La méritocratie

Pendant des siècles, l’élite était constituée des chefs de guerre qui se reproduisaient génétiquement de manière endogène. On les appelait les nobles. Par la suite la noblesse a été remplacée, en partie, par la bourgeoisie la richesse s’est substituée à la naissance et puis on a combiné les deux méthodes : les bourgeois souhaitant également transmettre leur capital et leur pouvoir à leurs enfants.  
Mais peu à peu s’imposa l’idée qu’il fallait que l’élite soit désignée pour son mérite, son intelligence et son instruction. Cette idée nous parait aujourd’hui indiscutable, de bon sens !
Ce système a désormais pris le nom de « méritocratie » 
J’ai réalisé une série de 5 mots du jour  pour interroger ce concept et sa réalité en m’appuyant sur des chroniques de Brice Couturier dans son émission <Le tour du monde des idées> sur France Culture dans laquelle il quitte résolument la pensée hexagonale pour s’intéresser aux livres, aux articles, aux pensées dans d’autres pays, d’autres langues. Cette série de chroniques diffusées entre le 26 et le 30 septembre 2016 était consacrée à la méritocratie.

1 – «The Rise of the Meritocracy – Ascension de la méritocratie»
Michael Young

Mot du jour du lundi 21 novembre 2016

La semaine dernière la conférence d’Emmanuel Todd a pu choquer certains quand il met en avant le conformisme des élites en raison des méthodes de leur sélection, il utilise en outre le substantif péjoratif de « tri » à la place de « sélection ». Et quand il oppose à cette élite intelligente mais soumise à la norme castratrice de la pensée unique, des personnes intelligentes et créatrices qui ne font pas parties de cette élite, il ne faut pas mal le comprendre : Il ne prétend pas qu’il faille remplacer tous les membres de l’élite par des personnes tirées au sort du reste de la population pour que la situation s’améliore !
[…] Pour revenir à Emmanuel Todd, ce dernier a affirmé plusieurs fois sa conviction qu’une société ne pouvait pas fonctionner sans élite. Il faut une élite ! Mais plusieurs questions sont posées : Comment est recrutée l’élite ? Comment l’élite se comporte t’elle collectivement ? Quelles sont les objectifs qu’elle poursuit et quelles sont ses relations avec les membres de la société qui ne font pas partie de l’élite, comment les considère-t-elle ?

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2 – «A Distant Elite: How Meritocracy Went Wrong – Une élite éloignée : comment la méritocratie s’est trompée ! »
Wilfred M. McClay

Mot du jour du mardi 22 novembre 2016

L’élection américaine continue à hanter nos jours et nos nuits. Il ne faut pas sur-interpréter la victoire du milliardaire mégalomane, puisqu’il se confirme que l’élection est avant tout la défaite d’Hillary Clinton. Pour être plus précis, la défaite d’Hillary Clinton dans ce qu’on appelle, les Etats pivots (swing state), ceux dont le vote n’est pas acquis à l’un des camps. C’est donc l’organisation « baroque » du vote qui a fait perdre le camp démocrate. La victoire d’Hillary Clinton au suffrage universel populaire est encore plus importante qu’on ne le pensait à la sortie des urnes : Elle dispose d’une avance de plus d’un million de voix.
Une autre erreur d’interprétation serait de croire que ce sont les pauvres et les précaires qui ont voté pour Donald Trump. Le vote Trump est un vote avant tout blanc anglo saxon, des classes moyennes ayant peur d’être déclassées. Une autre constante apparaît, car qu’il s’agisse du Brexit ou du référendum français sur la constitution de l’Union européenne : un vote des campagnes et des petites villes oubliées de la mondialisation contre les métropoles où se trouvent les gagnants.
Trump, qui fait partie des gagnants est arrivé à se poser en défenseur de ces populations face à Hillary Clinton qui apparaissait comme la candidate « méritocratique » qui se base sur cette croyance qu’il suffit d’être volontaire, de travailler très dur comme disent les américains, de faire des choix pertinents à certain moment de sa vie pour entrer dans le camp des « winner ». C’est cette croyance inhérente au rêve américain qui est remise en question.

