Mardi 19 mars 2019

« [Le web] a été détourné par des escrocs et des trolls, qui l’ont utilisé pour manipuler le reste des internautes à travers le monde  »
Tim Berners-Lee

Je reviens sur le développement du Web, la toile mondiale inventée par Tim Berners-Lee.

Et pour ce faire je vais m’appuyer sur la seconde partie de l’article du Monde cité hier :<Les 30 ans du web de l’utopie à un capitalisme de surveillance>

Et aussi une émission de France Culture Le Grain à moudre du 11 mars :
<Qui a trahi le Web ?>. Parmi les intervenants, Hervé Gardette avait invité Flore Vasseur  auteure du livre :  <Ce qu’il reste de nos rêves>

Revenons au  début Tim Berners-Lee a donc conçu cette immense machinerie de connexion et de mise à disposition d’information et de savoir sur un ordinateur Next.

Ici, il faut peut-être revenir à l’histoire de l’informatique et à ce personnage mythique et controversé, créateur d’Apple avec Steve Wozniak et Ronald Wayne : Steve Jobs.  Ce dernier avait recruté un directeur général John Sculley, avec pour mission de développer l’entreprise. John Sculley s’est rapidement opposé à  Steve Jobs qui a été éjecté de l’entreprise en septembre 1985. Immédiatement Steve, Jobs a créé une nouvelle entreprise NeXT et organisé l’invention d’un ordinateur encore plus performant que ceux créés par Apple. Et c’est sur cet ordinateur révolutionnaire pour l’époque que Tim Berners-Lee put créer les bases du Web. NeXt ne fut pas une entreprise très rentable et ayant un fort développement, ses produits étaient réservés à une élite. Mais La stratégie de John Sculley pour Apple aboutit à un échec et conduisit cette entreprise au bord de la faillite. Steve Jobs reprit les rênes de la marque à la pomme, début 1997. Apple racheta NeXT et devint l’entreprise performante que l’on connaît grâce aux intuitions géniales et à la stratégie menée par Jobs. Les puristes diront qu’il fallut aussi un coup de pouce du vieil ennemi de Steve Jobs, Bill Gates, le patron de Microsoft. Mais ce n’est pas notre propos d’aujourd’hui.

Dans l’émission de France Culture, on apprend que Tim Berners-Lee a déclaré au New York Times :

« Il est devenu évident  que le web n’est pas à la hauteur des espérances qu’il suscitait à ses débuts. Conçu comme un outil ouvert, collaboratif et émancipateur, il a été détourné par des escrocs et des trolls, qui l’ont utilisé pour manipuler le reste des internautes à travers le monde ».

Comme je l’avais rapporté hier, Tim Berners-Lee a tenu à ce que le nouvel outil qu’il avait découvert soit versé dans le domaine public. Il souhaitait que le Web devienne « un espace universel » où n’importe qui, en n’importe quel lieu, peut aller chercher librement des ressources, cela « gratuitement » et « sans permission ».

Il pressent qu’un des plus vieux rêves de l’humanité – rassembler toute la connaissance connue dans un espace que tous puissent explorer, une utopie qui remonte à la bibliothèque d’Alexandrie (fondée par Ptolémée en 288 av. J.-C.) et passe par l’imprimerie de Johannes Gutenberg (1400-1468) – devient possible, à la croisée du Web et d’Internet, et pense qu’il doit être offert au monde.
Une immense Toile qui se tisse

Par la suite, Tim Berners-Lee a quitté le CERN pour fonder, en 1994, avec l’appui du Laboratory for Computer Science du Massachusetts Institute of Technology (MIT), le World Wide Web Consortium (W3C). Organisme à but non lucratif, le W3C se consacre les années suivantes au développement de standards ouverts et gratuits qu’il va élaborer et partager avec les entreprises informatiques afin d’« assurer la croissance à long terme » du Web mondial naissant.

En l’an 2001, date de la création de Wikipedia, l’usage des sites est facilité par de nombreuses améliorations créées par le W3C (interfaces simples, RSS, mots-clés, tags, etc.) qui permettent plus d’interactivité et la production rapide de contenus. C’est l’époque où se créent les blogs, les Web services et les premiers réseaux sociaux – ce qu’on appellera le Web 2.0.

