Lundi 2 décembre 2019

«Mariss Jansons avait atteint un classicisme supérieur, qui lui appartenait.»
Rémy Louis

Le 31 octobre 2019, Annie, Florence et moi étions à Paris, à la Philharmonie, pour vivre un concert avec l’orchestre de la radiodiffusion bavaroise sous la direction de Mariss Jansons. C’était il y a un mois.

Et hier dimanche, nous apprenions que Mariss Jansons, venait de décéder à l’âge de 76 ans à Saint Pétersbourg.

J’avais évoqué ce concert ,en introduction au mot du jour consacré au livre de Sylvain Tesson, « La panthère des neiges » :

« Ce fut un soir de grâce.
Je vous avais déjà présenté l’extraordinaire 10ème symphonie de Dimitri Chostakovich, écrite après la mort de Staline.
J’en avais parlé après une très belle interprétation à l’auditorium de Lyon avec l’Orchestre National de Lyon, dirigé par un jeune chef de 23 ans, plein de talent. Ce fut le mot du jour du <jeudi 16 mai 2019>

Mais cette fois, le jeudi 31 octobre 2019, cette œuvre fut interprétée par l’orchestre de la radio de Bavière avec un des meilleurs chefs d’orchestre actuels : Mariss Jansons, dans la Philharmonie de Paris.

Un orchestre qui agit comme un seul corps vivant, qui rugit, murmure, éclate, explose, chante, court à l’abime puis se régénère. On ne se trouve plus dans la même dimension, ce n’est plus une belle interprétation, c’est une offrande, un moment sublime.

Le chef de 76 ans fait peu de gestes, mais à la moindre de ses sollicitations l’orchestre répond immédiatement. Nul ne saurait, quand il assiste à un tel échange, douter de ce qu’un chef apporte à son orchestre. Il est vrai que Jansons est le directeur musical de l’orchestre de la radio de Bavière depuis 16 ans. »

Le critique musical, Michel Le Naour écrivit, précisément à propos de concert, sur le site <Concert Classic.com> :

« Mariss Jansons et l’Orchestre Symphonique de la Radio bavaroise à la Philharmonie – Un accomplissement

Démarche hésitante et visage amaigri, Mariss Jansons donne l’impression d’être à bout de forces. Dès qu’il s’empare de la baguette à la tête de son orchestre bavarois, dont il est directeur musical depuis 2003, cette impression se dissipe tant l’investissement du chef letton et son osmose avec les instrumentistes transfigurent la musique qui paraît couler de source.

Dès l’Ouverture d’Euryanthe de Weber, la profondeur sonore qui se dégage fait entendre l’inouï avec des cordes lumineuses et denses, une petite harmonie d’une perfection rare et des cors d’une absolue justesse. L’équilibre d’ensemble ainsi obtenu résout la quadrature du cercle entre puissance et clarté. La même impression prévaut avec le Concerto pour piano n° 2 de Beethoven […] Accompagnement de rêve qui laisse le soliste aller droit son chemin, doigts ailés mais toujours contrôlés. […]

La Dixième Symphonie de Chostakovitch n’a pas non plus de secret pour Jansons, et il semble encore ici la réinventer. Un miracle de progression dans la conduite du Moderato initial d’un poids dramatique quasi insoutenable, culminant dans des accords déchirants avant de mourir dans la stridence du duo des flûtes piccolo (magnifiques de cohésion) et l’homogénéité du tapis de cordes. L’Allegro – un portrait de Staline ? – est tenu de bout en bout par une direction implacable où chaque pupitre paraît mettre sa vie en danger, à l’image de l’exceptionnel timbalier Raymond Curfs. L’intensité de l’Allegretto, mortifère […], précède un final aux infinies nuances jusqu’à la jubilation tellurique de la bacchanale. Une interprétation inoubliable saluée par un public debout, sous le coup de l’émotion, et qui peine à quitter la salle. »

En matière d’art, je ne crois pas au classement. Je n’écrirai donc pas que c’était le plus grand chef d’orchestre vivant. Mais c’était de toute évidence l’un des plus grands.

Herbert von Karajan qui était sûr de son talent immense et de son mérite disait qu’il n’y avait, à son époque, qu’un autre chef d’orchestre vivant de son niveau : Evgeny Mravinsky, directeur musical austère et rigoureux de l’orchestre Philharmonique de Léningrad. C’était le nom de Saint-Pétersbourg à l’époque soviétique et donc de ce chef égal de Karajan selon ce dernier.

Il n’en reste pas moins que Mariss Jansons a été le disciple de ces deux immenses musiciens et qu’il a probablement beaucoup appris de l’un et de l’autre.

Il a dû apprendre par un autre professeur l’art de sourire et de rayonner pendant qu’il dirigeait.

Des esprits pertinents diront, en choisissant une photo, on peut lui faire dire n’importe quoi. Ce n’est pas faux. Mais j’ai vu des vidéos des trois, celui qui souriait le plus était de loin Jansons, Mravinsky ne souriait jamais, Karajan rarement.

Sur cette page « classicisme supérieur » vous verrez plusieurs vidéos de cet immense chef.

Avant de devenir le directeur musical de l’Orchestre de la Radiodiffusion Bavaroise et pendant plusieurs années parallèlement le directeur de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, il fut à partir de 1979 le directeur de l’orchestre Philharmonique d’Oslo pendant 23 ans.

C’est à ce moment-là que j’entendis parler de lui, car il réussit avec cet orchestre, peu connu, des enregistrements exceptionnels.

J’avais lu plusieurs critiques qui considéraient son enregistrement des symphonies de Tchaïkovski avec l’Orchestre Philharmonique d’Oslo comme le plus abouti, malgré la très grande concurrence d’orchestre et de chef de grand renom dans ce répertoire. J’ai acheté cette interprétation et je confirme qu’elle est splendide.

Par un hasard de l’histoire, le jeune chef de 23 ans, Klaus Mäkelä, que j’ai évoqué lors du mot du jour du 16 mai 2019 et rappelé au début de celui-ci vient d’être nommé directeur musical de l’Orchestre Philharmonique d’Oslo.

Je pense qu’on se trompe rarement quand on achète un disque dirigé par Mariss Jansons.

Il a également réalisé une intégrale des symphonies de Chostakovitch remarquable.

Tous ses derniers enregistrements avec l’orchestre bavarois ou le Concertgebouw d’Amsterdam sont très aboutis.

Vous trouverez aussi sur <cette page d’hommages> des vidéos et des enregistrements audio qui montrent l’étendue de son talent.

Le terme utilisé par Michel Le Naour « d’accomplissement » me semble très juste.

Il faut bien trouver un exergue pour ce mot du jour. Je le tire de la présentation du concert du 31 octobre 2019 par le musicologue Rémy Louis :

« Jansons a aujourd’hui atteint un classicisme supérieur, qui lui appartient. On peut trouver plusieurs raisons à cela: d’abord une présence physique, une autorité naturelle, une technique de direction claire et persuasive, épurée comme toujours par l’âge et l’expérience. Ce qui n’exclut ni le panache ni l’inspiration du moment. Il faut également souligner son sens superlatif de la forme, éclairé par la justesse fascinante de ses transitions. En outre, l’instinct musical de cet artiste de grand savoir embrasse un répertoire d’un éventail stylistique considérable, au concert comme au disque. ».

Il faut désormais parler au passé : « Jansons avait atteint un classicisme supérieur, qui lui appartenait ».

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