont été formulées du temps de la Reine Victoria ? »

Mais Harari n’y croit pas trop :

« Revenons à la réalité : il est loin d’être certain que les prophéties de Kurzweil et de Grey se réalisent d’ici 2050 ou 2100. A mon sens, espérer parvenir à l’éternelle jeunesse au XXIème siècle est prématuré et qui les prend au sérieux est voué à une cruelle déception. Il n’est pas facile de vivre en sachant que vous allez mourir, mais il est encore plus dur de croire à l’immortalité et de se tromper. »

Mais il pense quand même que ce combat restera un combat phare du XXIème siècle :

« Chaque tentative ratée de triompher de la mort nous rapprochera néanmoins un peu plus de ce but, nourrira de plus grands espoirs et encouragera les gens à consentir de plus grands efforts. Calico ne résoudra vraisemblablement pas le problème de la mort à temps pour rendre immortels les cofondateurs de Google […] mais elle réalisera très probablement des découvertes significatives en matière de biologie cellulaire, de médicaments génétiques et de santé humaine »

Et Harari imagine plus largement les conséquences de ce combat :

« L’establishment scientifique et l’économie capitaliste seront plus heureux d’épauler ce combat. La plupart des hommes de science et des banquiers se fichent pas mal de ce sur quoi ils travaillent, du moment que c’est l’occasion de nouvelles découvertes et de plus gros profit […]

Vous trouvez impitoyables les fanatiques religieux au regard brulant et à la barbe fleurie ? Attendez un peu de voir ce que feront les vieux nababs entrepreneurs […] s’ils pensent qu’un élixir de vie est à portée de main. Le jour où la science accomplira des progrès significatifs dans la guerre contre la mort, la vraie bataille se déplacera des laboratoires vers les parlements, les tribunaux et la rue. Dès que les efforts scientifiques seront couronnés de succès, ils déclencheront d’âpres conflits politiques. Les guerres et les conflits qui ont jalonné l’histoire pourraient bien n’être qu’un pâle prélude au vrai combat qui nous attend : le combat pour la jeunesse éternelle. »

Tous ces développements se situent entre les pages 35 et 41.

J’ajouterai une première limite à tous ces espoirs et développements, encore faut-il que la vie sur terre soit toujours possible à l’homme au-delà des années 2100, ce qui ne me semble pas totalement acquis.

Pour le reste le combat contre les maladies, pour la santé et pour éviter les morts prématurés ne peuvent que nous réjouir, notamment lorsque nous avons été confronté à la maladie ou à la mort prématurée d’un proche.

Mais Harari nous parle aussi d’une autre évolution qui est celle du big data et de l’intelligence artificielle dans ce domaine. Il est persuadé et probablement a-t-il raison que la plupart des humains accepteront d’ouvrir totalement les données privées de santé qu’ils livreront sans coup férir à ces outils à cause de la promesse d’une meilleure santé, promesse qui sera pour une part certaine respectée.

Ce sera un monde étrange dans lequel toutes les données de santé d’homo sapiens seront à la disposition de l’intelligence artificielle et probablement aussi des assurances et autres institutions financières qui feront tout ce qui est possible pour y avoir accès.

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Lundi 1 octobre 2018

« Tous les scénarios esquissés dans ce livre doivent être compris comme des possibilités et non comme des prophéties. »
Yuval Noah Harari « Homo Deus » Page 425

Le Point a fait sa Une de son numéro du 20 septembre 2018 avec ce titre :

« Yuval Noah Harari : Le penseur le plus important du monde. »

Titre assez stupide, mais dans l’air du temps. Il y a bien sûr la tentative d’avoir une couverture accrocheuse susceptible de faire vendre, Mais c’est aussi parce que, pour beaucoup, nous sommes dans le temps de la compétition dans lequel on cherche à toujours déterminer quel est le N°1.

Quel est le meilleur footballeur, le meilleur tennisman ?

Encore que dans ces domaines, il s’agisse d’activités humaines qui vivent en grande partie de la compétition.

Mais se poser la question, quel est le meilleur écrivain, le plus grand penseur, le plus grand scientifique est, selon moi, un exercice vain et dénué de pertinence.

Notez qu’il y en a qui ne sont pas d’accord.

Luc Ferry par exemple : <Harari ou l’avenir pour les nuls>, article publié dans le journal Le Figaro dans lequel, après avoir accusé Harari d’avoir plagié Auguste Comte, de ne pas savoir distinguer le communisme et le socialisme, il finit par cette condamnation sans appel :

« La vérité c’est qu’après avoir adapté Auguste Comte au goût du jour, c’est Orwell qu’Harari repeint aux couleurs de la Silicon Valley pour donner à son livre le ton apocalyptique sans lequel il n’est plus aujourd’hui de succès. Il veut vulgariser, pourquoi pas, mais au prix de simplismes si extrêmes que tout l’ensemble en devient franchement fallacieux. »

Mais si vous écoutez une interview de Yuval Noah Harari et que vous la comparez avec une interview de Luc Ferry, ou d’ailleurs de Michel Onfray ou de BHL vous êtes dans deux mondes différents, le monde de l’humilité d’un côté, le monde de l’arrogance de l’autre.

Ce n’est pas que Luc Ferry, Michel Onfray, c’est plus compliqué avec BHL ne disent pas des choses parfois très intéressantes, mais leur ton est toujours celui du sachant, de l’autorité intellectuelle et morale du haut de leur piédestal. Bref, ils sont incapables de la moindre modestie.

Rien de tel chez Yuval Noah Harari qui dans son expression, ses formulations propose, émet des hypothèses, bref nous donne à réfléchir.

