Lundi 12 janvier 2015

Lundi 12 janvier 2015
« Le rire libère de la peur du diable, […]
Le rire distrait, quelques instants de la peur.
Mais la loi s’impose à travers la peur, dont le vrai nom est crainte de Dieu. […]
Et que serions nous, nous créatures pécheresses, sans la peur, peut être le plus sage et le plus affectueux des dons divins ? »
“Jorge de Burgos”
Le nom de la Rose, Septième jour : Nuit
Umberto Ecco

Vous avez probablement vu le film « Le nom de la Rose » et peut être, même mieux, lu le livre d’Umberto Ecco.

Vous vous souvenez que le moine Guillaume de Baskerville (joué dans le film par Sean Connery) enquêtait sur des morts suspectes de moines dans une abbaye bénédictine.

Au bout de son enquête, il se rend compte que ces moines étaient morts empoisonnés parce qu’ils avaient lu un livre de la bibliothèque et que les pages qu’ils tournaient après avoir mouillé leur doigt avaient été enduites de poison par le bibliothécaire aveugle de l’abbaye : Jorge de Burgos.

Le livre dont il s’agissait était le second tome « de la Poétique d’Aristote » qui faisait un éloge du rire.

Le mot du jour est la réponse du moine chrétien fanatique à la question  de Guillaume de Baskerville :

« Mais qu’est-ce qui t’a fait peur dans ce discours sur le rire ? »

Les religions totalitaires et le totalitarisme de tout bord n’aiment pas le rire.

Le rire libère de la peur.

Le rire est une force, une résistance aux certitudes, un appel permanent au doute.

Le totalitarisme ne s’y trompe pas, celui qui rit conteste, ne croit pas ce qu’on lui dit, ce qu’on veut lui imposer.

Les soviétiques avaient développé toute une batterie de blagues pour supporter le régime totalitaire :

« Je fais semblant de travailler, pour que l’Etat puisse faire semblant de me payer ».

Ou encore plus sarcastique dans un camp du goulag :

« Tu as été condamné à combien ?
– 5 ans !
– Et tu as fait quoi ?
– Mais je n’ai rien fait, rien !
– Ça, ce n’est pas possible, quand on n’a rien fait c’est 3 ans ! ».

Et puis sur un autre plan je vous engage à regarder cette vidéo : <Nasser parle de son entretien avec les frères musulmans>

Cette vidéo montre Nasser lors d’un meeting politique expliquer qu’il a voulu discuter avec les frères musulmans, c’est à dire les salafistes, pour les associer au pouvoir. Et quand il dit que leur première exigence est que « nos femmes sortent dans la rue voilées » vous entendez, la salle qui éclate de rire.

Tout est dit. Il ne peut exister de réponse plus forte que ça. C’est beaucoup plus fort que si la salle criait “NON”. Vous pouvez écouter la suite de la vidéo, édifiant. Il faudrait pourvoir la comparer avec un meeting des frères musulmans.

Et le rire qui est joie, dédramatise aussi.

Dans ma modeste expérience, quand parfois, c’est plus dur au quotidien parce que mon corps est meurtri par des thérapies qui sont utilisées pour guérir un mal plus grand, c’est l’amour de mes proches, la musique qui apaise mais aussi l’humour et le rire qui redonnent force de vie et volonté de continuer le chemin, la tête haute.

C’est le rire qu’on a assassiné le 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo, parce que le rire est insupportable à certains, parce qu’il libère de la peur comme dit le personnage d’Ecco et que cela ce n’est pas possible pour ceux qui veulent imposer une loi totalitaire pour tous.

Tous les dessins de Charlie Hebdo ne m’ont pas fait rire.

Mais aujourd’hui  je défends sans aucune restriction Charlie Hebdo, son droit de faire rire, de pratiquer la dérision.

Et puis le mot du jour insiste sur l’addiction des totalitarismes à la peur et c’est bien par la peur que ces fanatiques et les intellectuels qui les inspirent veulent imposer leur loi, leurs idées, leur vision du monde et de la société.

Charb a dit « je préfère mourir debout que vivre à genoux. » et il a ajouté  « L’humour est un langage que les intégristes ne comprennent pas. Eux s’appuient sur la peur. (…) Je n’ai pas l’impression d’égorger quelqu’un avec un feutre. Je ne mets pas de vies en danger. Quand les activistes ont besoin d’un prétexte pour justifier leur violence, ils le trouvent toujours. »

<Les inrocks ont repris cette interview>

Charb qui était en train d’écrire un livre contre l’islamophobie.

Je m’incline devant ce héros et les autres qui étaient avec lui.

Les manifestations de ce dimanche sont une grande réponse du peuple français à cette tentative de faire peur.

Mais n’oublions pas de rire, même si quelquefois ce sont les larmes qui submergent.

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