Vendredi 6 mars 2020

« Du simple point de vue de l’équité et de la démocratie, pourquoi faudrait-il qu’il y ait indignation au-delà de l’Atlantique et résignation en deçà ? »
Robert Guédiguian, Philippe Meyer et Bertrand Tavernier

En raison des primaires démocrates, les médias parlent beaucoup des élections présidentielles américaines.

Election américaine totalement incompréhensible pour nous autres français.

En 2016, Trump a été élu alors que 65 853 514 bulletins s’étaient portés vers Hillary Clinton et que le président élu n’avait eu que 62 984 828 voix.

Si on calcule de la manière française on constate que Clinton a obtenu 51,1% et Trump 48,9%.

C’est un scandale ! Un déni de démocratie.

Mais on nous a expliqué que c’était en raison du caractère fédéral des Etats-Unis et que ce contexte rend nécessaire que chaque Etat des Etats-Unis puisse jouer un rôle suffisamment important dans cette élection et qu’il n’est donc pas possible de simplement compter les voix individuels qui donnerait un trop grand poids aux Etats peuplés et marginaliserait totalement les petits Etats.

Et c’est ainsi que les étatsuniens ont eu cette idée

  • de faire élire le président par des grands électeurs
  • que chaque Etat choisit un candidat (Dans le Maine et le Nebraska cette règle s’applique à des arrondissements de l’Etat ce qui a pour conséquence que ces deux Etats peuvent envoyer des grands électeurs de plusieurs candidats)
  • et qu’alors tous les grands électeurs de l’Etat de ce candidat participeront au collège électoral qui élira le président.

Et le point fondamental étant que le nombre de grands électeurs de chaque État tient compte du nombre d’habitants mais de manière très pondérée.

La Californie qui a voté pour Clinton compte 55 grands électeurs, le Wyoming qui a voté Trump 3.

Mais la Californie compte 39 550 000 habitants ce qui fait qu’un grand électeur vaut 719 000 habitants et le Wyoming 577 000 habitants ce qui signifie qu’un grand électeur représente 192 000 habitants. Le rapport entre ces quotients est supérieur à 3,5.

Si on calcule par rapport aux nombres de votants : En Californie 8 753 788 électeurs ont voté Clinton chaque grand électeur pèse donc 159 160 électeurs alors que dans le Wyoming Trump a eu 174 419 voix et chaque grand électeur pèse alors 58 140 électeurs, le rapport entre les deux est de 2,7.

A la fin Trump a battu Clinton 304 grands électeurs à 227.

Dans le Wisconsin 22 748 voix séparaient Trump de Clinton soit 0,82% de l’ensemble voix que les deux ont obtenus. Cet Etat a donné 10 grands électeurs à Trump.

En Floride 112 911 voix séparaient Trump de Clinton sur les 9 122 861 que les deux avaient obtenus. Cet Etat a donné 29 grands électeurs à Trump.

L’inversion de ces deux Etats aurait donné 266 grands électeurs à Clinton et 265 à Trump.

C’est un mode d’élection donc totalement incompréhensible pour un français, une telle chose ne peut pas exister dans notre pays et nos traditions !

Descartes, Rousseau et Voltaire ne l’accepteraient pas.

Vous en êtes sûr ?

Connaissez-vous la Loi n° 82-1169 du 31 décembre 1982 relative à l’organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon, dite « Loi PLM » (ça sonne mieux que PML)

Toujours en vigueur.

<Le Point> explique cette Loi.

D’abord il faut comprendre comment cela se passe dans les autres villes de France.

« Aux élections municipales, le mode de scrutin varie selon le nombre d’habitants. Dans les communes de moins de 1 000 habitants, il est majoritaire.

Dans celles comptant plus de 1 000 habitants, l’élection du maire est le résultat d’un scrutin proportionnel avec prime majoritaire. C’est-à-dire que la liste arrivée en tête emporte mécaniquement la moitié des sièges. L’autre moitié est répartie à la proportionnelle entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages. »

Prenons un second tour où 3 listes s’affrontent. La liste A reçoit 40,1% des voix la B 39,9% et la C 20%.

Supposons, pour être simple que le Conseil municipal comporte 100 membres.

La prime majoritaire donne 50 sièges à la liste A.

Les 50 restants sont distribués à la proportionnelle. Donc 20 pour A, 20 pour B et 10 pour C.

La liste A a donc 70% des sièges pour 40 % des voix. C’est arithmétiquement faux mais politiquement efficace.

Passons à PLM :

« Un mécanisme électoral que l’on retrouve à Paris, Lyon et Marseille. À cette différence près que ces villes sont divisées en secteurs. Chaque secteur électoral correspond à un arrondissement de Paris ou de Lyon, mais à Marseille, on compte deux arrondissements par secteur. Cette division a été décidée en 1982 dans la loi PLM voulue par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gaston Defferre, ancien maire de Marseille.

Les élections ont lieu au sein de chaque arrondissement suivant les règles du scrutin majoritaire comme dans les communes de plus de 1 000 habitants. Les inscrits élisent leurs conseillers d’arrondissement et leurs conseillers municipaux, qui siégeront pendant six ans au conseil de la ville. Ces derniers procèdent à l’élection du premier magistrat de la ville et de ses adjoints.

