« Homo deus » de Yuval Noah Harari

J’ai acheté le livre « Homo deus » dès sa sortie en septembre 2017. J’avais été tellement enthousiasmé par le premier livre d’Harari, « Sapiens », que j’étais impatient de lire le second.

Il m’a fallu pourtant un an pour le lire et être en mesure de publier 8 mots du jour..

J’avais écrit un premier article dès l’achat du livre (ici numéroté 0), ce qui fait que cette série compte 9 mots du jour.

« Sapiens » constituait l’histoire de notre espèce, il parlait donc du passé. « Homo deus » est selon le sous titre même donné par Yuval Noah Harari : « une brève histoire de l’avenir». Le premier livre parle donc du passé et le second du futur.

Il est plus facile de parler de ce qui est déjà arrivé que de prévoir le futur. Ce second livre est donc plus hypothétique. Mais j’ai aimé la manière dont Harari a abordé ce sujet de manière très humble et disons toujours que ce qu’il écrivait n’était pas notre futur et que notre avenir dépend éminemment de ce que nous voudrons et déciderons.

En revanche, il trace des perspectives. Si certains des travaux ou des évolutions qui sont en cours notamment dans la silicon valley ou en Chine continuent sur leur lancée, il nous décrit ce qui pourrait arriver.

S’il parle de l’enjeu climatique, il ne pose pas l’hypothèse que la trajectoire que pose les transhumanistes se fracasse sur le mur des limites d’habitabilité de notre terre, en raison de l’impact délétère que notre espèce fait subir à notre biosphère.

Le livre reste passionnant en raison des questions qu’il pose et du regard qu’il porte sur les évolutions en cours.

0. « Homo deus »
Yuval Noah Harari

Mot du jour du jeudi 14 septembre 2017

J’ai acheté le livre le jour de sa sortie. Je ne pouvais donc que m’appuyer sur ce que j’avais appris de la lecture de « Sapiens » et des articles de journaux qui annonçaient ce nouvel ouvrage.

Sapiens se terminait par un épilogue dont le titre est : « un animal devenu Dieu ? ». Il annonçait donc « Homo deus ».

Le Point citait Bill Gates, qui avait écrit sur son blog : « C’est un livre passionnant avec beaucoup d’idées stimulantes et peu de jargon. Il fera réfléchir au futur, autre façon de dire qu’il fera réfléchir au présent. »

Je citais aussi un entretien que Yuval Noah Harari avait accordé au Point et dans lequel il expliquait ses inquiétudes par rapport à notre vision humaniste lorsque des algorithmes, de plus en plus puissants, nous dicteront les bonnes décisions à prendre et que les techniques permettront de créer « l’homme augmenté » que désire les transhumanistes

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1. « Tous les scénarios esquissés dans ce livre doivent être compris comme des possibilités et non comme des prophéties. »
Yuval Noah Harari « Homo Deus » Page 425

Mot du jour du lundi 1 octobre 2018

Ce que je trouve remarquable dans la démarche de Yuval Noah Harari c’est son humilité. Il explique notamment qu’il ne sait pas de quoi l’avenir sera fait.

L’essor de l’intelligence artificielle et des biotechnologies transformera certainement le monde, mais il n’impose pas un seul résultat déterministe. Tous les scénarios esquissés dans ce livre doivent être compris comme des possibilités et non comme des prophéties.

Harari refuse de jouer le prophète : « Ma crainte, c’est que l’on commence à me voir comme une sorte de gourou. Il est bon d’apprécier le savoir et de respecter l’opinion des intellectuels, mais il est dangereux d’en faire des idoles. Celui qui est placé sur un piédestal court le risque de se croire tout-puissant, de développer un ego surdimensionné et de devenir fou. »

Et il exprime cette espérance :

«Je souhaite que mes lecteurs trouvent dans mes livres des questions plutôt que des réponses. »

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2. « Par rapport aux autres animaux, cela fait longtemps que les humains sont devenus des dieux. Nous n’aimons pas y penser trop sérieusement parce que nous n’avons pas été des dieux particulièrement justes ou miséricordieux. »
Yuval Noah Harari « Homo deus » page 85

Mot du jour du mardi 2 octobre 2018

Homo sapiens, espèce fragile et faible est parvenu à devenir l’espèce dominante sur terre.

Elle a d’abord fait des récits religieux qui lui ont permis de fédérer de nombreux humains autour d’une croyance commune.

Puis elle a avancé dans la science et la technique.

Aujourd’hui, elle se trouve à un stade auquel certains humains pensent être en capacité de changer l’homme, de faire reculer la mort à un tel point qu’ils osent parler d’immortalité et même de créer la vie.

Cette démarche si on la compare aux récits religieux consiste à vouloir se mettre à l’égal de Dieu.

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3. « la révolution agricole a donné aux hommes le pouvoir d’assurer la survie et la reproduction des animaux domestiques, tout en ignorant leurs besoins subjectifs  »
Yuval Noah Harari, « Homo deus » page 97

Mot du jour du vendredi 5 octobre 2018

Pour Harari, l’invention de l’agriculture constitue une rupture. Homo sapiens ne se pense plus comme un élément de la nature. Un animal parmi d’autres, certes plus évolué, plus intelligent et disposant d’une place privilégiée dans la chaine alimentaire, mais un animal.

Non ! L’homme ne se pense tout simplement plus comme un animal, mais d’une essence toute différente.

Dieu entre dans l’imaginaire d’homo sapiens.

Les religions du livre affirme que Dieu a créé l’homme à son image.

Le constat est plutôt que sapiens a créé un Dieu à son image.

Dès lors, l’homme se vit d’essence divine et les animaux n’ont plus rien de commun avec « les enfants de Dieu ».

Ce récit va permettre à l’homme de considérer que les animaux sont à sa disposition pour assouvir ses volontés et répondre à ses besoins.

La maltraitance des animaux viendrait de cette origine.

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4. « Rien de métaphysique dans tout cela. Uniquement des problèmes techniques »
Yuval Noah Harari parlant de la mort dans « Homo deus » page 35

Mot du jour du lundi 8 octobre 2018

Harari parle du rapport de l’homme à la mort.

Depuis le début de l’humanité, plusieurs évènements étaient pourvoyeurs massifs de mortalité : La famine, les épidémies, la guerre.

Le progrès des techniques, de la médecine et de la diplomatie ont fait grandement reculer ces fléaux.

La maladie abrégeait aussi la vie des humains.

Pendant longtemps, les hommes accueillaient la mort en accusant le destin ou la volonté divine.

Nous avons changé de récit et de compréhension :

Aujourd’hui la mort est observée comme un problème technique.

Et tout problème technique trouve une solution technique.

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5. « Les guerres et les conflits qui ont jalonné l’histoire pourraient bien n’être qu’un pâle prélude au vrai combat qui nous attend : le combat pour la jeunesse éternelle »
Yuval Noah Harari, « Homo deus » page 41

Mot du jour du mardi 9 octobre 2018

Et ceux qui croient que « la mort » est un problème technique et « le vieillissement » une maladie, investissent dans ce projet de repousser le seuil de la mort.

Les techniques, l’intelligence artificielle et la capacité de remplacer les organes défaillants sont au cœur de leur projet.

Harari prévoit des conflits majeurs si ce projet rencontre des résultats :

«Le jour où la science accomplira des progrès significatifs dans la guerre contre la mort, la vraie bataille se déplacera des laboratoires vers les parlements, les tribunaux et la rue.

Dès que les efforts scientifiques seront couronnés de succès, ils déclencheront d’âpres conflits politiques. Les guerres et les conflits qui ont jalonné l’histoire pourraient bien n’être qu’un pâle prélude au vrai combat qui nous attend : le combat pour la jeunesse éternelle. »

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6. « La révolution humaniste, le libre arbitre et notre « moi » qui décide »
Développement de Yuval Noah Harari dans « Homo deus » pages 243 à321

Mot du jour du mercredi 10 octobre 2018

Harari cite beaucoup d’expériences sur les animaux dans lesquelles grâce à des stimulis extérieurs, ces animaux font exactement ce que le manipulateur du stimulis veut qu’ils fassent.

Le cerveau humain peut de la même manière être manipulé par des techniques de plus en plus performantes et manipulatrices.

Ces capacités de manipuler posent la question du libre arbitre des humains.

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7. « Le dataïsme : l’humanité n’aura été qu’une ondulation dans le flux de données cosmique. »
Yuval Noah Hariri : « Homo deus » page 425

Mot du jour du jeudi 11 octobre 2018

Harari pose cette hypothèse que l’homme inventera une nouvelle religion le dataïsme.

C’est-à-dire que l’intelligence artificielle, appuyé sur le big data, autrement dit des milliards de données, donnera des réponses auxquelles les hommes croiront, comme jadis ils croyaient en Dieu ou plutôt en ceux qui prétendaient parler au nom de Dieu.

Et il nous livre cette inquiétude : «Mais du jour où l’autorité passera des hommes aux algorithmes, il se peut que les projets humanistes perdent toute pertinence. »

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8. « Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous nous connaissons ? »
Yuval Noah Harari « Homo deus » ultime phrase du livre.

Mot du jour du vendredi 12 octobre 2018

Ce livre finalement nous informe de ce que certains humains ont la tentation de réaliser.

Il rapporte aussi ce qu’on sait d’ores et déjà faire et ce que probablement on saura faire demain.

Et il pose des questions. La principale est celle que j’ai mis en exergue.

Il faut tenter de comprendre ces choses et y réfléchir pour savoir si nous voulons cette évolution et ce qu’elle signifie vraiment.

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Mercredi 14 juin 2023

« Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. »
François Ruffin, député LFI de la Somme, à propos de la société politique française

François Ruffin était l’invité de France Info le 1er juin 2023.

<Il répondait aux questions de Marc Fauvelle et Salhia Brakhlia>.

A une des questions, il a répondu :

« Pour moi, le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. On a une société profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections n’est pas le fruit du hasard (….)

Dans ce climat de tension, d’épuisement des esprits, il faut de l’apaisement, de la stabilité ».

En tout cas, c’est ainsi que l’a résumé Jean Leymarie dans son « Billet Politique » : <La gauche a-t-elle le sens du progrès ?>

Quelle était la question ?

La question était de savoir s’il était prioritaire pour la Gauche, dans l’hypothèse où elle arrivait au pouvoir, de voter une loi pour permettre à des jeunes de 16 ans de changer de genre, sans l’accord de leurs parents ?

Ce débat avait divisé la gauche espagnole. Le parti PODEMOS l’a imposé et une Loi espagnole le permet désormais.

Pour être le plus précis possible je cite « Le Monde » du <16/02/2023>

« Les députés espagnols ont adopté définitivement, jeudi 16 février 2023, une loi permettant de changer librement de genre dès 16 ans. Cheval de bataille du parti de gauche radicale Podemos, allié des socialistes au sein du gouvernement de Pedro Sánchez, cette loi dite « transgenre » permet aux personnes qui le souhaitent de faire changer leur genre sur leurs papiers d’identité via une simple déclaration administrative dès l’âge de 16 ans.

Il ne sera donc plus nécessaire de fournir des rapports médicaux attestant d’une dysphorie de genre et des preuves d’un traitement hormonal suivi durant deux ans, comme c’était le cas jusqu’ici pour les personnes majeures. Le texte – adopté par 191 voix contre 60 et 91 abstentions – étend également ce droit aux 14-16 ans, à condition qu’ils soient accompagnés dans la procédure par leurs tuteurs légaux, ainsi qu’aux 12-14 ans, s’ils obtiennent le feu vert de la justice. »

Donc pour François Ruffin, cette évolution législative ne doit pas constituer une priorité pour la Gauche.

