Vendredi 12 mai 2023

« Symphonie n°7 « Leningrad » »
Dimitri Chostakovich

Une nouvelle fois, ce jeudi 11 mai 2023, Annie et moi avons pris le train pour aller à Paris.

Notre destination était ce joyau posé au bord du périphérique, dans la partie sud-est du parc de la Villette, face à la Grande Halle de la Villette, à côté de la Cité de la musique et à proximité de la Porte de Pantin : La Philharmonie de Paris.

Cette œuvre architecturale, attribuée à Jean Nouvel, a été inaugurée le 14 janvier 2015.

Et depuis la 1ère saison 2015/2016, nous avons, avec Florence, souscrit chaque année un abonnement, jusqu’à la période COVID en 2020, pendant laquelle la moitié de nos concerts a été annulée.

Nous n’avons repris notre abonnement que pour 2022/2023 et le concert du jeudi 11 mai était le dernier de la saison.

Je parle de joyau, parce que le geste architectural crée la curiosité et attire le regard.

On a envie de s’en approcher, d’en faire le tour et bien sûr d’y pénétrer.

Cet objet constitue l’antithèse du monde des diamants.

Dans une bijouterie l’écrin accueille le joyau.

Ici, au bord du parc de la Villette, le joyau renferme un écrin qui accueille et magnifie les symphonies de sons que la musique des humains est capable d’ériger.

Cet écrin, cette salle de concert de 2400 places a pour nom : salle Pierre Boulez.

Car c’est le compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez qui voulait et qui plaidait pour que les institutions culturelles créent ce lieu, à Paris.

Pierre Boulez a pu visiter le chantier mais n’a jamais vu le résultat final.

Début 2015, malade, quasi aveugle, le musicien qui vivait à Baden-Baden en Allemagne, n’a pas pu venir à Paris.

Il est mort, un an plus tard le 5 janvier 2016. Alors, il a été décidé d’appeler l’écrin du nom de cet homme.

Mais Boulez aurait-il apprécié le concert que nous avons vécu ce jeudi, car le cœur du programme était constitué par la 7ème symphonie de Chostakovitch, celle qui a pour nom « Léningrad » ?

Or Boulez considérait Chostakovitch comme un compositeur de seconde zone : « un succédané de Mahler ». Et il avait précisé sa pensée dans un quotidien britannique :

« C’est comme pour les huiles d’olive : il y a les premières pressions et les autres. Je dirais que Chostakovitch est une deuxième ou troisième pression de Mahler. »

J’ai entendu récemment Daniel Barenboïm qui, dans des termes plus mesurés que son grand ami Boulez,  jugeait Chostakovitch avec la même sévérité.

Christian Merlin a consacré, la semaine du 15 mai 2023, 4 émissions à la musique orchestrale de Chostakovitch. Dans une de ses émissions il a cité Herbert von Karajan qui a dit :

« Si j’étais compositeur, je composerais comme Dimitri Chostakovitch »

Pour ma part, je suis résolument d’accord avec Karajan. J’avais déjà fait remarquer que Boulez disait beaucoup de bêtises sur les autres compositeurs. Dans ma série sur Schubert  je l’avais cité dans cette phrase indéfendable :

« Si Schubert a écrit une seule note de musique, cela veut dire que je n’ai rien composé du tout. »

Ma conclusion fut :

« Si on prend cette phrase au premier degré, je pense que c’est la deuxième proposition qui est la plus vraisemblable. »

Nous avons donc eu la grâce d’entendre cette symphonie qui a pour nom « Léningrad ». Le compositeur Dimitri Chostakovitch (1906–1975) a terminé cette symphonie le 27 décembre 1941 et l’a dédiée à sa ville natale, attaquée depuis seize semaines. Léningrad est assiégée pendant 900 jours par l’Allemagne nazie, et environ un tiers de la population urbaine d’avant-guerre est tuée.

Le journal canadien « Le Devoir » écrit dans un article de 2018 : < La «Leningrad» de Chostakovitch: une symphonie pour l’humanité> :

« Bien des épisodes liés à la symphonie « Leningrad » sont épiques. Lorsque Chostakovitch joua au piano les trois premiers mouvements à des amis le 17 septembre 1941, le siège de la ville venait de commencer. L’un des participants raconte le hurlement des sirènes, Chostakovitch évacuant sa femme et ses deux enfants à l’abri et continuant de jouer au piano dans le vacarme de la défense antiaérienne. « Pour finir, il rejoua l’ensemble […]. En rentrant, nous aperçûmes du tramway les lueurs de l’incendie […]. Encore sous le coup du noble pathos de cette symphonie, nous ressentions avec une acuité toute particulière l’absurdité de ce qui nous entourait. »

« Wikipedia » a consacré un article à la « Création à Léningrad de la symphonie no 7 de Chostakovitch ». C’est une page d’Histoire absolument incroyable et unique, il me semble que tout homme de culture et d’Histoire, même celles et ceux qui ont des difficultés avec la musique classique devrait lire cette page d’Histoire que j’essaie de résumer. :

Chostakovitch prévoyait que la création de la symphonie reviendrait à la Philharmonie de Léningrad, mais l’ensemble est évacué. La première mondiale est donnée à Kouïbychev aujourd’hui Samara, le 5 mars 1942.

Puis la symphonie sera jouée le 29 mars à Moscou.

La partition de la symphonie sera microfilmée pour s’envoler pour Téhéran en avril, afin de permettre sa publication à l’Ouest. Elle est créée à Londres, le 22 juin par le London Philharmonic Orchestra. Et puis la première américaine aura lieu, le 19 juillet 1942, par le plus illustre chef d’orchestre vivant Arturo Toscanini dirigeant son Orchestre symphonique de la NBC.

Mais l’État soviétique parviendra finalement à faire jouer cette symphonie dans la ville de Léningrad assiégée dans la grande salle de la Philharmonie le 9 août 1942, jouée par le seul ensemble symphonique restant à Léningrad, après l’évacuation de la Philharmonie : L’Orchestre symphonique de la Radio de Léningrad — avec son chef Carl Eliasberg.

Après bien des péripéties et une préparation d’une dureté dans les conditions de vie, la faim est omniprésente, dans le danger des combats et des bombardements, dans une discipline de fer imposée par le chef d’orchestre, le concert peut avoir lieu.

« Le concert est donné dans la grande salle de la Philharmonie le 9 août 1942. C’est le jour désigné par Hitler pour célébrer la chute de la ville, avec un somptueux banquet à l’Hôtel Astoria de Léningrad. […]

Le Lieutenant-Général Govorov commande un bombardement des positions de l’artillerie allemande avant le concert, dans une opération spéciale, avec le nom de code « Bourrasque ». Les agents du renseignement soviétique avaient localisé les batteries allemandes et les postes d’observation depuis plusieurs semaines, en préparation de l’attaque. Trois mille obus de fort calibre sont lancés sur l’ennemi. Le but de l’opération est d’empêcher les Allemands de cibler la salle de concert et de s’assurer qu’ils seraient assez silencieux pour laisser entendre la musique sur les haut-parleurs, dont la mise en place avait été ordonnée. Il a aussi encouragé les soldats soviétiques à écouter le concert à la radio. […]

Un public important se rassemble pour le concert, composé de chefs du Parti, de militaires et de civils. Les citoyens de Léningrad, qui ne peuvent pas tous tenir dans la salle, sont rassemblés autour des fenêtres ouvertes et de haut-parleurs. […] L’exécution est de mauvaise qualité artistique, mais est marquée par les houles d’émotions du public, […]

Le concert reçoit une ovation d’une heure, debout, Eliasberg recevant un bouquet de fleurs cultivées à Léningrad remis par une jeune fille. De nombreux auditeurs sont en larmes, en raison de l’impact émotionnel du concert, considéré comme une « biographie musicale des souffrances de Léningrad » […] Pendant le concert, les haut-parleurs diffusent la musique à travers la ville, ainsi qu’à destination des forces allemandes dans un mouvement de guerre psychologique, une « frappe tactique contre le moral des allemands ». Un soldat allemand s’est rappelé que son escadron a « écouté la symphonie des héros ». Eliasberg, quelque temps après, raconte que certains Allemands qui campaient à l’extérieur de Léningrad pendant le concert lui ont dit qu’ils avaient cru qu’ils ne pourraient jamais s’emparer de la ville : « Qui sommes-nous avec nos bombes ? Nous ne serons jamais en mesure de prendre Léningrad. » »

Œuvre d’une puissance et d’une émotion incommensurable, les motivations de Chostakovitch sont ambigües et secrètes.

Chostakovitch déclare à la Pravda le 19 mars 1942, à trois jours de la création moscovite :

« J’ai songé à la grandeur de notre peuple, à son héroïsme, aux merveilleuses idées humanistes, aux valeurs humaines, à notre nature superbe, à l’humanité, à la beauté. […] Je dédie ma Septième Symphonie à notre combat contre le fascisme, à notre victoire inéluctable sur l’ennemi et à Leningrad, ma ville natale ».

Très vite, Staline et les Soviétiques en font un instrument de propagande, l’un des symboles de la « Grande Guerre patriotique ». Il faut dire que les sous-titres prévus par Chostakovitch pour chacun des quatre mouvements allaient dans ce sens : « La guerre », « Souvenirs », « Les grands espaces de ma patrie » et « La victoire ».

Par la suite, il retirera ces titres et dans ses Mémoires Chostakovitch amendera ses propos :

« Je ne suis pas opposé à ce [qu’on l’appelle] Leningrad. Mais il n’y est pas question du siège de Leningrad. Il y est question du Leningrad que Staline a détruit. Et Hitler n’a plus eu qu’à l’achever. »

Pour que cette œuvre puisse nous remplir de vibrations, d’énergie et d’émotion, il faut une interprétation superlative.

Ce fut le cas ce jeudi 11 mai par un Orchestre de Paris transcendé par son jeune chef de 27 ans Klaus Mäkelä.


J’avais déjà parlé de ce jeune chef lors du <mot du jour du 16 mai 2019> déjà à l’occasion d’une symphonie de Chostakovitch : la dixième. Je ne le connaissais pas alors, ni mon Ami Bertrand G. Mais à la fin du concert je lui avais envoyé un sms :

« Tu en entendras parler c’est un chef exceptionnel. Surtout à son âge »

Depuis il a été nommé directeur musical de l’Orchestre de Paris et peu de temps après, futur directeur musical d’un des quatre plus grands orchestres du monde : l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam.

J’ai l’immodestie de prétendre que je n’ai pas besoin de lire l’avis des critiques musicaux pour savoir que j’ai assisté à un concert immense, exceptionnel, un moment d’éternité.