Gaspard Koenig dans l’émission du Grain à moudre du 27/09/2018 a dit son admiration pour l’écrivain israélien avec ces mots :

« Harari est un historien qui regarde vers l’avenir »

Ce qui est une manière de le définir qui me convient.

Si le Point a fait sa couverture sur Harari, c’est parce qu’il vient de faire publier en France un troisième livre : «21 Leçons pour le XXIème siècle ».

Il va un peu vite pour que je parvienne à le suivre.

Pour ma part je n’en suis qu’à son deuxième « Homo Deus » que j’ai lu pendant les vacances d’été et que je vais essayer de présenter au cours d’une série de mots du jour.

Vous savez que si pour un roman il peut apparaître pertinent de commencer par le début et d’arriver à la dernière page en ayant lu toutes celles intermédiaires, ce n’est pas du tout la bonne méthode pour un essai comme « Homo Deus » : On commence par la table des matières puis on lit la conclusion et le début dans l’ordre qu’on souhaite et on picore un peu au milieu.

Si cet examen est concluant et vous permet dès l’entame d’avoir une vision d’ensemble du propos, vous pouvez commencer à lire l’ouvrage de manière plus méthodique, en abordant les chapitres dans leur entier et si cela vous semble pertinent dans l’ordre dans lequel l’auteur les a publiés ou dans un autre ordre si votre compréhension du sujet vous dicte cette méthode.

Pour ce premier mot sur « Homo deus » je vous propose de commencer par la conclusion ou au moins le début de la conclusion qui valide cette vision d’humilité que je décrivais précédemment.

D’abord Yuval Noah Harari explique qu’il ne sait pas de quoi l’avenir sera fait.

« Nous ne saurions prédire l’avenir parce que la technologie n’est pas déterministe. La même technologie pourrait créer des sociétés de nature très différente Par exemple, la technologie de la révolution industrielle – Train, électricité, radio et téléphone – a pu servir à mettre en place des dictatures communistes, des régimes fascistes et des démocraties libérales. »

Et j’ajouterai, même des social- démocraties qui sont des démocraties libérales avec un supplément d’âme parce qu’ils ajoutent à la liberté et aux droits individuels, la solidarité.

Et il ajoute :

« L’essor de l’intelligence artificielle et des biotechnologies transformera certainement le monde, mais il n’impose pas un seul résultat déterministe. Tous les scénarios esquissés dans ce livre doivent être compris comme des possibilités et non comme des prophéties. »

Harari refuse à juste titre le rôle de prophète mais en accumulant les connaissances sur les progrès des technologies, les pistes de recherche dans les laboratoires et les lieux des plus remarquables ingénieurs et scientifiques, il tente de comprendre ce que l’alchimie de l’ensemble de ses technologies peut produire sur l’homme, la société, la terre et où elle peut nous mener.

Je vais partager un petit exemple qui n’est pas dans son livre mais est issue d’une chronique de Pierre Haski « Géopolitique 30/08/2018 »

1° Vous connaissez tous la technologie des drones. Ces petits engins volants qui permettent de faire de magnifique vidéo de lieux splendides ou d’une ville comme Lyon. Ils permettent aussi d’espionner des centrales nucléaires ou d’autres lieux qui pour divers raisons ont vocation à rester secret. Mais vous savez aussi qu’Amazon a le projet de faire transporter des colis par drone.

2° Vous avez entendu parler de la technologie de la reconnaissance faciale. Les chinois expérimentent cela à très grande échelle. Le taux de réussite s’améliore d’année en année, je veux dire le fait que le système de reconnaissance sait associer une image que capte une caméra et l’identité de la personne qui a été filmée.

3° Toutes les armées du monde et particulièrement celles des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie travaillent à miniaturiser des armes létales. (arme létale est peut-être un pléonasme)

Que se passe-t-il si vous combinez ces trois technologies ?

Je donne la parole à Pierre Haski :

« Imaginez un minidrone qui tiendrait dans la paume de votre main, équipé d’un système de reconnaissance faciale et d’une charge explosive suffisante pour faire exploser un crâne. Vous le lâchez dans la nature avec un visage programmé comme cible, il le cherchera dans une foule et l’éliminera, sans intervention humaine.

Imaginez maintenant des centaines ou des milliers de tels minidrones lancés sur une ville, sur un rassemblement, ou sur une base militaire, coordonnant tout seuls leur approche et se partageant les cibles à éliminer.

Nous ne sommes pas dans la science-fiction, dans un remake de Terminator version 2018, mais dans la réalité de la guerre de demain. De tels engins, et bien d’autres encore tout aussi terrifiants, baptisés « Robots tueurs », sont à l’étude dans les labos de recherche d’une poignée de pays dotés des moyens scientifiques et financiers, et de la volonté politique de les développer.

Bienvenue au nouveau siècle de la guerre, celui de l’intelligence artificielle, une technologie dont Vladimir Poutine disait l’an dernier que le pays qui la maîtriserait contrôlerait le monde. »

C’est un sujet très sérieux puisque l’ONU a réuni fin août une conférence à Genève en vue d’interdire ou au moins de réglementer de tels robots tueurs.

Les esprits résolument optimistes diront : « Chic on va pouvoir éliminer de manière simple et avec quasi aucun dommage collatéral Bachar el-Assad, le boucher de Syrie.

Vous croyez ?

Ne pensez-vous pas que c’est plutôt Bachar el-Assad qui s’en servirait pour tuer, sans coup férir, les principaux responsables de son opposition ?

Ou le président chinois qui va éliminer les dissidents les plus virulents.

Ou encore Donald Trump qui utilisera ce moyen pour se débarrasser du lanceur d’alerte, Edward Snowden ?