Mais en disant cela, il s’oppose frontalement à Jean-Luc Mélenchon qui souhaite inscrire la possibilité de changer de genre dans la Constitution.

Dès lors, les « Insoumis », au moins celles et ceux qui s’expriment ont vivement critiqué François Ruffin.

<France Info> rapporte :

« Une fois l’extrait diffusé sur le compte Twitter de franceinfo, les premières critiques fusent. Quelques heures plus tard, le compte “Le coin des LGBT+”, aux près de 48 000 abonnés, relaye la vidéo, assorti de ce commentaire : “François Ruffin ne veut pas d’une loi permettant de changer plus facilement sa mention de genre car il faut ‘de l’apaisement’ pour que son parti accède au pouvoir”.

Dans la foulée, François Ruffin se voit critiqué par ses pairs, sur le même réseau social. “Ce n’est en rien une position de La France insoumise ni du groupe parlementaire”, recadre la députée Sophia Chikirou, proche de Jean-Luc Mélenchon. “Ce propos, en ce jour, est au mieux maladroit, au pire une faute politique”, cingle-t-elle. […]

Dans un tweet, le député LFI Antoine Léaument rappelle que le programme de son parti prévoit de “garantir le droit au changement de la mention du sexe à l’état civil, librement et gratuitement devant un officier d’état civil, sans condition médicale »

Si bien que François Ruffin se sent obligé de faire marche arrière :

Il twitte :

« Ma réponse sur le genre, ça va pas ».

Puis ajoute :

« Sur ce sujet [des droits LGBT+] comme sur pas mal d’autres, en toute humilité, je dois progresser »

Cela rappelle furieusement la culture de l’autocritique pratiquée dans les partis et régimes communistes d’antan.

Mais revenons exactement au verbatim de l’interview de France Info :

Marc Fauvelle contextualise et pose sa question

« En Espagne, votre allié, le parti PODEMOS a pris une claque aux élections locales. 3% des voix seulement ! Certains électeurs ont, semble-t-il, considéré que PODEMOS qui gouverne avec les socialistes avait mis en place des lois trop clivantes. Comme par exemple la Loi qui permet de changer librement de genre à 16 ans, sans l’accord des parents. Est-ce que vous feriez la même chose en France ?

Réponse de François Ruffin :

« Je vous l’ai dit que pour moi le cœur du sujet, c’est le travail, c’est le partage des richesses, c’est la démocratie. »

Marc Fauvelle :

« Ce n’est pas les lois de société ? »

François Ruffin

« Je pense qu’on a une société qui est profondément fracturée en France. Le résultat des dernières élections ne sont pas le fruit du hasard.

Il y a un bloc libéral, central qui s’effrite dans la durée, il y a un bloc d’extrême droite, il y a un bloc de gauche. Dans ce climat là de tension, d’épuisement des esprits, qu’est-ce qu’il faut ? Il faut de l’apaisement, il faut de la stabilité. Il faut rétablir des ponts et réparer les fractures et ne pas les creuser davantage. Je pense que dans ce cadre-là, on ne devra pas faire tout ce qui nous passe par la tête. Tout ce qu’on souhaite. Tout ce qui est peut-être, même, bon en soi. Mais il faudra chercher les chemins qui permettent de réconcilier la société.

Marc Fauvelle :

« Pas de loi qui fracture la société, cela veut dire par exemple pas de GPA. Pas de Loi sur le genre.

François Ruffin

« Je ne suis pas personnellement favorable à la GPA. Mais je ne crois pas que c’est ça qu’on doit placer au cœur de notre projet. C’est clair. Après il y a des choses sur lesquelles ont peut chercher à avancer avec précaution, avec sagesse, il faut avancer avec tendresse, avec compréhension à l’égard de l’opposition »

Marc Fauvelle :

« Si vous étiez au pouvoir, vous ne feriez pas la Loi sur la Fin de vie ?

François Ruffin

« Si ! En tout cas ouvrir la réflexion sur la fin de vie. Écouter les avis des français. Demander ce qu’ils en pensent. Demander comment ils vivent la fin de vie de leurs parents, comment ils appréhendent leur propre fin de vie. Est-ce qu’il a des choses à aménager ? […] Bien sûr pour aboutir à un texte à la fin.

Je crois qu’il y a des tas de sujets où on peu chercher…Emmanuel Macron fait des Lois qui reposent su 1/3 ou 1/4 des français. Ben non, il faut chercher les 2/3 ou le 3/4 des français pour avancer avec l’ensemble de la société.

Je crois qu’il y a un sujet sur lequel la société recule depuis 40 ans, c’est le travail, à cause de la mondialisation.

Je veux aussi qu’on montre tout ce sur quoi la société, elle avance. Elle avance avec des limites. Mais la reconnaissance de l’homosexualité, elle a avancé. Les lois sur le Handicap, ça a avancé. La place des femmes dans la société ça a avancé. Même des choses comme la sécurité routière ça a avancé.

Je ne veux qu’on ait une vision sur ce qui se passe en France depuis 40 ou 50 ans comme étant une régression sur tous les points. »

Et il dit encore que la Gauche doit rassurer, parler à toute la société et ne pas imposer une humiliation et ne pas mépriser ceux qu’elle ne convainc pas.

Je dois dire que je suis d’accord sur tous ces points avec François Ruffin.

Je veux dire que je suis d’accord avec la version originale pas celle de l’auto-critique.

Une majorité de français a voté Emmanuel Macron pour faire barrage à Le Pen. Mais, lui avait mis pour priorité une Loi brutale et non négociable sur la retraite.

Il ne faudrait pas que les français votent pour la Gauche pour plus de justice sociale, une amélioration de la vie au travail, un programme écologique plus offensif et structuré et qu’au final la priorité soit la Loi sur le genre.

Je pense d’ailleurs que ce type de projet servirait de repoussoir pour beaucoup de français.

Au fond, je suis plein de doutes. Je pense à l’« l’homo deus » de Yuval Noah Harari.

L’individualisme poussé à l’extrême ! L’individu doit pouvoir tout choisir, même son genre et son sexe. Rien ne saurait lui être opposé comme limite ou contrainte.

Est-ce ainsi qu’on peut faire société ?

Or, il faut faire société, si on veut pouvoir faire face aux défis qui sont là.

Et plus encore pour pouvoir faire vivre un État social, il faut faire société, une assemblée d’individus ne le permet pas.

Dans le mot du jour du <12 septembre 2014> j’avais cité Emile Durkheim

« Pour que les hommes se reconnaissent et se garantissent mutuellement des droits, ils faut qu’ils s’aiment et que pour une raison quelconque ils tiennent les uns aux autres et à une même société dont ils fassent partie. »

C’est pourquoi le propos de François Ruffin : il vaut chercher à avancer avec l’ensemble de la société, me parait très sage.

Jean Leymarie finit son billet politique par cette conclusion :

« Quels “progrès” la gauche veut-elle porter ? Que considère-t-elle comme un “progrès”, d’ailleurs ? Des mesures sociétales, bien sûr – depuis quelques années, elle les met beaucoup en avant. Mais est-ce que ça suffit ? Il y a dix ans, le mariage pour tous, défendu par François Hollande, était une mesure d’égalité. Un progrès, largement admis aujourd’hui, y compris à droite. Ce progrès n’a pas empêché la désillusion de nombreux électeurs, en tout cas de ceux qui voulaient d’abord des mesures sur le travail, sur la fiscalité.

Finalement, quels sont les marqueurs de la gauche ? Ceux qui feront revenir ses électeurs perdus ? Une grande partie d’entre eux – des ouvriers, des employés notamment – réclame plus de justice sociale. Ça ne signifie pas que la gauche doit balayer tout le reste. Mais si elle veut convaincre, et si elle veut s’unir, il faudra qu’elle soit claire. Elle doit choisir ses combats. »

<1751>

Jeudi 9 décembre 2021

« Homo deus de Yuval Noah Harari »
Publication de la page consacrée à la série

Après le mot du jour consacré aux « agents conversationnels » dans le langage courant « chatbot », j’ai pensé qu’il était temps de créer la page de la série que j’avais consacrée au deuxième livre de Yuval Noah Harari : «homo deus».

Livre qui pose des questions et trace des perspectives à partir de ce que l’homme fait, prépare dans ses ateliers, ses laboratoires numériques, dans ses centres de recherche.

Nous savons que nous sommes à la veille de révolutions considérables. Homo sapiens a domestiqué tant de techniques et possède un tel hubris, c’est-à-dire un orgueil, une démesure qu’il rêve de maîtriser la vie et la mort. De passer de «homo sapiens» à «homo deus.»

Comme on l’a vu pour les agents conversationnels, l’intelligence artificielle n’est pas vraiment de l’intelligence, elle n’est ni capable de comprendre comme un humain, de donner la signification des concepts, mais elle repose sur une formidable puissance de calcul statistique sur des bases de données comprenant des milliards de données.

Et c’est avec ces traitements statistiques des big data que les hommes qui sont à la manœuvre, espèrent trouver les bonnes solutions, les décisions qu’il faut prendre à chaque instant.

Harari fait l’hypothèse que si nous allons vers ce destin, nous allons en pratique nous ranger derrière une nouvelle religion : « le dataïsme » c’est-à-dire la croyance que la vérité viendra de l’analyse de toutes les données que nous aurons su rassembler.

L’avenir n’est pas écrit, mais il prend un chemin qui pose de sérieuses questions aux valeurs d’humanisme et de liberté de penser que nous avons développé dans notre civilisation.

Comme toujours, il n’y a pas de réponse, que des questions.

La page consacrée à cette série est en ligne sur la page des séries.

Mais vous pouvez aller directement sur la page en suivant ce lien : < Homo deus de Yuval Noah Harari  >

<Mot sans numéro>

Vendredi 5 mars 2021

« Ne recherchez pas les récompenses, l’argent ou la gloire. Faites de votre mieux et soyez satisfaits. Dans cette société de l’apparence, ce n’est pas votre look qui doit compter, mais bien la valeur que vous générez. »
Katalin Kariko, chercheuse conseillant des jeunes chercheuses et chercheurs

Aujourd’hui je vais parler d’une femme scientifique assez extraordinaire. Elle possède bien sûr l’intelligence qui lui permet l’efficacité, mais aussi la persévérance qui lui a permis de poursuivre sa route malgré l’indifférence, quelquefois l’hostilité et aussi la trahison. Maintenant, au bout de la réussite et du succès elle exprime des valeurs que je trouve convaincantes.

Mais pour raconter cette histoire et en comprendre certains aspects,  il faut revenir un peu dans le passé

Au départ, il y a eu la découverte de l’ADN. Il existe encore des livres ou des sites qui écrivent sans sourciller que l’ADN a été découverte par le biochimiste américain James Watson et le biologiste britannique Francis Crick. C’est une affirmation triplement fausse.

Premièrement parce que on parlait d’ADN avant eux et que de très nombreux scientifiques ont travaillé sur ce sujet avant que ces deux scientifiques publient leur article célèbre, en 1953, dans la revue Nature.

<Wikipedia> cite avant 1953 :

«  L’ADN a été isolé pour la première fois en 1869 par le biologiste suisse Friedrich Miescher sous la forme d’une substance riche en phosphore.»

Et on apprend aussi qu’en 1878, le biochimiste allemand Albrecht Kossel isola un des composants essentiels : «  les acides nucléique ». En 1919, le biologiste américain Phoebus Levene suggéra que l’ADN consistait en une chaîne de nucléotides unis les uns aux autres. En 1937, le physicien et biologiste moléculaire britannique William Astbury montra grâce aux rayons X que l’ADN possède une structure ordonnée. Et probablement qu’il y en eut encore beaucoup d’autres qui participèrent à cette découverte majeure de l’organisation de la vie.

