Jeudi 21 mars 2019

« Juicers »
Rechargeur de trottinette

La trottinette électrique est devenue tendance en ville. C’est un mode doux, qui permet aux citadins de se déplacer tranquillement, et harmonieusement avec les voitures et les piétons, sans compter les vélos.

Et puis c’est un bel objet qui ressemble à la lettre « L » et qui met en valeur des décors souvent très fades comme ici la pyramide et le Palais du Louvre.

Nous vivons vraiment une époque moderne et formidable !

Selon wikipedia, le terme de trottinette proviendrait du terme de « trottin » qui au XIXe siècle désignait une petite employée de magasins chargée de faire les emplettes au pas de course pour des clients pressés. Elle trottinait donc pour faire sa commission.

Entre mode doux et gens pressés, on constate immédiatement qu’il peut apparaître quelques tensions.

Il y a de petits inconvénients. Certains utilisateurs qui trouvent commode de s’en servir, estiment que dès que leur trajet est terminé, ils peuvent descendre de ce moyen de locomotion pour s’en séparer. Nous voyons que cela peut avoir un lien avec le fait d’être pressés.

Au milieu du trottoir semble être une place appropriée pour des utilisateurs. Que cette décision unilatérale et égocentrée puisse énerver le passant qui utilise également le trottoir, ne semble pas préoccuper les premiers. Cette manière de faire peut énerver le passant moyen, il peut surtout constituer un obstacle risquant de faire tomber des personnes âgées ou des aveugles.

Et récemment le 12 mars je rentrais tranquillement à pied de mon travail et je cogitais sur ces « L » à roulettes quand je me suis retrouvé devant cet engin en haut du Cours Gambetta. Et je n’ai pas résisté à sortir mon smartphone pour agrémenter ce mot du jour d’une photo prise personnellement.

J’ai lu avec dépit sur l’affiche publicitaire lumineuse derrière cet engin « Lyon toujours plus créative », mais peut-être qu’elle ne faisait pas référence à l’invasion des trottinettes…

La vitesse pose aussi problème. Il est vrai que la trottinette se trouve dans une situation inconfortable.

Ce <site spécialisé> précise que la trottinette électrique n’est pas tolérée sur la route. Le vélo est l’exception autorisée et réglementée. Il est assimilé à un véhicule, avec obligation d’aller sur la route (dérogation pour les enfants de moins de 8 ans, tolérés sur le trottoir). Et tout ce qui va sur le trottoir ne doit pas avancer à plus de 6 km/h, donc guère plus vite qu’un piéton marchant d’un bon pas.

La modernité provoque aussi des accidents.

Un autre <site> donne la parole à Alain Sautet, chef du service d’orthopédie de l’hôpital Saint-Antoine (Paris) qui s’inquiète face à l’augmentation des blessures liées à l’utilisation d’une trottinette électrique. Dans son service, 17 patients ont été admis lors des deux derniers mois, soit deux par semaine, explique-t-il à nos confrères de France TV. « Ce sont des lésions qu’on n’avait pas l’habitude de voir », s’inquiète-t-il. Fractures du poignet ou du fémur sont des fractures répandues chez les personnes d’un âge avancé. Or, Alain Sautet constate ces lésions sur des patients jeunes. Il conseille donc, comme ses confrères, de limiter sa vitesse, et de porter un casque. Selon une étude américaine, 40% des accidents de trottinette touchent la tête.

Mais tout n’est pas rose dans le monde la trottinette, lors de sa revue de presse du vendredi 1 mars 2019 Claude Askolovitch cite le magazine des Echos qui raconte qu’à San Francisco, des habitants brulaient des trottinettes électriques en libre-service qui encombraient leurs trottoirs, ou les jetaient contre les bus privés des grandes compagnies d’internet qui font la navette entre les campus de la baie de San Francisco et le centre-ville où logent les employés des GAFAM… Car les génies de la silicon valley habitent à San Francisco, quand ils ont les moyens…

Et Claude Askolovitch de continuer :

