Mercredi 26 août 2020

«Messe en mi bémol majeur D. 950»
Franz Schubert

Schubert a composé 6 messes latines et un petit bijou en allemand qui s’appelle « Messe allemande » et a été composé en 1826 et 1827 <En voici un court extrait>

Pour les 6 messes latines, il faut distinguer les quatre premières qui sont des œuvres de jeunesse composées entre 1814 et 1816, Schubert avait donc entre 17 et 19 ans et les deux dernières qui constituent des œuvres majeures..

Un des biographes de Schubert, Marcel Schneider, écrit  à propos de ces 4 premières messes :

« Ses messes restent des compositions décoratives, faites pour sonner dans des églises baroques, aux couleurs claires, à la décoration surchargée. […] Ce sont des œuvres courtes, naïvement touchantes, où la candeur remplace la solennité, le charme la grandeur »

Schubert, Marcel Schneider, collection Solfèges, page 139

Le jugement est un peu sévère et il ne faut pas oublier que Schubert avait moins de 20 ans. On y trouve cependant des beautés. Pour sa 4ème messe, il a en outre composé un nouveau Benedictus qui fait partie de ses toutes dernières œuvres puisqu’elle porte le numéro D. 961.

Vous trouverez derrière <ce lien> les deux Benedictus enchainés le premier de 1816 et le second de 1828 et vous entendrez que la version de 1816 ne démérite pas.

Il faut reconnaître cependant que ces premières messes n’ont rien à voir avec les deux dernières que Schubert a appelées Missa Solemnis.

Ma vie musicale a été jalonnée de rencontre avec des œuvres, rencontre dont pour beaucoup je me souviens encore des circonstances. A la fin des années 1970, dans ma région natale de l’est lorrain, un homme portant le nom Oudart avait forgé le projet de réunir des musiciens amateurs, des choristes et d’inviter 4 chanteuses et chanteurs solistes pour jouer en concert la Messe N°5 en en la bémol majeur D.678. Il avait demandé à mon père d’assurer le rôle de premier violon solo. J’assistais bien sûr au concert qui eut lieu à Sarreguemines. Ce fut ma première rencontre avec cette œuvre composée entre 1819 et 1822, évènement rare pour Schubert de mettre 3 ans pour finir une œuvre.

Bien sûr, depuis ce concert, j’ai entendu des interprétations plus abouties et techniquement plus irréprochables mais le souvenir associé à ce moment de beauté et de grâce reste brulant. Dans ma tête il y a toujours la réminiscence de l’« Hosannah » qui finit le <Sanctus> de cette messe et qui constitue une ouverture vers le divin.

La Messe en la bémol majeur est très belle mais comme l’écrit un Marcel Schneider, cette fois convaincu :

« Schubert se surpassera pourtant […] dans l’admirable Messe en mi bémol de l’été 1828 »
Page 140

Nous sommes bien en présence d’un autre chef d’œuvre ineffable que Schubert a écrit lors de cette extraordinaire année 1828.

Selon Brigitte Massin, la messe en mi bémol a été commencée probablement en juin 1828, elle ajoute :

« Il est probable qu’elle a été commandée à Schubert dans les mêmes conditions que le chœur « Glaube, Hoffnung und Liebe » quasi contemporain D. 954 car elle sera exécutée, presque un an après la mort de Schubert, le 4 octobre 1829, et sous la direction de son frère Ferdinand, dans cette même église du faubourg viennois de l’Alsergrund, pour laquelle avait été écrit et où avait été déjà exécuté, en septembre 1828, le chœur en question. »
Page 1248

Il s’agit encore d’une de ces œuvres exceptionnelles que Franz Schubert a laissé à l’humanité sans n’avoir jamais entendu, de son vivant, une interprétation de la musique qu’il avait écrite.

Mais les messes de Schubert ne peuvent pas ou du moins ne pouvait pas être jouée lors d’un office religieux catholique, parce que Schubert prenait des libertés avec le texte. Brigitte Massin répertorie toutes les omissions qu’il a pratiquées :

« Du point de vue de l’attention portée au texte liturgique, la même irrégularité se manifeste ici de la part de Schubert que dans les messes précédentes, et surtout dans la Messe en la bémol achevée en 1822 .

Dans le Gloria, les omissions portent sur « Domine Fili unigenite » et « Jesu Christe, Filius Patris » (cette dernière affirmation sera pourtant mise en musique ensuite dans le même Gloria: « Agnus Dei, Filius Patris »).