Donc ils ne furent pas les premiers.

Deuxièmement, l’article de 1953 ne relate pas la découverte de l’ADN mais la description de sa structure en double hélice.

Et troisièmement, ce n’est même pas eux qui découvrirent la structure en double hélice.

Ce fut une femme avec d’autres collaborateurs qui peut être créditée de cette découverte : Rosalind Franklin. Je cite encore Wikipedia :

« En mai 1952, l’étudiant britannique Raymond Gosling, qui travaillait sous la direction de Rosalind Franklin dans l’équipe de John Randall, prit un cliché de diffraction aux rayons X (le cliché 51181) d’un cristal d’ADN fortement hydraté. Ce cliché fut partagé avec Crick et Watson à l’insu de Franklin et fut déterminant dans l’établissement de la structure correcte de l’ADN. Franklin avait par ailleurs indiqué aux deux chercheurs que l’ossature phosphorée de la structure devait être à l’extérieur de celle-ci, et non près de l’axe central comme on le pensait alors. Elle avait de surcroît identifié le groupe d’espace des cristaux d’ADN, qui permit à Crick de déterminer que les deux brins d’ADN sont antiparallèles. .[

Rosalind Franklin mourut en 1958 d’un cancer et ne reçut donc pas le prix Nobel de physiologie ou médecine décerné en 1962, « pour leurs découvertes relatives à la structure moléculaire des acides nucléiques et leur importance pour le transfert de l’information génétique dans la matière vivante », à Francis Crick, James Watson et Maurice Wilkin, qui n’eurent pas un mot pour créditer Franklin de ses travaux ; le fait qu’elle n’ait pas été associée à ce prix Nobel continue de faire débat. »

J’avais déjà évoqué cette histoire, le destin de Rosalind Franklin morte à 37 ans, d’un cancer de l’ovaire, probablement lié à la surexposition aux radiations lors de ses recherches lors d’un mot du jour de 2018 : « Ni vues ni connues »

ADN signifie Acide DésoxyriboNucléique, et constitue la molécule support de l’information génétique héréditaire.

Et les biologistes ont alors poursuivi ce plan de recherche extraordinaire décortiquer totalement le génome humain, c’est-à-dire la séquence de gène qui se trouve sur la macromolécule d’ADN et qui est reproduit à l’identique pour chaque individu dans chacune de ses cellules.

Et c’est ainsi que fut lancé le projet génome humain (en anglais, Human Genome Project ou HGP) fin 1988 pour établir le séquençage complet de l’ADN du génome humain. Ce projet s’acheva en 2004.

Le génome humain était connu dans son intégralité.

Et les scientifiques qui savaient à quoi servait chaque gène et savaient modifier un gène ont cru que en travaillant sur l’ADN ils pourront guérir de très nombreuses maladies.

Tous allaient dans ce sens, sauf quelques-uns comme Katalin Kariko, la femme qui est au centre de ce mot du jour..

J’ai acheté et lu avec beaucoup d’intérêt le magazine « Le Point » du 28 janvier 2021 : « Comment l’ARN va changer nos vies »

Ce numéro essaie d’expliquer de manière assez savante ce que fait ce qu’est l’ARN.

Mon propos n’est pas d’expliquer l’aspect technique de ces découvertes mais plutôt de m’intéresser au destin de cette formidable hongroise.

Et aussi de m’interroger de manière assez philosophique sur cet aveuglement de ces scientifiques qui pensaient qu’en ayant décrypter le génome humain et en ayant la possibilité de le modifier grâce aux « ciseaux génétiques », dont le petit nom est « CRISPR associated protein 9 » abrégé en <Cas9> et qui est une protéine qui possède la capacité à couper l’ADN, ils avaient fait le plus grand pas vers … vers quoi d’ailleurs ? Probablement vers « homo deus » pour reprendre le concept de Yuval Noah Harari.

Je me souviens encore de cette parole désabusée d’une scientifique le matin, à France Inter, qui a dit « Finalement on n’a pas beaucoup avancé »

Je me permets une petite explication personnelle.

Dans l’esprit hiérarchisé d’homo sapiens, cet inventeur du Dieu tout puissant, trouver l’élément central autour duquel toutes les caractéristiques humaines sont définies devaient permettre de tout maîtriser. Comme dans un ordinateur maîtriser le code.

Mais visiblement cela ne marche pas comme cela. Car il y a énormément d’interactions entre les gènes et même au-delà avec l’environnement qui explique le fonctionnement de l’être humain. Les scientifiques explorent une autre discipline qui a pour nom « L’épigénétique ».

C’est en fait que notre système humain n’est pas très hiérarchique, mais plutôt transversale.

Et l’acide ribonucléique (ARN) qui est très proche chimiquement de l’ADN et si je comprends bien une copie d’une partie de l’ADN intervient pour créer de l’interaction à l’intérieur de notre corps.

Il existe plusieurs types d’ARN mais celui sur lequel a travaillé Katalin Karibo est l’ARN messager, abrégé en ARNm.

Mais comme je l’ai annoncé et aussi pour ne pas me retrouver au-delà de mon seuil de compétence, je n’entrerai pas davantage dans les détails techniques.

Certaines explications se trouvent dans le Point du 28 janvier 2021.

Pour lire ce numéro du Point il faut l’avoir acheté en version papier comme moi ou être abonné à la version en ligne.

Mais sur cette page une vidéo qui explique en moins de 5 minutes le lien entre l’ADN et l’ARN : <Il y a beaucoup de fantasmes autour du vaccin contre la COVID>

Bruno Pitard directeur de recherche au CNRS ose cette histoire que je comprends :

« Vous prenez un bon vieux livre en papier, lui c’est l’ADN, et puis vous lisez un chapitre à voix haute. Les paroles qui sortent de votre bouche, c’est l’ARN messager. Si quelqu’un entend vos paroles, il reçoit le message, mais une fois entendues, ces paroles disparaissent et en aucun cas les paroles prononcées ne changeront le texte de votre livre en papier. »

Cet autre article du Point décrit de manière assez compréhensible : «Pourquoi le vaccin à ARN est une véritable révolution » par rapport aux autres techniques vaccinales et son processus de fonctionnement.

Mais revenons à Katalin Karibo qui ne veut pas travailler sur l’ADN et préfère l’ARN. Elle trouvait dangereux de travailler directement sur le code génétique

Un article de <l’Obs>Publié le 17 décembre 2020 précise :

« A la fin des années 1980, la communauté scientifique n’avait d’yeux que pour l’ADN, qu’on voyait potentiellement capable de transformer les cellules et, de là, soigner des pathologies comme le cancer ou la mucoviscidose.

Katalin Kariko, elle, s’intéressait à l’ARN messager, l’imaginant fournir aux cellules un « mode d’emploi » leur permettant ensuite de fabriquer elles-mêmes les protéines thérapeutiques. Une solution permettant d’éviter de modifier le génome des cellules, au risque d’introduire des modifications génétiques incontrôlables. »

Elle est chercheuse dans un laboratoire de recherche, en Hongrie communiste. Elle a une vie confortable mais les moyens dont elle dispose pour poursuivre ses recherches sur l’ARN sont trop limités.

Dans son entretien au Point elle déclare

« Quitter la Hongrie en 1985 a été une décision difficile, j’adorais mon labo. »

Elle a voulu venir en France, on ne comprend pas bien pourquoi cela n’a pas eu lieu.

« J’ai été candidate à un poste en France, à Montpellier, au sein du laboratoire de Bernard Lebleu, mais il était encore très difficile, à l’époque d’accéder à des centres de recherche d’Europe de l’Ouest depuis la Hongrie »

Et quand les journalistes posent cette question disruptive : « Que pensez-vous du paysage de la biotech en France ? », sa réponse est douloureuse pour nous les français :

« La France, c’est un beau pays pour les vacances d’été. Mais essayez donc de comprendre pourquoi les français ont dû venir ici, aux Etats-Unis ? Pourquoi Stéphane Bancel, le PDG de Moderna, ne dirige pas une entreprise française en France pour mettre au point les vaccins ? Pourquoi il n’y a plus de sociétés comme BioTech en France ? Je pense que c’est à cause du financement. [Aux Etats-Unis] avec le capital-risque on donne davantage aux petites entreprises. C’est sans doute une question de culture, qui n’existe peut-être pas en Europe. Ici, les gens investissent plus dans les biotechnologies, parfois dans 30 entreprises différentes, et si une réussit, tant mieux. Quand une piste mérite d’être explorée, on poursuit. »

Elle est donc partie avec sa famille aux Etats-Unis, à Philadelphie. Et elle a pris un énorme risque :

« En Hongrie nous avions un nouvel appartement confortable, j’avais ma propre machine à laver, à Philadelphie je lavais mon linge la nuit dans un sous-sol. Mais j’étais convaincue que la situation allait s’améliorer que tout était possible. Si j”étais restée en Hongrie, je serais devenue cynique, aigrie, médiocre. »

Mais aux Etats-Unis elle se heurte au scepticisme par rapport à ses recherches sur l’ARN, dans un monde scientifique qui ne jure que par l’ADN

Le Point raconte :

« A l’université Temple, à Philadelphie, où elle atterrit, elle passe vite d’une période de grâce au placard. Cinq ans plus tard, elle rejoint l’université de Pennsylvanie. A l’époque, la mode est à l’ADN. Jugeant trop dangereuse sa manipulation, elle préfère persévérer dans ses recherches sur L’ARN en demandant une bourse dédiée. Résultat, elle est rétrogradée au rang de simple chercheuse. Une nouvelle fois :direction placard. »

Mais elle continuera sans se décourager. Elle rencontrera Drew Weissman avec qui elle collaborera beaucoup.

Ce sera un chemin compliqué pavé d’embuches.

Dans ma langue de béotien, je dirai l’ARN ne se laisse pas apprivoiser facilement, il faut l’isoler, agir sur lui et enfin maîtriser les effets induis.

L’article de <l’Obs>, déjà cité, précise :

Mais l’ARN messager n’était pas non plus dénué de problèmes : il suscitait de vives réactions inflammatoires, étant considéré comme un intrus par le système immunitaire.

Avec son partenaire de recherche, le médecin immunologiste Drew Weissman, Katalin Kariko parvient progressivement à introduire de mini-modifications dans la structure de l’ARN, le rendant plus acceptable par le système immunitaire. Leur découverte, publiée en 2005, marque les esprits, extirpant – un peu – Katalin Kariko de l’anonymat.

Puis, ils franchissent un nouveau palier, en réussissant à placer leur précieux ARN dans des « nanoparticules lipidiques », un enrobage qui leur évite de se dégrader trop vite et facilite leur entrée dans les cellules. Leurs résultats sont rendus publics en 2015. »

Elle travaille très dur et n’est pas à l’abri de manœuvres à la limite de l’honnêteté : Après avoir publié avec Drew Weissman, dans le cadre de l’Université de Pennsylvanie, un article fondamental sur l’ARN, l’université de Pennsylvanie a déposé un brevet lié à l’invention des deux chercheurs et a négocié la vente de ce brevet avec une autre société :

« Nous étions furieux. [La société acheteuse] a même cherché à nous vendre une sous licence de ce brevet ! Habituellement on confie la licence d’un brevet à ses inventeurs. Après tout, nous en savions plus sur l’ARN messager (ARNm) que n’importe qui d’autre et nous étions susceptibles d’en tirer le maximum, mais l’université n’était pas de cet avis »

Et bien sûr elle raconte aussi les humiliations, la sous valorisation systématique elle était étrangère, venant d’un pays communiste et …une femme. L’Obs raconte :

« La biochimiste se garde de tout triomphalisme mais conserve une pointe d’amertume en se remémorant les moments où elle s’est sentie sous-estimée : une femme née à l’étranger dans un univers masculin où, à la fin de certaines conférences d’experts, on lui demandait : « Où est votre superviseur ? ».