« Car dans le monde entier les trottinettes électriques prennent les villes et sont l’absolue fortune d’un trentenaire milliardaire au visage poupin, qui pose en coupe-vent pas très classe aux couleurs vertes de sa firme, Toby Sun, chinois venu grandir en Amérique et patron de Lime, la start-up des trottinettes qui à Paris aussi scandent le bitume. Elles seraient la réponse au besoin de mobilité et à la pollution… Et voilà que la ville cloaque est cool d’un engin connecté et elle s’adapte avec plaies et bosses, 45 blessés l’an dernier, dans les pages Paris du Parisien, des policiers enseignent aux enfants le maniement de ce jouet du nouveau monde… »

Et ce n’est pas un problème français : Depuis fin 2017 et les débuts de l’utilisation des trottinettes électriques, au moins 1500 personnes ont été blessées dans des accidents aux États-Unis.

Et s’il n’y avait que cela…

Parce que les trottinettes électriques, fonctionne à l’électricité comme nos smartphones et qu’il faut donc les charger.

Et c’est là qu’interviennent les « juicers », en français de base cela pourrait faire penser à des « jouisseurs », mais ce n’est pas du tout cela.

<J’ai trouvé un article du Huffingtonpost> qui explique :

« « Notre métier, c’est comme ‘Pokemon Go’, sauf qu’on est payés! » Renaud, la trentaine, voit son métier de « juicer » comme un jeu vidéo. C’est grâce à des personnes comme lui que les Parisiens peuvent tous les matins trouver leurs trottinettes électriques chargées et soigneusement mises en place près de chez eux. En quoi consiste ce nouveau travail des “juicers” qui, discrets et méthodiques, rechargent les trottinettes électriques pendant que la ville dort?

Les utilisateurs ne se posent même pas la question explique au HuffPost, Renaud, lucide sur le fait que son travail de “juicer” se fait à l’ombre du regard de la société. Comme tous les autres, il a un contrat d’autoentrepreneur, payé à la recharge “entre 5 et 20 euros la batterie rechargée” par les start-ups de location de trottinettes électriques. Il n’est pas salarié et préfère y voir le bon côté des choses: “On a une grande liberté, on travaille quand on veut. On a pas de compte à rendre”.

C’est à la nuit tombée que commence sa tournée des rues parisiennes, à la quête des trottinettes électriques vides. Et il n’est pas le seul à les chasser. Son point de départ commence en Seine-et -Marne, où il habite.

Après avoir fait quarante-cinq minutes de camionnette -pour pouvoir stocker les trottinettes- jusqu’à Paris, Renaud active l’une des applications de location de trottinettes électriques (Lime, Bird, ou plus récemment Bold et Wind). Celle-ci géolocalise les batteries vides ou presque. “Il faut commencer au plus tard à 21 heures, les dernières personnes qui rentrent du travail déposent les trottinettes. Là, il faut être hyperactif.” nous raconte-t-il.

Tout est une question de calcul: Renaud n’a qu’une petite heure pour en amasser un maximum, et « à 22 heures au plus tard, je suis reparti » car il doit vite faire le chemin du retour jusqu’à chez lui pour recharger ses prises du soir. C’est à ce moment-là qu’il trouve un peu de repos: “Je mets entre 4 et 5 heures à recharger une batterie vide”. Quelques heures de repos à peine avant de repartir pour la capitale au petit matin: “Il faut les déposer aux endroits stratégiques que nous indique l’application.”

“Il y a des jours avec et des jours sans, quand il pleut par exemple”. Pendant l’été, le tourisme et les beaux jours pouvaient lui permettre de récolter jusqu’à 30 trottinettes par jour, lui rapportant parfois 200 euros la journée. « Ce sont ceux qui se démènent le plus qui font les meilleurs chiffres », dit-il, conscient que cette quête ressemble en de nombreux points à une chasse.