Mais je peux quand même les citer quand ils expriment avec pertinence ce que j’ai ressenti :

Ainsi Remy Louis dans « Diapason Mag » : <le Chostakovitch monumental de Klaus Mäkelä>

« Le résultat est une interprétation monumentale de la Symphonie « Leningrad ». Monumentale par l’autorité, la force, l’intensité physique et sonore (littéralement terrifiante dans certains apogées), l’échelle dynamique vertigineuse, le contrôle des phrasés, la tenue et la cohérence expressive, sans un instant de baisse de tension, ni de trivialité sonore. Mais aussi par la finesse et la clarté magistrale de la structure, le raffinement des nuances et des transitions. […]

Mais ce qui confirme que Mäkelä est un grand directeur musical, et pas seulement un très grand chef, c’est le niveau d’exécution de l’Orchestre de Paris, depuis des mois dans une forme éblouissante. Bois, cuivres et percussions sont admirables, on le sait. Mais jamais l’unité et l’homogénéité de texture des pupitres de cordes […] n’ont été aussi élevées. »

Patrice Imbaud dans « Resmusica »

« Véritable maelström orchestral cataclysmique engageant tout l’orchestre, superbement construit, riche en nuances, porté par une tension intense presque douloureuse qui achève en beauté cette exceptionnelle interprétation. »

Hannah Starman sur le site « Toute la Culture » : « Une Septième de Chostakovitch terrifiante d’actualité à la Philharmonie de Paris » :

« Klaus Mäkelä évoque l’aspect historique “absolument terrifiant” de la Symphonie N° 7 dont l’exécution demande une intense concentration et un investissement émotionnel hors norme. […] La conclusion est massive, expressive, fabuleusement cauchemardesque et interprétée par un chef et un orchestre qui ont tout donné. Le public éprouvé remerciera les musiciens épuisés avec une ovation debout plus que méritée. Une performance exceptionnelle !  »

Et l’analyse que je préfère celle d’Alain Lompech sur le site « BACHTRACK »

« Ce soir, l’ovation extraordinaire qui accueille le dernier accord ne doit rien au poids de l’histoire et tout à la puissance créatrice de Chostakovitch, qui provoque l’une de ces émotions collectives que seule la musique peut entraîner. La façon dont les musiciens de l’Orchestre de Paris et leur chef recréent cette Symphonie n° 7 donne à l’ouvrage un visage différent, pas moins intense mais comme résigné parfois, baigné par une lumière crépusculaire étreignante. D’une mobilité expressive incessante, tout entier dans son orchestre bien plus qu’il n’est devant lui et au-dessus de lui, le chef pulvérise les idées reçues : sa compréhension de la forme du propos, sa façon de diriger tout en laissant les musiciens libres de jouer, sa maîtrise du temps, de l’articulation, de la balance orchestrale, de l’art des transitions et de la dynamique, le naturel avec lequel il parvient à ordonner, sans qu’il y paraisse, le premier mouvement et plus encore cette heure et quart de musique fleuve, cinématographique jusque dans sa modulation et son crescendo conclusifs « babyloniens », dont il soulève cette œuvre gigantesque, parfois intime et implorante, jamais triviale ainsi dirigée et jouée font prendre conscience que cette musique issue du cœur retourne au cœur indépendamment de tout scénario, de toute image quand un chef l’aime pour ce qu’elle est. »

Analyse qui finit par cette belle conclusion en forme de prière :

« Et l’Orchestre de Paris à chaque note semble dire à son chef : « reste avec nous Klaus, on joue mieux ici qu’à Amsterdam »…

A la fin du concert, un tout jeune homme assis à côté de nous, rempli d’émotion nous regarde et nous révèle : « Je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi puissant, cela n’a rien à voir avec le disque ».

Sur la route vers la sortie un homme plus âgé m’approuve quand je dis que « l’Orchestre de Paris vit son âge d’or ».

Je crois que ce serait très regrettable que les parisiens qui aiment la musique ou d’autres qui peuvent se rendre à la Philharmonie, négligent l’opportunité de participer à quelques moments de cet âge d’or.

<1748>

Mardi 6 septembre 2022

« La Glasnost et la Perestroïka»
Mikhaïl Gorbatchev

La politique que Gorbatchev lance, à son arrivée au pouvoir, permit, au monde entier, d’apprendre deux mots russes «  glasnost » (transparence) et « perestroïka » (reconstruction).

La « Glasnost » est une transformation politique qui va libérer la parole politique comme jamais. Ni avant, ni après, ni maintenant les russes et les autres peuples soviétiques ne seront aussi libres.

« La pérestroïka » est quant à elle une transformation économique qui va s’annoncer désastreuse.

A cela s’ajoute « la loi anti-alcool », qu’il imposa très vite, et qui a laissé un mauvais souvenir, avec, pour résultat, l’augmentation de la consommation d’eau de Cologne ou de produits d’entretien comme substituts à la vodka, devenue difficile à trouver.

Sa méfiance à l’égard de l’alcool aurait dû le rapprocher de Poutine qui de ce point de vue est aussi très éloigné de la pratique d’Eltsine.

On pourrait donc résumer en disant que la Glasnost est une réussite et la Perestroïka un échec.

Concernant la glasnost, les observateurs aguerris ont pu rapporter qu’il y eut quand même des points très critiquables.

<Le Monde> rappelle

« Le 12 décembre 1989, le pays tout entier est témoin en direct des limites de la glasnost (« transparence »). Les Soviétiques suivent alors avec passion les débats du « Congrès des députés du peuple », où siègent des élus « indépendants ». Les discussions sont retransmises en direct à la télévision, du jamais-vu. Aux heures de diffusion, on peut entendre une mouche voler dans les rues de Moscou ; tous suivent avidement les échanges animés entre les députés.

Ce jour-là, l’académicien et militant des droits de l’homme Andreï Dmitrievitch Sakharov réclame à la tribune l’abolition de l’article 6 [qui impose le Parti Communiste comme Parti Unique]. Gorbatchev lui coupe le micro. Sakharov quitte la tribune et jette les feuilles de son discours sur le numéro un soviétique, assis au premier rang. Deux jours plus tard, le 14 décembre 1989, l’académicien meurt.

Certes, en décembre 1986, Gorbatchev avait autorisé Sakharov et sa femme, Elena Bonner, exilés dans la ville fermée de Gorki depuis 1980, à rentrer à Moscou. Le geste était avant tout destiné à rassurer l’Occident, dont il cherchait les bonnes grâces. Quelques jours auparavant, la disparition tragique du dissident Anatoli Martchenko, mort d’épuisement dans un camp où il purgeait une peine de quinze ans pour délit d’opinion, avait entamé son image de réformateur. Même à l’époque de la perestroïka, les opposants continueront d’être envoyés à l’asile psychiatrique ou dans des colonies pénitentiaires héritées du goulag. »

Cependant, l’article du Monde écrit surtout ce que fut cette parenthèse dans le gouvernement autoritaire de l’empire russe jusqu’à Poutine en passant par le régime bolchévique :

« La glasnost (l’ouverture) marqua à jamais les esprits. D’un coup, les principaux tabous furent levés. Les journaux purent publier des statistiques sur les phénomènes de société jusqu’ici passés sous silence, tels les divorces, la criminalité, l’alcoolisme, la drogue. Les premiers sondages d’opinion firent leur apparition.

Bientôt, des pans entiers de l’histoire de l’URSS, concernant notamment Staline et la période des purges, sont révélés au grand public. En 1987, Les Nouvelles de Moscou publient le texte du testament de Lénine, où celui-ci réclame la mise à l’écart de Staline, jugé trop « brutal ». La même année, le brouillage de la BBC cesse, les Soviétiques peuvent, enfin, communiquer et correspondre avec des étrangers.

Les gens sont avides de savoir. Ils s’arrachent les hebdomadaires en vue, tels qu’Ogoniok ou Les Nouvelles de Moscou, qui reviennent sur les zones d’ombre de la période stalinienne. La parole se libère, on ose enfin aborder le thème des purges, des arrestations, le pacte germano-soviétique et les massacres des officiers polonais à Katyn, jusque-là imputés aux nazis. »

Mais concernant la perestroïka ce fut un désastre.

L’économie soviétique ne fonctionnait pas, mais comment la réformer ?

Les avis sur les intentions de Gorbatchev divergent.

Dans un podcast très intéressant de Slate <Le monde devant soi>, Jean-Marc Colombani pense que :

« Mikhaïl Gorbatchev est un homo soviéticus, un homme de l’Union soviétique. […] il voulait introduire de l’humanisme dans le communisme. »

Dans cette option, Il est entré dans ces réformes, en pensant sincèrement être en mesure de sauver le communisme et de conserver l’intégrité de l’Union Soviétique.

Il existe une autre option qui est débattue, c’est celle qui consiste à penser qu’il savait le communisme condamné et que sa politique devait l’emmener à sortir du communisme tout en préservant l’Union Soviétique.

Cette seconde thèse est défendue, par exemple, par Bernard Guetta qui a assisté à tous ces bouleversements d’abord en Pologne puis à Moscou où il a rencontré, plusieurs fois, Gorbatchev. Comme argument, il avance que Gorbatchev était trop intelligent pour ne pas s’être aperçu que l’économie communiste ne fonctionnait pas.

Et Bernard Guetta déclare :

« S’il avait voulu sauver le communisme, vous pensez qu’il aurait organisé des élections libres ? Qu’il aurait permis à la presse de prendre une liberté immense, qu’elle a perdu totalement sous monsieur Poutine aujourd’hui ?” »

Vous trouverez cette intervention dans l’émission de France Inter : < Mikhaïl Gorbatchev voulait sauver la Russie d’un effondrement communiste inéluctable>

Bernard Guetta, toujours passionné et passionnant est aussi intervenu dans « C à Vous » : <Gorbatchev, l’homme qui a changé la face du monde>

Et il a répété à nouveau cette thèse par un billet d’hier, le 5 septembre, sur son site : < C’est la Russie et non pas le communisme que Gorbatchev voulait sauver>

Bernard Guetta est un Gorbachophile qui, en outre, fut un intervenant régulier de la fondation Gorbatchev.

Pourtant, rien dans les déclarations de Gorbatchev, même récentes et particulièrement dans le documentaire d’ARTE cité dans le mot du jour d’hier ne permet de soutenir la thèse de Guetta.

Il était communiste, léniniste et il l’est resté.

Colombani dit :

« Dans le moment Gorbatchev, l’erreur qui est faite est probablement une transformation trop rapide de l’économie soviétique. […] Transformation trop rapide qui va entraîner la société soviétique dans un malheur social »

Gorbatchev lui-même raconte les files d’attentes interminables qui était générées par le fait que l’offre était largement insuffisante par rapport à la demande.

Il me semble que la thèse de Colombani est plus crédible. Et comme le disait Brejnev, le système était probablement irréformable.

Gorbatchev pu reprocher au destin des circonstances défavorables :

  • Le prix bas du baril de pétrole
  • Le refus des occidentaux de l’aider financièrement

En 1991, Mikhaïl Gorbatchev, en quête de crédits, demanda de l’aide à Washington et aux pays du G7, alors réunis à Londres. C’était « le sommet de la dernière chance », rappelle son ancien conseiller Andreï Gratchev dans une biographie, Gorbatchev. Le pari perdu ? (Armand Colin, 2011).

Des crédits ? Autant « verser de l’eau sur du sable », rétorqua le président américain George Bush (père), approuvé par ses partenaires européens. La déception fut grande au Kremlin. « Gorbatchev aurait pu obtenir de l’Ouest un meilleur prix pour sa politique », estime ainsi Andreï Gratchev.

Mais sur le plan économique Gorbatchev était très indécis et tout simplement ne savait pas comment faire. La situation économique était désastreuse

En outre, la liberté qu’il avait instillée va permettre l’éclosion des nationalismes.

