Vendredi 20 septembre 2019

« Puisqu’on peut mourir du jour au lendemain, quel risque je prends à tenter de faire ce qui me plaît ? »
Alex Beaupain

C’est encore Frédéric Pommier qui m’a guidé vers cette phrase, cette histoire, cet article publié le 15 septembre 2019 par « le Monde ».

Alex Beaupain est né à Besançon en 1974, il est auteur-compositeur-interprète et aussi compositeur de musiques de films français.

Ce chanteur sort un sixième album, et « Le Monde » l’interroge dans sa série <Je ne serais pas arrivé là si…> dans laquelle le journal interroge une personnalité sur un moment décisif de son existence.

Et Alex Beaupain raconte :

« La réponse est sordide, mais évidente : si mon amoureuse, Aude, n’était pas morte quand j’avais 26 ans. C’est l’événement fondateur.

Nous étions ensemble depuis dix ans. C’était un premier amour, très fort, très fusionnel.

Et puis un soir, nous étions avec des amis en boîte de nuit, à Paris, et elle a eu un arrêt cardiaque. Mort subite. On n’en connaît toujours pas la raison. C’était en novembre 2000.

Ce décès brutal a déclenché deux choses.

En partant de cet événement, j’ai commencé à écrire de bonnes chansons, plus intéressantes, plus profondes.

Et puis, devant l’absurdité de cette disparition, je me suis dit : puisqu’on peut mourir du jour au lendemain, quel risque je prends à tenter de faire ce qui me plaît ? »

Et il ajoute :

«  Face à un deuil, certains se replient, d’autres se libèrent. Moi, cela m’a profondément libéré. Avant, j’étais un garçon assez velléitaire. J’avais fini par décider, trois ans plus tôt, d’essayer d’être chanteur. Mais la mort d’Aude m’a rendu plus volontaire. D’autant qu’elle croyait beaucoup en moi, beaucoup trop par rapport au petit talent que j’avais à l’époque. Elle avait par exemple décidé que c’est elle qui travaillerait, pour que je me consacre aux chansons. Elle m’avait offert le piano numérique sur lequel je joue encore.

[…] Je ne sais pas si j’ai fait son deuil, mais j’ai réussi à faire quelque chose de ce deuil. Quelque chose de l’ordre de l’énergie, de la vie. Quelle chance de pouvoir ainsi élever des tombeaux aux gens qu’on a aimés, et de continuer à les faire vivre – même si je suis athée !

La mort d’Aude a été assez exceptionnelle de ce point de vue : elle a suscité des livres de sa sœur, Isabelle Monnin, le film de Christophe Honoré, mes chansons… J’en ai peut-être abusé. »

La carrière d’Alex Beaupain a été lancée en 2007 par le film de Christophe Honoré : « Les chansons d’amour », pour lequel il a écrit la musique récompensé par le César 2018 de la meilleure musique de film.

Il reconnait tout ce que ce film lui a apporté :

« Encore un « Je ne serais pas arrivé là si » ! Ce film a sauvé ma carrière. Après avoir pensé que je m’étais totalement planté, le fait que mes chansons intégrées à ce film soient écoutées, appréciées, m’a rassuré. Avec juste un doute : est-ce qu’elles plaisent quand elles sont interprétées par de bons acteurs, et sont insupportables quand je les chante, moi ? »

Les « Inrocks » avaient écrit à propos de ce film :

« Un drame musical enchanteur, un film gai et grave sur l’amour et l’absence. Sublime. »

<Liberation> a aussi consacré un article à ce film, à l’épisode fondateur et à la personnalité du chanteur :

«  Alex Beaupain. Ce dandy pop, 34 ans, a longtemps chanté sa compagne disparue subitement. Drame qui a fait la trame du film «les Chansons d’amour» de Christophe Honoré. […]

Alex Beaupain écrit et chante des chansons d’amour, de perte, et de confusions des sexes et des sentiments. Novembre est son mois et la pluie, sa saison. Il chante sa vie, puisque la vie ne lui a pas donné le choix. Mais avec cette distance élégante, qui rend le très grave suffisamment léger pour en faire des refrains. Dandy mais pas poseur, il laboure le petit sillon de la pop romantique des chanteurs sans voix qui reliait déjà Françoise Hardy à Etienne Daho. Et aujourd’hui, il est probablement un des auteurs les plus talentueux de la chanson française.