“L’idée c’est d’aller le plus vite possible: le premier qui scanne est le premier servi” nous dit Renaud, qui malgré cette règle, qui peut paraître assez simpliste, n’a jamais senti de tensions particulières entre les “juicers”. Mais tous ne sont pas du même avis. »

Pour aller plus loin j’ai trouvé un article sur <Numérama> :

« David est ce qu’on appelle, dans le jargon de l’ubérisation, un « Juicer » : un chargeur de trottinettes électriques. Il n’est pas employé par Lime, pas plus qu’il ne l’est par Bird. Pourtant, ce sont bien les trottinettes de ces deux sociétés qu’il s’occupe de recharger presque quotidiennement, une fois sa (première) journée de travail achevée. David est autoentrepreneur : il a passé un contrat avec les deux entreprises qui le rémunèrent à chaque fois qu’il charge une nouvelle trottinette à Paris.

[…]

Sous couvert d’anonymat, David détaille volontiers les étapes qu’il a dû suivre pour offrir ses services à la société : « Il l faut passer un tutoriel pour apprendre comment récupérer les trottinettes. Pour continuer, il faut obligatoirement le valider à 100 %. » Il ajoute que Lime envoie ensuite un mail ou un sms aux futurs juicers qui ont validé le test, afin qu’ils viennent récupérer leurs premiers chargeurs auprès d’un représentant de Lime. »

On apprend que selon la bonne volonté de ces entreprises nouvelles, on peut disposer de 4 à 40 chargeurs de trottinette. Chaque chargeur a la taille d’un ordinateur portable.

« Chacun des appareils permet, selon Lime, de charger complètement une trottinette en quatre heures : leur batterie doit être pleine à 95 % pour que Lime ou Bird considère la mission accomplie. « Dans les faits, il faut plutôt cinq heures de charge », corrige David.

Une trottinette chargée rapporte à David la somme de 8 euros chez Lime. Chez Bird, société pour laquelle il est aussi devenu chargeur, ce paiement est récemment passé à 7 euros. « Avec l’arrivée d’Uber sur ce marché, le prix a tendance à baisser. D’autant que les contrats que j’ai passés avec ces entreprises disent que la rémunération par trottinette peut varier entre 5 et 25 euros. C’est intéressant tant que ça ne passe pas sous la barre des 6 euros. Après, ce n’est plus suffisant pour compenser les coûts d’un véhicule et d’un local qui sont nécessaires à cette activité. » Dans son enquête publiée le 4 octobre, BFM TV raconte également les difficultés de chasser ces trottinettes, qui sont nombreuses à être dissimulées par des particuliers, pour un butin effectivement maigre : après 2 heures et 15 minutes, ils ont récolté 6 euros (soit 2 euros de l’heure en ôtant leurs coûts d’électricité et la cotisation payée à l’URSSAF). »

Il y a des utilisateurs de trottinette qui les laisse au milieu du trottoir et d’autres qui les cachent ou les mettent dans des lieux « baroques » et le travail de juicer est presque clandestin :

Le juicer ne craint pas seulement de se mettre en danger lorsqu’il tente de récupérer un appareil de Lime ou Bird dans des lieux improbables. Il aimerait aussi pouvoir être clairement identifié comme chargeur pour éviter que son comportement semble suspect dans la rue : une personne qui ramasse des trottinettes et les entasse dans son coffre attire l’attention. « Lime refuse de nous donner des gilets, ou un signe distinctif que l’on pourrait porter pour être identifiés. Qu’est-ce que je fais le jour où la police vient me voir ? Je garde mon contrat sur moi, au cas où. »

Les optimistes libéraux, en s’appuyant sur le concept de la « Destruction créatrice » de l’économiste Joseph Schumpeter (1883-1950) veulent être rassurant et disent certes beaucoup de métiers vont disparaître, mais on va en créer d’autres, beaucoup d’autres.

Oui mais ce sont des « emplois à la con » en anglais « Bullshit jobs ».

David Graeber a écrit un livre sur les « Bullshit jobs » mais dans sa définition il ne met pas ce type de travail, car pour lui pour avoir droit à cette appellation, il faut que le job n’ait pas d’utilité. Or il faut reconnaître que le chargeur de batterie de trottinette est utile pour les utilisateurs de trottinette.

Mais est-il judicieux de mettre des trottinettes en libre-service pour la fortune de plateformes ubérisés ?

Pour ma part, la réponse est claire et négative.

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