Mardi 6 novembre 2018

« La Loi Gayssot est contreproductive, car elle fait des négationnistes des martyrs »
Emmanuel Pierrat

Hier, je vous présentais le livre d’Emmanuel Pierrat « Nouvelles morales, nouvelles censures » et j’insistais sur les nouvelles censures qu’il dénonçait concernant l’art, le communautarisme et la morale.

Mais son propos concerne aussi la censure qui s’applique pour différentes raisons, morales, d’auto censures et aussi légales à l’expression d’avis divergents, gênants et même faux.

Je vous renvoie vers l’émission déjà citée hier sur France Inter et qui pose cette question fondamentale : « Faut-il des limites à la liberté d’expression ? »

La semaine dernière j’évoquais la mort de Robert Faurisson, celui que Robert Badinter accusait d’être un faussaire de l’Histoire.

La question est de savoir s’il vaut mieux accepter de le laisser s’exprimer et de le contester par des arguments ou le faire taire et le condamner par la justice s’il refuse de se taire sur ces sujets.

La France a choisi de le faire taire en promulguant différentes lois dont la plus célèbre est la Loi Gayssot du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.

Emmanuel Pierrat est résolument contre ce type de Loi et il dit que : « La Loi Gayssot est contreproductive, car elle fait des négationnistes des martyrs ».

Il en appelle à d’autres opposants à cette Loi comme l’historien Jean-Pierre Azema et surtout Pierre Vidal-Naquet qui fut l’un des premiers et des plus virulents adversaires de Faurisson, un ancien camarade khâgne qu’il a toujours détesté , son père Lucien et sa mère Marguerite sont morts à Auschwitz.

Pierre Vidal-Nacquet était résolument contre ce qu’il appelait les Lois mémorielles, disant que ce n’est pas le rôle du politique de dire ce qu’il faut dire et ne pas dire, mais de la controverse intellectuelle.

Il préconisait plutôt qu’il ait le droit d’écrire une préface à chaque ouvrage de Faurisson.

C’est un débat passionnant qui part de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :

« Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

Les limites reposent dans la définition de l’abus de la liberté.

Dans l’émission de France Inter cité, Emmanuel Pierrat comme Natacha Polony sont pour la liberté d’expression la plus grande possible, alors que Raphaël Glucksman préfère la restreindre quelque peu par précaution et ne pas permettre par exemple de nier l’existence des chambres à gaz sous peine de sanctions.

Emmanuel Pierrat explique qu’en faisant cela, on n’a pas confiance dans l’intelligence des citoyens et on provoque des réactions négatives, complotistes et qui font de « salauds » des martyrs.

Cette question se pose aussi quant à la publication d’une édition critique des pamphlets antisémites de Céline par Gallimard qui suite à des réactions indignées a renoncé en s’autocensurant. Il pourrait aussi être question des écrits de Charles Maurras.

Aux Etats-Unis, la liberté d’expression permet aux opinions racistes et antisémites de s’exprimer, mais critiquer la religion ou publier des caricatures de Mahomet est impossible. On a la censure différenciée !

Si je dois donner mon avis, je reste indéfectiblement confiant dans la démocratie. Et quand on défend la démocratie on croit que collectivement les citoyens sont assez intelligents pour voter. Et s’ils ont assez d’intelligence pour voter, ils sont assez intelligents pour se faire une opinion quand on leur présente des arguments. Dès lors, je pense comme Emmanuel Pierrat qu’il faut laisser la plus large place à la liberté d’expression. On ne peut pas et on ne doit pas interdire tout ce que l’on réprouve. Je reste persuadé que limiter l’expression libre constitue un chemin plus dangereux pour la liberté que la prétention de vouloir préserver le plus grand nombre d’opinions scandaleuses.

Je vous renvoie vers cet excellent débat : « Faut-il des limites à la liberté d’expression ? »

<1140>

Lundi 5 novembre 2018

« Nouvelles censures »
Emmanuel Pierrat

Dans le monde, il n’y a finalement pas beaucoup de pays où la liberté d’expression est respectée.

Le pays le plus peuplée, la Chine, est un exemple parfait de cette triste réalité, il semblerait que même elle exporte son ignoble savoir-faire.

Dans tous les États du monde où la religion est prédominante et impose sa vue à la société, comme en Iran, en Arabie Saoudite ou au Pakistan, il ne saurait exister de liberté d’expression. Les dictatures comme la Corée du Nord ne connaissent pas non plus ce concept déstabilisant.

A un degré légèrement atténué, les démocraties illibérales ou démocratures comme la Turquie, la Russie et la Hongrie ne tolèrent qu’une liberté d’expression très tempérée.

Alors dans nos pays occidentaux, de démocraties libérales, sommes-nous épargnés ? Nous pourrions l’espérer.

Mais ce n’est plus le cas.

Dans nos pays, ce n’est que très rarement l’État et le gouvernement qui exercent cette censure, la censure est aujourd’hui beaucoup plus le fait d’action privée, d’individus, mais surtout d’associations, de ligues et même d’entreprises.

<Facebook a ainsi censuré et fermé le compte d’un internaute>

Parce qu’il faisait l’apologie du terrorisme ou développait des idées racistes ou sexistes ?
Non c’est parce qu’il avait osé publier « L’origine du monde » la célèbre toile de Gustave Courbet réalisé en 1866 et qui montre le sexe nu d’une femme, dont on sait aujourd’hui qu’il s’agit très probablement de Constance Quéniaux.

L’artiste Laina Hadengue, a voulu, quant à elle,  présenter, sur Instragram, son œuvre « le fil des jours » dont vous voyez une copie.

Elle fut immédiatement censurée d’Instagram pour ce bout de sein et son compte fut fermé.

Pour ne se pas retrouver « dans un monde d’images sans pensées », elle vient de lancer un blog « Toute Licence pour l’art » ouvert aux témoignages de tous les artistes, écrivains et autres créateurs victimes de ces nouvelles formes de censures.

Blog que vous trouverez derrière le lien qui se trouve sur le nom de l’artiste.

L’avocat Emmanuel Pierrat explique :

« Les géants des réseaux sociaux ambitionnent de dominer tous les marchés mondiaux ; et donc d’être regardables dans la très catholique Pologne ou la pieuse Arabie Saoudite. (…) On peut regretter que cet excès de moralisme des réseaux sociaux soit contre-productif et participe au contraire à entretenir dans la société un rapport malsain à la nudité. »

Emmanuel Pierrat est très préoccupé par le sujet de la censure sous toutes ses formes, notamment modernes.

Il vient d’écrire un livre très intéressant publié le 11 octobre que j’ai acheté : « Nouvelles morales, nouvelles censures ».

J’ai découvert Emmanuel Pierrat, grâce à deux émissions radio que j’ai écouté :

D’abord la Grande Table d’Olivia Gesbert du 23 octobre 2018 « Y a-t-il une censure “morale” ? »

Puis le « Grand Face à Face d’Ali Baddou » du 27 octobre 2018 : « Faut-il des limites à la liberté d’expression ? »

Pour être complet sort en novembre un autre livre sous sa direction : « Le grand livre de la censure » qui est présenté ainsi :

« La censure est, hélas, aussi éternelle qu’universelle : elle a condamné le philosophe grec Socrate à boire la mortelle ciguë pour avoir prôné la parole libre, et les œuvres de l’artiste contemporain Ai Weiwei sont traquées par des dizaines de milliers de fonctionnaires chinois sur les blogs et les réseaux sociaux. Dans ce Grand Livre de la censure, celle-ci est visitée au gré de ses différentes obsessions : les bonnes mœurs, la religion, la politique et le pouvoir, la préservation de la santé, le maintien de dogmes scientifiques, tout comme la lutte contre le « pacifisme », la drogue, la sorcellerie ou encore le « socialement incorrect ».[…] À travers près de deux cents affaires anciennes ou contemporaines, franco-françaises ou au retentissement mondial, en mêlant les grands scandales qui ont marqué leur époque et d’autres interdictions moins connues méritant d’être sorties de l’oubli, Emmanuel Pierrat fait comprendre que la censure est, depuis toujours, le miroir de l’humanité et de nos peurs. »

Ce sujet me parait particulièrement important, surtout qu’il est devenu dans nos contrées extrêmement insidieux.

Nous sommes des enfants ou des produits de la liberté d’opinion et d’expression, c’est notre oxygène, c’est du moins le mien.

Emmanuel Pierrat est avocat, il a notamment défendu Michel Houellebecq en 2002 pour ses propos sur l’Islam dans “Lire” en 2001. Il raconte comment une ligue musulmane a attaqué Houellebecq et n’a pas réclamé la censure de l’article mais des dommages intérêts de plusieurs centaines de milliers d’euros avec le motif de réparer le préjudice moral subi en raison des propos de l’écrivain.

