Jeudi 9 avril 2020

« En santé, comme en éducation, les besoins sont infinis. »
Philippe Mossé et Corinne Grenier

Méfions-nous des explications simples.

J’écoute beaucoup d’intervenants qui racontent tous la même histoire.

L’hôpital a été délaissé par d’odieux gouvernants qui ont toujours cherché constamment à restreindre les moyens alloués à l’hôpital public.

Ce sont des criminels doublés d’imbéciles, la pandémie actuelle montre l’étendue de leur défaillance.

Dès que cette crise sera surmontée, il va falloir massivement redonner de l’argent à l’hôpital public pour que tout cela fonctionne à nouveau correctement.

J’ai l’impression que presque tout le monde est convaincu qu’énoncer ainsi nous avons à la fois le problème et la solution.

Enoncé encore plus synthétiquement le problème c’est qu’on a manqué de sous, la solution c’est de donner des sous.

C’est simple et compréhensible.

Pour mettre un peu de nuance dans cette vision de la réalité je vous renvoie vers un article de Libération écrit par Philippe Mossé, économiste, CNRS-Lest, Aix-en-Provence et Corinne Grenier, professeur Innovation en santé : <L’ajustement sans fin des ressources et des besoins>

Et pour une fois je cite cet article in extenso :

« . La difficulté extrême dans laquelle se trouve notre système de santé face à la pandémie est due à son extrême violence ; elle serait aussi la conséquence du «démantèlement de l’Etat providence» et du fait que, depuis des lustres, l’hôpital serait «la bête noire des pouvoirs publics». Ces critiques sans nuance, que vient contrebalancer le soutien exceptionnel que toute la population française apporte et devra pendant des mois encore apporter à ses soignants, ne sont pas nouvelles. Mais, paradoxalement, ce jugement sans appel rassure car il permet de cibler un ensemble de responsables : globalement les ministres de la Santé et leur administration aux commandes depuis la fin des années 1970.

Ainsi, malgré les changements de majorité politique et aveuglés par la pensée néolibérale, c’est à une entreprise de démolition systématique à laquelle tous et toutes se seraient livrés. Une fois ce constat posé et les boucs émissaires identifiés, il ne reste plus qu’à énoncer la solution : reconstruire un système de santé «cassé» et «démantelé» en faisant, enfin, de la santé une priorité, c’est-à-dire en y affectant, enfin, des moyens conséquents. Convenue et rassurante, attendue et souvent efficace, facile et accessible, cette solution est bienvenue. C’est que son caractère familier possède une vertu considérable : présente bien avant le problème, elle évite de l’identifier avec précision.

Certes, la France a connu sa tentation libérale. Par exemple, l’insistance mise à évoquer le concept trompeur de «l’hôpital-entreprise» aurait pu jouer un sale tour à l’hôpital public. En effet, c’est au nom de ce leurre que la tarification à l’activité (la fameuse T2A, ersatz de tarification à l’acte) a failli devenir le seul mode de financement de l’hôpital. Mais suite, notamment, à un rapport de l’actuel ministre, Olivier Véran, et via le plan «Ma santé 2022», porté par la ministre précédente, la T2A était sur le point d’être fortement limitée. De fait, ces retournements de modalités de financement, ces palinodies de «modes» de gouvernances, l’hôpital en a connu et en connaîtra encore. Car le malaise des professionnels de santé est un des traits structurels, à vrai dire, un levier de la négociation-confrontation entre l’Etat et l’ensemble des protagonistes du secteur.

Car, oui, l’hôpital et ses personnels manquent de moyens comme tout le système de santé et médico-social ; car oui, il faudra augmenter ces moyens et les citoyens, éclairés, qui seront sur ce point plus vigilants qu’avant la pandémie. Mais le niveau actuel des ressources n’est pas le résultat d’un rationnement, volontaire et orchestré, pour la bonne raison que cette politique n’a jamais existé, du moins en France. Ainsi, par exemple, depuis les années 1980, la part du PIB consacré à la santé n’a cessé d’augmenter et le reste à charge moyen des malades contenu à moins de 10%. De même, l’emploi sanitaire s’est régulièrement accru pour avoisiner les deux millions de professionnels dont la formation est devenue l’une des meilleures du monde. Quant aux nombreuses réformes institutionnelles, elles ont toutes ont eu pour objet de rationaliser l’offre sans la rationner : création des Agences régionales de santé, extension du champ de la Haute Autorité de santé, encouragement des gouvernances territoriales, incitation à la coopération entre professionnels et la recherche d’une meilleure localisation des ressources. Il va sans dire que les critères et les attendus de cette rationalisation (par exemple privilégier les malades chroniques et graves, favoriser la «médecine par les preuves» ou bien encore, encourager les soins individualisés au détriment de la santé publique) peuvent être discutés et ils le sont.