Elstine qui était un politicien habile, dépourvu de tout scrupule qu’il noyait régulièrement dans l’alcool, n’avait qu’une idée en tête : prendre le pouvoir.

Il va composer avec l’émergence de ces nationalismes tout en s’appuyant sur le nationalisme russe pour faire exploser l’Union Soviétique et Gorbatchev avec elle.

Il profitera habilement d’un coup d’état de vieux conservateurs tremblants pour accélérer le mouvement.

Jean-Marc Colombani conclut :

« L’URSS s’est effondrée à cause du nationalisme russe et s’est effondrée sur elle-même »

La fin fut pathétique et triste. Le Monde raconte :

« Le 25 décembre, le nouveau président russe, Boris Eltsine, somma son vieux rival de débarrasser le plancher verni du Kremlin. Mikhaïl Gorbatchev s’exécuta. « Nos accords prévoyaient que j’avais jusqu’au 30 décembre pour déménager mes affaires », raconte-t-il dans ses Mémoires. Le 27 décembre au matin, on lui annonce que Boris Eltsine occupe son bureau. « Il était arrivé en compagnie de ses conseillers [Rouslan] Khasboulatov et [Guennadi] Bourboulis, et ils y avaient bu une bouteille de whisky en riant à gorge déployée. Ce fut un triomphe de rapaces, je ne trouve pas d’autres mots. »

Le drapeau soviétique fut abaissé, le drapeau russe hissé à sa place. L’URSS avait tout bonnement cessé d’exister. Une histoire était terminée, une autre commençait.

Vingt ans plus tard, et alors que Boris Eltsine (1931-2007) n’était plus, la rancœur était intacte : « C’était la pire des trahisons ! Nous étions assis ensemble, nous parlions, nous nous mettions d’accord sur un point et, dans mon dos, il se mettait à faire tout le contraire ! », déplorait encore Mikhaïl Gorbatchev, en février 2011, sur les ondes de Radio Svoboda. »

Bien sûr il y eut de nombreuses erreurs. Gorbatchev déclarera en janvier 2011 :

« Bien sûr, j’ai des regrets, de grosses erreurs ont été commises ».

Le pouvoir d’Elstine fut une calamité, il abandonna le pays aux kleptomanes issus de du KGB et de la nomenklatura qui s’emparèrent par la ruse et la violence de tout ce qui avait de la valeur. L’économie de marché abandonnée aux voleurs et s’implantant dans une société non préparée créa d’immenses malheurs sociaux.

On raconte que des russes avec leur humour grinçant dirent : on nous a menti, le système communiste ne fonctionne pas, mais on nous a aussi dit une vérité : le système capitaliste ne fonctionne que pour les riches.

L’espérance de vie à la naissance en Russie chuta.


De 1986 à 1988 l’espérance de vie se situe autour de 69,5 ans. De 1989 à 2003 il va chuter de 4,5 ans jusqu’à 65,03 ans en 2003. Ces chiffres sont issues de ce site : https://fr.countryeconomy.com/demographie/esperance-vie/russie

Si on compare cette évolution par rapport à celle de la France, pendant cette même période, le schéma est frappant : l’évolution est continue en France :

Alors qu’Eltsine est davantage responsable du malheur économique et du chaos que vont vivre les russes, il y aura un transfert vers une responsabilité quasi-totale vers Gorbatchev.

Quand il se présentera, contre Eltsine, aux présidentielles de 1996, il obtiendra un humiliant 0,5 %.

Selon un sondage publié en février 2017 par l’institut Levada, 7 % des personnes interrogées disaient éprouver du respect pour le dernier dirigeant soviétique, lauréat du prix Nobel de la paix en 1990.

Adulé en Occident, il suscitait l’indifférence et le rejet chez une majorité de Russes.

Le Monde résume :

« Avant tout, ils ne peuvent lui pardonner le saut du pays dans l’inconnu. Indifférent au vent de liberté, ils ressassent à l’envi le film de son quotidien de l’époque, fait de pénuries, de files d’attente et de troc à tout va : cigarettes en guise de paiement pour une course en taxi, trois œufs contre une place de cinéma. »

Et pour Vladimir Poutine et ses partisans, ils perçoivent la chute de l’URSS comme le résultat de la capitulation de Mikhaïl Gorbatchev face à l’Occident.

Gorbatchev avait fini par admettre en confiant au Sunday times en mai 2016 :

« La majorité des Russes, comme moi, ne veut pas la restauration de l’URSS, mais regrette qu’elle se soit effondrée [ certain que] sous la table, les Américains se sont frotté les mains de joie ».

Une des citations de Gorbatchev qu’on cite souvent est la suivante :

« La vie punit celui qui arrive trop tard ! »

<1703>

Lundi 5 septembre 2022

« Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev »
Pierre Grosser

Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev était le fils d’un père russe et d’une mère ukrainienne.

Et son épouse, Raïssa Maximovna Titarenko, était la fille d’un père ukrainien et d’une mère russe.

Les choses se passaient ainsi dans l’Union Soviétique que Mikhaïl Gorbatchev avait pour ambition de réformer.

Le système soviétique ne fonctionnait pas économiquement, les citoyens de cet immense empire communiste vivaient dans un univers de pénurie : pénurie de logement, pénurie alimentaire, pénurie de tous les biens de consommation courante.

L’Union Soviétique parvenait à donner le change dans l’Industrie lourde et surtout arrivait à rivaliser avec les États-Unis dans le domaine de l’armement et des ogives nucléaires.

Et quand Reagan arriva au pouvoir le 20 janvier 1981 et lança une accélération de la course des armements avec ce qui fut appelé « la guerre des étoiles », les dirigeants soviétiques pensèrent que leur système économique failli n’arriverait plus à suivre leur rival.

Dans <Wikipedia> on lit :

« En mars 1983, Reagan introduisit l’initiative de défense stratégique (IDS) prévoyant la mise en place de systèmes au sol et dans l’espace pour protéger les États-Unis d’une attaque de missiles balistiques intercontinentaux. Reagan considérait que ce bouclier anti-missiles rendrait la guerre nucléaire impossible mais les incertitudes concernant la faisabilité d’un tel projet menèrent ses opposants à surnommer l’initiative de « Guerre des étoiles » et ils avancèrent que les objectifs technologiques étaient irréalistes. Les Soviétiques s’inquiétèrent des possibles effets de l’IDS186 ; le premier secrétaire Iouri Andropov déclara qu’elle mettrait le monde entier en péril »

Il n’était pas certain que ce projet puisse se concrétiser, mais il mobilisait des ressources financières considérables que les soviétiques n’étaient pas capable de réunir.

Le patron de l’URSS était alors Iouri Andropov qui après avoir été pendant 15 ans le chef du KGB succéda, le 12 novembre 1982, au vieux et malade Leonid Brejnev qui avait prophétisé que le système soviétique n’était pas réformable et que si on tentait de le réformer, il s’effondrerait.

La page wikipédia d’Andropov montre que celui-ci était le contraire d’un tendre, mais il était convaincu qu’il fallait réformer parce qu’en interne comme dans la confrontation avec les États-Unis et l’Occident l’URSS ne pouvait plus faire face aux attentes et aux défis.

Il était le mentor d’un jeune qu’il avait fait entrer au Politburo du Comité central du Parti communiste : Gorbatchev

Andropov ne resta que 14 mois au pouvoir mais il était aussi vieux et malade et décéda. Il souhaitait que Gorbatchev lui succède. Mais le Politburo désigna comme successeur, un conservateur qui n’avait aucune ambition de réformer, Konstantin Tchernenko.

Lui aussi était vieux et malade comme Andropov et Brejnev.

Lors de sa désignation le « Canard enchaîné » dans son numéro du 15 février 1984 afficha cette manchette :

« Le triomphe du marxisme-sénilisme »

Le Canard tenta aussi cet autre jeu de mots : « c’était le vieux placé ».

Jeu de mots salué par « le Spiegel » du 20 février suivant qui titrait pour sa part plus sérieusement

« Tchernenko – La revanche de l’Appareil ».

Sa fiche Wikipédia précise que Tchernenko passa l’essentiel de son court règne, d’un an et 25 jours, à la tête de l’État à l’hôpital et donna ainsi de lui l’image d’un « fantôme à l’article de la mort ».

Le Politburo décida alors de suivre les conseils d’Andropov et de mettre à la tête du Parti Communiste, le 11 mars 1985, un relatif « jeune homme » de 54 ans, en bonne santé (il ne mourra que 47 ans plus tard) : Mikhaël Gorbatchev.

C’était un communiste convaincu. Encore récemment et très vieux dans un documentaire d’ARTE : <Gorbatchev en aparté> il qualifie Lénine, le fondateur de l’URSS de « notre Dieu à tous »

Il voulut réformer pour sauver le communisme et conserver l’Union Soviétique.

Six ans et neuf mois plus tard, il échoua et son rôle politique s’acheva.

Mais pendant cette période :

  • Il retira les troupes soviétiques d’Afghanistan,
  • Il engagea avec les États-Unis une réduction inouïe des armements nucléaires,
  • Les dissidents comme Sakharov furent libérés et purent s’exprimer,
  • Les journaux purent raconter la vérité et exprimer des opinons divergentes. Une liberté qui n’existait bien sûr, pas avant et plus maintenant non plus.
  • Les autres pays communistes de l’Europe de l’est purent faire évoluer leur régime, faire tomber la dictature communiste sans qu’aucun soldat de l’armée rouge n’intervienne.

Qu’on songe qu’il disposait de l’armée rouge autrement puissante que sous Poutine et qu’il avait entre ses mains l’arme nucléaire que le maître actuel du Kremlin brandit sans cesse.

Il était communiste mais il aimait la Liberté, le Droit et il était un homme de paix.

Dans le Documentaire d’ARTE il expliqua :

« J’étais faible, je n’ai coupé aucune tête ».

Mais il exprime aussi sa satisfaction de pas avoir employé « les méthodes de (s)es prédécesseurs, Lénine compris ».

Il y eut bien quelques morts dans des évènements troubles dans les pays Baltes ou la Géorgie lors de la répression de mouvements nationalistes et indépendantistes. Le Monde rappelle dans la nécrologie qu’il lui consacre : <Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS, est mort>

« Le 13 janvier 1991, quatorze personnes perdent la vie lors de l’assaut du Parlement et de la télévision de Vilnius (Lituanie) par l’armée soviétique. Sept jours plus tard, à Riga (Lettonie), un assaut similaire fait cinq morts. A Tbilissi (Géorgie), vingt-deux manifestants sont massacrés à coups de pelle en avril 1989 par l’armée fédérale, tandis que 150 personnes sont tuées par les militaires à Bakou (Azerbaïdjan), en janvier 1990.