Omission encore de « Suscipe deprecationem nostrarn » et de « Qui sedes ad dexteram Patris », et finalement omission de la proclamation « Jesu Christe » après le «Tu solus altissimus ».

Dans le Credo : omission, au début, du « Patrem omnipotentern » pour la personne de Dieu le Père, du «Genitum non factum » pour celle du Fils, surtout de « Et Unam Sanctam Catholicam et Apostolicam Ecclesiam», dogme absent de toutes les messes de Schubert, et cette fois encore, comme pour la Messe en la bémol, omission de « Et exspecto resurectionem mortuorum. »

On pourrait développer chacun de ces oublis, mais je ne m’arrêterai que sur l’un d’entre eux : un oubli systématique dans toutes les messes, dans le Credo, de cette phrase : « Et Unam Sanctam Catholicam et Apostolicam Ecclesiam», c’est à dire « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. »

C’est lors du Concile de Nicée en 325, premier concile qui réunit tous les évêques de l’Empire Romain que fut adopté la profession de foi chrétienne qui énumère les points fondamentaux de la croyance. On l’appelle le « symbole de Nicée ». Pour les amoureux d’Histoire, il fut complété lors du concile de Constantinople de 381.

Il faut se remettre dans le contexte. Nous ne sommes pas dans la France de Charlie Hebdo et du début du XXIème siècle, nous sommes au début du XIXème siècle, dans le très catholique Empire Austro-Hongrois, nous sommes à Vienne. Franz Schubert est né dans une famille très catholique, dans une société très catholique, un empereur  et un gouvernement très catholique.

Et ce jeune homme, timide, discret qui n’ose pas se mettre en avant, à 17 ans, décide d’enlever du Credo en ne le mettant pas en musique : « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. ». Et il va réitérer ce défi, lors de toutes les messes suivantes jusqu’à sa dernière, la messe en mi bémol composé en 1828.

Pour saisir l’ampleur de ce geste, il faut savoir que le Panthéiste Beethoven dans sa Missa Solemnis  comme dans sa Messe en ut, n’a pas eu cette audace Lui a mis en musique qu’il croyait en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique.

Et Jean-Sébastien Bach, le luthérien, le protestant lui aussi dans sa Messe en Si fait chanter : « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique. ».

Beethoven, non ! Bach, non ! Mais Schubert oui, il a osé cette modernité de ne pas se cacher et dans la mesure où il ne chérissait pas l’Église catholique, de ne pas faire résonner la croyance en l’Église.

Contrairement à la Messe N°5, les solistes ne jouent pas un grand rôle dans cette œuvre qui donne la première place au chœur. Brigitte Massin écrit :

« La Messe en mi bémol est essentiellement chorale. Elle apparaît comme le prolongement de l’expérience musicale réalisée dans la Messe allemande de 1827. Aucune recherche d’un style brillant, le chœur (soprano, alto, ténor et basse) intervient par larges plans, chantant le plus souvent une note par syllabe, peu soucieux d’ornements et de fioritures. La respiration est plus ample que dans la Messe allemande, l’air circule davantage dans la partition, c’est ainsi qu’aux épisodes de l’affirmation du chœur succède souvent, dans une large plage de silence choral, une intervention orchestrale. Les solistes n’ont, pour leur part, qu’un rôle très restreint d’alternance avec le tutti du chœur.  »

Il y a en fait un seul passage qui donne une place première aux solistes c’est le « Et incarnatus est » du Credo dans lequel Schubert confie au chant du violoncelle la préparation de l’épisode le plus humain du Credo : « il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme.». »

Vous pouvez entendre ce moment dans l’interprétation de <Claudio Abbado – Et incarnatus est »

Brigitte Massin conclut :

« Entre la glorieuse Messe en fa des débuts du musicien de dix-sept ans et cette Messe en mi bémol si profondément humaine, il y a tout le trajet de l’aventure intérieure vécue par Franz Schubert. »

Pour entendre la messe dans son intégralité il est possible d’écouter et de voir <Un concert avec l’orchestre et le chœur de la radio néerlandaise de Philippe Herreweghe>.

En revanche, pour l’instant il n’y a pas d’enregistrement CD de cette messe N° 6 par Herreweghe.

J’ai jalonné le texte de ce mot du jour des quatre interprétations que je possède et entre lesquelles je ne sais pas choisir.

Dans ce mot du jour, j’ai donc parlé de Charlie Hebdo, du symbole de Nicée et de la force de caractère d’un jeune homme qui a eu le courage d’affirmer ses idées et qui surtout possédait un génie unique pour déployer le chant, la ligne mélodique, l’harmonie chorale et nous faire vibrer.

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