Mais alors que se passe-t-il puisque le malaise est bien présent et que les revendications sont à la fois nombreuses, quasi unanimes et, pour la plupart, justifiées autant que légitimes ? Esquissons une réponse, ou plutôt, mettons en débat une tentative d’explication. En santé, comme en éducation, les besoins sont infinis. S’il en était besoin en atteste le vieillissement de la population dû, pour partie, aux succès de la médecine, l’augmentation des maladies chroniques, la qualité croissante (technique et humaine) des prises en charge de plus en plus souvent au domicile, la demande d’égalité d’accès aux soins et à un accompagnement social, etc. Dans cette configuration, accroître l’offre revient à révéler des demandes correspondant à un besoin réel mais non encore satisfait.

Cette course entre besoins, demandes et offre est donc perdue d’avance. Pourtant, si elle est sans fin, elle n’est pas sans finalité. En effet, c’est elle qui pousse les chercheurs à trouver, les professionnels à innover, les politiques à réformer, les citoyens à réclamer. Mais cette course n’a pas de ligne d’arrivée. Comme l’horizon le but (satisfaire les besoins) recule alors qu’on croit s’en approcher.

C’est pourquoi, affronter les crises sanitaires, actuelles et à venir, consiste d’abord à admettre que ce décalage irréductible entre ressources et besoins est constitutif de l’action publique en santé. Mais admettre n’est pas renoncer. C’est la première étape d’un travail de dévoilement qui doit nous conduire à réfléchir démocratiquement, aux moyens d’utiliser au mieux les ressources disponibles quels que soient leurs niveaux. Loin des règlements de comptes dont on pressent ces jours-ci, les signes avant-coureurs, cette approche devra orienter le bilan qui sera fait de l’action des uns et de l’inaction des autres. Citoyens compris. Car la pandémie nous aura rappelé que remplir nos devoirs citoyens est le meilleur moyen de défendre notre droit à la santé. »

Cet article ne dit pas qu’il n’y a pas eu des erreurs notamment la tarification à l’activité, mais il nie que le problème soit simple à résoudre, simple comme on entend tant de voix l’exprimer.

J’ai fait quelques recherches. J’aurais aimé trouver des chiffres plus explicites et plus parlants, le temps m’a manqué. Mais si quelqu’un peut apporter ces éléments je suis preneur.

J’ai toutefois trouvé sur le site de l’INSEE <ICI> l’information suivante :

  • En 2006, les soins hospitaliers de l’hôpital public s’élevaient à 54,4 milliards d’euros.
  • En 2017, cette même rubrique était de 71,5 milliards d’euros

Il s’agit donc d’une évolution de 31,4%.

Pendant ce temps que s’est t’il passé au niveau du PIB ?

Souvent le PIB n’est pas pertinent, mais ici nous avons une question d’argent : on ne donne pas assez d’argent à l’hôpital ! C’est peut-être vrai, mais on semble dire qu’on utilise l’argent à autre chose.

Sur <ce site> vous découvrez l’évolution du PIB entre 2000 et 2018. Je suis parti en 2007 avec un PIB de valeur 100, en appliquant les hausses et la baisse d’une année après la crise de 2008, on arrive à un PIB en 2017 de 110,7.

Alors que les soins de l’hôpital public augmentait de de 31,4%, la richesse du pays a augmenté parallèlement de 10,7% soit 3 fois moins.

Philippe Meyer et ses coéquipiers ont invité l’ancienne Ministre de la Santé Roselyne Bachelot pour réfléchir sur ces sujets : <Thématique Hôpital Public et Pandémie>. Ils n’ont pas de solution toute faite, mais ils expliquent très justement que l’augmentation du budget ne suffit pas et surtout constitue un puits sans fond parce que les besoins tendent vers l’infini.