Dans ses Mémoires, publiés en 1997 (éd. du Rocher), Mikhaïl Gorbatchev affirme avoir tout ignoré des opérations militaires déclenchées dans les Républiques baltes. Ce n’est que plus tard, en feuilletant un livre écrit par des anciens d’Alpha (les commandos d’élite du KGB), qu’il comprit qu’il s’agissait d’une « opération conjointe des tchékistes [police politique] et des militaires », organisée sans son aval. Imprécis sur le nombre de victimes à Vilnius (« Il y eut des pertes humaines », écrit Gorbatchev), il adhère sans détour à la thèse du complot et évoque une « provocation » des séparatistes locaux. »

Sans passer sous silence ces faits, il me semble légitime de considérer que globalement tous ces immenses évènements eurent lieu presque sans effusion de sang. Et ce dénouement pacifique de la guerre froide doit quasi tout à un seul homme : Mikhaël Gorbatchev

Qu’on songe un instant à tous ces hommes qui à la tête d’une telle puissance militaire et voyant leur pouvoir se désagréger, n’auraient pas laissé faire et auraient lancé des forces de destruction plutôt que d’accepter de partir dans la tristesse mais dans la paix.

Angela Merkel qui subissait en Allemagne de l’Est, la dictature communiste et soviétique a exprimé en toute simplicité ce message à la fois politique et personnel :

« Il a montré par l’exemple comment un seul homme d’État peut changer le monde pour le mieux […] Mikhaïl Gorbatchev a également changé ma vie de manière fondamentale. Je ne l’oublierai jamais »

C’est l’historien Pierre Grosser qui dans un article de Libération exprime le plus justement ce rôle extraordinaire de Gorbatchev : «Le refus d’utiliser la force est le plus grand héritage de Gorbatchev»

Il fait ainsi ce constat :

« Au XXe siècle, les grandes transformations de l’ordre international, les révolutions et les chutes d’empires avaient été les conséquences de guerres, et en particulier des deux guerres mondiales. Or, les bouleversements de la fin des années 80 eurent lieu sans guère d’effusion de sang, même lors de processus de « décolonisation » dans les pays baltes et dans le Caucase. »

Et il compare cette attitude avec celle du régime chinois :

« Alors que le Parti communiste chinois utilisait la répression au Tibet et contre les mobilisations étudiantes et sociales en juin 1989, Gorbatchev n’utilisa la force ni pour sauver les régimes des démocraties populaires, ni celui de l’URSS, ni l’URSS elle-même. C’était cela aussi qui était inimaginable, tant il était répété depuis des décennies que l’Europe de l’Est était un glacis protecteur indispensable à la sécurité de la Russie, que celle-ci ne pourrait renoncer aux gains obtenus après la Grande Guerre patriotique qui avait coûté 27 millions de vies soviétiques, et que l’usage de la force et de la répression était une caractéristique principale du régime.

Le refus d’utiliser la force, à de très rares exceptions (notamment en Lituanie, le 13 janvier 1991, provoquant infiniment moins de victimes que les violences staliniennes), est en définitive le plus grand héritage de Gorbatchev. Ses réformes ont rendu possibles les actions de peuples à partir de 1989. Ce sont les peuples, mais aussi des membres de partis communistes nationaux, qui ont été alors les moteurs de l’histoire. Gorbatchev fut moins le grand homme qui a organisé de grandes transformations que l’homme qui les a laissées faire. C’est aussi le cas de la réunification allemande, à laquelle il s’est finalement résolu, même si elle se faisait à l’intérieur de l’Otan. Dans les années 90, les observateurs concluaient à un déclin de l’usage de la force et de sa légitimité dans les sociétés développées et nanties à partir des années 70. L’usage répété de la force par Vladimir Poutine montre bien a posteriori qu’il y eut un vrai choix de Gorbatchev. Le Parti communiste chinois assume, lui, d’avoir utilisé la force en 1989, ce qui aurait sauvé le régime et le potentiel de réussite de la Chine. Il dénonce les cadres et les membres du Parti en URSS et en Europe qui ne se sont pas levés pour défendre leur régime, et éduque donc les communistes chinois à vouloir virilement défendre le Parti. »

Pierre Grosser rappelle aussi que Gorbatchev est resté persuadé que le monde et les États-Unis auraient mieux fait de suivre ses conseils :

« Depuis les années 90, Gorbatchev a répété que s’il avait été davantage écouté, et si les États-Unis n’avaient pas été saisis d’hubris après la guerre du Golfe et la réunification allemande, le monde aurait été beaucoup plus sûr et pacifique.  »

Pour ce rôle, l’Humanité, à mon sens, doit une immense reconnaissance à cet homme qui vient de mourir à 91 ans, le 30 août 2022.

<1702>

Jeudi 29 juillet 2021

« Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. »
Zbigniew Brzezinski

Je n’avais pas entendu parler de l’Afghanistan pendant mes années de collège et de lycée. Tout au plus avais je appris par un quizz que la capitale de l’Afghanistan était Kaboul.

Je ne savais rien de ce pays montagneux et enclavé, c’est-à-dire sans accès à la mer.

Mais à partir du 27 décembre 1979, lorsque l’armée soviétique est entrée dans ce pays, non seulement nous en avons tous entendu parler et depuis il n’a plus quitté l’actualité.

Il a reçu un surnom répété à satiété par les journaux : Le Figaro : «L’Afghanistan, cimetière des empires», L’Histoire « L’Afghanistan, cimetière des empires ? », Le Point : « Afghanistan, le cimetière des empires » etc.

Il faut remonter au début du XIIIème siècle et à Gengis Khan, pour qu’un empire puisse l’intégrer. L’Empire mongole de Gengis Khan s’étendra sur toute la partie Ouest de l’Afghanistan. Mais cet empire fut éphémère.

150 ans après, Tamerlan parvint aussi pendant quelques années à conquérir ce pays :

« “Entre 1370 et 1380, Tamerlan et son armée – mêlée d’éléments turcs et mongols – conquièrent le Khwarezm, région située à la confluence des actuels Iran, Ouzbékistan et Turkménistan ;[…] Il se tourne également résolument vers l’ouest, où plusieurs campagnes, entre 1380 et 1396, lui permettent d’asseoir son pouvoir sur l’ensemble de l’Iran et de l’Afghanistan actuels. […] ces régions constituent le cœur de son empire, centré sur Samarcande »

Mais le titre de cimetière des empires a pris tout son sens quand l’Empire britannique qui avait dominé les Indes n’a pas pu s’emparer de l’Afghanistan.

Le Point rappelle un épisode particulièrement sanglant :

« Un nom résume la férocité des guerriers afghan : Gandamak. C’est dans ce défilé qu’en 1842, après le soulèvement de Kaboul, 16 000 Anglais désarmés du corps expéditionnaire de retour vers l’Inde, sont massacrés. La première déroute de l’homme blanc, bien avant la victoire des Japonais sur les Russes en 1905. »

Les Russes sont euphoriques en 1979, comme je l’ai relaté lors du mot du jour de lundi. Ils vont donc attaquer. Nous apprendrons plus loin qu’ils ont été un peu provoqués.

Mais ils vont se lancer dans cette aventure qui durera 10 ans, jusqu’à ce Gorbatchev décide du retrait en 1989 ; il est tard, trop tard pour l’Union Soviétique.

Amin Maalouf écrit :

« Les dirigeants soviétiques se sont lancés dans une aventure qui se révéla désastreuse et même fatale pour leur régime : la conquête de l’Afghanistan »
Le Naufrage des civilisations page 180

Si vous voulez tout savoir et comprendre sur ce qui s’est passé en Afghanistan avant l’invasion soviétique, pendant et après, il faut absolument regarder ces 4 documentaires passionnants d’ARTE :

Amin Maalouf raconte :

« Ce pays montagneux, situé entre l’Iran, le Pakistan, la Chine et les républiques soviétiques d’Asie centrale, comptait des mouvements d’obédience communiste, actifs et ambitieux, mais très minoritaires au sein d’une population musulmane socialement conservatrice et farouchement hostile à toute ingérence étrangère. Laissés à eux-mêmes, ces militants n’avaient aucune chance de tenir durablement les rênes du pouvoir. Seule une implication active de leurs puissants voisins soviétiques pouvait modifier le rapport de force en leur faveur. Encore fallait-il que lesdits voisins soient convaincus de la nécessité d’une telle intervention.

C’est justement ce qui arriva à partir du mois d’avril 1978. Irrités par un rapprochement qui s’amorçait entre Kaboul et l’Occident, soucieux de préserver la sécurité de leurs frontières et la stabilité de leurs républiques asiatiques et persuadés de pouvoir avancer leurs pions en toute impunité, les dirigeants soviétiques donnèrent leur aval à un coup d’État organisé par l’une des factions marxistes. Puis, lorsque des soulèvements commencèrent à se produire contre le nouveau régime, ils dépêchèrent leurs troupes en grand nombre pour les réprimer, s’enfonçant chaque jour un peu plus dans le bourbier.

Comme cela est arrivé si souvent à travers l’Histoire – mais chacun s’imagine que pour lui les choses se passeraient autrement – les dirigeants soviétiques s’étaient persuadés que l’opération de pacification qu’ils menaient serait de courte durée et qu’elle s’achèverait sur une victoire décisive. »
Le Naufrage des civilisations page 180

Les soviétiques pensaient que les américains traumatisés par leur défaite lors de la guerre du Viêt-Nam et englués dans la prise d’otage de leur ambassade de Téhéran n’avaient aucun désir de se lancer dans de nouvelles aventures et au-delà de quelques protestations ne feraient rien.

Et s’il fallait un argument supplémentaire ils avaient pu constater que l’envoi de troupes cubaines en Angola avait laissé les américains impassibles.

Et apparemment, dans un premier temps le plan des soviétiques se passait comme prévu. A cette nuance près que l’armée rouge avait pu s’emparer des grandes villes et des principales routes. Le reste de l’Afghanistan leur échappait. Tous ces territoires étaient aux mains de combattants nationalistes et musulmans.

Au sein de l’administration Carter le ministre des affaires étrangères, appelé aux USA le secrétaire d’État était tenu par un polonais comme le Pape ; Zbignizw Brzezinski, dit « Zbig ».

Comme le cardinal de Cracovie, le destin de son pays natal avait fait naître en lui un anti communisme féroce auquel s’ajoutait un fort ressentiment contre l’Union soviétique continuateur de l’empire russe qui avait si souvent imposé sa volonté au peuple polonais.

A l’occasion de sa mort Le Point lui avait rendu hommage : « Brzeziński, l’héritage d’un géopolitologue majeur »

Amin Maalouf raconte :

« En juillet 1979, alors que Kaboul était aux mains des communistes afghans qui y avaient pris le pouvoir, et que des mouvements armés commençaient à s’organiser pour s’opposer à eux au nom de l’islam et des traditions locales, Washington avait réagi en mettant en place, dans le secret, une opération dont le nom de code était « Cyclone », et qui visait à soutenir les rebelles. Avant que la décision ne fut prise, certains responsables américains s’étaient demandé avec inquiétude si une telle opération n’allait pas pousser Moscou à envoyer ses troupes dans le pays. Mais cette perspective n’inquiétait nullement Brzezinski. Il l’appelait de ses vœux. Son espoir était justement que les Soviétiques, incapables de contrôler la situation à travers leurs alliés locaux, soient contraints de franchir eux-mêmes la frontière, tombant ainsi dans le piège qu’il leur tendait »
Le Naufrage des civilisations page 196

Les américains ont donc aidés les forces islamiques qui se battaient contre le pouvoir afghan communiste de Kaboul. En outre, il fallait que l’URSS le sache et consente à intervenir. Dès lors, Zbig pensait que ce serait un Viet Nam à l’envers : les soviétiques englués par une guérilla et les américains aidant la guérilla à faire de plus en plus mal à l’armée régulière.