Harari dans sa conclusion nous invite à comprendre et à combattre les évolutions que nous n’aimons pas :

« Certaines de ces possibilités ne vous plaisent pas ? Libre à vous de penser et de vous conduire de façon à ce qu’elles ne se matérialisent pas.

Il nous met en garde cependant de notre difficulté à penser à ce monde nouveau et les perspectives qu’il ouvre tant il est vrai que nous sommes limités par nos modes pensées anciens :

« Toutefois, il n’est pas facile de trouver de nouvelles façons de penser et de se conduire, parce que nos pensées et actes sont habituellement contraints par les idéologies et systèmes sociaux de notre époque. Ce livre retrace les origines de notre conditionnement actuel afin d’en desserrer l’emprise, de nous permettre d’agir autrement et d’envisager notre avenir de manière bien plus imaginative. Loin de de rétrécir nos horizons en prévoyant un seul et unique scénario définitif, il vise à les élargir et à nous faire prendre conscience que nous avons un spectre d’options bien plus large. »

C’est aussi la force de la réflexion de Harari de nous révéler nos conditionnements et ainsi d’élargir nos capacités de réflexion et de compréhension.

Et il finit par ce nouvel assaut d’humilité en phase avec toute sa démarche :

« Comme je l’ai maintes fois souligné, personne ne sait vraiment à quoi ressemblera le marché du travail, la famille ou l’écologie en 2050, ni quels religions, systèmes économiques et structures politiques domineront le monde »

Dire qu’ « Homo deus » est un ouvrage aussi fabuleux qu’« Sapiens » est probablement excessif.

C’est aussi plus compliqué de parler de l’avenir que de ce qui a été. Il approfondit d’ailleurs certaines des réflexions qu’il avait développées dans son premier livre et il en rappelle d’autres. Mais « Sapiens » présentait une telle quantité d’informations, de remise en question de mythes fondateurs que nous acceptons comme des vérités, de mise en perspective du comportement et de l’évolution de notre espèce, qu’il était probablement très difficile de rester à ce niveau.

Dans un entretien à l’OBS publié le 29 septembre 2018, Harari révèle ses craintes et sa démarche, bien loin des ambitions de magistère chères à  Luc Ferry et consorts :

« Ma crainte, c’est que l’on commence à me voir comme une sorte de gourou. Il est bon d’apprécier le savoir et de respecter l’opinion des intellectuels, mais il est dangereux d’en faire des idoles. Celui qui est placé sur un piédestal court le risque de se croire tout-puissant, de développer un ego surdimensionné et de devenir fou.

Quant aux fans qui croient avoir trouvé un individu qui a réponse à tout, ils renoncent à leur liberté et arrêtent de réfléchir par eux-mêmes. Ils attendent que le gourou leur fournisse toutes les réponses, toutes les solutions, aussi mauvaises soient-elles. Je souhaite que mes lecteurs trouvent dans mes livres des questions plutôt que des réponses, qu’ils voient en moi un compagnon de voyage sur le chemin de la vérité plutôt qu’un devin omniscient. »

Je souhaite que mes lecteurs trouvent dans mes livres des questions plutôt que des réponses.

J’avais achevé la série sur « Sapiens » par cette injonction kantienne concernant la philosophie des lumières :

« Sapere aude ! Habe Mut dich deines eigenen Verstandes zu bedienen !»
« Ose savoir ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement !»

Mais pour reprendre le jugement excessif et stupide du Point, Yuval Noah Harari est un penseur essentiel qu’il faut lire pour apprendre beaucoup de connaissances et plus encore pour se poser les questions que sa démarche, ses hypothèses et son cheminement intellectuel suscitent en nous.

Et c’est donc à ce cheminement, à ce questionnement que je vais vous inviter dans les prochains jours.

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Jeudi 3 mai 2018

«Ne pas devenir les spécialistes de l’éthique tandis que les Chinois et les Américains deviennent des spécialistes du business.»
Antoine Petit, président du CNRS à propos du rapport Villani

Cédric Villani a donc produit un rapport sur l’intelligence artificielle (IA) : « Donner du sens à l’intelligence artificielle »

Je ne l’ai pas lu, j’ai entendu et vu plusieurs interventions de Cédric Villani qui parlait de son rapport et de sa réflexion sur le sujet.

Un spécialiste de l’intelligence artificielle Olivier Ezratty a écrit un article critique très complet sur ce sujet et que vous trouverez derrière ce lien : <Ce que révèle le Rapport Villani>

Mais le mot du jour d’aujourd’hui va insister sur un autre article concernant ce sujet et plus précisément le lien que fait ce rapport entre l’intelligence artificielle et l’éthique.

Cet article m’a été suggéré par Daniel qui me fait le plaisir de commenter très souvent les mots du jour.

Cet article se trouve sur le site dédié à l’innovation : https://www.frenchweb.fr et a été écrit par Philippe Silberzahn, professeur à EMLYON Business School et chercheur associé à l’École Polytechnique.