Ce n’est donc plus l’État qui dans ce cas censure et interdit de publier un livre, le met « à l’index », mais une association privée qui par le biais de la justice et de l’argent entend faire taire les opinions qui lui déplaisent. Cette fois-là c’est Houellebecq et son avocat qui ont gagné le procès.

Ce point est fondamental ce n’est plus l’État qui agit, d’ailleurs Pierrat dit :

« L’État prend de moins en moins position, il est très perdu dans ses repères. »

Dans l’émission la Grande Table, Emmanuel Pierrat raconte que Pasqua avait tenté, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, une telle expérience de censure de livres (il s’agissait notamment d’écrits de défense de la cause homo sexuelle) qui avait tourné au fiasco et depuis, affirme l’avocat, l’Etat n’agit plus sur ce terrain.

Ce sont donc des initiatives privées qui vont chez nous exercer ce vilain métier de censeur.

Quelquefois il s’agit banalement d’intérêts financiers. Emmanuel Pierrat a également défendu Olivier Malnuit, le rédacteur en chef de Technikart, qui avait lancé le site « jeboycottedanone » contre Danone. L’avocat de Danone avait simplement affirmé :

« que la liberté d’information ne devait pas faire oublier la liberté d’entreprendre, qui est tout aussi légitime. »

Dans ces deux cas la censure prend la forme de la menace d’une sanction financière devant dissuader le contrevenant de faire « mauvais » usage de sa liberté d’opinion et peut être même le ruiner.

Mais ce sujet est beaucoup plus vaste et Emmanuel Pierrat, dans son livre « Nouvelles morales, nouvelles censures » énumère de nombreux cas de censure « privée » d’aujourd’hui.

Il commence les 15 chapitres de son livre par : « cachez … » ces auteurs, ces mots, cette histoire qui n’est pas la miennes, ces livres pour enfants, ce passé etc…

Il cite notamment Carmen à l’opéra de Florence (page 39) qui pour l’amateur d’opéra que je suis est particulièrement stupide

En janvier dernier, au Teatro del Maggio à Florence, le Directeur suggère au metteur en scène Leo Muscato de réécrire la fin du célèbre opéra Carmen de Bizet. Vous savez que dans Carmen, qui est à l’origine une nouvelle de Prosper Mérimée, l’héroïne est poignardée à la fin de l’opéra Don José qui est fou de jalousie. Or pour les « pieds nickelés » du théâtre florentin, il ne peut être envisagé au XXième siècle d’applaudir le meurtre d’une femme. Cette remarque défie le sens, on applaudit la puissance dramatique de l’opéra par le meurtre d’une femme. Mais la mise en scène de Leo Muscato nous livre une Carmen qui tire sur son ancien amant pour se défendre et le tue.

Pour Emmanuel Pierrat et pour moi, amputer cet opéra de son dénouement tragique est une trahison et une censure du chef d’œuvre de Georges Bizet.

Dans le premier chapitre « Cachez ces auteurs et ces artistes que je saurais voir » Emmanuel Pierrat pose cette question (page 15) :

« Peut-on encore distinguer une œuvre et la vie de son auteur ? [car] une nouvelle morale semble prendre le pas sur la raison. Certains veulent désormais censurer des créations culturelles au motif que leurs auteurs, voire leur interprètes, auraient eu un comportement moralement blâmable »

Car ces auteurs n’ont, pour la plupart, pas été condamné par la justice et même dans ce cas une fois subi la sanction de la justice, toute personne condamnée à le droit de se réinsérer dans la société. Enfin, il faut distinguer l’œuvre et l’auteur.

Il cite les films de Polanski quel que soit leur propos, ne seraient plus programmables. C’est comme pour Woody Allen pour lequel les appels au boycott se multiplient.

De même deux expositions consacrées à Chuck Close et Thomas Roma, deux artistes américains de renom aux prises avec #MeToo ont été annulées par le National Gallery of Art de Washington.

Alors que dans tous ces cas les œuvres ne posent pas problème, mais on veut interdire l’auteur.

Le deuxième chapitre s’intitule « Cachez la couleur de l’auteur » et Emmanuel Pierrat de citer de multiples exemples où il n’est plus accepté que l’on puisse défendre une cause, réaliser une œuvre artistique au profit d’une cause si l’on n’a pas les caractéristiques ethniques de celles et ceux qui ont subi les violences que l’on dénonce.

Par exemple :

« Au printemps 2007, à l’occasion de la biennale du Whitney Museum de New York. La toile « Open Casket », signée Dana Schutz, s’inspirait d’un cliché très connu du visage déformé d’Emmet Till, un adolescent lynché en 1955. Le hic ? Dana Schutz est une artiste blanche, que plusieurs groupes d’activistes ont accusé de battre monnaie avec un « spectacle dont , en Caucasienne, elle n’a jamais eu à affronter la terrible expérience. La destruction du tableau était demandée et, faute de l’obtenir, les militants se sont relayés pour le masquer aux visiteurs. » (page 34)

Vous voyez une reproduction de cette toile et <Ici> un article qui parle de cet évènement.

« En 2017 ; c’est aussi le film Detroit de Kathryn Bigelow qui se voyait stigmatisé. Son tort ? avoir pour sujet les émeutes raciales de l’été 1967, mais surtout, avoir été réalisé par une cinéaste blanche. Le fait qu’elle soit une femme : sans importance ? oscarisée ? Presque un défaut. » (page 35)

Il n’y a pas que les noirs, dans une pièce de théâtre on a reproché à un metteur en scène d’avoir confié le rôle d’un bossu à l’acteur avec lequel il avait l’habitude de travailler et non à un bossu. (page 37)

Ne croyez pas que la France soit épargnée :

« En août 2016 déjà, un camp d’été « décolonial » était interdit aux personnes blanches car il était « réservé uniquement aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’État en contexte français » (page 36)

Ce mot du jour est déjà particulièrement long et je vous renvoie vers les émissions données en lien et bien sûr à ce petit ouvrage de 158 pages. « Nouvelles morales, nouvelles censures »

Un dernier exemple cependant dans le chapitre « cachez ces livres pour enfants » (page 10) où il rappelle :

« Dans les années 1990, le Front national, lorsqu’il avait gagné quelques mairies du sud de la France s’était lancé dans une croisade contre certains livres proposés dans les bibliothèques municipales. Des années plus tard, en 2014, c’est au tour de Jean-François Copé de vouloir jeter « Tous à poil ! » dans un autodafé médiatique. »

Ces nouvelles censures sont bien plus insidieuses que les anciennes, par la peur des sanctions financières ou tout simplement la crainte des ennuis et des insultes ces manœuvres aboutissent de plus en plus à des réactions d’auto censure qui donnent finalement la victoire aux censeurs à l’esprit étroit qui s’agitent dans ce monde.

Je finirais par la conclusion du livre :

« La culture nous est vitale. Dans sa diversité, avec ses travers, ses hauts et ses bas, ses chefs-d’œuvre et ses classiques, ses avant-gardes et son passé.
C’est ce qui nous fait réfléchir, nous rend humains, nous fait vibrer. C’est une boussole qui nous guide vers la liberté et la créativité.
Ne perdons pas le cap. »

<1139>

Jeudi 20 septembre 2018

« Pour le moment, il semble qu’Huntington soit gagnant »
Francis Fukuyama

Francis Fukuyama, universitaire américain, est devenu mondialement célèbre quand il a écrit et publié en 1992, le livre « La Fin de l’Histoire et le dernier homme ».

Cet ouvrage est contemporain d’un autre écrit en 1996 par un autre universitaire américain spécialiste de science politique : Samuel Huntington qui est l’auteur de « Le choc des civilisations ».

Ces deux livres, écrit tous deux lors de la dernière décennie du XXème siècle, défendent des thèses opposées.

Pour Fukuyama l’Histoire s’achèvera le jour où un consensus universel sur la démocratie libérale mettra un point final aux conflits idéologiques. Et en 1992, pour lui ce jour était très proche. Il a bien sûr pour modèle la démocratie américaine. Il a écrit cet essai alors que l’Union soviétique venait de se dissoudre et que les USA et le monde occidental libéral venait de gagner la guerre froide. Il avait publié, dès 1989, le camp des « démocraties populaires » de l’Europe de l’Est n’étaient déjà plus en grande forme et le mur de Berlin venait de tomber, un article sur ce même sujet : « The end of History ? ».

Wikipedia nous apprend que cet article fut publié par la revue The National Interest puis repris dans la revue française Commentaire no 47, automne 1989.