Dans un entretien avec le journaliste Vincent Jauvert, publié dans le nouvel Observateur du 15 janvier 1998, soit près de 20 ans après, Brzezinski affirme :

«  Oui. Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidine a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan, le 24 décembre 1979.

Mais la réalité gardée secrète est tout autre : c’est en effet le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des Soviétiques.

[…] Nous n’avons pas poussé les Russes à intervenir, mais nous avons sciemment augmenté la probabilité qu’ils le fassent.

Le Nouvel Observateur : Lorsque les Soviétiques ont justifié leur intervention en affirmant qu’ils entendaient lutter contre une ingérence secrète des Etats-Unis en Afghanistan, personne ne les a crus. Pourtant il y avait un fond de vérité. Vous ne regrettez rien aujourd’hui ?

Zbigniew Brzezinski : Regretter quoi ? Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège Afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique. » »

Et les américains vont donner des armes et des armes aux combattants d’Afghanistan. Des armes de plus en plus sophistiquées comme les célèbres missiles Stinger qui abattront les avions russes.

Dans les documentaires d’Arte, un intervenant explique que c’était très rentable : Un mois de présence des armées américaines en Afghanistan coutait aussi cher que l’ensemble de l’aide fourni pendant les 10 ans de guerres des afghans contre l’armée rouge.

Parce que les américains aussi se sont laissés piéger par « le cimetière des empires ».

Ils sont entrés en guerre en 2001 et ils ne partent que maintenant. Ils seront restés plus longtemps que les soviétiques et ils partent aussi vaincus.

Parce qu’après le départ des soviétiques en 1989, les chefs de guerre afghans surarmés ne se sont pas unis pour gouverner le pays mais se sont entretués.

Alors est né une armée islamique entièrement soutenue par le Pakistan : les Talibans. Ils ont vaincus les chefs de guerre et imposé leur triste, cruel et archaïque régime islamique.

Et à côté d’eux des fous de Dieu, se réclamant de l’Islam, venant d’Arabie saoudite et d’ailleurs et ayant à leur tête Oussama Ben Laden ont utilisé leur expérience et leur savoir pour attaquer l’occident par des actes de terrorisme dont les terribles attentats 11 septembre 2001.

Les talibans refusant de livrer Ben Laden, les américains aidés par la Grande Bretagne, la France et une grande coalition ont envahi l’Afghanistan et s’y sont empêtrés comme les autres

Et ils s’enfuient comme les autres,

Le Point du 22 Juillet 2021 titre : « La déroute de l’occident »

Les Talibans sont de nouveau aux portes du pouvoir. S’ils y arrivent ils ne feront pas seulement de l’Afghanistan le cimetière des empires mais aussi le cimetière des femmes.

Zbigniew Brzezinski n’exprimait aucun regret en 1998. A la question : « Vous ne regrettez pas non plus d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ? »

Il a répondu : « Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes où la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »

Il est paradoxal de finir cet article consacré à la désastreuse invasion des soviétiques par la déroute de l’Occident dans ce même pays.

Mais c’est ainsi que ce sont passés les choses depuis 1979. Les américains et les occidentaux ont financé, armé et soutenu des monstres qui se sont retournés contre eux.

Il est vrai qu’entretemps, comme dit Zbig, l’Empire soviétique s’est effondré.

La guerre d’Afghanistan fut un traumatisme pour les soldats russes. On ne connaît pas avec précision les pertes de l’armée rouge, la Russie n’a jamais voulu communiquer sur ce sujet. On estime à 1 000 000 de morts les pertes afghanes essentiellement civiles. Wikipedia donne une fourchette entre 562 000 et 2 000 000 morts. Il y eut aussi 5 millions de réfugiés afghans hors d’Afghanistan, 2 millions de déplacés internes et environ 3 millions d’afghans blessés, majoritairement civils (l’afghanistan compte 36 millions d’habitants environ). Et ce n’était qu’un début, les chefs de guerre, les talibans puis les américains et maintenant le retour des talibans vont encore aggraver ce terrible bilan.

<1598>

Mercredi 28 juillet 2021

« Rien de ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait été possible sans la présence de ce pape »
Mikhaïl Gorbatchev

Le 16 octobre 1978, une fumée blanche s’élève au-dessus des toits du Vatican.

Après deux jours de réclusion et huit tours de scrutin, les cardinaux réunis en conclave dans la chapelle Sixtine viennent d’élire le 264e successeur de Saint Pierre à la tête de l’Église catholique.

Le cardinal Pericle Felici en tant que doyen des cardinaux électeurs, le terme savant est : « le cardinal protodiacre », s’avance sur le balcon de la basilique Saint Pierre et annonce à la foule des fidèles réunis sur la place Saint Pierre :

« Annuntio vobis gaudium magnum :
habemus papam.
Eminentissimum ac reverendissimum dominum,
dominum Carolum,
Sanctae Romanae Ecclesiae cardinalem Wojtyła ,
qui sibi nomen imposuit Ioannis Pauli »

Pour celles et ceux qui ne lisent pas couramment le latin, je donne la traduction :

« Je vous annonce une grande joie :
nous avons un Pape.
Le très éminent et très révérend seigneur,
Monseigneur Karol
cardinal de la sainte Église romaine, Wojtyła
qui s’est donné le nom de Jean-Paul  »

Voici ce que la télévision a retransmis : <Election du pape Jean-Paul 2>

Quand j’écoute le cardinal, j’entends qu’il prononce : « Woïtiwa »

Un reportage publié à l’époque par le Nouvel Observateur relatait la stupeur qui avait saisi la foule. Certains pensaient qu’il s’agissait d’un africain. Finalement :

« les Italiens se précipitent sur L’Osservatore romano du 15 octobre [qui listait les éligibles] pour découvrir la tête et l’origine de cet inconnu. “E Polacco!” [“C’est le Polonais”], laisse tomber un Romain.»

<Une surprise>, il est relativement jeune (58 ans) mais surtout, il n’est pas italien.

Il faut remonter à 1522 et l’élection du Hollandais Adrian Florisce, pape sous le nom d’Adrien VI, précepteur du futur empereur Charles Quint.

Il est polonais et il est l’archevêque de Cracovie, dans la Pologne communiste.

Le Kremlin se méfie. Des responsables soviétiques téléphonent aux responsables polonais et leur reprochent d’avoir permis que cet individu soit devenu cardinal car s’il n’était pas cardinal, il n’aurait jamais été élu

<Slate> dit à la fois que c’est factuellement faux, mais en pratique très probable :

« On peut même être élu sans être cardinal: il suffit juste d’être catholique et baptisé –si le candidat élu n’est pas évêque, il devient automatiquement évêque de Rome. Le dernier pape non cardinal était Urbain VI (1378-1389). »

Ce même journal révèle que des indiscrétions sur le conclave de 1978 affirment que Jean Paul II n’avait recueilli qu’un nombre très modeste de voix dans les premiers tours, avant de profiter, au bout du troisième jour, du blocage du conclave entre deux cardinaux italiens, un conservateur et un progressiste.

On sait que Karol Wojtyla (1920-2005) est un sportif, il a fait du théâtre et il a même écrit des pièces de théâtre. Mais c’est la Foi et la religion qui l’ont conquis.

Il est doté d’un charisme exceptionnel et il va engager la lutte avec les communistes.

Son premier voyage est en Amérique du Sud. Dans cet Amérique du Sud des religieux se battent contre les dictatures et l’exploitation des ouvriers par des patrons sans scrupules bien que croyant. Leur doctrine s’appelle « La théologie de la Libération ».

Jean Paul II assimile ce courant de pensée à une pensée marxiste et il va la combattre avec ardeur.

Il faut regarder ce documentaire d’Arte <Jean-Paul II le triomphe de la réaction> qui montre que s’il n’a pas de mots assez durs pour fustiger les atteintes aux libertés et aux droits de l’homme dans les pays de l’est parce qu’ils sont gouvernés par des communistes, il n’exprime pas la même critique contre des régimes de droite et d’extrême droite qui violent les mêmes droits de l’homme contre leurs opposants. Opposants que Jean Paul II classe dans la catégorie des communistes.

En 1979, il décide d’aller en Pologne.

Brejnev, le vieux dirigeant soviétique appelle tout de suite Edward Gierek, Premier secrétaire du Parti ouvrier unifié polonais et lui intime l’ordre de ne pas recevoir le Pape. Ce dernier passe outre, il pense maîtriser la situation.

D’immenses foules se déplacent pour voir et participer aux cérémonies religieuses célébrées par Jean-Paul II. La télévision polonaise a ordre de ne pas filmer la foule dans son intégralité. Mais Jean Paul II a emmené une cohorte de professionnels avec leurs propres caméras qui vont filmer ce qui se passe. Ces pellicules ramenées en Italie seront montées en film qui sera renvoyé en Pologne. Film vu dans les églises et qui donnera aux catholiques, 90% des polonais, la conscience de leur nombre et de leur puissance.

Pendant son voyage en Pologne du 2 au 10 juin 1979, il exhortera les polonais à ne pas avoir peur utilisera le langage de la foi et de la croyance pour rejeter le communisme et appeler à sa disparition des terres de Pologne.

En 1980, apparaîtra le syndicat libre Solidarnosc et Lech Walesa sur les chantiers d Gdansk.

Ce ne sera pas un long fleuve tranquille.

Mais le soutien du Pape et les financements du Vatican ne manqueront jamais. Jean Paul II trouvera en Ronald Reagan un allié de poids qui déteste les communistes autant que lui et apportera aussi des financements qui passeront par l’église catholique.

Reagan et Jean Paul II utiliseront la Pologne pour aider à une lame de fond qui aboutira à la chute du mur en 1989.

Brejnev aurait dit que le communisme n’était pas réformable que si on commençait à le réformer il s’écroulerait.

Gorbatchev pensait le contraire et il a essayé de le réformer.

Il s’est même rendu au Vatican avec sa femme Raïssa pour rencontrer le pape Jean Paul II le <1er décembre 1989> et lui annoncer qu’il était d’accord dans le cadre de ses réformes d’accorder la liberté religieuse dans les pays communistes. Et c’est à cette occasion qu’il a tenu ce propos :

« Rien de ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait été possible sans la présence de ce pape »

Nous connaissons la fin de cette histoire.

C’est Brejnev qui avait raison !

Deux ans plus tard, le 25 décembre 1991, Michael Gorbatchev annonçait sa démission : l’URSS était dissoute.

La Chine voyant cet effondrement s’est jurée de ne jamais commettre les mêmes erreurs que les soviétiques et Gorbatchev.