Il a pour titre : « IA et éthique: le contresens navrant de Cédric Villani »

Et voilà ce qu’il dit en substance :

Il attaque assez fort dès le départ :

«  Avec le rapport Villani sur l’intelligence artificielle, la France a renoué avec une vieille tradition: demander à quelqu’un d’intelligent d’écrire un rapport idiot. Enfin idiot, on se comprendra: le rapport que notre Médaille Fields vient de rédiger n’est pas tant idiot que convenu. »

S’appuyant sur des exemples historiques récents et moins récents, bien connus de nous tous, Philippe Silberzahn conteste fondamentalement la possibilité de donner, a priori, un jugement éthique sur une innovation :

« Le titre-même du rapport « Donner un sens à l’IA » est problématique. Quand on regarde l’histoire de l’innovation, le sens a toujours été donné a posteriori. Et ce pour une raison très simple: les ruptures technologiques présentent toujours des situations inédites sur le plan légal, social et éthique. Il est très difficile, voire impossible, de penser ces ruptures avant qu’elles ne se produisent, et avant que les effets ne soient visibles. On risque de penser dans le vide. Lorsque McKinsey conduit une étude de marché pour AT&T en 1989 pour évaluer le potentiel de la téléphonie mobile, les résultats sont désastreux: personne ne voit l’intérêt d’avoir un téléphone mobile. Personne ne peut simplement imaginer ce qu’on ferait avec. Seule l’utilisation effective a révélé les possibilités de la technologie, de même qu’aujourd’hui seule l’utilisation de Facebook en révèle les dangers pour la vie privée.

Plus généralement, les applications d’une nouvelle technologie sont impossibles à anticiper. Lorsque les ingénieurs français et autrichien découvrent les ultra-sons en 1911, ils s’en servent pour détecter les sous-marins. Quarante ans après, cette technologie est utilisée en médecine, c’est l’échographie. Cette utilisation est totalement imprévue et d’ailleurs, il était initialement question que ce soit pour la détection des cancers. Aujourd’hui, l’échographie est devenue banale et peu chère, à tel point qu’elle est utilisée dans les pays pauvres, en particulier en Chine et en Inde. Utilisée pour l’avortement sélectif, elle est directement responsable du fait notamment qu’environ 25 millions de femmes ne sont pas nées en Chine, causant un déséquilibre des sexes qui entraîne de lourds problèmes sociaux et donc politiques. Qui aurait pu penser qu’une technologie mise au point en Europe pour la lutte anti sous-marine soit la cause, un siècle plus tard, d’un bouleversement social en Asie? Penser les conséquences de l’échographie a priori aurait été totalement vain. »

Il nous pousse ensuite dans nos contradictions et pose la question subtile du constat éthique de l’automobile :

« Mais il y a pire. Toute technologie est duale, au sens où elle peut servir à faire le bien comme le mal. Imaginez que vous soyez ministre de l’environnement dans un pays éthique qui a mis le principe de précaution dans sa constitution (exemple fictif bien-sûr). Un groupe d’industriels vient vous voir pour obtenir l’autorisation préalable nécessaire à la commercialisation de leur nouvelle technologie. Elle apportera de toute évidence des bienfaits immenses, facilitant la vie de nombreux habitants. Son seul défaut: elle tuera environ un million de personnes par an dans le monde.

Que faites-vous?

Vous l’interdirez probablement et mettrez un comité d’éthique sur le dossier.

Cette technologie? C’est l’automobile. »

Michel Serres cite souvent <la fable de la langue> écrit par Esope, le fabuliste grec, au VIème siècle avant notre ère.:

« Le maître d’Ésope lui demande d’aller acheter, pour un banquet, la meilleure des nourritures et rien d’autre. Ésope ne ramène que des langues ! Entrée, plat, dessert, que des langues ! Les invités au début se régalent puis sont vite dégoûtés.

– Pourquoi n’as-tu acheté que ça ?

– Mais la langue est la meilleure des choses. C’est le lien de la vie civile, la clef des sciences, avec elle on instruit, on persuade, on règne dans les assemblées…

– Eh bien achète-moi pour demain la pire des choses, je veux de la variété et les mêmes invités seront là.

– Ésope achète encore des langues, disant que c’est la pire des choses, la mère de tous les débats, la nourrice des procès, la source des guerres, de la calomnie et du mensonge. »

La conclusion de Philippe Silberzahn qui cite le patron du CNRS, citation dont j’ai fait l’exergue de ce mot du jour, constitue un questionnement fort et complexe :

« En plaçant l’IA au service de l’éthique, le rapport commet donc deux erreurs: d’une part il ne se donne aucune chance de penser l’éthique de l’IA correctement, car nous penserons dans le vide – nous ne pourrons penser qu’en faisant, et d’autre part il condamne la France à regarder les autres danser depuis le balcon. Antoine Petit, le patron du CNRS lors de la conférence AI For Humanity où était présenté le rapport Villani, nous invitait ainsi à éviter un écueil: « Ne pas devenir les spécialistes de l’éthique tandis que les Chinois et les Américains deviennent des spécialistes du business. »

C’est tout l’enjeu et à vouloir mettre l’IA d’entrée de jeu au service de la diversité, de l’égalité homme-femme, du bien commun et des services publics, c’est sacrifier aux modes du moment en se trompant de combat.

On demandait à Cédric Villani de nous dire comment la France pouvait rattraper son retard en IA, c’est à dire de poser un raisonnement industriel, pas de signaler sa vertu à l’intelligentsia post-moderniste qui gouverne la pensée de ce pays.

Sans compter que comme souvent dans ces cas-là, le sens que l’on donne à éthique est bien restreint. Il peut être éthique de ne pas vouloir développer une IA aux conséquences négatives, mais il peut être également éthique d’essayer pour voir, car ce n’est qu’en agissant que nous saurons. Les entrepreneurs savent cela depuis longtemps, nos savants intelligents et ceux qui nous gouvernement l’ignorent, et se condamnent peu à peu à la paralysie par excès de prudence et, au fond, par peur du futur.

Nous devenons un vieux pays, et laissons progressivement les autres développer l’avenir.

Au fond, le rapport Villani est un rapport de vieux, la hype de notre ami Cédric en plus. »

Les craintes exprimées ne peuvent que nous interpeller.

Cela étant, au fur à mesure de l’utilisation de l’IA nous devrons rester vigilants.

En serons-nous capable entraînés par le vertige de la modernité ?

