Samedi 9 mai 2020

«Sonate pour piano N°20 D. 959»
Franz Schubert

Mot de jour spécial pendant la période de confinement suite à la pandémie du COVID-19

Je continue dans cette période confinement à explorer les compositions de Schubert dans cette extraordinaire année 1828, dernière année de sa vie.

Je profite de ce week-end prolongé de 3 jours pour consacrer un mot du jour à chacune de ces trois dernières sonates de piano composées au mois de septembre 1828.

J’ai trouvé sur un blog cette description qui me paraît très juste :

« La sonate en la majeur D959 est la plus longue sonate de Schubert (la suivante n’est toutefois que de peu plus courte). Autant la précédente sonate était placée sous le signe de la nuit, autant celle-ci baigne dans le soleil. Attention toutefois : le Voyageur parcourt ici des paysages bienheureux dans l’éclatante lumière du printemps, mais les bosquets fleuris cachent parfois un charnier. »

Brigitte Massin dans son «  Franz Schubert » publié par Fayard (p. 1281) évoque aussi la lumière :

« Avec son mode majeur et ses trois dièses, la sonate en la majeur peut apparaître comme le double inversé, la sœur lumineuse, de la précédente, en ut mineur et à trois bémols. »

Pour Harry Halbreich, « Guide de la musique de piano et de clavecin », Fayard (p. 67) c’est peut-être est-ce la plus belle de toutes, en partie par la perfection harmonieuse de ses proportions, et plus encore par sa noblesse d’expression, Schubert y donnant l’impression d’accéder :

« à cette sérénité seconde qui est également celle du Mozart de 1791, à cette zone de paix surhumaine que plus rien ne saurait ébranler désormais… »

Pour Philippe Cassard qui avait consacré, en 2013, deux émissions des matins de France Musique à cette sonate :

« En entendant ce dynamisme, on ne pourrait pas penser que la fin est si proche »

Pourtant Schubert est très malade ; il est allé se réfugier dans l’appartement de son frère Ferdinand. C’est dans cet appartement qu’il mourra le 19 novembre.

Pour toutes celles et ceux qui veulent approfondir, il ne peut y avoir meilleur pédagogue que ce merveilleux musicien qu’est Philippe Cassard :

<Schubert : Sonate D959 en la majeur (1) par P. Cassard>

<Schubert, Sonate D959 en la majeur (2) par P. Cassard>

C’est aussi un interprète exceptionnel de Schubert.

Sur Internet vous trouverez cette interprétation de Stephen Kovacevich qu’il a réalisé en <2017 à Pékin>

Wikipedia énumère les films qui ont utilisé, le second mouvement, l’Andantino :

« L’Andantino a servi de bande sonore au film de Robert Bresson, Au hasard Balthazar, au film de Samuel Benchetrit, J’ai toujours rêvé d’être un gangster, au film de Nuri Bilge Ceylan, Winter Sleep, ainsi qu’à la création de la version originale de Savannah Bay, de Marguerite Duras au Théâtre national de Chaillot, en 1995, dans une mise en scène de Jean-Claude Amyl, avec Gisèle Casadesus et Martine Pascal.

Il a aussi servi, du moins au niveau du thème mélodique, avec les mêmes harmonies et premiers développements, pour le film Valse avec Bachir, d’Ari Folman. L’andantino, pour partie, précède la charge d’Eylau dans le film de 1994 d’Yves Angelo, Le Colonel Chabert, Sagan (téléfilm et film de Diane Kurys). »

Un cinéphile et mélomane revient sur l’utilisation de l’andantino dans « Valse avec Bachir »

