Mercredi 21 avril 2021

« [La sanction contre Madoff] montre qu’aux Etats Unis, on a le droit d’escroquer les pauvres, mais on n’a pas le droit d’escroquer des riches »
Dominique Manotti

Bernard Madoff purgeait une peine de 150 ans de prison. C’est la justice américaine, en France il n’est pas possible d’être condamné à de telles peines. En outre, il y a toujours des remises de peine lorsque le prisonnier se comporte convenablement en prison. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis. Aux Etats-Unis même vieux on meurt en prison.

Madoff a fini ses jours dans un pénitencier de Caroline du Nord ce mercredi 14 avril 2021.

Est-ce que je vais plaindre ou défendre Madoff ?

Certes non !

Toutefois il convient quand même de s’interroger sur ce que le cas Madoff révèle du monde, et notamment du monde des États-Unis.

Pour ceux qui ne le saurait pas, pendant de longues années, Madoff a escroqué les gens en mettant en place une chaine de Ponzi. C’est-à-dire qu’il incitait des gens à lui confier leur argent et promettait, en sortie, une rémunération de 12 % par an. Quand un des clients demandaient sa mise, Madoff lui versait la rémunération promise à partir du versement en capital de nouveaux entrants.

L’argent n’était pas investi et Madoff vivait grand train avec l’argent dont il disposait grâce à tous les dépôts.

La crise financière lui sera fatale et provoquera sa chute en accélérant la révélation inéluctable de son escroquerie. En effet, la crise incitera un plus grand nombre de ses clients à demander le retour de leur placement et Madoff ne sera pas en mesure d’honorer sa promesse.

Cette chute va entraîner le suicide de l’un de ses fils Mark qui se pendra en décembre 2010. Et Andrew Madoff, son fils cadet, décédera le 3 septembre 2014 d’un cancer.

En janvier 2020, Bernard Madoff déposera une demande de libération anticipée pour raison médicale, indiquant qu’il souffre d’une maladie terminale des reins et n’aurait plus que 18 mois à vivre. Âgé de 81 ans, il ne se déplaçait plus qu’en fauteuil roulant et avec un corset. Mais il ne fut pas libéré et mourut donc en prison.

Guillaume Erner a invité Dominique Manotti, écrivaine, ancienne professeure de l’histoire économique du XIXe siècle parce qu’elle avait écrit un livre : « Le rêve de Madoff » paru en 2013 aux éditions Allia.

Dominique Manotti a expliqué son parcours :

« Il débute très modestement, puis épouse la fille d’un courtier bien installé, dont il hérite du carnet d’adresse. Ensuite, il devient un des principaux acteurs de la nouvelle économie. Lorsque la crise éclate, il a le plus gros cabinet de courtage des Etats-Unis. Il est sur la liste des cinq présélectionnés pour devenir le président de la SEC,  l’organe de contrôle de la Bourse. Et ce n’est pas finit : il a créé le Nasdaq, qui est la deuxième Bourse américaine, entièrement informatisée. C’est une idée géniale qu’il a eu très tôt : dès qu’il a vu arriver les ordinateurs, il a inventé une machine qui couple l’ordinateur sur le téléphone et permet à tout moment d’avoir l’information des Bourses dans l’ensemble du monde. Il a l’intuition que cela va changer la vie financière, et c’est le cas. Enfin, il est devenu le Président du Nasdaq pendant 10 ans ! »

Mais le plus intéressant est la réflexion que cette écrivaine va faire, suite à la question de Guillaume Erner pour savoir pour quelle raison elle s’était intéressée à Madoff.

Le déclic a eu lieu quand elle a entendu le procureur qui s’était occupé de la négociation dans l’affaire Madoff dire :

« C’est le pire criminel que je n’ai jamais rencontré. »

Comme souvent aux États-Unis, il n’y a pas eu procès mais négociation. Madoff a accepté de plaider coupable et il a été condamné à 150 ans de prison. Normalement la négociation a pour but d’accélérer le processus judiciaire et comme contrepartie une peine plus clémente pour celui qui accepte de plaider coupable.