Huntington commença aussi à écrire d’abord un article « The Clash of Civilizations ? » en 1993 dans la revue Foreign Affairs.. Wikipedia nous apprend que cet article est inspiré de l’ouvrage de Fernand Braudel : « Grammaire des civilisations ». Et comme Fukuyama il va développer cet article pour en faire un livre, traduit en France en 1997 aux éditions Odile Jacob.

Je cite Wikipedia qui décrit cela fort bien :

« Dans un premier temps, les guerres avaient lieu entre les princes qui voulaient étendre leur pouvoir, puis elles ont eu lieu entre États-nations constitués, et ce jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Puis la révolution russe de 1917 a imposé un bouleversement sans précédent, en ce qu’elle a promu une idéologie. Ainsi, dès ce moment, les causes de conflits ont cessé d’être uniquement géopolitiques, liées à la conquête et au pouvoir, pour devenir idéologiques. Cette vision des relations internationales trouve son point d’aboutissement dans la Guerre froide, celle-ci ayant institué l’affrontement de deux modèles de société.

Cependant, la fin de la Guerre froide marque un nouveau tournant dans les relations internationales.

Huntington nous dit qu’il faut désormais penser les conflits en termes non plus idéologiques mais culturels : « Dans ce monde nouveau, la source fondamentale et première de conflit ne sera ni idéologique ni économique. Les grandes divisions au sein de l’humanité et la source principale de conflit sont culturelles. Les États-nations resteront les acteurs les plus puissants sur la scène internationale, mais les conflits centraux de la politique globale opposeront des nations et des groupes relevant de civilisations différentes. Le choc des civilisations dominera la politique à l’échelle planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des batailles du futur1. »

En effet, les opinions publiques et les dirigeants seraient nettement plus enclins à soutenir ou à coopérer avec un pays, une organisation proche culturellement. Le monde se retrouverait alors bientôt confronté à un choc des civilisations, c’est-à-dire une concurrence plus ou moins pacifique, à des conflits plus ou moins larvés, tels ceux de la Guerre froide, entre blocs civilisationnels. Huntington définit les civilisations par rapport à leur religion de référence (le christianisme, l’islam, le bouddhisme…), et leur culture. Il définit sept civilisations et potentiellement une huitième : Occidentale (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord, Australie…), latino-américaine, islamique, slavo-orthodoxe (autour de la Russie), hindoue, japonaise, confucéenne (sino-vietnamo-coréenne) et africaine. »

Les attentats du 11 septembre 2001 et l’émergence d’organisation terroristes islamiques visant à pousser à un affrontement entre le monde musulman et l’occident ont donné du crédit à sa thèse.

Il y a deux différences entre ces penseurs.

La première n’est pas essentielle, mais elle m’est personnelle j’ai acheté l’ouvrage d’Huntington et je l’ai parcouru. Je le lirai probablement un jour. Je n’ai pas acheté l’ouvrage de Fukuyama et je n’ai pas l’intention de le faire.

La seconde différence est que ces deux ouvrages n’ont pas été écrits à la même période de la vie de leur auteur.

Samuel Huntington avait près de 70 ans quand il a écrit « Le choc des civilisations ». Il était né en 1927 à New York, diplômé de l’université Yale à dix-huit ans, il débute sa carrière d’enseignant à vingt-trois ans à l’université Harvard dans laquelle il travaillera 58 ans. Il a aussi été membre du Conseil de sécurité nationale au sein de l’administration Carter. Et Samuel Huntington est décédé en 2008.

Francis Fukuyama, né en 1952 a écrit son ouvrage à 40 ans et il vit toujours.

En raison de cette situation inégalitaire, aujourd’hui seul ce dernier peut encore s’exprimer.

Brice Couturier, dans son émission <Le tour du monde des idées> du 14 septembre, nous apprend que Fukuyama reconnaît que Huntington avait raison. Mais profitant d’être le rescapé du débat, il émet des nuances et ne reconnaît qu’en partie la supériorité de son rival.

Brice Couturier explique :

« Souvenez-vous du début des années 1990 […]

A cette époque, s’affrontaient deux visions de l’histoire rivales. Celle de Samuel Huntington et celle de Francis Fukuyama.

Huntington […] prédisait que ce qui allait succéder à la lutte entre les Etats-Unis et l’URSS. La guerre froide, disait-il, avait gelé un certain nombre de conflits latents. A présent, ce qui allait faire retour, ce serait les conflits entre blocs culturels, entre grandes civilisations. Et il mettait en garde en particulier contre les turbulences qui agitaient le monde musulman : les frontières de l’islam sont sanglantes, disait-il. Partout où la civilisation islamique entre en contact avec une autre, il y a conflit.

En France, il fut vilipendé, mis à l’index. Nul besoin d’exposer ses thèses. Il suffisait de les condamner sans les connaître. Mais je me souviens qu’en Pologne, où j’arrivai cette année-là, il était considéré comme un oracle.

A la même époque, en 1992, dans «La fin de l’histoire et le dernier homme», Fukuyama nous annonçait un tout autre scénario. En gros, le modèle libéral, démocratique et capitaliste, avait vaincu son dernier adversaire. Ses réussites matérielles étaient tellement éclatantes que toute l’humanité tôt ou tard s’y convertirait. Bientôt, le monde entier ne serait plus qu’un seul unique et vaste marché, dont les conflits sanglants aurait disparu. Le tragique avait déserté l’histoire. Il fallait célébrer notre humanité réconciliée sous l’égide de l’Empire américain bienveillant. Cette année-là, Bill Clinton, élu président des Etats-Unis, semblait incarner le « fukuyamisme »…

Un quart de siècle plus tard, alors qu’Huntington est décédé depuis 10 ans, Fukuyama, publie une étude sur la pensée de son rival.

Dans la revue The American Interest, Fukuyama écrit : « Pour le moment, il semble qu’Huntington soit gagnant ». « Le monde d’aujourd’hui n’est pas en train de converger autour d’un gouvernement démocratique et libéral, comme cela semblait être le cas il y a une génération. » Il y a, une « récession démocratique ». « De grands pouvoirs autoritaires, comme la Russie et la Chine, sont devenus sûrs d’eux et agressifs. » Les démocraties libérales ont perdu de leur pouvoir de séduction à cause de la crise financière de 2008. Elles sont menacées en interne par la montée des populismes.

Car le clivage droite/gauche fait progressivement place à un autre, fondé sur les questions d’identité culturelle, ce qui, encore une fois, semble donner raison à Huntington.

Il n’avait pas tort aussi de prédire un retour en force du religieux dans l’espace politique. Le Moyen-Orient, l’Inde et même les Etats-Unis semblent lui donner raison. ».

C’est ensuite que viennent les nuances :

« Mais la religion n’est plus que l’une des composantes de l’identité culturelle, parmi beaucoup d’autres. Et ça, Huntington ne l’avait pas vu venir.

L’identité sexuelle est au moins aussi déterminante, comme le démontrent les mouvements des femmes dans des pays comme l’Iran. L’appartenance nationale redevient essentielle au Japon, en Chine et en Corée, en opposition, malgré leur commune appartenance à la « civilisation confucéenne ». Et le fait que la Russie et l’Ukraine relèvent de la même civilisation « orthodoxe » n’empêche pas la première de livrer à la seconde une guerre larvée.

Quant au monde musulman, même s’il correspond mieux que d’autres à la définition de la civilisation que proposait Huntington, en raison du concept d’Umma, communauté des croyants, il n’en est pas moins profondément divisé entre sunnites et chiites.

La vie politique s’est redéployée autour de la notion d’identité. Pas selon les clivages civilisationnels, annoncés par Huntington.

Non, le concept d’identité, tel qu’il a redéfini l’espace politique, ces dernières années, n’a pas grand-chose à voir avec « les civilisations » de Huntington. Il provient de l’idée que nous avons « un moi intérieur caché », qui nous rattache à d’autres, et dont la dignité est ignorée ou méprisée par la société environnante. Ces identités veulent être reconnues. Elles sont instrumentalisées par des leaders qui en font un usage politique.

Huntington croyait que les individus allaient faire allégeance aux grandes civilisations mondiales, aux dépends de leur appartenance nationale. Il s’est trompé. La politique des identités fracture les sociétés en groupes de plus en plus minoritaires. L’affirmation identitaire ne mène pas à la solidarité inter-civilisationnelle, mais à un fractionnement sans fin des nations. Et les Etats-Unis offrent l’un des exemples les plus frappants. »

Probablement que Huntington n’avait pas tout prévu. Les prévisions sont toujours périlleuses surtout quand elle concerne l’avenir.

Mais la Fin de l’Histoire était une vaste blague. Le monde des idées et des organisations politiques divergent. La démocratie libérale ne constitue plus un objet de désir pour beaucoup et notamment les jeunes comme le relate Yascha Mounk sur lequel je reviendrai un jour prochain.