“« Ils pensaient toujours : “cette femme avec un accent, il doit y avoir quelqu’un derrière, quelqu’un de plus intelligent.” »”

Et finalement elle intégrera la start up allemande BioNtech en 2013. Cette petite entreprise innovante a été créée en 2008, par un couple de scientifiques d’origine turque : Uğur Şahin , professeur d’oncologie à la 3e clinique médicale de l’université Johannes-Gutenberg de Mayence et son épouse Özlem Türeci médecin, chercheuse en immunologie.

C’est cette petite société qui a mis au point le vaccin Pfizer-BioNTech, Pfizer étant simplement le financeur.

Bruno Pitard directeur de recherche au CNRS fait ce constat dans « le Point » :

« C’était trop innovant pour les grands groupes ; la preuve ce sont les biotechs qui ont continué »

Et nous arrivons à la conclusion de l’article du Point qui est le cœur de ce que j’ai envie de partager aujourd’hui :

Avec plus de financements, de nouvelles découvertes pourraient-elles être réalisées pour soigner d’autres maladies grâce à l’ARNm

C’est un sujet auquel j’ai souvent réfléchi et je peux vous dire que ce n’est pas qu’une question d’argent. Si les scientifiques pouvaient mettre de côté leur ego, partager leurs informations, nous pourrions nous attaquer à d’autres maladies. Le système n’est pas optimal. Les spécialistes ne partagent pas car ils sont en compétition. Les trois sociétés que sont CureVac, BioNTech et Moderna organisent depuis 2013 des échanges académiques au sujet de l’ARNm auxquels j’ai participé. Nous avons partagé de nombreuses données avec des japonais, des coréens et des chinois. Mais il est extrêmement difficile de coordonner les recherches et de convaincre l’ensemble des acteurs que la coopération est la meilleure des stratégies. »

Nous en revenons à l’exemple du professeur et de son expérience avec les ballons qui montraient que la coopération était le meilleur système. Mais ce n’est pas celui qui est imposé par le marché.

Et Katalin Kariko ajoute :

« Il est urgent d’investir dans la recherche-fondamentale et appliquée-et de faire en sorte que les enfants aient envie de devenir chercheurs. Il y a tant de choses à découvrir »

Et elle évoque aussi le livre qui l’a le plus inspirée :

« Le livre qui m’a le plus marquée alors que j’étais au lycée est « le stress de la vie » du hongrois Hans Selye. Il est le premier à avoir appliqué le terme « stress » au corps humain, alors qu’il était employé essentiellement en physique. Sa théorie ? Les gens gâchent du temps et leur vie avec des regrets. Si j’ai persévéré sur l’ARN alors que personne n’y croyait, c’est parce que je n’ai pas attendu qu’on me tape sur l’épaule pour me dire « Katie, tu fais du bon boulot ! ». Je savais ce que je faisais était bien. »

Et voici le conseil qu’elle donne aux jeunes chercheurs :

« Ne recherchez pas les récompenses, l’argent ou la gloire. Faites de votre mieux et soyez satisfaits. Dans cette société de l’apparence, ce n’est pas votre look qui doit compter, mais bien la valeur que vous générez. La gloire immédiate n’a pas d’importance. Parfois, on travaille pendant des mois, des années avant d’obtenir un résultat. S’il n’y avait pas eu cette pandémie, personne ne saurait qui je suis – et cela m’irait très bien. »

Jamais elle n’abandonnera la recherche. :

« Aujourd’hui, j’ai assez d’argent pour pouvoir me permettre de ne rien faire, de trainer chez moi. Pourtant, je n’ai jamais arrêté de travailler ! J’ai toujours un objectif, un nouveau projet qui me motive. Je pense encore pouvoir apporter ma pierre à des édifices de recherche. Un jour, je m’effondrerai au milieu de mes recherches .. »

Ainsi parle Katalin Kariko.

Beaucoup pense qu’elle aura le Prix Nobel. Celui dont Rosalind Franklin fut privé.

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Je vais prendre quelques jours de congé du télétravail et des mots du jour.
Le prochain mot du jour devrait être publié le 22 mars.

Vendredi 27 septembre 2019

« Ainsi, là où règne la quantité, il ne sera plus question de qualité. Là où le nombre est roi, le verbe se réduira au code. Là où plus rien n’a de valeurs, tout a un prix »
Anne Dufourmantelle

Dans la suite du mot du jour d’hier et des recherches attenantes je suis tombé sur la dernière chronique d’Anne Dufourmantelle dans Libération.

L’intelligence et la sensibilité qu’elle manifeste dans cette courte chronique m’ont subjugué.

Elle est décédée le 21 juillet 2017, cette chronique date du 22 juin 2017.

Vous la trouverez derrière ce le lien <Les-points sur les QI>

Au départ, il y a les réflexions de Laurent Alexandre, co-créateur de doctissimo en 2000. Mais aujourd’hui il est surtout connu pour ses essais et conférences sur l’intelligence artificielle et le transhumanisme.

J’avais consacré en 2017 un <mot du jour> à son analyse sur l’intelligence artificielle qui va constituer un bouleversement considérable et auquel il faut, selon lui, s’adapter rapidement ce que nous ne faisons pas pour l’instant.

Il avertit des dangers pour mieux nous inciter à adhérer à l’évolution en cours pour ne pas être dépassé, « largué » en langage courant.

Anne Dufourmantelle l’avait entendu affirmer à la radio : «La démocratie ne pourra pas survivre à des écarts de QI. La Sécurité sociale devra rembourser les opérations pour augmenter le cerveau

A cette affirmation elle réplique immédiatement :

« En une seule des prophéties dont il a l’habitude, trois contrevérités sont assénées sur le ton de la certitude.
Premièrement, le QI serait la référence absolue en matière d’intelligence.
Deuxièmement, la médecine doit transformer le corps de façon à faire correspondre les individus aux nouvelles normes que ces progrès instituent.
Troisièmement, pour éviter les inégalités que ne manquerait pas de susciter la mise en circulation de ces nouvelles normes, la Sécurité sociale doit se préparer à venir en aide aux nouveaux infirmes que ces dernières, en fait, «produisent». »

Je n’ai pas retrouvé l’émission de radio évoquée par Anne Dufourmantelle, mais j’ai retrouvé cette interview publiée, sur le site du Figaro, le 13/06/2017 soit 9 jours avant l’article que je souhaite partager : «Bienvenue à Gattaca deviendra la norme». Dans cette interview, il explique

« On ne sauvera pas la démocratie si nous ne réduisons pas les écarts de QI. Des gens augmentés disposant de 180 de QI ne demanderont pas plus mon avis qu’il ne me viendrait à l’idée de donner le droit de vote aux chimpanzés.

Il va falloir parler QI ce qui n’est pas simple tant le sujet est politiquement chaud. Ne vous y trompez pas: le tabou du QI traduit le désir inconscient et indicible des élites intellectuelles de garder le monopole de l’intelligence à une époque où elle est de plus en plus le moteur de la réussite et du pouvoir: cela est politiquement et moralement inacceptable »

Et contrairement au journaliste qui lui rétorque : « L’homme ne se réduit pas à son cerveau. Il est aussi sensibilité et vie intérieure. » il considère :

« Vous avez à mon sens tort, l’homme se réduit à son cerveau. Nous sommes notre cerveau. La vie intérieure est une production de notre cerveau. L’Église refuse encore l’idée que l’âme soit produite par nos neurones, mais elle l’acceptera bientôt comme elle a reconnu en 2003 que Darwin avait raison, 150 ans après que le pape déclare que Darwin était le doigt du démon. C’est d’ailleurs indispensable si les chrétiens veulent participer aux débats neurotechnologiques qui sont clé dans notre avenir. Jusqu’où augmente-t-on notre cerveau avec les implants intracérébraux d’Elon Musk? Jusqu’où fusionne-t-on neurone et transistor? Quel droit donne-t-on aux machines? L’émergence de nouvelles créatures biologiques ou électroniques intelligentes a des conséquences religieuses: certains théologiens, tel le révérend Christopher Benek, souhaitent que les machines douées d’intelligence puissent recevoir le baptême si elles en expriment le souhait. Les NBIC posent des questions inédites qui engagent l’avenir de l’humanité. »

On comprend donc mieux la référence du titre de l’article à <Bienvenue à Gattaca>, film de science-fiction sorti en 1997. Qui présente une société dans laquelle on pratique l’eugénisme à grande échelle.

Mais ce que je trouve le plus pertinent ce sont ces mots d’Anne Dufourmantelle :

« Depuis quelques années, la doctrine transhumaniste trouve un écho complaisant dans les médias sans que jamais y soit explicitée sa teneur scientiste, ultralibérale et in fine eugéniste. Séduisante parce que relevant de la fantasmagorie de science-fiction, intimidante parce que placée sous le sceau du progrès des neurosciences et du génie génétique, cette idéologie fonctionne comme toutes les doctrines à ambition messianique : au nom d’un avenir que l’on qualifie d’inéluctable, elle prône la mise en place d’un monde visant à le prévenir mais qui, en réalité, le produit.

Aucun fanatisme religieux n’est allé aussi loin que le transhumanisme puisqu’il prône l’avènement d’un homme nouveau n’ayant pas seulement assimilé ses dogmes mais allant jusqu’à les incarner en transformant son corps de manière à ce qu’il corresponde au nouvel ordre qu’il met en place.

L’immortalité, le corps augmenté… autant de leitmotivs millénaristes remis au goût du jour du struggle for life [lutte pour la vie] capitaliste.

Avant de chercher à «augmenter» son corps, ne faudrait-il pas se demander si chacun vit pleinement la magie de ce qu’il est ?

Avant d’aspirer à l’immortalité, ne devrait-on pas permettre à chacun de vivre une vie pleine et choisie ?

Les technolâtres invoquent la raison d’être de la médecine qui serait de tout temps intervenue sur l’homme pour remédier à ses maux.

Argument fallacieux. Il s’agit justement, avec le transhumanisme, de toute autre chose que de médecine. Il s’agit d’une maintenance technologique qui considère le corps comme une machine en panne ou poussive à perfectionner.

Guérir, soigner, corriger, n’est pas conditionner, programmer, transformer.

Comme l’écrit Mathieu Terence, auteur d’un bref livre qui révèle la vérité de ce discours totalitaire (« Le transhumanisme est un intégrisme », le Cerf, 2017), le transhumaniste est en effet le self made man absolu. Il va jusqu’à se construire une vie artificielle capable de fournir les performances que notre monde artificiel attend de lui.

Ainsi, là où règne la quantité, il ne sera plus question de qualité. Là où le nombre est roi, le verbe se réduira au code. Là où plus rien n’a de valeurs, tout a un prix.

L’intelligence est réduite à une performance logique, au comportement correspondant le mieux à une consigne. Oubliées l’imagination, la sensibilité, la mémoire et leurs infinies combinaisons. C’est dans cette perspective cynique qu’il faut entendre l’éloge du QI du docteur Alexandre spécialiste de la question s’il en est puisque urologue de formation. Celui qui confond QI et intelligence confond la palette du peintre avec le tableau.