L’historien <Pierre Grosser> déclare :

« La référence, pour les dirigeants chinois, c’est 1989-1991, avec la chute des régimes communistes en Europe et de l’Union soviétique, et la victoire des États-Unis dans la guerre du Golfe grâce à leur armée de haut niveau technologique. Il ne faut pas faire les mêmes erreurs que Gorbatchev, qui a sacrifié le rôle dirigeant du Parti et laissé monter les revendications nationales dans l’Empire. Il a aussi laissé les influences idéologiques (la pollution spirituelle) de l’Occident dissoudre le communisme. Les États-Unis arrogants ne doivent pas pouvoir faire la même chose avec la Chine. Le Parti a sauvé la Chine en utilisant la force à Tiananmen en 1989, en relançant des réformes contrôlées qui ont donné naissance à un modèle plus efficace que le capitalisme occidental, et en opérant une modernisation militaire dissuadant les États-Unis. »

Alors est ce que Jean Paul II a été le principal artisan de la chute des démocraties populaires de l’Europe de l’est ?

A cette question, comme à beaucoup d’autres, l’homme honnête du XXIème siècle est obligé de répondre : « Je ne sais pas ».

Jean Paul II a lui-même relativisé son importance :

« Le communisme est tombé tout seul à cause de sa faiblesse immanente »

Amin Maalouf écrit :

« Né en Pologne, Karol Wojtyla alliait un conservatisme social et doctrinal à une combativité de dirigeant révolutionnaire. […] Son influence allait se révéler capitale »
Le Naufrage des civilisations, page 176

<1597>

Lundi 26 juillet 2021

«  [En 1979] Pour qui se fiait à l’apparence des choses, l’Union soviétique semblait voler de triomphe en triomphe »
Amin Maalouf

Pour finir la description des évènements de 1979 qui ont constitué l’année du grand retournement dont les conséquences expliquent beaucoup de ce que le monde vit aujourd’hui, nous allons parler de l’Union soviétique. Parce qu’à l’époque le monde était divisé en deux par la guerre froide.

Et en 1979, l’Union Soviétique semblait engranger succès après succès.

Nous avons vu que la révolution islamique avait privé les États-Unis de son grand allié l’Iran. La prise d’otage de l’ambassade de Téhéran constituait une humiliation pour le grand rival de l’URSS.

Et ce n’était qu’une humiliation qui succédait à d’autres.

Le gouvernement américain s’était engagé de manière massive dans <la guerre du Viet Nam> pour empêcher ce pays et ses voisins de tomber dans les mains des communistes.

Au 30 avril 1969, on comptait 550 000 soldats américains en Indochine. Cette guerre fracturait la société américaine et devenait hors de prix pour les États-Unis. Richard Nixon conseillé par Henry Kissinger décida de se retirer. Ils négocièrent avec le Nord Viet-Nam communiste. Les accords de Paris furent signés le 27 janvier 1973, confirmant le retrait des troupes américaines. Mais il restait le Sud Vietnam qui était allié des Etats-Unis et qui se trouvait désormais seul face aux armées communistes.

Le résultat ne se fit pas attendre, les communistes battirent l’armée favorable aux États-Unis et la guerre prit fin le 30 avril 1975 par la prise de Saïgon qui devint Ho chi Minh ville.

La fuite des derniers américains de Saïgon le 30 avril fut aussi une humiliation.

Amin Malouf raconte :

« Jeune journaliste fasciné comme tant d’autres par ce conflit si emblématique pour ma génération, je m’étais rendu à Saïgon afin d’assister à la bataille décisive. Je savais que l’on s’approchait de l’épilogue, mais je n’imaginais pas que les choses allaient évoluer aussi vite. Le 26 mars, jour de mon arrivée, les troupes communistes venaient de prendre Hué, l’ancienne capitale impériale ; une semaine plus tard, elles étaient déjà aux abords de Saigon, 700 kilomètres plus au sud. Et il était clair que leur progression allait se poursuivre jusqu’au bout. […]

Saïgon tomba le 30 avril. Ceux qui ont connu cette époque gardent en mémoire ces scènes pathétiques où des civils et des militaires, réfugiés à l’ambassade américaine, cherchaient à s’accrocher aux derniers hélicoptères pour s’enfuir. Images plus humiliantes encore pour les sauveteurs que pour les rescapés. »
Le Naufrage des civilisations, page 177

Et la victoire communiste ne s’arrêta pas Au Viêt-Nam.

Deux semaines plus tôt, le 17 avril 1975, les troupes des Khmers rouges étaient entrées dans Phnom Penh et renversèrent le régime du Général Lon Nol que les États-Unis avaient mis en place par un coup d’État.

Et les communistes prennent aussi l’intégralité du pouvoir au Laos lorsqu’ils poussent le roi Savang Vatthana à abdiquer, le 2 décembre 1975.

Ainsi comme des dominos un État après l’autre devint communiste.

Les américains qui étaient entrés dans la guerre du Viêt-Nam justement pour empêcher cela, avaient totalement échoué par rapport à leur but de guerre.

Et Amin Maalouf rappelle que « Ce phénomène ne se limitait d’ailleurs pas à l’Indochine. »

Et il cite :

  • Quand le Portugal, après « la révolution des Œillets » d’avril 1974 décida de donner l’indépendance à ses colonies africaines, les cinq nouveaux États africains qui virent aussitôt le jour furent tous dirigés par des partis d’obédience marxiste : Angola, Mozambique, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau et Sao-Tomé-Et-Principe.
  • Outre les colonies portugaises, il y avait aussi en Afrique, Madagascar, Le Congo Brazzaville, la Guinée Conakry qui avaient des régimes proches de l’Union soviétique.
  • Il y eut même un bref moment, où dans la corne de l’Afrique, les deux principaux pays, l’Éthiopie et la Somalie étaient gouvernés par des militaires se réclamant du marxisme-léninisme.
  • Et sur la péninsule arabique, le Yémen du Sud, État indépendant dont la capitale était Aden, s’était proclamé « république démocratique populaire » sous l’égide d’un parti de type communiste, doté d’un politburo.

Bref, dans la guerre froide le bloc de l’est était en train de gagner du terrain et les américains étaient en train d’en perdre et surtout avait été finalement vaincu dans la guerre du Viêt-Nam.

Mais si extérieurement, il semblait que l’Union soviétique était forte et conquérante, à l’intérieur elle était fragile par une organisation politique rigide et sclérosée et une économie sans dynamisme et au bout du rouleau.

Amin Maalouf écrit :

« Quand on se replonge dans les années 70, on ne peut s’empêcher de trouver pathétique le spectacle de cette superpuissance lancée à corps perdu dans une stratégie de conquêtes, sur tous les continents, alors que sa propre maison, sur laquelle flottaient les étendards ternis du socialisme, du progressisme, de l’athéisme militant et de l’égalitarisme, était déjà irrémédiablement lézardée, et sur le point de s’écrouler.

Pour qui se fiait à l’apparence des choses, l’Union soviétique semblait voler de triomphe en triomphe. Au Vietnam, où le monde communisme et le monde capitaliste s’étaient affrontés sans répit dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le conflit était arrivé à son terme en avril 1975. »
Le Naufrage des civilisations, page 177

Emmanuel Todd, à 25 ans, allait devenir célèbre et restera pour longtemps, le démographe visionnaire en publiant en 1976 : « La Chute finale » sous-titré « Essai sur la décomposition de la sphère soviétique » dans lequel il décrit la décomposition du système communiste et la chute inéluctable qui attend l’Union soviétique.

Wikipedia constate que « Ce livre constitue un rare exemple de prospective totalement validée par les faits et a donné rétrospectivement à son auteur une grande autorité dans l’analyse des faits sociaux, économiques et géopolitiques. »

<1597>

Jeudi 25 mars 2021

« La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »
Karl Marx

Pierre Nora prétend que La Commune « n’a pas apporté grand-chose ». J’ai rapporté ces propos lundi.

Dans le numéro de la Revue « L’Histoire » de janvier 2021 que j’ai cité mardi, l’Historien Quentin Deluermoz dans son article « L’impossible République : Gouverner au ras du sol » ne dit pas autre chose :

« L’avis est largement partagé : le bilan concret de la Commune de Paris est mince. Le décret du 20 avril 1871 interdisant le travail de nuit des boulangers est au fond « la seule mesure véritablement socialiste de la Commune », regrettait déjà l’internationaliste Léo Frankel début mai. Les commentateurs et les historiens, qu’ils soient pour ou contre la Commune, ont ensuite évoqué un « brouillon » pour les idéologies à l’œuvre, voire une « ébauche maladroite », un système « balbutié ». »

Marx s’est beaucoup intéressé à cette révolution. Il a écrit « La guerre civile en France » terminé fin mai 1871, alors que la commune venait à peine d’être écrasée. Ce livre a été mis en ligne par nos amis canadiens au <format pdf>

Quentin Deluermoz rapporte les propos que Marx a tenu:

« La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence ».

L’étonnant c’est en effet que cela a pu exister.

Même si en fin de compte cela a raté.

L’article de la Revue « L’Histoire » donne la liste des réformes que la Commune a entreprises :

  • Adoption du drapeau rouge, celui des « travailleurs », à la place du drapeau tricolore jugé trop « bourgeois ».
  • Remise générale des loyers des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871.
  • Suppression de la vente des objets déposés au Mont-de-Piété.
  • Abolition de la conscription.
  • École gratuite et obligatoire pour les filles et les garçons.
  • Séparation des Églises et de l’État, suppression du budget des cultes.
  • Interdiction du cumul, fixation du maximum des traitements à 6 000 francs par an.
  • Fixation des émoluments des membres de la Commune à 15 francs par jour.
  • Traitement des instituteurs et institutrices à 2 000 francs.
  • Suppression de la catégorie « illégitimes » pour les enfants nés hors mariage et reconnaissance des unions libres.
  • Suppression du travail de nuit dans les boulangeries.

On peut quand même noter des réformes très modernes qui vont être reprises un peu plus tard par la IIIème République :

  • L’école gratuite
  • La Séparation de l’église et de l’état
  • L’abolition de la bâtardise, c’est-à-dire du statut infamant et inférieur des enfants nés hors mariage

Ce n’est pas rien, d’avoir ainsi ouvert des voies vers une plus grande justice.

La Commune a aussi donné une bien plus grande place aux femmes que celle que leur accordait la société qui l’a combattue.

Quentin Deluermoz écrit : :

« En soixante-douze jours, le gouvernement de la Commune a soulevé de grands espoirs, mais son bilan est nuancé. »

Mais c’est très court 72 jours. Et puis cette période ne s’est pas passée dans la sérénité mais dans la violence et la guerre que les communards ont eut à affronter contre les versaillais.

La commune avait aussi d’autres projets quelle n’a pas même pas pu mettre en œuvre :

  • Réorganisation de la justice : gratuite et rendue par des jurys élus.
  • Attribution des ateliers abandonnés par les patrons « déserteurs » aux associations ouvrières.
  • Élection des fonctionnaires.
  • Un crédit industriel et ouvrier.

Quentin Deluermoz insiste sur deux points : l’enseignement et la libération de la parole.