Et concernant le choc des civilisations, s’il ne s’inscrit pas précisément dans le cadre des civilisations anciennes tel que le décrivait Huntington, il existe de vraies divergences d’aspiration et d’idéologie aujourd’hui dans le monde.

Tout ceci nous fait quand même songer que la civilisation humaine dans son ensemble est aujourd’hui en grande difficulté, parce qu’elle n’a pas suffisamment respecté les limites de sa terre nourricière qui lui a permis jusqu’à aujourd’hui de se déployer. Peut-être que le vrai choc sera celui de la civilisation humaine avec les réalités et les limites de la nature et de son lieu de vie.

<1113>

Lundi 16 avril 2018

« Mais sans la confiance du peuple, aucun Etat ne saurait tenir ! »
Confucius

Peut-être que certains pensaient que je réagirais aujourd’hui à l’entretien d’hier entre le Président de la République avec Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin. Entretien qui a été tenu au Palais de Chaillot où fut proclamée, en 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Je ne le ferai pas !

Quoi que …

Je vais aujourd’hui vous parler de l’émission du 5 avril 2018 «du Grain à moudre» d’Hervé Gardette qui posait cette question surprenante : «Platon, Confucius : qu’ont-ils encore à nous dire ?»

Platon (né −428/−427 et mort en −348/−347 à Athènes) est probablement le plus célèbre philosophe de la Grèce classique, au temps de la démocratie athénienne. Il est un élément central de la pensée occidentale et a marqué l’Histoire de la Philosophie

Confucius n’est pas de notre culture. Il a vécu un siècle avant Platon (né – 551 et mort en – 479), plus précisément d’après ces dates, toujours sujets à caution à cette époque, il serait mort environ 50 ans avant la naissance de Platon. Confucius est évidemment le philosophe chinois le plus connu. Selon beaucoup, il est le personnage historique qui a le plus marqué la civilisation chinoise, et est considéré comme le premier « éducateur » de la Chine. Son enseignement a donné naissance au confucianisme, doctrine politique et sociale érigée en religion d’État dès la dynastie Han et qui ne fut officiellement bannie que dans la Chine communiste et maoïste du XXe siècle.

Mais, dans la Chine contemporaine, post maoïste, on observe un retour massif vers Confucius comme l’explique Anne Cheng, titulaire de la chaire « Histoire intellectuelle de la Chine » au Collège de France

Je pense que le journaliste, Hervé Gardette, a eu l’idée de cette émission en raison du livre que vient de publier, l’un des deux invités de l’émission : Roger-Pol Droit. Son livre a pour titre : « Et si Platon revenait »

Ce livre est présenté ainsi :

« Platon observe nos smartphones, croise nos migrants, découvre les attentats terroristes, scrute nos dirigeants politiques. Roger-Pol Droit lui fait rencontrer Teddy Riner, Bob Dylan, Thomas Pesquet, l’emmène à la COP 21, au MacDo, à Pôle Emploi, au Mémorial de la Shoah, l’incite à visionner House of Cards, à écouter Emmanuel Macron et Donald Trump. Entre autres. Pour jouer ? Evidemment. Mais pas seulement.
Cette promenade dans notre actualité du père fondateur de la philosophie permet de découvrir des traits essentiels de sa pensée, en expérimentant des écarts entre nous et lui, en testant ce qu’il comprendrait aisément, ou pas du tout. Finalement, ce périple montre ce que Platon nous indique d’essentiel, que nous ne verrions pas sans lui. »

Dans l’émission Roger Pol Droit, revisite la célèbre allégorie de la caverne exposée par Platon dans le Livre VII de La République :

« Si Platon revient et qu’il voit nos smartphones, il pensera que c’est la caverne portable. »

C’est donc cette proposition de Roger Pol Droit de tenter de regarder le monde contemporain à travers le regard de Platon, du moins le regard de Platon revisité par Roger Pol Droit qui a été à l’origine de cette émission..

Selon la présentation de Roger Pol Droit, Platon est quand même un penseur problématique en cela qu’il se méfie énormément de la démocratie et qu’il prône l’émergence d’un homme nouveau, comme certains régimes totalitaires ont voulu réaliser cette utopie assez perverse selon les leçons de l’Histoire.

Roger Pol Droit explique que Platon a vécu un traumatisme dans sa vie : il a assisté à la condamnation à mort par la démocratie athénienne, de son maître, de celui qu’il respectait et aimait plus que tout au monde, l’homme qu’il considérait comme le plus sage : Socrate. Platon a tiré comme conséquence qu’un régime qui arrive à un tel résultat ne peut pas être bon. Il a donc cherché à trouver d’autres voies.

L’intelligence d’Hervé Gardette a été d’inviter à côté de cette vision de Platon qui prône un « homme nouveau », le grand penseur chinois « Confucius » qui lui ne suit pas cette voie et préfère s’inscrire dans la réalité et la tradition.

Pour ce faire, Anne Cheng déjà évoqué au début de l’article a été le second invité de l’émission.

Anne Cheng qui a publié en 1997 : « Histoire de la pensée chinoise » au Seuil s’était notamment fait remarquer par une traduction, accompagnée d’une introduction et de notes pour présenter la Pensée de Confucius : «Entretiens de Confucius» .

Lors de cette émission passionnante, Anne Cheng m’a appris que le rapprochement entre Confucius et Socrate était beaucoup plus judicieux qe celui avec Platon, car le grand sage chinois n’a jamais rien écrit, ce sont ses disciples qui ont recueilli ses pensées.

Lors de l’émission, c’est la pensée de Confucius qui m’a paru la plus féconde et peut être même la plus adaptée au monde moderne.

Par exemple quand Anne Cheng dit :

« Pour Confucius l’important c’est de ne jamais oublier que nous sommes humains. »

C’est quand même une belle idée à l’époque des transhumanistes ou de ces gouvernants publics et privés qui croient que l’homme se résume à un homo économicus.

Mais ce que je voudrai surtout partager avec vous, c’est un petit extrait des entretiens de Confucius qu’Hervé Gardette a cité : Un homme Zigong pose des questions à Confucius :

“Zigong – Qu’est-ce que gouverner ?

Le Maître – C’est veiller à ce que le peuple ait assez de vivres, assez d’armes et s’assurer de sa confiance.

Zigong – Et s’il fallait se passer d’une de ces trois choses, laquelle serait-ce ?

Le Maître – Les armes.

Zigong – Et des deux autres, laquelle serait-ce ?

Le Maître – Les vivres. De tout temps, les hommes sont sujets à la mort. Mais sans la confiance du peuple, Aucun État ne saurait tenir

Anne Cheng a dit sa satisfaction d’avoir cité cet extrait qui lui paraît particulièrement important et elle a ajouté :

« Je regrette que les hommes politiques d’aujourd’hui ne lisent pas davantage Confucius. Il leur apprendrait à mieux comprendre les priorités. »

« Sans la confiance du peuple… »

Je vous propose d’écouter cette émission très intéressante : « Platon, Confucius : qu’ont-ils encore à nous dire ? »

Je finirai par une autre citation de Confucius, cité dans un autre entretien par Anne Cheng :

« Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions. Confucius »

<1057>

Mardi 20 mars 2018

« La valeur de l’information »
Edwy Plenel

Un pré-projet avait été mis en ligne le 2 décembre 2007, mais le lancement du journal en ligne : Mediapart date du 16 mars 2008, il y a dix ans.

Mediapart a dix ans !

A son lancement Alain Minc avait été catégorique : « Cela ne marchera jamais ».

Soyons précis : <Aller voir cette vidéo sur Youtube> et reprenons ce qu’il dit :

« La presse sur le net ne peut être que gratuite, la presse payante sur le net ne peut pas marcher »

Vérité des textes, lien vers les sources, il n’y a que cela de vrai !

Mediapart a réalisé une presse payante sur le net et cela marche.

Pour ces 10 ans, Edwy Plenel a publié un livre : « La valeur de l’information » qui est paru le 8 mars 2018.

La valeur cela signifie qu’il est important de disposer d’une information de qualité dont on peut raisonnablement penser qu’elle est juste et vérifiée.

L’information peut aussi être révélée et avoir cette valeur qu’elle nous permet de mieux comprendre les enjeux, les comportements de certains et aussi leurs intérêts. Il est fondamental dans une démocratie de savoir que le Ministre du budget, le patron des services du contrôle fiscal est un fraudeur.

Certains jeunes dont mon fils pensent que les journaux et probablement les journalistes sont inutiles dans le monde qui vient. Le réseau, le réseau des amis sur lesquels on peut se fonder suffisent pour être bien informé. La masse des individus saura toujours plus que quelques journalistes et quelques précautions de recoupement permettraient alors de s’assurer d’une information solide et sérieuse.