« Une des mélodies les plus belles, poignantes et mélancoliques que je connaisse. Brahms l’appelait “berceuse de la douleur”, il avait raison. Ce seul thème sublime, c’est déjà une raison de placer au plus haut ce mouvement. Mais Schubert ne s’arrête pas là. Il le fait suivre d’une partie centrale stupéfiante, inattendue après cette première partie si émouvante et délicate, mais aussi étonnante pour l’époque (1828). L’andantino est de “forme-lied”, c’est à dire que la 2° partie est “contrastante”, alors que la 3° partie est un retour à la 1° partie (subtilement variée). Mais le contraste dans cette 2° partie est… fou. Des modulations particulièrement audacieuses et déstabilisantes, ajoutées à une violence, une liberté, une montée en tension et une frénésie qu’on ne pouvait imaginer succéder à une première partie aussi mélancolique et touchante. Bref, ce que fait ici le timide Schubert, quand on replace les choses dans leur contexte, c’est bien plus étonnant et violent que ce que feront les punks…
D’une certaine manière, c’est tout le romantisme qu’on retrouve dans ce mouvement. Si Beethoven est le “père”, le précurseur, le guide pour les musiciens romantiques, il reste par certains aspects un classique comme Haydn et Mozart. Schubert, lui, est souvent considéré comme le premier vrai compositeur romantique. Dans cet andantino, on a les deux facettes du romantisme à leur plus haut :
1° et 3° parties : mélancolie, délicatesse, intériorité, solitude, rêve, tristesse, souffrance
2° partie : originalité, tension, folie, violence, étrangeté, provocation, fantastique, tourments, révolte
Cet andantino est d’autant plus surprenant dans cette sonate en la majeur que l’oeuvre est plutôt apaisée, lumineuse, sereine. Une œuvre écrite juste deux mois avant sa mort… après des compositions plus désespérées, sombres, témoignages de sa douleur, Schubert revient à un peu plus de “légèreté”… sauf dans ce 2° mouvement, poignant et déchirant, comme si la mort, la douleur et le tragique de sa condition surgissaient à nouveau au beau milieu d’une période de sage résignation.
La musique classique n’a pas forcément besoin de codes, de savoir, pour être comprise et aimée… surtout dans ce cas-là. Je ne vois pas comment – à moins d’être allergique à la mélancolie – on peut ne pas être sensible et touché par le thème génial de la 1° partie (et ne sautez pas la 3° partie, le thème y revient avec une magnifique variation). Si vous restez insensibles, c’est que vous n’êtes pas humain (je ne vois pas d’autre explication) »

Vous pouvez écouter ce seul andantino par Elisabeth Leonskaja : <D. 959 Second Movement (Andantino) – Elisabeth Leonskaja>

J’ai trouvé aussi ce texte très inspirant que Denis Pascal, interprète de cette sonate, a écrit pour accompagner son enregistrement

« Un mystère persiste : celui de la joie qui rayonne de cette musique, de la lumière que diffuse l’œuvre de Schubert toujours plus forte, ainsi que l’accomplissement personnel que l’on éprouve à la jouer, une joie que le compositeur d’œuvres aussi bouleversantes et mélancoliques que le Voyage d’Hiver ou de La Belle Meunière ne cesse de nous offrir.

Elle est bien l’objet de l’écriture et de l’interprétation schubertienne : la création transcendant le doute, la souffrance amoureuse et l’absurdité de la disparition ou de l’abandon.

La musique chantée, celle des lieder, montre clairement à l’interprète l’identification nécessaire à un personnage : la relation explicite de la musique à la poésie ou au drame, le choix d’un motif donnant une nouvelle perspective au texte suscitent encore de nouvelles interrogations, soit des voies possibles d’interprétation. L’œuvre sans parole, purement instrumentale, nous invite à un plus complexe et mystérieux voyage qui, lui, nous pousse à ouvrir notre imaginaire et à continuellement multiplier et superposer des référents à la fois personnels, intimes et liés à la vie de Schubert, ou tout simplement les référents des idiomes instrumentaux, notamment dans les impromptus op. 90.

S’il en est un qui reste, terrible et simple, aimable et cruel, tout au long de ces pièces et de la sonate D. 959, c’est le motif du triolet. Son mouvement lent ou rapide n’est plus celui de la Tarentelle ou celui d’une antique danse, ni même celui des tempêtes beethovéniennes, mais bien celui paisible du ruisseau, du temps, doux et implacable : flux infini emportant à la fois nos joies et nos tristesses et finalement balayant toutes nos questions et nos doutes. Tout passe. »

Concertant les CD Audio.

J’ai découvert cette œuvre avec Michel Dalberto, j’y reste très attaché

Pendant les recherches que j’ai effectuées pour la rédaction des mots du jour consacrés à Franz Schubert, j’ai découvert un site étonnant : <Schubert online > qui permet la consultation en ligne des manuscrits des œuvres de Schubert.

On y trouve aussi des lettres de Schubert.

Le site est en allemand ou en anglais.

Pour les non spécialistes, historiens ou musicologues, il ne s’agit pas de consulter avec précision et approfondissement tous ces matériaux historiques, mais je crois que c’est très émouvant de voir ces pages de la main de Franz Schubert surtout quand sa musique touche notre âme au plus profond.

Ce site me permet donc, comme je l’ai fait hier d’agrémenter mon mot du jour par une page manuscrite de l’œuvre dont je parle.

<1419>

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