Cette confusion entre les qualités d’un être et ses performances est bien le fait de notre époque où l’approche économique (rentable, comptable) prime sur toute autre, y compris sur ce que le vivant a de plus précieux. Ne parle-t-on pas aujourd’hui d’élèves de maternelle à «haut potentiel» ainsi que toutes les DRH du monde le font de certains membres d’une entreprise. L’évaluation est devenue tyrannique, un outil de management incontournable, un mot d’usage public qui sert insidieusement la dévaluation, le contrôle des individus et à la délation. Il s’agit de savoir plaire, et non de savoir. Il y avait la servitude volontaire, il y aura de plus en plus la volonté de servitude. »

Avec des mots simples, Anne Dufourmantelle rappelle l’essentiel et dénonce la folie de ceux qui veulent créer « homo deus ».

Une femme, une intellectuelle profonde et visionnaire.

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Vendredi 12 octobre 2018

« Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous nous connaissons ? »
Yuval Noah Harari « Homo deus » ultime phrase du livre.

Nous avons tous à résoudre notre questionnement par rapport à notre avenir incertain.

Chacun fait comme il peut, pour ma part je ne blâmerai personne.

Certains ne pensent pas à toutes ces choses trop angoissantes et se contentent de vivre au jour le jour, en essayant de croquer à pleines dents dans toutes les opportunités qui se présentent : les relations avec leurs proches, les fêtes, les loisirs, les jeux de toute sorte, les voyages, les compétitions, les expériences artistiques et culturelles, le bien être personnel du corps et de l’esprit, peut-être la réussite professionnelle ou l’augmentation de leur capital pécuniaire. Bref, tout ce qui ressort du divertissement Pascalien.

Il y a bien sur quelques-uns qui se réfugient dans l’absorption de substances diverses qui permettent à l’esprit de s’échapper des réalités.

D’autres restent résolument optimistes et pensent que l’instinct de survie d’homo sapiens surmontera les difficultés et que toutes les découvertes techniques, l’intelligence artificielle permettront encore d’améliorer les soins aux maladies et le sort global des humains. Celles et ceux qui ont perdu un être cher de manière prématurée, une fille, un fils d’une maladie que la médecine ne savait pas encore guérir ne peuvent qu’espérer et soutenir une telle perspective.

Il y a aussi celles et ceux qui se réfugient dans la transcendance, la croyance dont, pour l’instant, le modèle le plus accompli est la foi religieuse. Ce type de réponse est très confortable puisque même si les humains se fracassent dans une catastrophe apocalyptique ayant pour dimension la terre entière, la perspective de se retrouver parmi les élus dans un autre monde au sein d’un univers dominé par la puissance et la sagesse divine, permet de se projeter dans un avenir rassurant et rimant avec l’éternité. L’humilité m’oblige à écrire que je ne peux définitivement affirmer que cette perspective constitue une chimère. Toutefois mon esprit rationnel, ce que je comprends de l’évolution d’homo sapiens, notre espèce, si remarquablement décrit par Yuval Noah Harari, mon expérience personnelle et ma fréquentation des religions, des croyants et de leurs discours, me pousse à penser qu’il s’agit d’une perspective peu vraisemblable.

Il y a bien sûr les transhumanistes extrémistes comme Kurzweil qui rêvent un homo sapiens augmenté, « a-mortel » agrémenté pour des gens comme Ellon Musk d’une fuite de quelques humains hors de notre vaisseau terrestre pour aller coloniser une autre planète, permettant de repartir sur de nouvelles bases après avoir définitivement abimé la terre. Pour ces esprits, il faut bien comprendre que la suite de l’aventure ne se fera pas avec 10 milliards d’homo sapiens. La quasi-totalité d’ « homo sapiens » sera probablement traitée par les « Homo deus » comme aujourd’hui les autres animaux sont traités par « homo sapiens »

Je privilégie quant à moi, le choix d’essayer de regarder la réalité en face, tout en gardant l’optimisme de la volonté et en essayant d’agir modestement et en essayant de comprendre ce qui se passe et quelles idéologies, quels mythes sont à l’œuvre quand des hommes de pouvoir économique ou politique, des intellectuels s’expriment ? mettent en œuvre des actions concrètes ou font des choix et prennent des décisions.

Yuval Noah Hariri soulève, à la fin de son livre ce défi intellectuel qui nous est posé :

« Nous sommes en face de tant de scénarios et de possibilités […]. Le monde change plus vite que jamais et nous sommes inondés de quantités inimaginables de données, d’idées, de promesses et de menaces [qu’il est essentiel de comprendre à quoi nous devrions prêter attention.]

Dans le passé, la censure opérait en bloquant le flux de l’information. Au XXIème siècle, elle opère en inondant la population d’informations non pertinentes. [nous] passons notre temps à débattre de problèmes annexes.

Dans les temps anciens, avoir le pouvoir voulait dire accéder aux données. Aujourd’hui, cela signifie savoir ce qu’il faut ignorer. » P.426

Et c’est alors qu’Harari exprime ces problématiques dans différentes unités de temps. C’est en cela que je trouve l’apport de Yuval Noah Harari particulièrement structurant et fécond.

« Si nous pensons en mois, nous ferions probablement mieux de nous concentrer sur des problèmes immédiats comme les troubles au Moyen-Orient, la crise des réfugiés en Europe et le ralentissement de l’économie chinoise. »

Et l’historien israélien évoque ensuite les questions qui se posent dans les décennies qui viennent :

« Le réchauffement climatique, l’inégalité croissante et les problèmes du marché de l’emploi passent au premier plan. »

Mais les questions à long terme, si on prend encore plus de recul mettent au premier plan trois processus liés les uns aux autres :

« 1 La science converge sur un dogme universel, suivant lequel les organismes sont des algorithmes et la vie de réduit au traitement des données.

2. L’intelligence se découple de la conscience.

3. Des algorithmes non conscients, mais fort intelligents, pourraient bientôt nous connaître mieux que nous-mêmes. »

Et en face de ces questions essentielles pour l’avenir d’«homo sapiens », Yuval Noah Harari finit son livre par trois questions cruciales dont il espère qu’elles resteront présentes à notre esprit longtemps après avoir refermé ce livre :

  • «Les organismes ne sont-ils réellement que des algorithmes, et la vie se réduit-elle au traitement des données ?
  • De l’intelligence ou de la conscience, laquelle est la plus précieuse ?
  • Qu’adviendra-t-il de la société, de la politique et de la vie quotidienne quand des algorithmes non conscients mais hautement intelligents nous connaîtrons mieux que nous nous connaissons ? » P. 427

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La semaine prochaine, je ne vais pas écrire de mots du jour.

Le mot du jour reviendra le 22 octobre 2018.


Jeudi 11 octobre 2018

« Le dataïsme : l’humanité n’aura été qu’une ondulation dans le flux de données cosmique »
Yuval Noah Hariri : « Homo deus » page 425

Dans le mot du jour du 2 octobre je précisais que mon objectif n’est pas de réaliser un résumé de « Homo deus » mais d’aborder des questions et des développements qui m’ont interpellé et pour lesquels Harari m’a appris quelque chose ou m’a permis de me poser des questions nouvelles.

Aujourd’hui, j’aborderai dans cet avant dernier article de la série, le sujet central de la préoccupation de Yuval Noah Harari qui se trouve dans l’exploration des capacités de l’intelligence artificielle, de ce qu’il appelle le découplage entre l’intelligence et la conscience et de la confiance de plus en plus grande que manifestent les hommes à l’égard des données, les data en anglais et qui amènerait à une nouvelle religion qui est le « dataïsme »

Yuval Noah Harari insiste beaucoup dans ses développements que dans notre manière de fonctionner et de réagir, nous les humains, mais aussi les autres animaux il y a une grande partie de procédures algorithmiques. Des algorithmes déclenchés par des événements extérieurs ou intérieurs.

Un algorithme n’est rien d’autre qu’un traitement de données, qui reçoit des données, les analyse puis donne un résultat qui est une action, une réflexion, un comportement. Et pour ce faire des processus biologiques, électriques et chimiques sont à l’œuvre dans notre corps.

Ces processus sont les mêmes chez homo sapiens et les autres animaux. L’animal voit, ressent, décide et agit comme le fait un humain. La différence est la taille du cerveau, le nombre de neurones, qui confère à un individu humain sa supériorité sur les autres animaux. Mais pour Harari, l’être humain se différencie aussi de l’animal par la conscience.

Harari a donné pour sa dernière partie un titre explicite : « Homo sapiens perd le contrôle » dont des sous parties sont :

  • Le grand découplage
  • L’océan de la conscience
  • Et l’ultime chapitre : la religion des data

Et je commencerai par citer le début de « L’océan de la conscience »

« Il est peu probable que les nouvelles religions émergeront des grottes d’Afghanistan ou des madrasas du Moyen-Orient. Elles sortiront plutôt des laboratoires de recherche. De même que le socialisme s’est emparé du monde en lui promettant le salut par la vapeur et l’électricité, dans les prochaines décennies les nouvelles techno-religions conquerront peut le monde en promettant le salut par les algorithmes et les gênes. […]

On peut diviser ces nouvelles techno-religions en deux grandes catégories :

  • Le techno-humanisme
  • La religion des données [ou dataisme] »

Et Yuval Noah Harari, s’efforce d’abord de définir le techno-humanisme :

« Le techno-humanisme reconnaît qu’Homo sapiens, tel que nous le connaissons a vécu : il arrive au terme de son histoire et cessera d’être pertinent à l’avenir. Il conclut toutefois que nous devons créer Homo deus, un modèle d’homme bien supérieur. Homo deus, conservera des traits humains essentiels, mais jouira aussi de capacités physiques et mentales augmentées qui lui permettront de se défendre contre les algorithmes non conscients les plus sophistiqués. Comme l’intelligence est découplée de la conscience et que l’intelligence non consciente se développe à vitesse grand V, les hommes doivent activement optimiser leur esprit s’ils veulent rester dans la course. […]

Il y a 70 000 ans, la révolution cognitive a transformé l’esprit de Sapiens, faisant d’un insignifiant signe africain le maître du monde. L’esprit amélioré de Sapiens a soudain eu accès au vaste champ de l’intersubjectivité, ce qui lui a permis de créer des dieux et des sociétés, de bâtir des cités et des empires, d’inventer l’écriture et la monnaie et , finalement de scinder l’atome et d’aller sur la lune. Pour autant que nous le sachions, cette révolution stupéfiante a été le fruit de quelques menus changements dans l’ADN de Sapiens et d’un léger recâblage de son cerveau. Si tel est le cas, explique le techno humanisme, peut-être quelques changements supplémentaires de notre génome et un autre recâblage de notre cerveau suffiront-ils à lancer une seconde révolution. »

Par la suite Harari documente toutes les possibilités qui pourraient exister pour étendre nos capacités mentales, permettre de voir un spectre plus large de la lumière par exemple, augmenter nos capacités de raisonnement et notre rapidité de réaction et je vous renvoie par exemple vers le casque évoquée hier et qu’a expérimenté et décrit la journaliste au New Scientist Sally Adee.