Je n’y crois pas un seul instant.

Qu’est-ce qu’un bon journaliste ? C’est une femme ou un homme qui cherche de l’information et qui la vérifie.

Un journaliste, un vrai c’est une femme ou un homme courageux qui va défendre la liberté non pas pour lui mais pour la démocratie, pour les autres.

Un journaliste, un vrai peut avoir beaucoup d’ennui. On parle beaucoup de mai 1968 en ce moment, mai qui a commencé le 22 mars 1968, ou peut-être même le 18 mars et après mai il y eut une vraie purge des journalistes à la télévision et à la radio de l’époque, ils ont perdu leur emploi s’ils avaient été trop critiques par rapport au gouvernement ou trop bienveillants par rapport au mouvement de mai.

C’était il y a cinquante en France.

Aujourd’hui la Turquie porte le nom peu enviable <de plus grande prison de journalistes du monde>

Des journalistes perdent la vie lors de conflits qu’ils veulent suivre pour informer le monde.

Mais des journalistes sont aussi assassinés parce qu’ils font leur métier et qu’ils le font bien.

Et cela est même le cas dans notre douce Union européenne : Daphne Caruana Galizia a été assassinée sur l’ile de Malte en 2017, et en 2018 c’est en Slovaquie que Jan Kuciak a été tuée.

Un journaliste peut donner sa vie pour produire ce minerai d’une valeur inestimable pour la liberté et la démocratie : l’Information.

Alors la valeur de l’information c’est aussi un prix qu’il faut payer.

Quand vous voulez un service de qualité ou un produit de qualité vous faites appel à un professionnel, et ce professionnel vous le payez.

Quand vous voulez une information de qualité, vous faites appel à un professionnel et ce professionnel est un journaliste.

Pour ma part, je suis abonné à Mediapart depuis le scandale Cahuzac,

Edwy Plenel m’énerve souvent, il a parfois des réactions totalement disproportionnées notamment lors de son conflit avec Charlie Hebdo. Mais il a créé un site de qualité, indispensable à la démocratie et à la liberté. Mais pour y accéder il faut payer, parce que ce que vous y trouvez possède de la valeur.

Il était invité de Laurent Ruquier du 17 mars 2018.

Et il est revenu sur l’affirmation péremptoire d’Alain Minc :

« Alain Minc est une boussole qui montre toujours le Sud. Il nous a servi. Nous avons fait de la pub : Comme il [Alain Minc] s’est toujours trompé, abonnez-vous à Mediapart. Et en fait cela nous a ramené beaucoup d’abonnés…»

Mais il a été juste, Minc n’était pas seul : « Personne n’y croyait, Laurent, Personne !» a-t-il lancé à Ruquier.

Il a aussi insisté sur l’intérêt du numérique qui permet de créer une relation de confiance entre les journalistes et les lecteurs qui peuvent réagir et aussi écrire, critiquer bref participer.

Mediapart a aujourd’hui 140 000 abonnés, 45 journalistes..

C’est eux qui étaient en pointe sur l’affaire Bettencourt, Cahuzac et maintenant sur l’affaire que Plenel désigne comme le plus grand scandale d’Etat, c’est-à-dire le financement par le dictateur de Lybie, Kadhafi, de la campagne présidentielle de 2007 de Sarkozy, affaire que Plenel affirme être certaine.

Dans toutes ces affaires il est question d’énormes sommes d’argent détournées du bien public, de fraude fiscale, c’est-à-dire toutes ces dérives qui affaiblissent la solidarité et la démocratie.

Edwy Plenel donne cette mission aux journalistes : « Apportez des informations d’intérêt public » et il cite un autre journaliste qui dit :

« Ce sont les journalistes qui lèvent des lièvres mais c’est à la société de s’en emparer ».

L’échange lors de l’émission de Ruquier fut très intéressant et même émouvant quand il fut question du père : Alain Plenel qui fut vice recteur en Martinique et fut aussi persécuté par le pouvoir en raison de son esprit de liberté et de justice.

Alors oui l’information a de la valeur et il faut savoir la payer.

<1040>


Mercredi 7 février 2018

« Réflexions sur la démocratie libérale »
Réflexions personnelles après des années de butinage.

Quand je suis né en 1958 : L’Espagne, le Portugal, la Grèce n’étaient pas des démocraties.

La Russie soviétique, bien qu’en pleine déstalinisation 2 ans après le rapport Khrouchtchev, restait un État totalitaire sans liberté, où les camps du goulag continuaient à être très actifs et ou des opposants pouvaient être enfermés dans des asiles psychiatriques dans lesquels ils étaient soumis à des tortures psychologiques. Car dans cet État, il n’y avait pas d’opposants mais uniquement des dissidents qui en contestant le régime pouvaient être considérés comme des fous.

Et que dire de la Chine ?

En 1958, Mao allait lancer ce qu’il a appelé le « grand bond en avant », un programme économique désastreux qui allait provoquer environ 45 millions de morts et ouvrir une crise de régime. Et c’est ainsi qu’allant toujours plus loin dans la terreur et la tyrannie Mao allait lancer la révolution culturelle en 1966.

Dire que la Chine n’est pas une démocratie constitue une litote.

Un des premiers mots du jour avait été consacré au premier article surréaliste de la constitution de la Chine.

« La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature démocratique populaire dirigé par la classe ouvrière et fondé sur l’alliance entre ouvriers et paysans. Le système socialiste est le système fondamental de la République populaire de Chine. Il est interdit à toute organisation ou tout individu de porter atteinte au système socialiste. »

Mais mis à part la Chine, aujourd’hui tous ces pays sont devenus des démocraties après plusieurs étapes jusqu’à l’effondrement de l’Union Soviétique en 1991.

C’est alors que le politologue américain Francis Fukuyama publie, en 1992, « The End of History and the Last Man », donc « La Fin de l’histoire et le Dernier Homme ». Dans cet essai, il affirme que la fin de la Guerre froide marque la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme (concept de démocratie libérale) sur les autres idéologies politiques. Pour lui, si des troubles pouvaient surgir de la dislocation du bloc de l’Est, la suprématie absolue et définitive de l’idéal de la démocratie libérale était certaine. Il était donc certain que la démocratie libérale s’imposerait effectivement dans tous les pays du monde.

Et la Chine ?

La Chine s’étant lancé dans l’économie de marché, il était inéluctable qu’elle évolue par étape vers la démocratie libérale.

En 2018, 26 ans après l’essai de Francis Fukuyama où en sommes-nous ?:

1° La chine n’a pas fait le moindre pas vers la démocratie libérale. Son système économique florissant, de plus en plus innovant, c’est en Chine qu’a été réussi le premier clonage de primate, évoqué lors d’un mot du jour récent, semble mener de manière inéluctable l’Empire du milieu vers la place de premier du classement économique du PIB mais sans passer par la case démocratie libérale.

Bien au contraire, j’ai évoqué à deux reprises ce système que le gouvernement appelle « Le Crédit social » et qui constitue un système national de réputation des citoyens. Chaque citoyen se voit attribuer une note, dite « crédit social », fondée sur les données dont dispose le gouvernement à propos de leur statut économique et social.. Le système repose sur un outil de surveillance de masse et utilise les technologies d’analyse du big data. Il est également utilisé pour noter les entreprises opérant sur le marché chinois. Ce que cela dit c’est que la République Populaire de Chine, prend exactement le sens inverse de la démocratie libérale et réalise pleinement le cauchemar de Big brother imaginé par George Orwell.

Un certain nombre d’États dont on pouvait penser qu’ils allaient évoluer vers la démocratie libérale ont inventé un nouveau concept : « la démocrature »

La démocrature est un néologisme qui associé le mot « démocratie » et le mot « dictature ». Il semble être apparu à travers le nom d’un ouvrage de Max Liniger-Goumaz, économiste et sociologue suisse: La démocrature, dictature camouflée, démocratie truquée   publié en 1992. Notons que la Chine avait déjà associé ces deux mots dans sa constitution cité en début d’article : « État socialiste de dictature démocratique »

Viktor Orban, le chef de l’exécutif hongrois, dont le régime est un exemple de démocrature avait utilisé un autre terme : « La démocratie illibérale ». <Un mot du jour de mars 2015> avait été consacré à ce concept et à Viktor Orban.