Notre population vieillit et exprime le besoin de plus en plus de soins. Les médicaments et les équipements sont de plus en plus onéreux.

Alors, il y a des questions intéressantes comme celle de l’arbitrage entre ce que nous acceptons de mutualiser donc de niveau de cotisation et ce que nous voulons individualiser donc le pouvoir d’achat. Je trouve que ce débat est trop souvent tronqué par le seul critère de la diminution des cotisations pour améliorer la compétitivité des entreprises ou augmenter le pouvoir sans que jamais ce problème de fond : qu’est-ce que nous acceptons de mutualiser soit au centre des débats !

Et ce sujet ne peut pas se résoudre uniquement par la pirouette : les riches paieront !

Accepter de mutualiser davantage cela peut vouloir dire accepter de prélever davantage les actifs et les retraités pour un meilleur service de l’hôpital. De toute façon si les dépenses augmentent plus vite que la richesse nationale, il n’y a pas de recette miracle, il faut diminuer certaines autres dépenses pour compenser.

Mais ce que veut surtout soulever ce mot du jour c’est qu’il faut trouver d’autres solutions que simplement une augmentation de budget disproportionnée par rapport à la croissance.

Sinon, que ferons-nous quand 100% du PIB sera consacré à la santé et que le besoin augmentera encore ?

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3 réflexions au sujet de « Jeudi 9 avril 2020 »

  • 9 avril 2020 à 9 h 19 min
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    L ‘idée selon laquelle il doit être possible d’optimiser la dépense publique n’est pas forcément dénuée de sens, après il faut peut-être revisiter les remèdes adoptés

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  • 9 avril 2020 à 10 h 10 min
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    bonjour,
    encore une fois, on rapporte la gestion de la santé publique, comme l’éducation à un niveau d’aide financière, à un pourcentage du PIB. L’argent comme seul argument, comme seul outil, comme seule politique.
    Pour ceux qui vivent l’hopital, comme l’université, au jour le jour, le problème est certainement ailleurs et en particulier dans l’organisation kafkaienne des ressources tant humaines que matérielles. Les personnels n’en peuvent plus des règles, règlements, contraintes diverses et variées qu’ils doivent supporter. Mon oncle qui a été surveillant à l’hopital, il est actuellement en retraite, a du accompagner mon père aux urgences il y a quelques années. Rien de bien grave, mais une attente insupportable. Le constat de mon oncle était sans appel. “Je les voyais faire, je les observais, ils n’étaient pas moins nombreux qu’à mon époque, mais ils semblaient fort occupés à faire autre chose que des soins.” Au delà des procédures, l’organisation des responsabilités est aussi souvent catastrophique, du fait de l’incompétence de certains et de la complexité du système.
    De manière plus proche, mon mari travaille en clinique privée alors que son objectif était de rester à l’hopital public. Pourquoi? Car il n’arrivait tout simplement pas à fonctionner. Dans le privé, avec à peu près les mêmes entrées financières, il soigne quatre fois plus de patient et fait 3 fois plus de recherche clinique ! Lui qui voulait rester dans le public pour l’accompagnement des patients et la recherche…
    De mon coté, à l’université, je ne compte plus les situations absurdes et délirantes, alors en ce moment … Mais je dois noter qu’à l’université comme à l’hopital, il reste nombre de fonctionnaires compétents, de bonne volonté, qui tiennent le système, pour combien de temps encore?
    Les services publics ont été abandonnés par la droite ET par la gauche. Ils n’ont pas été modernisés. Ils ont du mal avec le quotidien, alors avec les situations exceptionnelles …

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    • 9 avril 2020 à 10 h 49 min
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      Bonjour Jean-Philippe, je m’attendais à ce que tu réagisses sur ce mot du jour. Ton témoignage et ton analyse ne font que confirmer l’article de LIBE. Le problème fondamental est un problème d’organisation, de bonne modernisation et je dirai d’une gestion claire des priorités. Après on pourrait sans doute parler des prix des médicaments du à des laboratoires cupides, j’avais donné l’exemple du Zolgensma le médicament de 2,1 millions de dollars qui lui montre de manière exacerbée ce que les dérives financières de ces criminels contre l’Etat social sont capables de réaliser . http://lemotdujour.fr/?p=6832

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