Un système « à l’américaine » où le maire est élu par son conseil municipal pourvu qu’il ait remporté un nombre suffisant d’arrondissements. Si ce mode d’élection permet de dégager une majorité claire, il ne rend pas certaine la victoire de la liste ayant remporté le plus de suffrages. En effet, de très bons résultats en voix mais limités à un nombre restreint d’arrondissements ne garantissent pas d’avoir le nombre suffisant de conseillers pour être élu maire. »

C’est tout à fait, dans notre beau pays un système à l’américaine.

Le maire est élu par les « grands électeurs » des secteurs électoraux.

Et que pensez-vous qu’il arriva ?

Cette fois, <Wikipedia> nous informe :

« En 1983, Gaston Defferre est réélu maire de Marseille avec moins de voix que Jean-Claude Gaudin, mais en étant majoritaire en secteurs remportés.

En 2001, Gérard Collomb est devenu pour la première fois maire de Lyon, alors qu’il était minoritaire en voix (10 000 voix de moins que la droite), en même temps que Bertrand Delanoë devenait pour la première fois maire de Paris, en étant lui aussi minoritaire en voix (4000 voix de moins que la droite), tous les deux étant par contre majoritaires en nombre d’arrondissements gagnés et en nombre total d’élus (grands électeurs) dans l’ensemble des arrondissements.

En 2014, Anne Hidalgo est élue maire de Paris dans les mêmes conditions.

Les élections municipales de 1983, de mars 2001 et de mars 2014 ont donc montré (et confirmé) que la loi PLM avait les mêmes propriétés à Paris, Lyon et Marseille, que le mode de scrutin présidentiel aux U.S.A., qui permet à un candidat d’être élu Président des États-Unis en étant minoritaire en voix, mais majoritaire en nombre d’états gagnés et en nombre total d’élus (Grands électeurs) dans l’ensemble des états » »

Notez que cette Loi de 1982 a pleinement joué son rôle pour la première fois à Marseille. Et celui qui a profité de la Loi, le maire de Marseille et le Ministre qui a porté cette Loi, le Ministre de l’Intérieur était une seule et même personne : Gaston Defferre !

Dans un article du <JDD> Robert Guédiguian, cinéaste marseillais, Philippe Meyer, journaliste parisien, et Bertrand Tavernier, cinéaste lyonnais, demandent l’abrogation de la loi PLM, qui fixe un statut administratif particulier aux trois premières villes de France :

« Les noms circulent. Les rumeurs enflent. Les experts extravaguent. Les doutes s’insinuent. Les fèques niouzent. Les couteaux s’aiguisent. Les alliances se dessinent : dans quelques mois, les Français éliront leurs maires. Les Français, mais ni les Lyonnais, ni les Marseillais ni les Parisiens. La loi PLM (acronyme fabriqué à partir de la première lettre du nom de leurs villes) leur en enlève le droit. Elle les met dans une situation d’exception dont on ne saurait dire qu’elle fait honneur à la démocratie, puisque dans ces trois villes, le maire n’est pas élu par les citoyens au suffrage universel direct mais par un collège issu des conseils d’arrondissement.

Rappelons que cette exception qu’est la loi PLM fut établie en novembre 1982 afin de sauver le regretté Gaston Defferre en grand péril à Marseille et, de fait, elle le sauva, puisque, en 1983, bien que minoritaire en voix, il retrouva son fauteuil de maire. La droite, qui avait protesté contre cette manipulation, l’adapta à ses propres besoins et, minoritaire en voix, en ajoutant deux nouveaux secteurs, elle parvint à faire élire maire de la même ville Jean-Claude Gaudin.

Ce système, qui permit naguère l’élection de maires minoritaires, requiert à présent des majorités qualifiées pour conquérir les hôtels de ville. Selon une étude de Bernard Dolez, professeur de droit public et chercheur au CNRS, “vu le découpage actuel des trois plus grandes villes françaises, [il faut] 53 % des voix pour remporter le siège de premier magistrat à Paris, et 52 % à Lyon. Tandis qu’à Marseille, le seuil de renversement est de 53%”. Il y a donc, en France, 2.146.587 citoyens qui sont placés hors du droit électoral commun, pour ne pas dire dans un droit électoral d’exception.

On peut remarquer que cette situation est comparable terme à terme à celle qui nous indigna si fort lorsque, aux États-Unis, Al Gore, majoritaire en suffrages exprimés, fut battu par le regrettable George Bush junior, majoritaire en grands délégués, et qu’elle se répéta en 2016 en faveur du non moins regrettable Donald Trump. Certes, nous ne craignons pas que la loi PLM produise des catastrophes aussi planétaires, mais, du simple point de vue de l’équité et de la démocratie, pourquoi faudrait-il qu’il y ait indignation au-delà de l’Atlantique et résignation en deçà ?

Nous le refusons et nous demandons l’abrogation de la loi PLM. »

Et j’ajouterais, nous n’avons même pas l’excuse américaine d’être un pays fédéral qui peut justifier qu’on donne un poids accru aux petits États.

C’est tout simplement injustifiable.

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