Cet article débutait ainsi :

« La Hongrie est depuis 4 ans gouvernée par un Premier ministre, Viktor Orbán, et son parti le Fidesz. […] Le 26 juillet 2014 lors de l’université d’été de son parti il a inventé ce concept d’un Etat« illibéral » qu’on peut aussi traduire par « non libéral ». Viktor Orban n’a pas dit ce qu’il entend par « Etat non libéral («illiberális») », mais il a cité ses modèles :  la Russie, la Chine et la Turquie. »

Ce mot est plus juste que démocrature, il dit clairement que ce régime entend être démocrate, c’est-à-dire continuer à convoquer des élections pour que le Peuple désigne ou semble désigner ses gouvernants.

Mais pour le reste, il n’est pas libéral. Ce qui signifie que les contre pouvoirs sont neutralisés (Cour constitutionnelle, Justice, Journaux) et que l’opposition ne trouve pas de place pour s’exprimer et n’est tout simplement pas respectée.

La démocratie libérale constitue un régime agréable à vivre, parce la liberté de penser est assurée, que des contre pouvoirs empêchent le pouvoir exécutif et l’administration d’agir sans contrôle contemporain et que l’opposition, c’est-à-dire les représentants de la minorité qui a été battue aux élections sont respectés et trouvent leur place dans l’organisation du pouvoir.

Les conséquences :

En Turquie <Reporter sans Frontière> explique ce que cela signifie :

« Avec 72 professionnels des médias actuellement emprisonnés, dont au moins 42 journalistes et 4 collaborateurs le sont en lien avec leur activité professionnelle, la Turquie est la plus grande prison du monde pour les journalistes. »

La Turquie qui était une démocratie dont on avait salué la dynamique et la remarquable évolution, notamment en permettant à l’opposition représentée par Erdogan d’arriver au pouvoir en 2003 contre le parti des kémalistes.

En Russie, Le régime de Poutine interdit de manière fallacieuse aux principaux opposants de se présenter aux élections contre lui, ne laissant que des faire-valoir se présenter. C’est aussi en Russie que des journalistes faisant trop d’investigations sont assassinés. Ainsi de Anna Politkovskaïa auquel j’ai consacré un mot du jour : « Qu’ai-je fait ?…J’ai seulement écrit ce dont j’étais témoin.»

Poutine, Erdogan, Orban sont rejoints maintenant par le gouvernement polonais qui prend le même chemin.

L’économie pour la Chine, l’ordre pour les autres constituent en interne un ferment d’adhésion fort et même dans certaines fractions de nos démocraties qui restent libérales quelque chose comme une envie de régime fort…

Et même nos gouvernements, notamment pour « lutter contre le terrorisme » commence à attaquer la liberté de penser et à mettre des « coins » dans la séparation des pouvoirs.

C’est ce qui a fait dire à François Sureau devant le Conseil Constitutionnel

« La liberté de penser, la liberté d’opinion, […] n’existent pas seulement pour satisfaire le désir de la connaissance individuelle, le bien-être intellectuel de chaque citoyen. […] Elles [existent]  aussi parce que ces libertés sont consubstantielles à l’existence d’une société démocratique »

C’est très inquiétant.

Les peuples de l’Union européenne semblent toujours en démocratie libérale, mais une démocratie dévitalisée

Quand j’évoque l’Union européenne, le paragraphe précédent limite tout de suite ce propos pour en écarter les régimes hongrois et polonais et même tchèques qui prennent aussi une voie problématique.

Nous sommes face à un dilemme dans l’économie de la mondialisation, chacun des États européens ne pèsent plus grand-chose, seule l’Union européenne peut jouer un rôle déterminant devant la puissance des Etats-Unis, de la Chine et des GAFA.

Mais l’Union européenne n’est pas une démocratie.

C’est Philippe Séguin dans son discours du 5 mai 1992 sur la ratification du traité de Maastricht qui l’a dit de la manière la plus tranchée :

« Pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe
un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !  »

Nous votons dans la circonscription nationale mais les décisions structurantes ont été prises auparavant non par « L’Europe » mais par les exécutifs nationaux dans le cadre de négociation européenne, et ont été figés dans des traités.

Dès lors, le vote national ne peut plus guère avoir de conséquences et la population semblent se résoudre qu’une même politique économique se poursuivent malgré les alternances.

Quelquefois, les technocrates européens se trahissent et dévoilent cette réalité :

  • «Ne vous inquiétez pas, en Europe nous avons le système qui permet de ne pas tenir compte des élections.» a dit un fonctionnaire européen à Raphael Glucksmann <mot du jour du 25 mars 2015>
  • « Doit-on déterminer notre politique économique en fonction de considérations électorales ? » avait questionné Manuel Barroso et dans son esprit la manière de poser la question manifestement conduisait vers une réponse négative. Notre politique économique ne doit pas tenir compte des élections <mot du jour du 5 mars 2013>
  • «Je voudrais également savoir comment la France prévoit de se conformer à ses obligations de politique budgétaire en 2015, conformément au pacte de stabilité et de croissance. » a exigé Jyrki Katainen, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires du gouvernement désigné suite à des élections en France <mot du jour du 27 octobre 2014 >

Croire que cette situation n’abime pas la démocratie libérale me semble particulièrement naïf.

Les conséquences sont simples : une augmentation de l’abstention et une montée des partis extrémistes.

Et nous arrivons à la quatrième menace contre la démocratie libérale qui devait triompher selon Fukuyama : les GAFA et les entreprises numériques.

Je vous renvoie vers tous ces mots du jour :

18 mai 2016 : « Une course à mort est engagée entre la technologie et la politique. » Peter Thiel un des fondateurs de Paypal, cité par Marc Dugain et Christophe Labbé dans leur livre « L’Homme nu »

10 mai 2016 « Il faut considérer la Silicon Valley comme un projet politique, et l’affronter en tant que tel. » Evgeny Morozov

2 mars 2016 « Le pouvoir des GAFA c’est d’être la porte d’entrée du monde vers vous, « individu » et la porte d’entrée de l’individu sur le monde » Olivier Babeau

Et bien sur ce que Yuval Nopah Harari dit sur ce sujet : <Sapiens>

Et pour finir, cette analyse du sociologue Zygmunt Bauman :

3 mars 2016 : « S’enfermer dans […] une zone de confort, où le seul bruit qu’on entend est l’écho de sa propre voix, où la seule chose qu’on voit est le reflet de son propre visage.».

Cette zone de confort qui nous interdit de plus en plus le débat, beaucoup n’écoutent plus que celles et ceux avec qui ils sont d’accord.

Les matins de France Culture sont allés à Chicago, un an après la victoire de Trump. Une femme politique américaine, adversaire de Trump, faisait ce constat :

« Nous n’avons plus rien de commun avec ce peuple qui vote Trump, nous ne nous parlons plus, nous ne nous écoutons plus, nous ne regardons pas les mêmes sources d’information, quand l’un parle l’autre croit qu’il s’agit de fake news »

Ma certitude que la démocratie libérale s’imposerait forcément sur la planète a beaucoup régressé.

Ma compréhension et ma connaissance des éléments qui mettent en danger la démocratie libérale ont progressé.

Mais mon souhait de continuer à vivre dans une démocratie libérale reste intact.

<1013>


Lundi 23 janvier 2017

« Il est toujours utile qu’une démocratie se renouvelle. […] Quelqu’un arrive avec de nouvelles idées qui sont peut être totalement contraires aux miennes. Peut-être y aura-t-il des reculs, mais cela donne la possibilité à une démocratie de tester des idées. »
Barack Obama, s’exprimant sur l’arrivée de Donald Trump à la tête de la démocratie américaine

Et Barack Obama est parti de la maison blanche, Donald Trump est Président des Etats-Unis !

Et Barack Obama est parti de la maison blanche, Donald Trump est Président des Etats-Unis.

On peut examiner ce passage comme le montre ce dessinateur : http://www.koreus.com/image/barack-obama-quitter-maison-blanche.html

Mais Obama n’a pas tenu un discours dans ce sens, on lui a demandé de s’exprimer sur Donald Trump

« C’est quelqu’un qui ne manque pas de confiance en lui. C’est un bon point de départ pour ce job. Vous devez être suffisamment fou pour vous en croire capable. Je pense qu’il n’a pas passé beaucoup de temps pour peaufiner sa politique. Ce qui peut être à la fois une force et une faiblesse. Si cela lui donne un regard nouveau cela peut être profitable, mais il faut aussi avoir conscience de ce que vous savez et de ce que vous ne savez pas. Il me semble assez juste de dire que nous sommes des opposés d’une certaine manière. »

Et puis répondant à une autre question, Barack Obama élève encore une fois le débat et administre une leçon de démocratie :

« Il est toujours utile qu’une démocratie se renouvelle. Et c’est une partie du message que j’ai passé à mon équipe et à mes partisans après cette élection qui a provoqué beaucoup de déception. Ce que je leur ai dit c’est que nous avons fait du très bon travail. Quelqu’un arrive avec de nouvelles idées qui sont peut être totalement contraires aux miennes. Peut-être y aura-t-il des reculs, mais cela donne la possibilité à une démocratie de tester des idées. Et pour ceux qui ont perdu de reprendre leur souffle et de retrouver leur énergie pour offrir plus de progrès dans le futur. »

Vous pourrez entendre Barack Obama l’exprimer directement dans cette émission :

https://www.franceinter.fr/emissions/le-monde-de/le-monde-de-09-janvier-2017

Barack Obama s’est engagé plus qu’aucun de ces prédécesseurs pour influencer le résultat des élections présidentielles et éviter que Donald Trump ne gagne. Il a échoué.