Tout a vraiment commencé quand tout s’est effondré. D’une façon aussi violente qu’absurde. Ce soir de novembre 2000, lui et son amoureuse sortent en boîte de nuit avec des amis. Elle s’écroule. D’un coup, sans prévenir, comme si la vie lui avait été retirée d’un claquement de doigts. Il n’en dira pas plus. «Mes chansons sont déjà suffisamment impudiques comme ça. Je n’ai pas envie que les détails de ce moment-là se retrouvent imprimés dans un journal.» Il nous fera même promettre de ne pas écrire son nom. Ce sera donc A.

Elle et lui vivent depuis six ans un amour de jeunesse, à la vie à la mort, qui n’a pas eu le temps de négocier les premières concessions. Ils se sont embrassés pour la première fois à Besançon. Après le bac, ils partent à Paris pour intégrer Sciences-Po et vivre ensemble. En couple modèle. «Il ne faisait aucun doute pour moi que c’était la femme de ma vie», dit-il. «C’était un pôle d’attraction d’une force incroyable. D’ailleurs on était rarement ami de l’un ou de l’autre, mais presque toujours des deux à la fois», se souvient Didier Varot, ami du couple et à l’époque directeur artistique d’une maison de disques. Leur appartement est ouvert aux quatre vents, et à ces soirées de tarot qui ont du mal à s’épuiser avant cinq heures du matin. Il est étudiant velléitaire et secrètement auteur-chanteur-compositeur. A. est son seul public. Elle le pousse, l’encourage. Il fait comme s’il ne l’entendait pas. Christophe Honoré, à l’époque apprenti cinéaste, est l’un des premiers à être mis dans la confidence de cette ambition rentrée. Il exige une invitation formelle pour un concert à domicile. «Un moment horriblement stressant», se souvient Alex Beaupain. Honoré aime immédiatement les chansons et le convainc de se mettre au travail. Il envoie plusieurs titres à une cinquantaine de producteurs. En retour : deux courriers qui ne donneront rien. Si ce n’est l’envie de faire son premier concert dans un bar minuscule, le Paris-aller-retour. Son petit frère est à la guitare, lui au piano. A. au premier rang.

Trois semaines après la mort de A., Alex écrit une chanson, Brooklyn Bridge.«D’un seul coup je trouve une profondeur que je n’avais jamais réussi à approcher.» Cette mort devient, malgré lui, un puits d’énergie positive, d’urgence créatrice. Son drame, son inspiration. «C’est ma culpabilité : écrire des belles chansons grâce à sa disparition.» Alors il la chante, elle, leur vie, leur amour, cette absence inconsolable et ses larmes qui ne «servent à rien». Chaque petit détail de leur vie à deux vient s’incruster dans ses couplets.

Ses copains lui payent de quoi aller enregistrer à Besançon une maquette. En 2005, son premier disque, Garçon d’honneur, sort. Un bide commercial. Mais un an plus tard, Christophe Honoré lui propose d’écrire une comédie musicale à partir de ses chansons et de son histoire. Ce sera les Chansons d’amour. Le film est écrit en quelques semaines. Les chansons enregistrées en six jours. Alex Beaupain se tient à distance du tournage, sauf pour une scène. C’est lui qui interprète le chanteur lors du concert où l’héroïne, jouée par Ludivine Sagnier, décède. Sur scène, il chante Brooklyn Bridge. La boucle est bouclée. Le film est sélectionné à Cannes et la bande originale reçoit un césar. Depuis Alex Beaupain vit (chichement) de sa musique. »

Il n’est pas, nécessaire de philosopher longuement, mais de se répéter simplement cette phrase de vie, d’évidence et d’énergie :

«Puisqu’on peut mourir du jour au lendemain, quel risque je prends à tenter de faire ce qui me plaît ?  »

Alex Beaupain a bien sûr un site qui lui entièrement dédié : http://alexbeaupain.artiste.universalmusic.fr/

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2 réflexions au sujet de « Vendredi 20 septembre 2019 »

  • 20 septembre 2019 à 10 h 50 min
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    merci Alain

    je ne savais pas que les chansons d’amour étaient directement inspirées de la vie d’alex beaupain. très beau film et magnifiques interprètes; je suis assez d’accord avec beaupain, préférant largement ses chansons chantées par d’autres que lui…

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  • 20 septembre 2019 à 12 h 44 min
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    J’apprends aussi que ce film est tiré d’un fait réel.. Film magnifique, qui nous fait toucher du doigt , qui nous fait vraiment sentir au fond de nous, la vie qui bascule en quelques secondes, la banalité et le bonheur tranquille juste avant, et le réveil brutal juste après….

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