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Vendredi 2 février 2018

« Ce ne sont plus exactement des homo sapiens, mais des humains 2.0, des surhommes crispérisés »
Frédéric Beigbeder

Ce mot du jour renvoie vers certaines découvertes concernant la santé et notamment la capacité d’intervenir sur l’ADN. Vous retrouverez en fin d’article des liens et des explications montrant que le propos de Frédéric Beigbeder n’est pas vraiment humoristique mais plutôt questionnant le monde de demain.

Avant de commencer il faut quand même parler de <crispr> et plus précisément de « CRISPR-Cas9 » (prononcez « crispère »)

L’acronyme CRISPR vient de l’anglais : «  Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats  », en français (« Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées ». Et Cas9 est une enzyme.

« CRISPR-Cas9 » constitue une innovation révolutionnaire qui permet de cibler une zone spécifique de l’ADN, la couper et y insérer la séquence que l’on souhaite remplacer. Dans le langage courant on parle de « ciseau génétique ».

Le journal du CNRS explique de manière un peu plus technique cette invention : https://lejournal.cnrs.fr/articles/crispr-cas9-des-ciseaux-genetiques-pour-le-cerveau

Après cette courte introduction, revenons à Frédéric Beigbeder qui est un écrivain ayant déjà eu deux prix littéraires. Il réalise une chronique sur France Inter à la fin du 7-9.

Le jeudi 18 janvier 2018, il a fait son intervention après Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique, qui était l’invité de Nicolas Demorand pour le lancement des Etats généraux de bioéthique, qui se dérouleront jusqu’au 7 juillet. Le sujet de l’élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) promis par Emmanuel Macron lors de sa campagne, la reconnaissance des enfants nés grâce à la gestation pour autrui (GPA), l’arrivée de l’intelligence artificielle dans la médecine ou les interventions sur le génome ont notamment été évoqués.

Frédéric Beigbeder a joué, dans sa chronique, le rôle d’un médecin qui s’adresserait à son confrère, c’est-à-dire à Jean-François Delfraissy.

Et il lui a tenu ce langage :

« Pourquoi tous les génomes français ne sont-ils pas séquencés, ce qui permettrait de détecter les cancers avec 30 ans d’avance ?
Pourquoi le sang artificiel créé par Luc Douai est-il interdit en France ?
Et quid de la congélation des cellules pluripotentes induites également réprimées chez nous ?
Comme le stockage des cordons ombilicaux ?
On a l’impression de vivre dans un monde à deux vitesses.
Une large majorité de mortels peu informés. Et puis nous l’élite mondiale qui sait comment repousser la mort, mais garde le remède secret. […]
En 2015, la grande déclaration du comité international de bioéthique réuni à Paris, à L’Unesco était la suivante :
La révolution génétique soulève de graves inquiétudes, en particulier si l’ingénierie du génome humain devait être appliquée à la lignée germinale…

Donc on ne comprend rien
Une superbe déclaration consultative puisque des thérapies génétiques n’ont cessé d’être testées depuis sur les humains en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, en Chine avec des modifications de l’ADN.

Parfois elles ont sauvé des vies, celle de Leila Richards, un bébé leucémique à Londres dont l’espérance de vie était d’une semaine et qui vit toujours. Cet enfant peut être considéré, comme le premier HGM, « humain génétiquement modifié », va-t-on par souci éthique lui interdire de faire des EGM « enfant génétiquement modifié »

Je traduis en français pour les non spécialistes : Vous avez entendu parler des OGM, organisme génétiquement modifié mais vous ignorez probablement qu’il existe désormais des Humains génétiquement modifiés des HGM, et il en existera de plus en plus. Ce ne sont plus exactement des homo-sapiens, mais des humains 2.0, des surhommes crispérisés, crispr étant le nom des ciseaux génétiques, permettant de faire les manipulations génétiques.

Sachant que pour guérir du cancer on va passer par cette crispérisation qui coute des millions de dollars.
Quelle tête feront les gens quand ils sauront qu’un pauvre atteint du cancer devra en mourir et qu’un RGM, riche génétiquement modifié pourra en guérir ?

Si j’ai gaffé, ne répétez à personne cette information confidentielle »

Jean-François Delfraissy, interpellé par Demorand pour répondre à Beigbeder a fait cette réponse :

« Beaucoup de choses intéressantes [ont été dites] et qui montre que ce confrère suit parfaitement les données de la science, les avancées scientifiques. Et qui soulève en effet toute une série de questions, en particulier je retiens la notion de médecine à deux vitesses. Je retiens la question qui pourra y avoir accès. Les problèmes éthiques soulèvent un certain nombre de questions économiques d’accès à la santé et aux nouvelles techniques.

Parlons-en. Sortons du débat d’expert et parlons aux citoyens. »

Vous trouverez la chronique de Beigbeder, derrière <ce lien> et l’émission avec Jean-François Delfraissy derrière <celui-ci>

C’est par la série sur Sapiens de Yuval Noah Harari que j’ai commencé à aborder ce sujet. Dans le mot dont l’exergue est « La singularité ». Je cite Harari qui écrit :

« Si cette question ne vous donne pas le frisson, c’est probablement que vous n’avez pas assez réfléchi».

Mais il va probablement plus loin dans Homo Deus où il évoque une nouvelle religion le dataisme, autrement dit la confiance dans les big data et où il explique que nous allons laisser faire ces évolutions précisément parce qu’elles nous promettent une meilleure santé.

Bien évidemment les parents de Leila Richards ne peuvent qu’être immensément reconnaissants devant toutes ces techniques.