Il a alors appliqué ce conseil de Shakespeare :

« Ce qui ne peut être évité doit être embrassé ».

La citation est une réplique de Page dans « Les joyeuses commères de Windsor » à la toute fin de la pièce (Acte V, scène 5) :

« What cannot be eschew’d must be embrac’d. »

J’entends et je lis beaucoup de critiques sur le bilan de Barack Obama.

Mais vous connaissez la différence entre le Dieu monothéiste et un homme providentiel ?

On ne sait pas si Dieu existe, mais on est certain qu’un homme providentiel n’existe pas.

Certes il n’a pas tout réussi de ce qu’il a entrepris, certaines décisions sont contestables.

Mais il a passé ces 8 ans à la Maison Blanche, sans qu’aucun scandale dans aucun domaine ne ternisse son image.

Chaque fois il a réagi avec calme, hauteur de vue.

Barack Obama fait toujours appel à l’intelligence en se basant sur des valeurs humanistes et positives.

Il l’a encore montré dans son dernier discours dont vous trouverez la traduction derrière ce lien : <Dernier discours d’OBAMA> et que vous pouvez écouter en anglais derrière <ce lien>.

Barack Obama n’est pas un homme providentiel, mais il est un homme qui donne espoir en l’humanité.

Il a à ces côtés une femme remarquable : Michelle Obama qui a également tenu un discours d’Adieu plein d’intelligence et d’émotion : <Discours de Michelle Obama>

Je suis heureux et optimiste parce que je vis cette période où les américains malgré tous leurs défauts ont su élire un homme de l’intelligence et de l’éthique de Barack Obama et selon les sondages d’opinion ont su lui garder une confiance incommensurable avec celle que savent conserver les autres gouvernants des pays occidentaux.

Trump est déjà impopulaire, il ne sera probablement qu’une parenthèse dans le temps long de l’Histoire.

<821>

Mercredi 8 Juillet 2015

Mercredi 8 Juillet 2015
« Pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe
un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !  »
Philippe Séguin
Discours du 5 mai 1992 de Philippe Séguin sur la ratification du traité de Maastricht
On nous dit que la démocratie l’a emporté en Grèce parce que les Grecs ont voté Non à l’Austérité. Très bien ! Cela étant on ne sait pas très bien à quoi ils ont dit Oui.
Daniel Cohn Bendit a proposé que Merkel fasse la même chose en Allemagne et demande si les allemands veulent continuer à aider la Grèce. Selon lui la réponse serait Non à 80%.
Peut-être exagère t’il sur le score, mais je ne pense pas qu’il se trompe sur le résultat. En tout cas, ce serait démocratique aussi. Si les allemands votent NON et les Grecs votent NON, comment on continue ?
C’est quoi la démocratie ?
Mon ami Fabien qui défend beaucoup la position grecque, opinion sur laquelle je ne le soutiens qu’à moitié m’a donné un conseil que j’approuve totalement, relire les discours de Philippe Seguin à l’occasion du traité de Maastricht.
Rappelons que c’est en 1992 que les français approuvèrent par référendum le traité de Maastricht. Les principales personnalités politiques françaises : Mitterrand, Rocard, Chirac, Balladur était pour le Oui. Un homme à Droite avait alors pris l’étendard du Non : Philippe Seguin. Il montra en cette occasion et en d’autres sa stature d’Homme d’Etat.
Hélas, sauf au moment de cette discussion sur le traité de Maastricht, il ne s’imposa jamais comme le leader de son Parti, il ne s’opposa pas à Chirac et ce ne fut pas lui qui porta les couleurs de la Droite après la retraite de Jacques Chirac. Il mourut d’ailleurs, le 7 janvier 2010, alors que le successeur de Jacques Chirac ne se trouvait qu’à mi-mandat.
Philippe Meyer eut cette description de cet homme de qualité : «Et chaque fois que vous vous rapprochez du rubicond et qu’on espère que vous allez enfin le franchir, vous sortez votre canne à pêche»
Mais le 5 mai 1992, Philippe Séguin, prononça un discours remarquable à l’Assemblée nationale française, dans lequel il mettait en garde contre les dangers d’une ratification du nouveau traité européen.
Sa relecture vaut le détour, Fabien a raison. A l’époque j’avais voté OUI, les arguments de Seguin surtout à l’aune de ce qui se passe aujourd’hui sont pourtant très forts.
Avec d’abord cette vérité : il y a démocratie quand il existe un sentiment suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité !
Philippe Seguin disait il y a 23 ans entre autre :
«[…] Bref, quand, du fait de l’application des accords de Maastricht, notamment en ce qui concerne la monnaie unique, le coût de la dénonciation sera devenu exorbitant, le piège sera refermé et, demain, aucune majorité parlementaire, quelles que soient les circonstances, ne pourra raisonnablement revenir sur ce qui aura été fait.  […]
Mais jusqu’où est-il permis d’imposer au peuple, sous couvert de technicité, des choix politiques majeurs qui relèvent de lui et de lui seul ? Jusqu’où la dissimulation peut-elle être l’instrument d’une politique ?[…]
De Gaulle disait : « La démocratie pour moi se confond exactement avec la souveraineté nationale. » On ne saurait mieux souligner que pour qu’il y ait une démocratie il faut qu’existe un sentiment d’appartenance communautaire suffisamment puissant pour entraîner la minorité à accepter la loi de la majorité ! Et la nation c’est précisément ce par quoi ce sentiment existe. Or la nation cela ne s’invente ni ne se décrète pas plus que la souveraineté !
 […] Pour qu’il y ait une citoyenneté européenne, il faudrait qu’il y ait une nation européenne. Alors oui, il est possible d’enfermer les habitants des pays de la Communauté dans un corset de normes juridiques, de leur imposer des procédures, des règles, des interdits, de créer si on le veut de nouvelles catégories d’assujettis. Mais on ne peut créer par un traité une nouvelle citoyenneté. […] Mais qu’on y prenne garde : c’est lorsque le sentiment national est bafoué que la voie s’ouvre aux dérives nationalistes et à tous les extrémismes ! […]
On nous dit que la monnaie unique est la clé de l’emploi. On nous annonce triomphalement qu’elle créera des millions d’emplois nouveaux, jusqu’à cinq millions, selon M. Delors, trois ou quatre, selon le Président de la République. Mais que vaut ce genre de prédiction, alors que, depuis des années, le chômage augmente en même temps que s’accélère la construction de l’Europe technocratique ? Par quel miracle la monnaie unique pourrait-elle renverser cette tendance ? Oublierait-on que certaines simulations sur les effets de l’union monétaire sont particulièrement inquiétantes pour la France puisqu’elles font craindre encore plus de chômage dans les années à venir ? […]
Dès lors, le processus de l’union économique et monétaire mérite trois commentaires.
En premier lieu, il renouvelle le choix d’une politique qu’on pourrait qualifier de “monétarienne”, qui est synonyme de taux d’intérêt réels élevés, donc de frein à l’investissement et à l’emploi et d’austérité salariale. […]
Maastricht, c’est ensuite la suppression de toute politique alternative, puisque la création d’un système européen de banque centrale, indépendant des gouvernements mais sous influence du Mark, revient en quelque sorte à donner une valeur constitutionnelle à cette politique de change et à ses conséquences monétaires.
Quant à ceux qui voudraient croire qu’une politique budgétaire autonome demeurerait possible, je les renvoie au texte du traité, qui prévoit le respect de normes budgétaires tellement contraignantes qu’elles imposeront à un gouvernement confronté à une récession d’augmenter les taux d’imposition pour compenser la baisse des recettes fiscales et maintenir à tout prix le déficit budgétaire à moins de 3% du PIB.
Enfin, et je souhaite insister sur ce point, la normalisation de la politique économique française implique à très court terme la révision à la baisse de notre système de protection sociale, qui va rapidement se révéler un obstacle rédhibitoire, tant pour l’harmonisation que pour la fameuse “convergence” des économies.[…]
Or, si l’on veut, comme l’affirme le traité, imposer une monnaie unique à tous les pays membres, un effort colossal devra être consenti pour réduire les écarts actuels, qui sont immenses, un effort colossal sans commune mesure avec ce que nous réclame présentement Jacques Delors pour doter ses fonds de cohésion.[…]
Dans tous les cas, la monnaie unique, c’est l’Europe à plusieurs vitesses : à trois vitesses si on la fait à six puisqu’il y aurait alors une Europe du Nord, une Europe du Sud et une Europe de l’Est. A deux vitesses si on la fait à douze puisqu’on continuerait à exclure les pays de l’Est. Et, dans tous les cas, la monnaie unique, c’est une nouvelle division entre les nantis que nous sommes et les autres, c’est-à-dire les pays de l’Europe centrale et orientale.
Il y a quelque chose de pourri dans un pays où le rentier est plus célébré que l’entrepreneur, où la détention du patrimoine est mieux récompensée que le service rendu à la collectivité.
Ce que cache la politique des comptes nationaux, ce que cache l’obsession des équilibres comptables, c’est bien le conservatisme le plus profond, c’est bien le renoncement à effectuer des choix politiques clairs dont les arbitrages budgétaires ne sont que la traduction. […]
Encore faut-il que, chez les hommes d’Etat, le visionnaire l’emporte encore un peu sur le gestionnaire, l’idéal sur le cynisme et la hauteur de vue sur l’étroitesse d’esprit. Car pour donner l’exemple aux autres, il convient d’être soi-même exemplaire. Il faut, pour que la France soit à la hauteur de sa mission, qu’elle soit, chez elle, fidèle à ses propres valeurs.
Et la France n’est pas la France quand elle n’est plus capable, comme aujourd’hui, de partager équitablement les profits entre le travail, le capital et la rente, quand elle conserve une fiscalité à la fois injuste et inefficace, quand elle se résigne à voir régresser la solidarité et la promotion sociale, quand elle laisse se déliter ce qu’autrefois on appelait fièrement le creuset français et qui était au cœur du projet républicain.»
Il y aurait tant de choses à souligner dans cet extrait que j’ai tiré du discours mais ce constat : «ce que cache l’obsession des équilibres comptables, c’est bien le conservatisme le plus profond» est d’une clairvoyance rare.
<531>