Mais Harari reconnaît que le techno-humanisme conduit à un paradoxe :

« Le techno-humanisme est ici confronté à un dilemme insoluble. Il tient la volonté humaine pour la chose au monde la plus importante, et pousse donc l’humanité à élaborer des technologies qui puissent la contrôler et la remodeler. Après tout, il est tentant de contrôler ce qu’il y a de plus important dans l’univers. Or, si nous obtenions un tel contrôle, le techno-humanisme ne saurait qu’en faire car l’être humain sacré ne deviendrait plus qu’un produit manufacturé parmi d’autres. Tant que nous croirons que volonté et expérience humaines sont la source suprême de l’autorité et du sens, il nous sera impossible de composer avec ces technologies. »

C’est ainsi qu’Harari nous amène à son ultime chapitre :

« Aussi une techno-religion plus audacieuse cherche-t-elle à couper carrément le cordon ombilical humaniste. Elle voit se dessiner un monde qui ne tourne pas autour des désirs et expériences d’êtres de l’espèce humaine. Qu’est ce qui pourrait remplacer les désirs et expériences d’êtres de l’espèce humaine […] désirs et expériences qui sont à la source de tout sens et de toute autorité ?

Aujourd’hui, un candidat a pris place pour l’entretien d’embauche dans l’antichambre de l’histoire. Ce candidat n’est autre que l’information. La religion émergent la plus intéressante est le dataïsme, qui ne vénère ni les dieux ni l’homme, mais voue un culte aux data, aux données. »

Je ne peux affirmer que le concept « dataisme » ait été inventé par Harari mais, c’est lui qui l’a rendu populaire au point de parler d’une nouvelle religion celle des « données » des « data » puisqu’il faut donner un nom anglais pour que le concept paraisse sérieux.

Pour retracer l’histoire d’homo sapiens sur la longue période on pourrait écrire que pendant des milliers d’années, les humains ont pensé que l’autorité venait des dieux. Puis à l’ère moderne, la  période « humaniste » l’autorité a été progressivement transmise aux êtres humains, aux savants, aux philosophes et aux humains élus par les citoyens. Aujourd’hui la révolution du numérique, des « big data » et des algorithmes qui savent analyser rapidement ces immenses masses de données conduisent à légitimer l’autorité des algorithmes et du Big Data.

Harari explique :

« Pour le dataïsme, l’univers consiste en flux de données, et sa contribution au traitement des données détermine la valeur de tout phénomène ou entité. […] p. 395

Prenons des exemples concrets :

Vous êtes gravement malade. Voici une machine qui recueille par des dizaines de connecteurs toutes les informations essentielles de votre organisme, elle peut rapidement se connecter à la base de vos données pour connaître vos antécédents et puis analyser dans des milliards de données d’autres humains pour trouver les cas analogues, similaires et choisir le traitement qui a eu le meilleur effet sur des personnes dont l’état de santé et le profil ressemblent au vôtre.

Voici un médecin, certes réputé, certes plein d’empathie mais qui possède beaucoup moins de connaissances que la machine, réfléchit beaucoup moins vite. Et en plus c’est un humain, il est fatigué, il pense à sa compagne, à son fils, à son prochain voyage, à une chanson qu’il a entendu en passant. En plus il est émotif, il a peur de se tromper.

Quel est la thérapie que vous choisirez ?

Notre vieil ami Luc Ferry, dira qu’il est stupide de présenter cette situation de cette manière. Cet optimiste nous dira qu’il ne faut pas opposer la machine et le médecin mais les associer, le médecin utilisera la force de l’intelligence artificielle pour parfaire son diagnostic et choisir la bonne thérapie.

Ah bon ?

Mais enfin, c’est l’intelligence artificielle qui diagnostiquera et décidera de la thérapie, le médecin ne sera que son porte-parole. je suis même persuadé qu’il n’osera pas contredire la machine.

Il pourra, peut-être mettre un peu d’empathie. Et même sur ce point Harari n’est pas convaincu, l’intelligence artificielle saura mieux que le médecin analyser dans quel état de stress et d’émotion vous êtes et trouver les mots les plus appropriés pour communiquer avec vous.

Harari cite l’exemple de la célèbre actrice Angelina Jolie. En 2013, l’actrice américaine a découvert grâce à un test génétique qu’elle portait une dangereuse mutation du gène BRCA1. Selon les bases de données statistiques, les femmes portant cette mutation ont 87% de probabilités de développer un cancer du sein. Sans attendre le cancer, Angelina Jolie a décidé de faire confiance aux algorithmes et de procéder à une double mastectomie.

Et le choix de l’âme sœur ? L’intelligence artificielle saura tout de vous et même mieux que vous et il saura tout des autres. Qui mieux qu’elle pourra réaliser la meilleure association pour la vie ? Ce ne serait pas rationnel de ne pas suivre son avis …

Et alors le choix du gouvernement démocratique ou la stratégie économique ? Peux t’on vraiment faire confiance à homo sapiens ? Pour les dataistes, c’est bien sûr l’intelligence artificielle qui sera la plus compétente pour faire les bons choix et décider des mesures à prendre.

Dans ce nouveau récit, c’est l’information analysée par des programmes sachant la maîtriser qui est source de sens et non plus les désirs et les expériences humaines.

Et Harari de conclure :

« Les dataïstes sont sceptiques envers le savoir et la sagesse des hommes, et préfèrent se fier au Big Data et aux algorithmes informatiques » p.396.

Pour les partisans de ce mouvement l’univers tout entier est un flot de données, les organismes comme des algorithmes biochimiques.

Car Harari explique que contrairement à ce qu’on pourrait penser, les sentiments ne sont pas l’opposé de la rationalité. Mais Ils représentent davantage la rationalité de l’instinct. Quand un babouin, une girafe ou un humain voit un lion, il éprouve de la peur car son algorithme biochimique lui indique qu’un individu à proximité représente une menace immédiate. Cet algorithme biochimique a évolué et s’est amélioré au fil de millions d’années d’évolution. Si les sentiments d’un ancêtre lui font commettre une erreur, les gènes autour de ce sentiment n’ont pas été transmis à la génération suivante. Il y a donc bien aussi dans ce cas production de données et d’informations.

L’humanité est à la confluence de deux vagues scientifiques. D’un côté, les biologistes déchiffrent les mystères du corps humain, et plus particulièrement ceux du cerveau et des sentiments humains. D’un autre côté, les informaticiens sont détiennent désormais un pouvoir de traitement de données sans précédent. L’association de ces deux sciences permet de créer des systèmes externes capables de surveiller et de comprendre nos sentiments mieux que nous-mêmes. Une fois que les systèmes Big Data nous connaîtront mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, l’autorité sera transmise des humains aux algorithmes.

Et harari pose alors cette question

« Si le dataïsme réussit à conquérir le monde, qu’adviendra-t-il de nous les hommes ?

Dans un premier temps, le dataïsme accélèrera probablement la quête humaine de la santé, du bonheur et du pouvoir. Le dataïsme se propage en promettant de satisfaire ces aspirations humanistes. Pour accéder à l’immortalité, à la félicité et aux pouvoirs divins de la création, il nous faut traiter d’immenses quantités de données qui dépassent de loin les capacités du cerveau humain. Les algorithmes le feront donc pour nous. Mais du jour où l’autorité passera des hommes aux algorithmes, il se peut que les projets humanistes perdent toute pertinence. » P.424

Et il devient poète :

« Nous nous efforçons de fabriquer l’Internet-de-tous-les-objets dans l’espoir qu’il nous rendra bien portants, heureux et puissants. Mais une fois que celui-ci sera opérationnel, les hommes risquent d’être réduits du rôle d’ingénieurs à celui de simples puces, puis de data, pour finalement se dissoudre dans le torrent des données comme une motte de terre dans une rivière […] Rétrospectivement, l’humanité n’aura été qu’une ondulation dans le flux de données cosmique. »

P. 424 & 425

Et il pointe ce danger :

« Le dataïsme menace de faire subir à l’Homo sapiens ce que ce dernier a fait subir à tous les autres animauxP. 424

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mercredi 10 octobre 2018

« La révolution humaniste, le libre arbitre et notre « moi » qui décide »
Développement de Yuval Noah Harari dans « Homo deus » pages 243 à321

Nous savons comment Harari explique la conquête du monde par homo sapiens, ce qu’il appelle « l’étincelle humaine », deuxième sous partie de sa Première Partie : « Homo sapiens conquiert le monde ».

C’est notre capacité d’imaginer des choses qui n’existent pas dans la réalité et qui permet de fédérer des millions d’homo sapiens qui ne se connaissent pas personnellement. Harari cite par exemple : le dollar, Google ou l’Union européenne et explique que selon lui un chat ne peut que s’imaginer des choses réelles comme la souris qu’il va aller chasser.

Mais les grands mythes fédérateurs furent ceux des Religions.

Ainsi les femmes et les hommes de ces sociétés agissaient selon les règles qu’expliquaient les prêtres de ces Religions. Celles et ceux qui ne respectaient pas ces règles étaient d’une part exclus de leur famille ou de leur communauté et plus encore réprimés avec une grande violence. Nous connaissons cela.

A ces mythes déistes s’est substituée, selon Harari, dans le monde occidental, « la révolution humaniste »

La révolution humaniste est la 4ème sous partie de la deuxième partie « Homo sapiens donne sens au monde » qui en compte 4

  • Les conteurs
  • Le couple dépareillé
  • L’alliance moderne
  • La révolution humaniste

Et Harari d’expliquer :

« L’humanisme, nouveau credo révolutionnaire a conquis le monde au cours des derniers siècles. La religion humaniste voue un culte à l’humanité et attend que cette dernière joue le rôle dévolu à Dieu dans le christianisme et l’islam, ou celui que les lois de nature ont tenu dans le bouddhisme et le taoïsme. Alors que traditionnellement, le grand plan cosmique donnait un sens à la vie des hommes, l’humanisme renverse les rôles et attend des expériences humaines qu’elles donnent sens au cosmos. Selon l’humanisme, les humains doivent puiser dans leurs expériences intérieures le sens non seulement de leur vie, mais aussi de tout l’univers. Tel est le premier commandement de l’humanisme : créer du sens pour un monde qui en est dépourvu.

La révolution religieuse centrale de la modernité n’a donc pas été la perte de la foi en Dieu, mais le gain de la foi en l’humanité. » P. 244

Toute la difficulté pour nous est de comprendre qu’il s’agit d’un nouveau mythe, car ce conte est contemporain, c’est celui de notre récit qui pour nous est forcément la réalité. Avant notre modernité, nous pouvons entendre qu’il s’agissait de mythes, de croyances, mais pour nous c’est différent…

Harari continue :

« Cela fait des siècles que l’humanisme nous a convaincus que nous sommes l’ultime source du sens, et que notre libre arbitre est donc l’autorité suprême en toute chose. Au lieu d’attendre qu’une entité extérieure nous dise ce qu’il en est, nous pouvons nous remettre à nos sentiments et désirs. Depuis la plus tendre enfance, nous sommes bombardés de slogans humanistes en guise de conseils : « Ecoute-toi, sois en accord avec toi-même, suis ton cœur, fais ce qui te fait du bien. » P. 246

Cette injonction vaut d’abord pour les relations amoureuses, conjugales et les relations amicales mais s’étend à tous les domaines de la vie.

Ceci conduit très largement à des aspirations individualistes et consuméristes.

« Nos sentiments ne donnent pas seulement du sens à notre vie privée, mais aussi aux processus politiques et sociaux. Quand nous voulons savoir qui doit diriger le pays, quelle politique étrangère et quelles mesures économiques adopter, nous en cherchons pas les réponses dans les Écritures. Pas davantage n’obéissons-nous aux commandements du pape ou aux conseils des lauréats du Nobel. Dans la plupart des pays, nous organisons plutôt des élections démocratiques et demandons aux gens ce qu’ils pensent de la question. Nous estimons que l’électeur sait mieux et que les libres choix des individus sont l’autorité politique ultime.

Mais comment l’électeur sait-il que choisir ? Théoriquement, tout au moins, il est censé écouter ses sentiments les plus profonds et s’y fier.