On se demande à quoi il aurait été condamné s’il y avait eu procès ?

Donc pour le procureur c’est le pire criminel !

Alors Dominique Manotti dit la chose suivante :

« C’est le pire criminel que je n’ai jamais rencontré. »

Et là franchement j’ai eu un coup de sang, un coup de colère. Et je me suis du coup beaucoup intéressé au personnage.

Cela arrive quand même en 2012. Il vient d’y avoir la crise de 2008.

On a des millions d’américains, entre 5 et 6 millions d’américains qui ont perdu leurs jobs, perdu leurs maisons dans la crise des subprimes.

Et Madoff n’a escroqué que des riches, environ 30 000 personnes.

En gros, il n’y a absolument aucune sanction contre les responsables des subprimes.

Mais Madoff va se retrouver en prison.

Et donc cette façon de le voir comme le pire des criminels, signifie qu’aux Etats Unis, on a le droit d’escroquer les pauvres, mais on n’a pas le droit d’escroquer des riches. »

C’est une conclusion à laquelle, il faut hélas se résigner. C’est révoltant !

Dominique Manotti ajoute par ailleurs :

« La chaine de Ponzi consiste à avoir continuellement de nouveaux adhérents : l’argent ne produit rien, car on paie les intérêts des anciens avec l’argent des nouveaux arrivants. A mon avis, ce n’est absolument pas ça qui a fonctionné. La réalité est très supérieure à ce qu’on raconte habituellement. La pyramide de Ponzi est une escroquerie très simple, je n’imagine pas un personnage comme Madoff pratiquer une entourloupe aussi simple. D’autant que le taux pratiqué par Madoff était de 12%, c’est énorme pendant 20 ans ! Les gens savaient que de toutes façons il y avait quelque chose d’illégal derrière. »

Ceux qui donnaient leur argent à Madoff et pensait pouvoir récupérer 12% d’intérêt sans fluctuation et sans risque ne pouvait pas ignorer qu’il y avait un problème. Ils ne pensaient pas être victime d’une escroquerie, ils devaient donc penser autre chose.

Dominique Manotti suppose qu’il devait penser à des activités illégales. J’ai lu par ailleurs, sans que Madoff ne l’avoue ou qu’une preuve n’ait pu être établie, que ce système servait aussi à recycler de l’argent sale.

Le destin de Madoff nous dit beaucoup de la manière dont notre société fonctionne.

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Vendredi 18/07/2014

Vendredi 18/07/2014
[Après la sanction des Etats-Unis contre la BNP]
« les autorités européennes, grecques, italiennes… pourraient sanctionner Goldman Sachs pour avoir truqué les comptes publics grecs qui ont permis à Athènes d’entrer dans la Zone euro, et JP Morgan pour avoir vendu des prêts toxiques en Italie. »
Gaël Giraud
Gaël Giraud est ce Jésuite, économiste et directeur de recherche au CNRS qui avait déjà été cité lors du mot du jour du 19 mars 2014.
Dans un article de l’Express, il s’exprimait un peu avant que l’amende ait été définitivement infligée par les Etats Unis à la BNP et donne une suggestion sur le bon usage que l’Europe pourrait en faire.
Il écrit notamment :
«Prétendre que BNP Paribas a respecté les lois françaises ou européennes et que la seule faute qui lui vaut une menace d’amende est l’utilisation du dollar relève de la mauvaise foi: les Etats-Unis ont toujours clairement signifié aux entreprises installées chez eux (où elles gagnent donc de l’argent, les Etats-Unis représentant plus de 10% du chiffre d’affaires de la BNP) qu’elles devaient respecter les embargos américains. Ce n’est pas au titre de l’utilisation du dollar que la première banque française se fait gourmander mais parce qu’elle était parfaitement informée qu’en ne respectant pas ces lois, elle prenait un gros risque. A ce titre, “l’Union Sacrée” qui s’est construite dans la presse française autour de ce qui pourrait devenir un BNPGate, avec ces cris d’orfraies au son de “Il faut sauver le soldat BNP” est confondante.
Autant que je sache, BNP Paribas est poursuivi pour avoir violé des embargos américains (à l’aide de dollars US compensés aux États-Unis) mais aussi pour avoir détruit des documents compromettants, entravant par là le cours de la justice, et accessoirement pour avoir traité les procureurs américains avec l’arrogance dont certains banquiers ne sont plus capables de se départir… J’en conclus, pour ma part, que, si sanction il y a, elle est légitime.
Dix milliards de dollars sont une petite somme pour ce monstre bancaire dont l’actif au bilan (1800 milliards d’euros fin 2013) est proche du PIB français (2000 milliards), et dont les fonds propres pèsent 90 milliards. Au pire, les actionnaires de la banque ne percevront pas de dividendes cette année. Ce sera leur contribution à la précarité dans laquelle les excès financiers (dont font partie les actions qui sont aujourd’hui reprochées à BNP Paribas) ont plongé une bonne partie des citoyens européens.
[…]
La bonne “réponse” à cette offensive de l’administration américaine n’est certainement pas de nous chercher des excuses pour que BNP Paribas échappe à la justice. Au contraire, les autorités européennes, grecques, italiennes… pourraient sanctionner Goldman Sachs pour avoir truqué les comptes publics grecs qui ont permis à Athènes d’entrer dans la Zone euro, et JP Morgan pour avoir vendu des prêts toxiques en Italie. «
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Mercredi 19/03/2014