Mais la crainte que cette évolution avec celle de l’« homme augmenté » va créer deux types d’hommes : « l’homo sapiens canal historique » dont nous faisons partie et « homo 2.0 » comme l’appelle Beigbeder dont la chance, si c’en est une, d’en faire partie parait très mince.

Ces évolutions posent aussi des questions de société qui donnent le frisson comme dit Harari.

Au départ, la raison de ces recherches est bien sûr médicale pour guérir, reculer les limites de la mort et de la souffrance.

Mais une fois qu’un petit groupe d’humains aura cette technique faustienne de créer des Hommes Génétiquement Modifiés, qu’adviendra t’il ?

La cupidité de certains est si grande, notamment parmi les puissants et les hyper riches.

L’esprit d’entraide existe aussi saura t’il être le plus fort ?

Jean-François Delfraissy a raison : « Parlons-en. Sortons du débat d’expert. »

Post Scriptum :

Après la chronique de Frédéric Beigbeder, j’ai fait quelques recherches.

J’ai ainsi trouvé le <Rapport du 2 octobre 2015 du Comité international de Bioéthique>. Dont voici des extraits :

Page 8

De nouveaux outils expérimentaux permettent aux scientifiques d’insérer, de retirer et de corriger la séquence de gènes, ouvrant la possibilité de traiter, voire de guérir, certaines maladies monogéniques telles que la béta-thalassémie et la drépanocytose, ainsi que certaines formes de cancer. Si ces procédures s’améliorent et que leur innocuité pour les patients est démontrée, elles permettront le succès longtemps attendu de la thérapie génique somatique. Dans plusieurs pays, la thérapie génique somatique a reçu une approbation éthique et réglementaire parce que les modifications génétiques obtenues ne se transmettent pas à la génération suivante. Les préoccupations des éthiciens et des scientifiques ont précisément été soulevées par la possible application de ces technologies à la modification de la lignée germinale, à des fins thérapeutiques ou à des fins d’amélioration des particularités d’un individu. En conséquence, des appels à un moratoire sur ces technologies ont été lancés, au moins jusqu’à ce que leurs conséquences à long terme et leur sécurité soient mieux évaluées. Certains pays ont interdit toute modification de la lignée germinale chez l’homme alors que d’autres n’imposent pas d’interdictions légales, mais ont élaboré des réglementations administratives ou éthiques (« soft law ») interdisantces expériences sur les gamètes ou les embryons humains.

Page 29

En même temps, cette révolution nécessite des précautions particulières et soulève de graves inquiétudes, en particulier si l’ingénierie du génome humain devait être appliquée à la lignée germinale en introduisant des modifications héritables, qui seraient transmises aux générations futures.

Et si vous voulez en savoir davantage sur le traitement qui a été appliqué à Layla, dans Sciences et avenir j’ai trouvé l’article : « Leucémie : la guérison “miracle” de Layla Richards », pour la première fois, un enfant atteint d’une leucémie aiguë lymphoblastique est entré en rémission grâce à un traitement expérimental utilisant des cellules immunitaires génétiquement modifiées.

Un article sur les recherches du docteur Luc Douay : < On a fabriqué du sang artificiel>

Les cellules pluripotentes évoquées sont des cellules qui dans le processus embryonnaires sont des cellules avant différenciation, c’est-à-dire des cellules qui sont capable de se différencier par la suite en de nombreux types cellulaires différents. Ces cellules existent dans un embryon, on les appelle « les cellules souches embryonnaires »: ces cellules souches sont obtenues à partir d’un embryon de 5 à 7 jours ; pour des questions éthiques, leur utilisation est très réglementée. Mais les scientifiques ont pu fabriquer des « cellules souches pluripotentes induites », dont parle Frédéric Beigbeder. Ces cellules souches sont obtenues à partir de cellules adultes différenciée. Elles sont reprogrammées de manière génétique et peuvent alors se multiplier à l’infini et donner différents types cellulaires.

Sur le site Futura Science j’ai trouvé une vidéo de 2 minutes où un chercheur explique ce qu’il espère réaliser à partir de ces cellules pluripotentes.

Et puis, vous l’avez certainement entendu on vient de créer le premier primate cloné : Et c’est des chinois qui l’on fait.

Techniquement il n’y a plus rien qui empêche qu’on crée le premier humain cloné.

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Jeudi 14 septembre 2017

« Homo deus »
Yuval Noah Harari

La traduction française est parue mercredi 6 septembre. Et le 6 septembre à 14:00 le livre était sur mon bureau.

J’étais en effet impatient de lire la suite du passionnant Homo sapiens.

Si vous n’avez toujours pas lu homo sapiens, vous pourrez utilement vous reportez à la série de 13 mots du jour que j’ai consacré à ce livre étonnant.

Homo sapiens avait pour sous-titre : « Une brève histoire de l’humanité » et parlait du passé.

Le livre se terminait par un épilogue dont le titre est : « un animal devenu Dieu ? ».

Le questionnement sur ce qui se trame à la silicon valley, les projets fous des GAFAM, la généralisation de l’intelligence artificielle et des big data, l’annonce de la singularité où l’homme et l’intelligence artificielle s’interpénétreront se terminait par cette assertion : « Si cette question ne vous donne pas le frisson, c’est probablement que vous n’avez pas assez réfléchi. »

« Homo deus » était donc annoncé. Il parle de l’avenir, des futurs possibles.

Je vais me plonger dans cette lecture et je ne peux que vous conseiller de faire la même chose.