[…] Au Moyen Age, cela serait passé pour le comble de la folie. Les sentiments fugitifs des roturiers ignares n’étaient guère une base saine pour prendre des décisions politiques importantes.»

L’honnêteté nous conduit à reconnaître que le point de vue du moyen âge n’est pas dénué de raison.

Alors vous rétorquerez que comme Churchill : « Que la démocratie est la plus mauvaise solution, mais qu’il n’en existe pas de meilleure ».

Et vous ajouterez, en plus cela marche.

Mais l’esprit incrédule vous dira, oui mais cela marche de moins en moins.

Globalement vous voyez bien qu’en présentant les choses comme cela, nous constatons bien qu’il s’agit d’un mythe. Cela permet de fédérer un grand nombre de personnes derrière cette croyance, mais ce n’est pas la réalité de prétendre que la décision démocratique est la plus intelligente, préserve le mieux le long terme, est la plus rationnelle. C’est un mythe, un mythe qui fonctionne, mais c’est un mythe.

Le monde actuel est donc dominé par l’humanisme libéral avec l’individualisme, les droits de l’homme, la démocratie et le marché.

Et c’est là que les dernières découvertes scientifiques conduisent Harari à questionner la réalité du libre arbitre.

Et c’est encore un récit qui va être révélateur d’une réalité beaucoup plus complexe que celle à laquelle adhère le mythe humaniste :

« Sally Adee, journaliste au New Scientist, a été autorisée à visiter une installation d’entraînement pour snipers et à tester elle-même les effets d’un casque dont le nom technique est : « stimulateur transcrânien à courant direct ».

Elle est d’abord entrée dans un simulateur de champ de bataille sans porter le casque. Sally raconte comment la peur l’a terrassée quand elle a vu vingt hommes masqués, armés de fusils et sanglés pour un attentat suicide qui chargeaient. […] Visiblement je ne tire pas assez vite ; la panique et l’incompétence bloquent constamment mon arme » Heureusement pour elle, les assaillants n’étaient que des images vidéo projetées sur de grands écrans tout autour d’elle.

C’est alors qu’on l’a branchée au casque. Elle raconte n’avoir rien senti d’inhabituel, sauf un léger picotement et un étrange goût métallique dans la bouche. Elle s’est pourtant mise à abattre les terroristes virtuels l’un après l’autre, aussi froidement et méthodiquement que si elle était Rambo ou Clint Eastwood. […] quand l’équipe commence à me retirer les électrodes. Je lève les yeux et me demande si quelqu’un a avancé l’heure. Inexplicablement [le temps était le même que lors de la première expérience]. « J’en ai eu combien ? » demandai-je à l’assistante. Elle m’a regardée d’un air narquois ; « Tous »

L’expérience a changé la vie de Sally. Les jours suivants, elle a compris qu’elle avait vécu une « expérience quasi spirituelle» […] pour la première fois, dans ma tête, tout s’est finalement fermé […]. Que mon cerveau puisse être dépourvu du moindre doute était une révélation. Là, soudain, cet incroyable silence dans ma tête .[…] » p310 et 311

Harari précise que ces stimulateurs transcrâniens d’aujourd’hui sont encore dans l’enfance, mais si la technologie mûrit, ou si l’on trouve une autre méthode pour manipuler la configuration électrique du cerveau, quelle incidence cela aura-t-il sur les sociétés et les êtres humains ?

Et Harari cite beaucoup d’expériences sur les animaux dans lesquelles grâce à des stimulis extérieurs ces animaux font exactement ce que le manipulateur du stimulis veut qu’ils fassent.

Grâce à ces outils sophistiqués, il n’y a plus d’espace de libre arbitre, le manipulateur fait du cerveau de l’autre ce qu’il veut.

Mais cela montre aussi de manière certaine que des manipulations plus grossières, une publicité, une propagande, un récit répété sans cesse peut annihiler le libre arbitre du cerveau humain. Ce que nous savions, mais que la science démontre.

Et Harari conclut :

« Les expériences accomplies sur Homo sapiens indiquent que, comme les rats, les hommes sont manipulables et qu’il est possible de créer ou d’anéantir des sentiments complexes comme l’amour, la colère, la peur et la dépression en stimulant les points adéquats dans le cerveau humain. » p.309

Harari remet aussi en question la croyance de l’humanisme libéral qui nous définit en tant qu’individu, c’est-à-dire une seule entité indivisible. Il prétend que tel n’est pas le cas, qu’en réalité nous somme des « dividus », car il n’existe pas un seul moi qui prend les décisions. Il distingue le moi expérimentateur de notre conscience immédiate et le moi narrateur. Il développe ces expériences et analyses entre la page 312 et 321.

La plus révélatrice me semble être l’expérience menée par Daniel Kahneman, prix Nobel d’économie en 2002.

« Il invita un groupe de volontaires à participer à une expérience en trois parties.

Dans la partie courte de l’expérience, les volontaires introduisaient leur main une minute dans un récipient d’eau à 14°C, ce qui est désagréable et douloureux. […].
Dans la partie longue de l’expérience on commençait de la même manière mais au bout d’une minute on ajoutait subrepticement de l’eau chaude, portant la température à 15°C. On demandait de retirer la main 30 secondes plus tard. » P. 316

Puis on demanda aux volontaires de réitérer une des deux expériences et de choisir celle qui leur paraissait la moins pénible. 80% ont choisi l’expérience longue. Ils n’en connaissaient pas le détail et n’avaient que leur ressenti.

Mais si on examine cela de manière rationnel :

L’expérience longue comporte l’expérience courte à laquelle on ajoute 30 secondes d’eau à 15° – chose légèrement moins pénible, mais pas agréable non plus, en tout cas qui ne peut rendre l’expérience longue plus agréable. Il eut été rationnel de choisir l’expérience courte sans y ajouter encore 30 secondes d’expérience supplémentaire non agréable aussi.

Harari explique :

« Le moi qui expérimente ne se souvient de rien. Il ne raconte pas d’histoires ; quand sont en jeu de grandes décisions, il est rarement consulté. Exhumer des souvenirs, raconter des histoires, prendre des grandes décisions est le monopole d’une entité très différente à l’intérieur de nous : le moi narrateur. […] Il est perpétuellement occupé à raconter des histoires sur le passé et à faire des projets d’avenir.

[Le moi narrateur] ne raconte pas tout […] c’est la moyenne des sommets et la fin qui détermine la valeur de toute l’expérience [pour lui.] P. 317

C’est ainsi que l’expérience longue qui finit de manière moins désagréable est privilégiée.

Et Harari de conclure :

« La plupart d’entre nous nous identifions néanmoins à notre moi narrateur. Quand nous disons « je », nous voulons parler de l’histoire que nous avons dans la tête, non du flux continue de nos expériences. » P. 320

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Mardi 9 octobre 2018

« Les guerres et les conflits qui ont jalonné l’histoire pourraient bien n’être qu’un pâle prélude au vrai combat qui nous attend : le combat pour la jeunesse éternelle »
Yuval Noah Harari, « Homo deus » page 41

La mort de la mort est un des grands fantasmes de certains transhumanistes de la silicon Valley

Yuval Noah Harari nuance :

« L’immense majorité des chercheurs des médecins et des spécialistes se tiennent encore à distance de ces rêves affichés d’immortalité, affirmant qu’ils essaient simplement de surmonter tel ou tel problème particulier.»

Mais il est une minorité et qui selon Harari voit son nombre croître et qui :

« Parlent plus franchement, ces temps-ci et assurent que le projet phare de la science moderne est de vaincre la mort et d’offrir aux humains l’éternelle jeunesse.

Ainsi du gérontologue Aubrey de Grey et du polymathe et inventeur Ray Kurzweil. En 2012 Kurzweil a été nommé directeur de l’ingénierie chez Google et un an plus tard Google a lancé une filiale, Calico, dont la mission déclarée est de « résoudre le problème de la mort » ».

Vous pouvez aller sur le site internet de cette entreprise à la pointe de la modernité et dont l’objectif est donc de trouver les solutions techniques à la mort.

Et vous pouvez aussi voir cette conférence TED traduit en français dans laquelle Aubrey de Grey prétend « que le vieillissement n’est qu’une maladie — et de surcroît une maladie guérissable ».

Puis cette autre conférence TED dans laquelle Ray Kurzweil, explique comment selon lui « L‘homme sera transformé par la technologie ». Selon lui, d’ici les années 2020, nous aurons démonté le cerveau humain et des nano-robots opéreront notre conscience.

Larry Page et Sergey Brin, les patrons de Google avaient demandé à un autre convaincu de l’immortalité, Bill Maris, un neuroscientifique de formation, de prendre la tête du fonds d’investissement Google Ventures. Harari nous apprend que :

« Dans une interview de janvier 2015, Maris déclarait : «  Si vous me demandez aujourd’hui s’il est possible de vivre jusqu’à 500 ans, la réponse est oui » […] Google Venture investit 36% de ses deux milliards de dollars en portefeuille dans des start-up spécialisées en sciences de la vie dont plusieurs projets ambitieux visent à prolonger la vie. Recourant à une analogie avec le football américain, Maris ajoute : dans le combat contre la mort, « nous n’essayons pas de gagner quelques mères. Nous cherchons à gagner la partie. Parce que mieux vaut vivre que mourir. »

L’édition anglaise d’Homo deus étant paru en 2016, Harari ne savait pas à l’époque que Bill Maris allait quitter Google Venture en août 2016, pour des raisons très louables : « s’occuper de son fils et être davantage avec son épouse » et aussi parce que Google Venture va très bien.

Et Harari cite aussi le cofondateur de PayPal : Peter Thiel :

« Je pense qu’il y a probablement trois grandes façons d’aborder la mort. L’accepter, la nier ou la combattre. Je crois que notre société est dominée par des gens qui sont dans le déni ou l’acceptation ; pour ma part je préfère la combattre. »

Harari explique :

« Le développement à vitesse grand V de domaines comme le génie génétique, la médecine régénérative et les nanotechnologies nourrit des prophéties toujours plus optimistes. Certains experts croient que les humains triompheront de la mort d’ici 2200, d’autres parlent même de 2100. Kurzweil et de Grey sont encore plus confiants. Ils soutiennent qu’en 2050 quiconque possède un corps sain et un solide compte en banque aura une chance sérieuse d’accéder à l’immortalité en trompant la mort de décennie en décennie. Tous les dix ans, selon Kurzweil et De Grey, nous ferons un séjour dans une clinique pour y subir une transformation qui nous guérira de nos maladies, mais régénérera aussi nos tissus en décomposition et améliorera nos mains, nos yaux et notre cerveau. Entre deux hospitalisations, les médecins auront inventé pléthore de nouveaux médicaments, d’extensions et de gadgets. »

Harari rappelle que ces projets s’ils aboutissent ne rendront pas ces humains immortels, mais plutôt a-mortels, car ils pourraient encore mourir dans une guerre ou un accident. Mais je crois qu’on peut rejoindre Yuval Noah Harari dans l’hypothèse, si ces choses arrivent cela ferait :

« Probablement d’eux les gens les plus angoissés de l’Histoire. »

Et Harari d’imaginer ce que cette nouvelle longétivité aurait pour conséquence sur la société et la famille :

« La structure familiale, les mariages et les relations parent-enfant s’en trouveraient transformés. Aujourd’hui, les gens s’imaginent encore mariés « jusqu’à ce que la mort les sépare » et une bonne partie de leur vie tourne autour de l’éducation des enfants.[…]. Une personne dont la durée de vie est de 150 ans […] se marie à 40 ans […] sera-t-il réaliste d’espérer que son couple dure cent dix ans ? […] A 120 ans une femme qui aura eu des enfants à quarante ans n’aura qu’un lointain souvenir des années passées à les élever qui seront comme un épisode plutôt mineur de sa longue vie. […]