Mercredi 19/03/2014
«La collusion entre la haute finance publique et la haute finance privée aujourd’hui, paralyse notre société.»
Gaël Giraud
Gaël Giraud est Jésuite et directeur de recherche au CNRS.
Au niveau du cursus français des Etudes c’est le summum : diplômé de l’Ecole normale supérieure d’Ulm et de l’Ensae et docteur en mathématiques appliquées de l’Ecole polytechnique.
En 2009, il est sélectionné pour le Prix du meilleur jeune économiste, remis par le Monde et le Cercle des économistes.
Dans un article à Marianne, il dit tout le mal qu’il pense de la Loi qui aurait dû séparer les activités spéculatives des activités traditionnelles des banques, engagement de campagne du Président actuel..
Et il donne son explication de cette situation, c’est le mot du jour.
L’article de Marianne se trouve <ICI>
Ci-après un extrait :
G.G. : A l’origine, il y a l’excellent engagement du candidat Hollande à séparer les banques de crédit des banques de marché afin de protéger les Français des turbulences des marchés financiers. Les banques, cependant, ont largement rédigé le projet de loi durant l’été 2012. Résultat : le préambule de la loi affirme séparer alors que le corps du texte ne sépare rien.
En pratique, la loi Moscovici-Berger [Karine Berger, rapporteuse du projet de loi, l’a défendu bec et ongles] «contraint» les banques à filialiser au plus 1, 5 % de leurs activités de marché. Or, primo, filialiser ne suffit pas à protéger la maison mère : l’américain American International Group (AIG, le premier assureur au monde) a été mis en faillite, en septembre 2008, par une microfiliale parisienne. Secundo, l’essentiel des activités à risques (trading haute fréquence, trading pour compte propre, transactions avec les hedge funds) reste localisé dans la maison mère. Tertio, la loi bancaire française fusionne le fonds de garantie des dépôts des Français avec le fonds de sauvetage du système bancaire. Banques et fonds spéculatifs peuvent donc puiser dans le fonds de garantie des déposants pour se sauver en cas de crise. Les déposants français ne sont donc plus assurés.
A Dublin, le gouvernement, sous la pression de la troïka [Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international] a osé vider le fonds de financement des retraites des Irlandais pour payer les dettes de ses banques naufragées. Nous, nous légalisons à l’avance un hold-up analogue.
En décembre 2012, j’ai pris l’initiative d’écrire un rapport pour éclairer les parlementaires sur le projet de loi. Bercy a immédiatement produit une contre-note, puis m’a imposé des participants à une table ronde que j’organisais à la Sorbonne sur le sujet, avant de réclamer, en vain, la suppression d’une note de la fondation Terra Nova que j’avais écrite avec une collègue, Laurence Scialom. Un banquier, que je connaissais par ailleurs, a aussi cherché à faire pression sur moi pour me faire taire.
On peut imaginer que vos choix de vie soient difficiles à comprendre pour un banquier. Ils ont opté pour les millions, vous avez fait vœu de pauvreté !
G.G. : Ils craignaient surtout que le débat ne devienne public. Si les Français s’étaient intéressés au projet de loi Moscovici-Berger, il y a fort à parier qu’ils eussent massivement réclamé une authentique séparation. C’est en tout cas l’expérience que je fais toutes les fois que je donne une conférence grand public. Tout a donc été fait, y compris dans l’organisation du calendrier parlementaire, pour que la loi bancaire fût effacée du débat public. Elle a ainsi pu être votée en juillet dernier dans l’indifférence quasiment complète du grand public.