L’enseignement devait être laïque :

« Ainsi de l’enseignement sous l’égide des municipalités : remplacement des congréganistes par des instituteurs laïques dans le IIIe arrondissement, multiplication des écoles de filles dans le XVIIe. Mieux : une autre conception pédagogique est alors défendue, celle de l’« éducation intégrale », à la fois professionnelle et intellectuelle. Les objectifs généraux de cette « éducation communale » sont fréquemment rappelés, comme sur cette affiche du IVe arrondissement : « Apprendre à l’enfant à aimer et à respecter ses semblables. Lui inspirer l’amour de la justice ; lui enseigner également qu’il doit s’instruire en vue de l’intérêt de tous. »

La libération de la parole est aussi un grand moment de modernité qui s’accompagne d’un mouvement anti-clérical qui deviendra le combat des radicaux de la IIIème république :

« La « République de Paris » est aussi un moment de libération de la parole. Critiques, attentes, projets, espoirs des Parisiens, notamment des plus fragiles, s’expriment d’une manière inédite. La multiplication des titres de presse, des placards, des affiches, en témoigne : « Nous voulons affranchir le prolétariat, que chacun vive de son travail ; plus de paresseux, plus de parasites, plus d’exploiteurs, plus d’exploités, vivre en travaillant ou mourir en combattant » (avis de la délégation communale du Ier arrondissement, 13 avril) ; « Montrons que nous sommes les dignes fils de 1789 » (appel d’un commandant de la Garde nationale, 20 mars).

Les clubs sont un autre lieu essentiel de cette parole libérée. Les participants y discutent tour à tour de la guerre, de la haine des curés et des propriétaires, de la fin de la misère, de l’harmonie espérée ou du souvenir du coup d’État de 1851. Un certain nombre de clubs se sont installés dans les églises. Dans le cadre d’un mouvement très anticlérical, les bâtiments sont parfois mis à mal. La signification de ces appropriations doit être bien comprise : il s’agit-rien de moins que remplacer l’exercice d’une parole divine, venue d’en haut, par celui d’une parole démocratique et populaire. Ce faisant, les communards sécularisent l’espace urbain et constituent, à partir de l’ancien, des lieux « autres » dans la ville.»

Il y a enfin une aspiration vers une démocratie plus directe et plus proche du terrain. Ainsi les bataillons de la Garde nationale élisent directement leur chef.

La commune prône aussi le mandat impératif, qui oblige les élus à rendre des comptes et les rend révocables à tout instant.

L’historien Jacques Rougerie qui a écrit de nombreux ouvrages sur la commune évoque la volonté « d’être son propre maître » et une « aspiration profonde du peuple de Paris, du moins d’une majorité […], à une démocratie vraie ».

Et pour en revenir à Marx, dans son ouvrage cité, il pensait que la commune était la prémisse de la révolution communiste, une première tentative de prise de pouvoir par la classe ouvrière.

La commune fut d’ailleurs la première à utiliser le drapeau rouge comme symbole.

Mais la pensée de Marx sur la Commune allait évoluer et probablement un peu en raison de sa confrontation avec certains d’entre eux.

D’abord plein de bonnes intentions à l’égard des vaincus, il se heurta bientôt à la part anarchiste d’un certain nombre de communards.

Dans la revue « L’histoire » Michel Cordillot raconte :

«  Au cours des mois qui suivent environ 2 000 communards rescapés arrivent à Londres, souvent dans le plus grand dénuement. Marx joue un rôle essentiel au sein du Comité d’aide aux réfugiés pour récolter des secours et leur trouver du travail. Mais, alors que les dissensions s’aggravent au sein de l’Internationale, il est pris à partie, parfois même accusé d’avoir détourné des fonds ou d’être un complice de Bismarck. Après la conférence de Londres (septembre 1871) et plus encore après le congrès de La Haye (septembre 1872) à l’issue duquel la rupture avec les anti-autoritaires est consommée, ses relations avec la plupart des anciens communards deviennent exécrables sur fond de désaccords politiques et stratégiques. Avec le transfert du Conseil général à New York, la longue agonie de l’Internationale commence, ce qui va permettre à Marx de prendre du recul pour mieux se consacrer à ses travaux théoriques. La lettre adressée par Engels à leur ami américain Friedrich Sorge à la mi-septembre 1874 reflète la lassitude que Marx et lui éprouvent : « L’émigration française est tout à fait divisée […]. Ces gens-là veulent tous vivre sans travailler vraiment, ont la tête pleine de prétendues inventions qui rapporteront des millions […]. La vie irrégulière qu’ils ont menée pendant la guerre, la Commune et l’exil a fait perdre tout sens moral à ces gens. »

Dix ans après la Commune, Marx voit la Commune avec un autre regard :

Dans une lettre citée par Cordillot et qu’il adresse à Ferdinand Domela Nieuwenhuis le 22 février 1881, il dresse d’abord ce constat :

« Outre qu’elle fut simplement la rébellion d’une ville dans des circonstances exceptionnelles, la majorité de la Commune n’était nullement socialiste et ne pouvait pas l’être. »

Et il ajoute :

« Avec un tout petit peu de bon sens, elle eût pu cependant obtenir de Versailles un compromis favorable à toute la masse du peuple, ce qui était la seule chose possible alors. »

Michel Cordillot suggère donc que Marx semble en être arrivé à la conclusion que la Commune n’avait pas été la révolution ouvrière ouvrant la voie à l’extinction du capitalisme telle qu’il l’avait imaginée.

Cela ne rend que plus pertinent le jugement précédent qu’il avait porté : « La grande mesure de la Commune, ce fut sa propre existence »

<1542>

Lundi 22 mars 2021

« Oui [il faut commémorer] Napoléon, Non la commune »
Pierre Nora

Le 18 mars 1871, la population parisienne et les gardes nationaux refusèrent de rendre les canons, achetés avec l’argent d’une souscription publique, au gouvernement de la France dirigé par Adolphe Thiers, retranché à Versailles, et qui avait signé un armistice avec la Prusse et ses alliés allemands reconnaissant la défaite de la France, le 26 janvier 1871. Ce premier épisode sanglant constitue le début de cette période insurrectionnelle qu’on appela : « La Commune ».

La commune dura 72 jours, et s’acheva par la « Semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871, pendant laquelle l’armée du gouvernement de Versailles, sous le regard bienveillant des troupes prussiennes qui encerclaient toujours Paris suite à un siège qui débuta en septembre 1870, reprirent Paris, barricade après barricade, en fusillant et massacrant massivement les « communards »

C’était il y a 150 ans.

Le 5 mai 1821, « à 17 heures et 49 minutes », Napoléon Ier meurt à l’âge de 51 ans, sur l’île de Saint Hélène lors de son exil qui a fait suite à sa défaite militaire à Waterloo.

C’était il y a 200 ans.

Dans la France contemporaine qui s’est fait une spécialité des commémorations, ces deux anniversaires posent des problèmes au gouvernement actuel. Et pour une fois la COVID 19 ne joue pas un rôle prépondérant dans ces difficultés.

Pierre Nora, est un historien français important, membre de l’Académie française, connu pour ses travaux sur la composante mémorielle de l’Histoire.

Parmi ses œuvres on cite souvent l’ouvrage collectif qu’il a dirigé : « Les Lieux de mémoire », Gallimard

Il était donc assez rationnel de poser, à ce spécialiste des Mémoires françaises, la question de ces deux commémorations potentielles.

Ce sont Léa Salamé et Nicolas Demorand qui, sur France Inter, se sont chargés de lui poser cette question lors du <Grand entretien du 4 mars 2021>.

Il s’était visiblement prépare à la question puisqu’il a répondu immédiatement qu’il fallait commémorer Napoléon mais pas la Commune.

Il estime que « La polémique est ridicule » : autour de Napoléon.

« [Napoléon] a une dimension tellement historique, qui a eu sur l’Europe une conséquence si positive, il a apporté la révolution dans les pays qu’il a conquis, il a créé les institutions sous lesquelles nous vivons encore à beaucoup d’égard, […] c’est le personnage de l’imaginaire romantique français incarné. ».

Il reconnait cependant qu’il a une face sombre et notamment qu’il a eu tort à partir de 1806 de lancer la France dans la guerre.

Et donc il dit non à la commémoration de la commune :

« Parce qu’elle n’a pas apporté grand-chose ».

Et il ajoute qu’elle a perdu sa portée subversive quand Georges Pompidou est venu s’incliner devant le mur des fédérés en 1971 :

« Le fondé de pouvoir de la banque Rotschild qui venait mettre pied à terre devant les bords de la Commune ça voulait dire que la mémoire ouvrière était morte dans son inspiration révolutionnaire, elle ne faisait plus peur. »

Bref, pour Pierre Nora, la commune n’a pas à être commémoré parce qu’elle fait partie des vaincus de l’Histoire.

Cependant, nous devons quand même constater que Napoléon, malgré son prestige et les 5 cercueils qui entourent son corps sous le dôme des Invalides, fait aussi partie des vaincus de l’Histoire.

Il reste, en effet, l’imaginaire romantique. Mais il ne fait pas partie de ces souverains qui ont rendu leur pays plus fort à la fin de leur règne qu’il ne l’était à leur début.

J’avais évoqué la position que Lionel Jospin développait, à son propos, dans son livre de 2014 lors du mot du jour du <15 avril 2014> et qui portait pour exergue cette phrase de l’ancien premier ministre :

« [Je suis] Intrigué par le contraste entre le bilan de Napoléon, désastreux et la gloire qui s’attache à son nom avec cette récurrence de la tentation bonapartiste en France. »

Je n’ai pas le pouvoir de décider des anniversaires qui doivent être commémorés et de ceux qui n’ont pas cette vocation.

Mais dans les jours qui viennent, je vais parler de la « Commune» parce que je pense que cet épisode de l’Histoire de France mérite qu’on s’y arrête un peu pour l’évocation des évènements mais aussi pour la trace et l’imaginaire que ces 71 jours ont provoqué.

En attendant vous pouvez voir un remarquable film documentaire réalisé par Raphaël Meyssan qui raconte cette histoire autour de gravures d’époque.

Ce film a été diffusé sur ARTE .

Il a pour titre <Les damnés de la Commune>.

Raphael Meyssan d’abord écrit un roman graphique ayant le même titre <Les damnés de la commune en 3 tomes>

Je n’ai pas lu ces livres mais regardé avec beaucoup d’intérêt le résultat filmé de cette démarche.

ARTE présente cette réalisation de la manière suivante ;

« Raphaël Meyssan a adapté les trois tomes de son roman graphique éponyme, pour lequel il avait collecté des centaines de gravures dans les journaux et les livres de l’époque.
De cette patiente quête d’archives − huit ans de recherches −, le graphiste et réalisateur tire un film unique, à l’esthétique et au dispositif étonnants.
La caméra plonge au cœur de ces dessins magnifiques, émouvants et subtilement animés, puis zoome, scrute et caresse pour restituer cette tragique épopée dans le moindre de ses détails en une fresque prodigieuse.
À mi-chemin entre Les misérables de Victor Hugo et les bandes dessinées documentaires de Joe Sacco, Raphaël Meyssan compose, en incluant le récit de Victorine, une jeune révoltée, une narration limpide qui parvient, à destination de tous les publics, à rendre fluide le chaos de la Commune.  ».

<1539>

Vendredi 8 novembre 2019

« La réunification de l’Allemagne ? Ce fut une annexion – [Non] cela a été tranché par le vote des allemands de l’est»
Jean-Luc Mélenchon & Daniel Cohn-Bendit

Demain, nous commémorerons le 30ème anniversaire de la chute du mur de Berlin : le 9 novembre 1989.

Certains affirment que les années en 9, sont très importantes pour l’Histoire. Je tenterais peut être une série à ce sujet : certaines années se terminant par 9.