Le Point a traduit un billet que Bill Gates, le fondateur de Microsoft, a écrit sur son blog :

« Qu’est-ce qui donne un sens à nos vies ? Et que se passerait-il si, un jour, ce qui nous fournissait ce sens disparaissait ? Je continue à penser à ces questions importantes après avoir fini Homo deus, le livre provocateur de Yuval Noah Harari. Melinda et moi avons adoré Sapiens, qui tentait d’expliquer comment notre espèce a réussi à dominer la planète.  (…)

Le nouveau livre de Harari est aussi stimulant que Sapiens. (…) Je ne suis pas d’accord avec tout ce qu’avance l’auteur, mais il fournit une vision sérieuse de ce qui attend peut-être l’humanité.

Homo deus explique que les principes qui ont organisé la société vont subir un bouleversement au XXIe siècle, avec des conséquences majeures pour la vie telle qu’on la connaît. (…) Nous nous sommes organisés pour satisfaire nos besoins : être heureux, en bonne santé, et contrôlant notre environnement. Mais, en menant ces objectifs à terme, Harari affirme que l’humanité va tout faire pour parvenir à “la félicité, l’immortalité et la divinité”. (…)

Je suis plus optimiste que lui […]

Je trouve passionnante la question des buts humains. Si nous résolvons les grands problèmes comme la faim et la maladie, et si le monde devient plus pacifique, quels objectifs aurons-nous ? (…) Harari a fait le meilleur travail que j’aie jamais vu pour exposer ce problème. Il suggère que, pour trouver un nouveau sens à nos vies, nous développerons une nouvelle religion. Hélas, je ne suis pas satisfait par cette réponse (pour être franc, je ne suis pas non plus satisfait par les réponses de penseurs brillants comme Ray Kurzweil ou Nick Bostrom, ou par mes propres réponses).

[…] C’est un livre passionnant avec beaucoup d’idées stimulantes et peu de jargon. Il fera réfléchir au futur, autre façon de dire qu’il fera réfléchir au présent. »

Yuval Noah Harari a accordé un long entretien au Point, dans lequel il définit plus précisément ce concept d’homme-dieu :

« Déjà, il faut se demander ce qu’est un dieu. Si vous regardez les mythologies, et notamment la Bible, l’une des caractéristiques primordiales des êtres divins est de fabriquer du vivant. Or nous sommes en train d’acquérir ce pouvoir. Je ne dis pas que les humains seront des superhéros volant dans l’air. Mais nous sommes capables de quelque chose de bien plus incroyable : remodeler la vie, avec l’aide du génie biologique et de l’intelligence artificielle. […] Le passage d’Homo sapiens à Homo deus est un processus évolutif qui a déjà commencé ! La revue Nature vient d’annoncer que des chercheurs, pour la première fois, sont parvenus à modifier des gènes malades dans des embryons humains. Nous sommes en train de refaçonner le code de la vie, et dans cinquante ou cent ans, cela sera la routine. En ce sens, les humains seront comme des dieux. »

Et

« Une fois que vous êtes capable de refaçonner la vie, il n’y a aucune raison que vous ne puissiez pas aussi remodeler la mort. Dans les mythologies anciennes, la mort était considérée comme un phénomène métaphysique. Vous mouriez car telle était la volonté de Dieu. Mais, pour la science, la mort n’est plus qu’un simple phénomène biochimique, un problème à résoudre. Nous mourons du fait d’un pépin technique, et nul besoin d’attendre le Second Avènement pour tenter de trouver une solution. Il est clair que la guerre contre la mort sera le projet phare de notre siècle. Bien sûr, nous ne deviendrons pas immortels, mais a-mortels. Même en allongeant de plus en plus l’espérance de vie, les surhommes du futur ne seront pas à l’abri d’un accident. Mais on peut envisager, comme le prédit Ray Kurzweil, qu’on se rende tous les dix ans dans une clinique pour bénéficier du dernier traitement technologique et gagner une nouvelle décennie de bonne santé. La vie humaine n’aura plus de limite claire, mais se transformera en un processus indéterminé. »

Alors quand il réfléchit sur le libre-arbitre, la liberté de choix, les décisions qui nous engageront et l’avenir de la démocratie, il argumente de la manière suivante :

« L’humanisme est en crise, car ses fondements sont en train d’être sapés par les découvertes scientifiques comme par les nouvelles technologies. L’hypothèse la plus importante de l’humanisme libéral est le libre-arbitre de l’individu. Or la science explique que les sentiments, les choix et les désirs des humains sont le simple produit de la biochimie. Une fois que nous aurons une connaissance biologique suffisante, et assez de puissance informatique, un algorithme pourra parfaitement comprendre, prévoir et manipuler ces choix et sentiments humains. […] Vous pensez voter librement pour tel candidat ou acheter de votre plein gré telle voiture, mais ce n’est pas le cas.

[…], nous savons de mieux en mieux comment manipuler les individus, mais, de l’autre, cela a aussi de plus en plus de sens de faire confiance au big data et aux algorithmes, car ils vous comprendront bien mieux que vous n’en êtes vous-mêmes capable. À une question comme “que dois-je étudier à l’université ?”, plutôt que de faire confiance à vos propres sentiments, il vaudra mieux interroger Google, de la même façon que quand, tout à l’heure, vous avez atterri sur un aéroport en pays étranger, vous avez fait confiance à Google Maps. Nous allons prendre de moins en moins de décisions dans nos vies. Et, au fur et à mesure que la croyance en l’individu s’effondrera et que l’autorité sera transmise aux algorithmes, la vision humaniste du monde – fondée sur le choix individuel, la démocratie et le libre marché – deviendra obsolète.»

Vous espérez peut être le contraire, sans doute. Mais avez-vous des arguments sérieux pour défendre votre point de vue ?

Il me faudra du temps pour lire et approfondir cet ouvrage.

Sauf immense déception de ma part à la lecture de ce livre, j’en reparlerai dans quelques mois.