Faut-il comprendre qu’à vos yeux le pouvoir socialiste est plus ou moins à la solde des banques ?
G.G. : En partie, oui. Il est vrai que, sous Sarkozy, les banquiers venaient en visiteurs du soir expliquer à l’Elysée la politique de la France. A présent, le gouvernement simule la mise en œuvre de ses propres promesses.
L’histoire de cette loi bancaire vient d’être racontée par trois journalistes, et elle n’est pas close : récemment, le commissaire européen Michel Barnier a proposé une directive de séparation bancaire qui, si elle reste insuffisante à mes yeux, est nettement plus sérieuse que la loi française. Or, le jour même, le gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, a publiquement déclaré cette proposition «irresponsable». Voilà un haut fonctionnaire qui préside l’instance de régulation du secteur bancaire français et qui se permet de déroger au devoir de réserve auquel ses responsabilités le soumettent, afin de défendre de manière outrancière le seul intérêt des banques.
Ce dérapage, parmi beaucoup d’autres, trahit la collusion entre la haute finance publique et la haute finance privée qui, aujourd’hui, paralyse notre société. Comment s’étonner, ensuite, si l’article 60 du projet de loi de finances 2014 prononce l’amnistie généralisée du secteur bancaire en interdisant aux collectivités locales, éventuellement ruinées, de porter plainte contre les banques qui leur ont vendu des actifs financiers pourris ?
Peut-on dire que le pouvoir des banques est plus important que celui du monde politique aujourd’hui ?
G.G. : Le bilan de BNP Paribas est supérieur au PIB français (en gros, 2 000 milliards d’euros). La course au gigantisme confère à ces banques un pouvoir de chantage considérable, car la France a d’autant moins les moyens d’absorber la faillite d’un tel monstre que le projet européen d’union bancaire, s’il voit le jour, ne permettra pas de sauver nos mégabanques en cas de détresse. Les banques tentent donc de neutraliser les initiatives régulatrices en faisant valoir que tout ce qui nuit à leurs intérêts immédiats les fragilise et que, si elles meurent, nous mourrons tous avec elles. Les règles prudentielles de Bâle III, par exemple, sont peu à peu rendues inoffensives par les amendements que les banques parviennent à arracher au comité de Bâle.
Autre exemple : en janvier 2012, quand il fut enfin question de restructurer la dette publique grecque, il y avait quatre négociateurs au chevet d’Athènes : Merkel, Sarkozy et deux patrons, Pébereau pour BNP Paribas et Ackermann pour Deutsche Bank. La raison immédiate de la présence de ces banquiers, discutant d’égal à égal avec des chefs d’Etat et de gouvernement du sort de la Grèce, est claire : les principaux détenteurs de dette publique grecque n’étaient autres que des banques françaises et allemandes. Et c’est essentiellement pour sauver nos banques que nous avons détruit la société grecque. Confier un tel pouvoir de négociation à des banquiers en dit long sur l’état de la démocratie en Europe : vous imaginez JP Morgan réglant les détails du traité de Versailles ?
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