Mercredi 25 mars 2015

Mercredi 25 mars 2015
«Ne vous inquiétez pas, en Europe nous avons le système qui permet de ne pas tenir compte des élections.»
Propos d’un fonctionnaire européen rapporté par Raphael Glucksmann
Raphael Glucksmann vient de publier un livre “Génération gueule de bois” qu’il a écrit en réaction aux attentats de janvier en France.
Il était l’invité de Nicolas Demorand et a rapporté ce propos <http://www.franceinter.fr/emission-un-jour-dans-le-monde-linternationale-reactionnaire> un peu après 10mn du début de l’émission
Raphael Glucksmann est le fils du philosophe André Glucksmann. Il est aussi l’époux de Eka Zgouladze qui fut vice-ministre de l’intérieur en Georgie <Et qui depuis est devenu ukrainienne et membre du gouvernement ukrainien>.
Je prends toutes ces précautions, parce que je ne connais pas Raphael Glucksmann et qu’il y a quelques points de son parcours qui sont un peu “étrange”
La Géorgie est ce pays du Caucase qui a vu naître un de ces monstres qui se dispute avec quelques autres le titre de plus grand criminel de l’Histoire humaine je veux parler de Joseph Vissarionovitch Djougachvili connu sous le nom de “Staline”.
Toujours est-il que Raphael Glucksmann était conseiller du président de l’Etat de Géorgie, Mikheil Saakachvili, et son épouse était membre du gouvernement.
Dans l’émission il décrit Mikheil Saakachvili, comme un homme politique responsable qui a été battu aux élections par un candidat démagogue. Admettons.
Mais ce que je souhaite mettre en exergue dans ce mot du jour, c’est cet extraordinaire aveu d’un fonctionnaire européen en réponse à Raphaël Glucksmann qui se plaignait des peuples qui élisaient des démagogues.
Je ne sais pas comment vous réagissez mais, pour ma part, j’ai toujours énormément de mal à admettre que nous soyons vraiment dans cette situation où nous serions prisonniers d’un système se basant sur une multitude de traités et qui fonctionnent en anesthésiant les effets des élections.
Il y a pourtant des signes absolument inquiétants :
– On a abondamment commenté cet entretien féroce et humiliant où Merkel et Sarkozy ont intimé au premier ministre grec de renoncer à son idée “iconoclaste” de soumettre le plan d’austérité à un référendum.
– J’ai rapporté lors du mot du jour du 5 mars 2013, ce propos du président de la commission d’alors Manuel Barroso : « Doit-on déterminer notre politique économique en fonction de considérations électorales ? », question qui impliquait une réponse négative.
– Sans compter ces référendums qui avaient été organisés sur le traité européen et qui ont abouti à un rejet par certains pays dont la France et qui par des artifices rhétoriques ont été ignorés. Je rappelle cet épisode douloureux alors même que j’avais plaidé pour le oui et voté oui au référendum.
Devant ces “faits” comment s’étonner que de plus en plus de citoyens se réfugient dans des votes extrêmes où confusément ils espèrent que ce que ce fonctionnaire européen a décrit puisse enfin être mis en échec.
Je finirai par le rappel d’un autre mot du jour du  02 juillet 2013 :    “Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes.” Bossuet
En pièce jointe, un article sur le livre de Raphaël Glucksmann dont je n’ai finalement pas parlé dans ce mot du jour.
<462>

Mardi 10 mars 2015

Mardi 10 mars 2015
« Un  Etat illibéral »
Viktor Orban
La Hongrie est depuis 4 ans gouvernée par un Premier ministre, Viktor Orbán, et son parti le Fidesz.
Fustigeant l’attitude de Bruxelles vis-à-vis du Kremlin, il vient d’accueillir Vladimir Poutine à Budapest, rompant ainsi la distance tacitement observée depuis l’aggravation de la crise ukrainienne
Le 26 juillet 2014 lors de l’université d’été de son parti il a inventé ce concept d’un Etat« illibéral » qu’on peut aussi traduire par « non libéral ». Viktor Orban n’a pas dit ce qu’il entend par « Etat non libéral («illiberális») »
Mais il a cité ses modèles :  la Russie, la Chine et la Turquie.
Il a notamment souligné que ces systèmes politiques  « dont l’économie est plus compétitive que celle des pays occidentaux », doivent inspirer son pays « la Hongrie devra construire désormais un Etat« illibéral » basé sur le travail, la démocratie à l’occidentale ayant fait son temps».
Grâce à l’émission “Affaires étrangères” de Christine Ockrent du 28 février : <http://www.franceculture.fr/emission-affaires-etrangeres-l-exception-hongroise-2015-02-28> j’ai pu comprendre un peu mieux.
La démocratie, dans son esprit, c’est de permettre au peuple de choisir son chef.
Une fois le chef désigné, il va gouverner de manière autoritaire en éliminant ou du moins en diminuant fortement les contres pouvoirs : Le pouvoir judiciaire, les médias, les organisations non gouvernementales et tous les pouvoirs intermédiaires : syndicat, associations etc…
C’est à peu près ce qu’ont fait les nazis et Hitler, de manière certes plus brutale et eux, une fois élu par le peuple, ils ont supprimé la démocratie.
Orban ou ses modèles Poutine et Erdogan sont élus par des élections régulières et à peu près libres même si les opposants ont du mal à se faire entendre, voire à se présenter. Mais une fois élu, ils gouvernent avec une forte dose de nationalisme et l’idée qu’ils se font de l’intérêt général.
Les décisions sont prises plus rapidement que dans nos démocraties libérales mais la corruption est plutôt plus grande.
Le plus comique dans l’histoire est que ce même Viktor Orbán est celui qui, voici 25 ans, se réclamait d’un système libéral et l’ennemi acharné des Russes. Lui qui ne jure plus que par son ami Poutine et met en place un Etat hypercentralisé nationalisant à tour de bras, ennemi déclaré du monde occidental, … finalement proche de ce que nous a offert le régime communiste.
Pour ma part, je ne pense pas qu’un pays dirigé par un tel système politique a sa place dans l’Union européenne.
Mais j’ai le soupçon que certaines parties de la population européenne et française souhaiteraient pour leur pays la mise en place d’une démocratie illébérale, avec un dirigeant fort élu et qui ensuite gouvernerait de manière autoritaire.
Il y a bien longtemps, au siècle des lumières, la tentation du despote éclairé était apparue. L’expérience de l’Histoire ne nous a pas vraiment donné d’exemple positif.
<451>