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Jeudi 19 mai 2016

Jeudi 19 mai 2016
«King Abdullah Economic City,»
La ville privée

Nous avons donc compris que les maîtres de la Silicon Valley voulaient faire disparaître la politique et l’Etat.

C’est encore le jeune patron de Facebook, Mark Zuckerberg, qui a annoncé un projet urbain baptisé « Zee Town ».

Pour un montant estimé à 200 milliards de dollars, le roi des réseaux sociaux prévoit de construire sur 80 hectares, dans la Silicon Valley, rien de moins qu’une ville complète dédiée à ses 10.000 salariés, avec supermarchés, hôtels, villas et même dortoirs pour les stagiaires du groupe.

Mais ce n’est pas aux Etats-Unis, pas encore peut-être, mais dans ce “beau ?” pays, qui abrite les villes saintes de l’Islam, où l’alcool est interdit, où les femmes suivent la mode pudique, ce pays où toute autre religion que l’Islam est interdite sauf peut-être la religion de l’argent qu’est en train de se bâtir la première ville privée du monde : KAEC , King Abdullah Economic City.

Il est vrai que dans ce pays « saint », il est habituel de tout privatiser puisqu’ils ont même privatisé le nom de l’Etat qui porte le nom privé de la famille régnante.

Mais qu’est-ce que KAEC ?

KAEC n’a pas de maire, elle est gouvernée par le PDG d’Emaar Economic City (EEC), Fahd Al Rasheed, qui juge le modèle « très bon pour les villes ».

« Par définition, le secteur privé doit créer de la valeur : je dois donc vendre plus cher que le coût de revient, explique-t-il A l’inverse, les politiciens ont parfois du mal à créer de la valeur avec les services : ils en connaissent le coût, mais le prix qu’ils facturent à leurs administrés dépend de facteurs politiques. »

A Kaec, les habitants ne paient pas de taxes mais des « frais de services » pour la sécurité, l’eau ou la collecte des déchets, qui sont sous-traitées à différents entrepreneurs.

« Les habitants nous payent pour un service, pas pour financer une administration. Et comme ce sont nos clients, ils n’hésitent pas à se plaindre si les services sont mal rendus. Dans ce cas, la ville peut facilement changer de prestataire. »

Les concepteurs de ce projet visent près de 2 millions d’habitants, pardon de clients d’ici à 2035

Dans le cas de Kaec, un partenariat public-privé a été conclu entre le gouvernement saoudien et un groupe immobilier de Dubaï, Emaar Properties.

Vous trouverez toutes les informations utiles derrière ces liens :

Dans le Figaro : <Kaec, la première ville cotée en Bourse au monde>

Dans les Echos : <Villes privées : la nouvelle utopie>

Et sur un site spécialisé en urbanisme : <Kaec : une ville 100% privée>

Une ville privée !

Il est vrai que ville vient du mot latin VILLA qui signifie ferme agricole, domaine rural voir maison de campagne. C’est à dire, à l’origine, quelque chose de privée.

Le mot VILLA a donné d’abord village, comme une communauté de villa puis ville.

Le mot vilain vient aussi du latin VILLA car l’ancien français désignait sous le terme de vilain un « habitant du domaine rural », bref un paysan.

En latin VILLA ne désignait pas la ville ; Le terme latin pour désigner ville est «urbs». C’est à partir de cette racine que nous connaissons urbain, urbanisme, urbanité etc.

Lorsqu’il était employé avec une majuscule, l’Urbs désignait alors « la ville d’entre toutes les villes », Rome.

Ainsi la bénédiction papale le jour de Pâques est : « Urbi et Orbi », « À Rome et au Monde ».

Mais il y a un autre mot pour désigner la réalité de la ville : En Grèce antique on parlait de la « polis » qui est bien sûr la racine de « politique » dont les patrons des technologies numériques ne veulent plus.

Et dans l’étymologie latine « polis » est devenu « civitas » c’est à dire une cité-État, autrement dit une communauté de citoyens libres et autonomes.

Dans la pensée grecque antique, la cité préexiste à l’homme.

À titre d’exemple, la cité d’Athènes n’existe pas en tant que telle : c’est la cité des Athéniens, tout comme Sparte est la cité des Lacédémoniens.

Toutes ces informations sont tirées de Wikipedia qui rappelle aussi qu’Aristote disait :

« la cité est une communauté — une koinônia — « d’animaux politiques » réunis par un choix — proairésis — de vie commune (Politique, 1252 – 1254). »

En français, ce mot « la cité » a aujourd’hui mauvaise réputation. Ce n’est pas très valorisant de venir de la cité

Mais le mot cité eut son heure de gloire, il y avait les cités Etat : Venise, Gêne, il reste la cité du Vatican.

Aujourd’hui on garde une connotation historique pour certains quartiers ou centres historiques l’Ile de la cité à Paris ou encore la cité de Carcassonne.

On utilise aussi ce mot pour désigner un ensemble immobilier qui a une fonction particulière : La cité universitaire, La cité ouvrière ou encore comme un nom commercial « La cité de la gastronomie » ou à la Lyon « la cité internationale ».

Mais c’est bien à la racine latine de cité que s’attaque la ville privée car si cité vient du latin civitas (« état de citoyen, droit de cité, ensemble des citoyens d’une ville, cité, nation, État »), il est surtout apparenté à civis (« citoyen »).

Et de citoyen, il n’est plus question à KAEC !

A KAEC n’y a plus que des consommateurs !

Il y a bien sûr des sites saoudiens qui vantent cet objet du futur déjà présent :

https://www.visitsaudi.com/fr/see-do/destinations/kaec/kaec-family-fun-in-the-sun

https://www.arabnews.fr/node/Economie

Et le site de <la ville en anglais>

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