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3 – «Le Modèle chinois : La méritocratie politique et les limites de la démocratie. »
Daniel Bell

Mot du jour du mercredi 23 novembre 2016

Daniel Bell est canadien et professeur à l’Université Tsinghua de Pékin. « Le Modèle chinois. La méritocratie politique et les limites de la démocratie. » est un livre qu’il a écrit et qui a été cité par Brice Couturier lors de ses chroniques sur la méritocratie. C’est un livre écrit en anglais et édité par l’éditeur de l’Université de Princeton
Brice Couturier rappelle que la méritocratie est, comme bien d’autres choses une invention de la Chine et non des européens : « Comme souvent, les Européens s’imaginent avoir découvert des institutions et des pratiques qui préexistaient depuis longtemps aux leurs. Ainsi, la méritocratie – au sens de sélection des employés de l’Etat par le biais d’examens est, en Chine, une idée aussi vieille que le confucianisme.
Confucius l’avait préconisée, en effet, dès le 6° siècle avant Jésus-Christ. Et elle reçut un commencement de mise en pratique en l’an 136 avant Jésus Christ, par décision d’un empereur de la dynastie han, Wu. Huit ans plus tard, le même empereur Wu créait la première ENA de l’histoire : une Académie impériale, chargée de former et de sélectionner les mandarins à son service… Mais le système mandarinal moderne, avec son examen et ses 15 grades, date de l’an 605 de notre ère. Et il demeura en l’état en Chine jusqu’au début du XX° siècle. »
Le maoïsme s’éloigna de ce modèle dans sa volonté de faire table rase. Mais la Chine actuelle se définit à nouveau comme un système méritocratique.

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4 – «L’ancienne société de classe permettait du moins, quand on était en bas de l’échelle, à se sentir victimes d’une injustice. Aujourd’hui, le système méritocratique nous fait croire que nous sommes responsables de notre situation, quelle qu’elle soit.»
Nick Cohen

Mot du jour du jeudi 24 novembre 2016

La question se pose : la méritocratie constitue t’elle une nouvelle aristocratie ?
Nous sommes confrontés à ce paradoxe la méritocratie était censée favoriser la mobilité sociale, or il semble de plus en plus évident qu’elle la fige en grande partie.
Brice Couturier cite encore la revue The Hedgehog Review :
«Mais comme l’écrit Helen Andrews dans, « la méritocratie donna naissance à une classe entièrement nouvelle, provenant certes à la fois de la gentry et de la nouvelle classe commerciale, mais émancipée de l’une comme de l’autre. Sans affiliation. Et entre 1870 et la Première guerre mondiale, cette nouvelle classe allait prendre possession de tous les anciens piliers du pouvoir aristocratique – pas seulement la fonction publique, mais également l’armée, le barreau, le gouvernement local, les comités des partis, l’Eglise. »

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5 – « Ende der Meritokratie – La fin de la méritocratie»
Alan Posener

Mot du jour du vendredi 25 novembre 2016

Brice Couturier a donné pour titre à sa dernière chronique concernant la méritocratie : « Performants et désaffiliés : la nouvelle lutte des classes ».  Et pour illustrer son propos il s’est appuyé sur un article paru en Allemagne dans le grand quotidien « Die Welt », car en Allemagne aussi, on observe une montée de la colère envers un système méritocratique qui exclut de plus en plus de personnes.
Cet article a pour titre « Ende der Meritokratie » » et Brice Couturier prétend qu’il «  résume de manière assez carrée toutes les critiques que suscitent en ce moment, par le vaste monde, nos démocraties méritocratiques. »
Il nous apprend aussi qu’Alan Posener est connu comme biographe, il s’est intéressé à John Lennon, à Franklin Roosevelt, à John Fitzgerald et Jackie Kennedy et que son dernier livre en date, consacré à Benoît XVI, portait pour titre « Le pape dangereux ». « Posener y accusait ce pape de mener – je cite – « une croisade contre les Lumières ». Nous avons donc affaire à un intellectuel allemand réputé pour ne pas prendre de gants… »
Dans la tribune qu’il a publiée le 23 juillet dernier, Posener écrit : « Michael Young l’avait bien vu : avec la méritocratie, les couches inférieures de la société allaient subir une domination plus efficace que celles connues antérieurement. »

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