Le 9 novembre 1989, j’avais 31 ans et je ne croyais pas ce que je voyais. Je ne m’imaginais pas que le système communiste s’effondrerait aussi rapidement.

Je ne reviendrais pas sur le contexte de cet évènement tout en rappelant qu’à cette date les allemands de l’est pouvaient déjà rejoindre assez massivement l’Ouest en passant par la Hongrie.

Je ne m’étendrais pas davantage sur l’étonnante manière qui a conduit à ce que le 9 novembre 1989, les portes du mur de Berlin s’ouvrent en rendant célèbre pour l’Histoire Günter Schabowski qui était à ce moment-là le porte-parole du gouvernement de la RDA.

Il y a cette petite <vidéo> qui rappelle cela. Et dans l’émission <C a vous> consacrée à cet évènement vous pourrez visualiser la feuille sur laquelle se trouvait les notes de Günter Schabowski et qu’il tenait devant ses yeux pendant sa conférence de presse.
Ce papier griffonné et peu lisible est présenté au musée de Berlin.
Il s’agit d’un document historique.

La chute du mur et l’ouverture des frontières ont rendu la réunification allemande possible.

Sur ce point, il y aurait matière à de très longs développements, sur les réticences de François Mitterrand et de la France, de la volonté sans faille d’Helmut Kohl et du fatalisme de Mikaël Gorbatchev, ainsi que de toutes les longues tractations qui ont rendu la renaissance d’une seule Allemagne possible.

Mais ce n’est pas de cela que je vais parler aujourd’hui.

Au départ, il y a la « Une » du Monde Diplomatique de ce mois de novembre :

« Allemagne de l’Est, histoire d’une annexion »

Puis il y eut la réaction de Jean-Luc Mélenchon sous forme de tweet qui en renvoyant vers cette « Une » a ajouté :

« Enfin le mot juste pour nommer ce qui s’est passé il y a trente ans. Une violence qui n’en finit plus de se payer. »

C’était jeudi de la semaine dernière.

Dimanche, Jean-Luc Mélenchon était l’invité sur France Inter à <Questions Politiques>.

A la fin de l’émission (51:24 de la video), Ali Baddou est revenu sur l’évènement et sur ce tweet.

Et Jean-Luc Mélenchon a confirmé et précisé son « gazouillis » :

« D’abord c’est une annexion, je vous renvoie à mon livre, “le Hareng de Bismarck”, où je fais la démonstration, où je montre comment l’Allemagne de l’Est a été annexée. Ce n’était même pas constitutionnel. Ce n’était pas ce que demandaient les Allemands de l’Est. Ils voulaient, eux-mêmes, faire une Constituante, ils voulaient voter, se prononcer sur l’intégration Est-Ouest et sur la préservation d’un certain nombre de leurs acquis. Dans ce pays, un autre pays voisin a annexé toutes les usines du pays, changé toutes les institutions et modifié le régime de la propriété. Ça s’appelle une annexion. […] C’est une violence sociale inouïe qui a été commise contre les Allemands de l’Est, comme dans tout le reste de l’est de l’Europe et ce n’est pas une bonne chose. »

Le Lundi matin, toujours sur France Inter, l’invité était Daniel Cohn Bendit : <Cette fois la question est posée en début d’entretien>

Daniel Cohn Bendit considère que les propos de Jean-Luc Mélenchon sont d’«une bêtise incroyable »

Et il raconte :

«Ce que fut il y a trente ans la réunification, c’est un mouvement extraordinaire en Allemagne de l’Est pour abattre une dictature. […] Moi, j’ai pleuré, j’ai pleuré… Quand les murs tombent, que cela soit les murs de la dictature au Portugal, que cela soit les murs de la dictature en Espagne, que cela soit les murs au Chili, c’est quelque chose d’extraordinaire. […]

Et ce mouvement non violent extraordinaire de millions de citoyens d’Allemagne de l’Est qui ont fait tomber le mur, ce n’était pas une annexion. »

Il a cependant reconnu que tout n’a pas été parfait et qu’à l’époque d’autres voies auraient peut-être été possible. Mais il ajoute :

« Le débat a été tranché par le vote des gens en Allemagne de l’Est. Ils ont voté à majorité CDU [le parti conservateur, du chancelier Kohl], bah j’y peux rien, c’est la démocratie. »

J’innove aujourd’hui, pour la première fois l’exergue que j’utilise est la concaténation d’avis divergents.

Qui a raison, qui a tort ?

A cet instant je pense à une histoire que me racontait mon père.

Un vieux sage reçoit la visite d’un homme qui lui raconte des faits et tire une conclusion de ces faits. Le vieux sage approuve la conclusion et dit : « tu as raison ».

Un jour plus tard, un autre homme lui rend visite et raconte les mêmes faits, à sa manière et finit par une conclusion diamétralement opposée à celle du précédent visiteur. Le vieux sage approuve aussi cette conclusion et dit : « tu as raison ».

L’épouse du sage qui avait assisté aux deux conversations dit un peu plus tard : « Tu as dit au premier qu’il avait raison, et tu viens de dire au second qui dit l’inverse qu’il a raison aussi ? ».

Je me souviens du sourire malicieux de mon père en rapportant le propos du sage à son épouse : « Tu as raison !».

Il ajouta cependant : « Chacun a raison par rapport au point de vue dans lequel il se place ! »

La réunification de l’Allemagne fut bien une annexion. Les États de la RDA entrèrent dans la République Fédérale Allemande en reprenant la constitution, les règles, l’organisation économique et sociale de la République Fédérale.

D’autres voies auraient été possibles, étaient proposées.

Mais c’est celle qu’avançait le chancelier de l’Allemagne de l’Ouest et son parti la CDU qui fut approuvée par le vote démocratique des allemands de l’Est.

Une annexion n’est pas forcément un acte de guerre. Le dictionnaire du CNRS dit explicitement :

« Tout acte, constaté ou non dans un traité, en vertu duquel la totalité ou une partie du territoire d’un État passe, avec sa population et les biens qui s’y trouvent sous la souveraineté d’un autre État. »

Dans ce sens la réunification fut bien une annexion.

Et comme le montre <cet article> du Monde avec ses cartes, la fracture entre l’Allemagne de l’Est et de l’Allemagne de l’ouest perdure que ce soit selon le critère de la religion, de la présence des jeunes sur le territoire, du taux de chômage, du revenu des ménages et aussi de la taille des exploitations agricoles.

Je finirai par cette photo de Mstislav Rostropovitch jouant Bach, le 11 novembre 1989, devant le mur défait .

<1304>

Jeudi 27 novembre 2014

« L’Épigramme contre Staline »
Ossip Mandelstam

Ceci est le 400ème mot du jour.

Pour cet instant particulier je vous offre un moment d’Histoire, un poème politique écrit il y a 80 ans (81 pour ceux qui aiment la précision – novembre 1933) par un des grands poètes russes :  Ossip Mandelstam

L’épigramme d’Ossip Mandelstam demeure, en seulement seize vers, l’un des textes les plus engageants jamais écrits. L’intransigeance du poète, face à Staline et à la Tchéka, font de lui un homme exceptionnel, un exemple de désobéissance civile et de courage contre la barbarie.

Voici ces seize vers :

« Nous vivons sans sentir sous nos pieds le pays,
Nos paroles à dix pas ne sont même plus ouïes,
Et là où s’engage un début d’entretien, —
Là on se rappelle le montagnard du Kremlin.

Ses gros doigts sont gras comme des vers,
Ses mots comme des quintaux lourds sont précis.

Ses moustaches narguent comme des cafards,
Et tout le haut de ses bottes luit.

Une bande de chefs au cou grêle tourne autour de lui,
Et des services de ces ombres d’humains, il se réjouit.

L’un siffle, l’autre miaule, un autre gémit,
Il n’y a que lui qui désigne et punit.

Or, de décret en décret, comme des fers, il forge —
À qui au ventre, au front, à qui à l’œil, au sourcil.

Pour lui, ce qui n’est pas une exécution, est une fête.
Ainsi comme elle est large la poitrine de l’Ossète. »

D’abord, ce poème a été composé à la voix, de tête, puis Mandelstam livre cette épigramme à un cercle restreint de connaissances.

En 1934, le poète confie à sa femme Nadejda Mandelstam : « Je suis prêt à mourir. »

Un jour, il croise Boris Pasternak et lui récite son poème.

Effrayé, Pasternak ajoute :

« Je n’ai rien entendu et vous n’avez rien récité. Vous savez, il se passe en ce moment des choses étranges, terribles, les gens disparaissent ; je crains que les murs aient des oreilles, il se pourrait que les pavés aussi puissent entendre et parler. Restons-en là : je n’ai rien entendu. »

Mandelstam, reçoit la visite de trois agents de la Guépéou dans la nuit du 16 au 17 mai 1934. Ils lui présentent un mandat d’arrêt et perquisitionnent jusqu’au matin et l’arrêtent.

Mandelstam quitte sa femme Nadejda et ses amis à 7 heures du matin pour la Loubianka.

Tous les manuscrits sont confisqués, lettres, répertoire de téléphone et d’adresses, ainsi que des feuilles manuscrites. Mais pas d’épigramme…

Ce poème ne fut écrit que devant le juge d’instruction de la Loubianka où « le poète coucha ces seize lignes sur une feuille à carreaux arrachée d’un cahier d’écolier. Il a défendu « sa dignité d’homme, d’artiste et de contemporain, jusqu’au bout. »

Cette épigramme sera plus tard cataloguée comme « document contre-révolutionnaire sans exemple » par le quartier général de la police secrète.

Pour Vitali Chentalinski, c’était « plus qu’un poème : un acte désespéré d’audace et de courage civil dont on n’a pas d’analogie dans l’histoire de la littérature. En réalité, en refusant de renier son œuvre, le poète signait ainsi sa condamnation.

<Un article de Wikipedia sur l’épigramme contre Staline>

<Ici la page Wikipedia sur Ossip Mandelstam>

<Un magnifique texte sur Mandelstam>
Et puis il me semble indispensable aussi de dire quelques mots sur son extraordinaire épouse Nadejda Iakovlevna Khazina née à Saratov le 31 octobre dans une famille juive de la classe moyenne, Elle épouse en 1921 Ossip Mandelstam. Quand Ossip est arrêté en 1934 pour son Épigramme contre Staline elle est exilée avec lui à Tcherdyne, dans la région de Perm, puis à Voronej.

Après la deuxième arrestation et la mort de son mari dans le camp de transit de Vtoraïa Rechka (près de Vladivostok) en 1938, Nadejda Mandelstam mène un mode de vie quasi-nomade, fuyant parfois à une journée près le NKVD, changeant de résidence à tous vents et vivant d’emplois temporaires.

Elle s’est fixé comme mission la conservation de l’héritage poétique de son mari. Elle a appris par cœur la majeure partie de son œuvre clandestine, parce qu’elle ne faisait pas confiance au papier.

Après la mort de Staline, elle achève son doctorat en 1956 et est autorisée à revenir à Moscou en 1958.

En 1979, elle fait don de toutes ses archives à l’Université de Princeton.

Nadejda Mandelstam meurt à Moscou le 29 décembre 1980 à l’âge de 81 ans.

<400>