Dans le même temps, les gens ne prendront pas leur retraite […] qu’éprouveriez-vous à avoir un patron de 120 ans, dont les idées ont été formulées du temps de la Reine Victoria ? »

Mais Harari n’y croit pas trop :

« Revenons à la réalité : il est loin d’être certain que les prophéties de Kurzweil et de Grey se réalisent d’ici 2050 ou 2100. A mon sens, espérer parvenir à l’éternelle jeunesse au XXIème siècle est prématuré et qui les prend au sérieux est voué à une cruelle déception. Il n’est pas facile de vivre en sachant que vous allez mourir, mais il est encore plus dur de croire à l’immortalité et de se tromper. »

Mais il pense quand même que ce combat restera un combat phare du XXIème siècle :

« Chaque tentative ratée de triompher de la mort nous rapprochera néanmoins un peu plus de ce but, nourrira de plus grands espoirs et encouragera les gens à consentir de plus grands efforts. Calico ne résoudra vraisemblablement pas le problème de la mort à temps pour rendre immortels les cofondateurs de Google […] mais elle réalisera très probablement des découvertes significatives en matière de biologie cellulaire, de médicaments génétiques et de santé humaine »

Et Harari imagine plus largement les conséquences de ce combat :

« L’establishment scientifique et l’économie capitaliste seront plus heureux d’épauler ce combat. La plupart des hommes de science et des banquiers se fichent pas mal de ce sur quoi ils travaillent, du moment que c’est l’occasion de nouvelles découvertes et de plus gros profit […]

Vous trouvez impitoyables les fanatiques religieux au regard brulant et à la barbe fleurie ? Attendez un peu de voir ce que feront les vieux nababs entrepreneurs […] s’ils pensent qu’un élixir de vie est à portée de main. Le jour où la science accomplira des progrès significatifs dans la guerre contre la mort, la vraie bataille se déplacera des laboratoires vers les parlements, les tribunaux et la rue. Dès que les efforts scientifiques seront couronnés de succès, ils déclencheront d’âpres conflits politiques. Les guerres et les conflits qui ont jalonné l’histoire pourraient bien n’être qu’un pâle prélude au vrai combat qui nous attend : le combat pour la jeunesse éternelle. »

Tous ces développements se situent entre les pages 35 et 41.

J’ajouterai une première limite à tous ces espoirs et développements, encore faut-il que la vie sur terre soit toujours possible à l’homme au-delà des années 2100, ce qui ne me semble pas totalement acquis.

Pour le reste le combat contre les maladies, pour la santé et pour éviter les morts prématurés ne peuvent que nous réjouir, notamment lorsque nous avons été confronté à la maladie ou à la mort prématurée d’un proche.

Mais Harari nous parle aussi d’une autre évolution qui est celle du big data et de l’intelligence artificielle dans ce domaine. Il est persuadé et probablement a-t-il raison que la plupart des humains accepteront d’ouvrir totalement les données privées de santé qu’ils livreront sans coup férir à ces outils à cause de la promesse d’une meilleure santé, promesse qui sera pour une part certaine respectée.

Ce sera un monde étrange dans lequel toutes les données de santé d’homo sapiens seront à la disposition de l’intelligence artificielle et probablement aussi des assurances et autres institutions financières qui feront tout ce qui est possible pour y avoir accès.

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Lundi 8 octobre 2018

« Rien de métaphysique dans tout cela. Uniquement des problèmes techniques »
Yuval Noah Harari parlant de la mort dans « Homo deus » page 35

Parmi les 5 auteurs que Yuval Noah Harari conseille de lire pour comprendre le monde (Dans le numéro du 20 septembre du Point) il cite Steven Pinker.

Le mot du jour du 21 novembre 2017 était consacré au livre de Steven Pinker : « La part d’ange en nous, Histoire de la violence et de son déclin » qui montrait que dans l’histoire de l’humanité il n’y a avait jamais eu aussi peu de violence et que globalement le sort des hommes n’avait jamais été aussi enviable qu’aujourd’hui.

Et c’est aussi ce que décrit l’historien israélien dans son livre quand il examine la situation de l’homme par rapport à la mort.

Depuis le début de l’humanité, plusieurs évènements étaient pourvoyeurs massifs de mortalité :

  • La famine
  • Les épidémies
  • La guerre

La famine constituait un fléau récurrent. Autrefois, la production de nourriture était dépendante des intempéries et de la chance. Il arrivait régulièrement qu’à cause d’une mauvaise récolte les habitants meurent de faim. À titre d’exemple, 2,8 millions de Français (soit 15% de la population de l’époque) sont morts entre 1692 et 1694 à cause de la famine engendrée par la destruction des récoltes par le mauvais temps. Pendant ce temps-là, Louis XIV le Roi-Soleil batifolait à Versailles avec ses maîtresses. La famine toucha ensuite les autres pays, que ce soit l’Estonie, la Finlande ou encore l’Ecosse.

Les hommes d’alors accusaient le destin ou la volonté de Dieu.

Aujourd’hui, la famine n’est plus inéluctable, elle constitue essentiellement un problème politique. Si nous le voulions, tout le monde pourrait manger à sa faim. Même lorsqu’une zone est touchée par des inondations ou d’autres catastrophes menant à une pénurie alimentaire, des mécanismes internationaux entrent en œuvre pour faire face au manque alimentaire. Si des famines existent encore, c’est dans les zones de conflits où les ONG ou les organismes internationaux ne peuvent accéder en raison de l’insécurité. En effet, grâce à nos réseaux développés et au commerce mondial, on peut envoyer rapidement de la nourriture sur place.

Certes, il reste une insécurité alimentaire et aussi des problèmes de qualité de la nourriture mais plus des famines comme celles rappelées ci-dessus. Harari précise d’ailleurs que c’est plutôt d’une suralimentation ou d’obésité dont nous souffrons désormais. En 2010, la famine et la malnutrition ont tué 1 million de personnes alors que l’obésité en a tué trois fois plus. C’est généralement les personnes les plus pauvres qui sont concernées, se gavant de hamburgers et de pizzas. En 2014, plus de 2,1 milliards d’habitants étaient en surpoids alors que seulement 850 millions d’individus souffraient de malnutrition.

Pour les épidémies, l’évolution est encore plus radicale. La plus mémorables des épidémies est la peste noire qui se déclara au début des années 1330 en Asie de l’Est ou Asie centrale. La peste gagna toute l’Asie, l’Europe et l’Afrique du Nord en se propageant via une armée de rats et de puces. Entre 75 et 200 millions de personnes moururent à cause de cette épidémie. Tous étaient démunis face à celle-ci, on n’avait aucune idée qui aurait permis de l’enrayer. Seules des prières et des processions étaient réalisées en désespoir de cause, les hommes attribuant les maladies au courroux des dieux ou encore aux démons. Ils ne soupçonnaient pas qu’une minuscule puce ou une simple goutte d’eau puisse contenir toute une armada de prédateurs mortels. La peste noire ne fut même pas la pire des épidémies, les explorateurs et les colons décimaient jusqu’à 90% des autochtones en arrivant chez eux avec leurs maladies.

À côté de ces grandes épidémies, il y avait les autres maladies qui tuaient des millions de personnes chaque année, notamment les enfants qui étaient peu immunisés. Jusqu’au XXe siècle, un tiers des enfants mourraient avant d’avoir atteint l’âge adulte à cause d’un mélange de malnutrition et de maladie. Cependant, les progrès de la médecine ont permis de réduire la mortalité infantile à seulement 5% et même à 1% dans les pays développés. Tout cela grâce à l’élaboration de vaccins, d’antibiotiques, une meilleure hygiène et une infrastructure médicale améliorée.

Ainsi, la variole a été éradiquée. C’est la première épidémie que les hommes aient pu effacer de la surface de la terre.

Concernant la guerre, l’étude de Pinker est sans appel, même si parfois nous avons du mal à y croire. Depuis le début de l’humanité, la paix était précaire et la guerre pouvait se déclarer à tout moment. Désormais, la guerre s’est faite plus rare que jamais. De nos jours, seulement 1% de la population mondiale en meurt. Le diabète tue plus que la guerre :

« Le sucre est devenu plus dangereux que la poudre à canon » p.25

Aujourd’hui, on meurt plus de trop manger que de ne pas manger assez, plus de vieillesse que de maladies et plus de suicides que de la guerre.

Même le terrorisme, jugé à l’aune de la guerre d’autrefois ou d’autres problèmes constitue une menace mineure concernant la mortalité. Ils sèment plus de peur qu’ils ne causent de vrais dommages matériels.

« Pour l’Américain ou l’Européen moyen, Coca-Cola représente une menace plus mortelle qu’Al-Qaïda. » p.29

En dehors de ces catastrophes, il y avait toutes les maladies qui abrégeaient la vie des humains.

Car Harari fait remarquer que même dans les temps plus anciens il arrivait que certains hommes vivaient très vieux. Qu’ainsi la médecine moderne et l’hygiène n’ont pas tant allongé la durée de vie moyenne des humains que diminuer de manière drastique les causes de morts prématurés.

Mais Harari rappelle surtout comment et dans quels univers mental les hommes mouraient :

« Les contes de fées du Moyen-âge représentaient la mort sou l’apparence d’une figure vêtue d’un manteau noir à capuche, une grande faux à la main. Un homme vit sa vie se, se tracassant pour ceci ou cela, courant ici ou là, quand soudain paraît devant lui la Grande faucheuse : elle lui donne une petite tape sur l’épaule de l’un de ses doigts osseux : « Viens ! » […] C’est ainsi que nous mourons. » P. 33

Le grand cinéaste suédois, Ingmar Bergman, dans son film « le septième sceau » reprend cette symbolique. Il y ajoute un élément d’indécision en faisant jouer aux échecs l’homme concerné et la mort. Mais bien sûr, dans ce récit, la mort gagne aussi aux échecs

Nous avons changé de récit et de compréhension :

« En réalité, cependant les hommes ne meurent pas parce qu’un personnage en manteau noir leur tapote l’épaule, que Dieu l’a décrété, ou que la mortalité est une partie essentielle d’un plus grand dessin cosmique. Les humains meurent toujours des suites d’un pépin technique. Le cœur cesse de pomper le sang, des dépôts de graisse bouchent l’artère principale […] Rien de métaphysique dans tout cela. Uniquement des problèmes techniques.

Et tout problème technique a une solution technique […] Certes, pour l’heure, nous n’avons pas de solutions à tous les problèmes techniques, mais c’est précisément pour cette raison que nous consacrons tant de temps et d’argent à la recherche sur le cancer, les germes, la génétique et les nanotechnologies. […]

Même quand des gens meurent dans un ouragan, un accident de la route ou une guerre, nous avons tendance à y voir un échec technique qui aurait pu et dû être évité. Si seulement le gouvernement avait mis en œuvre une meilleure politique ; si la municipalité […], si le chef des armées […], la mort aurait pu être évitée.

La mort est devenue une cause presque automatique de poursuites et d’enquêtes. Comment ont-ils pu mourir ? Quelqu’un, quelque part a failli ! » P 34-35

Et page 12, il exprime ce sentiment de manière encore plus péremptoire :

« Quand la famine, l’épidémie ou la guerre échappent à tout contrôle, nous avons plutôt le sentiment que quelqu’un a dû foirer »

La mort, un problème technique ?

Alors, évidemment des techniciens vont se mettre à l’ouvrage…

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