L’article du Monde précise :

« Il met en avant plusieurs idées révolutionnaires. Décentralisation : il n’y a pas de poste de contrôle central du Web. Universalité : pour que quiconque puisse publier sur le Web, tous les ordinateurs doivent parler les mêmes langues. Transparence : le code, comme les normes, ne sont pas écrits par un groupe d’experts, mais développés et enrichis au vu de tous, jusqu’à atteindre un consensus. Son leitmotiv : « Un seul Web partout et pour tous. » Ses principes : accessibilité, développement gratuit, acceptation d’un code d’éthique et de déontologie – « respect, professionnalisme, équité et sensibilité à l’égard de nos nombreuses forces et différences, y compris dans les situations de haute pression et d’urgence ».

Dans les années 1990, les penseurs du Web avaient peur de l’intervention des États. Pour la Chine, cette question reste plus que jamais d’actualité.

En 1996, John Perry Barlow va ainsi faire une déclaration qui va faire date la « Déclaration d’indépendance du cyberespace ».

« Gouvernements du monde industriel, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, nouvelle demeure de l’esprit. (…) Vous n’avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de rencontre. (…) Nous créons un monde où chacun, où qu’il se trouve, peut exprimer ses idées, si singulières qu’elles puissent être, sans craindre d’être réduit au silence ou à une norme. (…) »

Mais en 1996, il y a aussi les futurs poids lourds de l’industrie numérique qui entrent en scène Amazon, Microsoft, Internet Explorer de Microsoft devient le navigateur dominant du Web, bientôt concurrencé par Google et son moteur de recherche.

Et finalement ce sont les grandes entreprises mondialisées et numériques qui vont prendre ce pouvoir que John Perry Barlow voulait refuser aux Etats.

Tim Berners-Lee, s’est dit « dévasté » par l’affaire Cambridge Analytica, quand Facebook a transmis les données personnelles de 80 millions d’« amis » à une société d’analyse alors mandatée par le futur président américain Donald Trump . Dans une lettre ouverte saluant le 28e anniversaire du Web, en 2017, il avertissait :

« Nos données personnelles sont désormais « conservées dans des silos propriétaires, loin de nous » et « nous n’avons plus de contrôle direct sur elles ». »

Et le Monde de raconter :

« Tim Berners-Lee déchante, sa créature lui a échappé. Il ne s’y résout pas. Il a lancé en novembre 2018, avec la Web Foundation, la campagne #fortheweb en vue de proposer « un nouveau contrat pour un Web libre et ouvert », et travaille au projet Solid, qui « vise à changer radicalement le mode de fonctionnement actuel des applications Web ». Berners-Lee n’est pas le seul à s’inquiéter. Un autre pionnier du monde numérique, le chercheur en intelligence artificielle (IA) Jaron Lanier, est plus radical encore.

En mai 2018, il publie Ten Arguments for Deleting Your Social Media Accounts Right Now (« dix arguments pour fermer immédiatement vos comptes sur les réseaux sociaux », Bodley Head, non traduit). Il dresse ce réquisitoire grinçant contre Facebook :

« Pourquoi les gens doivent-ils être bombardés de messages de guerre psychologique bizarres avant les élections ou après une fusillade dans une école ? Pourquoi tout un chacun doit-il être soumis à des techniques de modification du comportement provoquant chez lui une dépendance simplement parce qu’il veut regarder des photos de ses amis et de sa famille ? » […]

Le lanceur d’alerte français Guillaume Chaslot, un informaticien qui a travaillé trois ans chez Google et dix mois sur l’algorithme de YouTube, dit, lui aussi, des choses graves.

« La démocratie a été oubliée en chemin par le Web », confie-t-il au Monde. Il a observé de l’intérieur comment l’extraordinaire média social qu’est YouTube, avec ses 1,8 milliard d’utilisateurs connectés en 2018, a dérapé dès qu’il s’est politisé. Avec l’aide de l’outil exploratoire qu’il a cofondé, Algo Transparency, Chaslot s’est aperçu que plus de 80 % des vidéos politiques recommandées par YouTube pendant la campagne électorale américaine étaient favorables à Trump.

Il devient concevable de manipuler une élection avec des campagnes ciblées et passionnelles sur le Web[…]

Au-delà des atteintes à la démocratie du fait de la viralité tapageuse des fausses nouvelles, le Web, dominé par les géants informatiques et le capitalisme de plates-formes, suit une autre pente fatale : il fonctionne sur un nouveau modèle économique qui s’appuie sur l’extraction et l’exploitation massive de nos données personnelles à des fins commerciales.

Cette économie du big data et des algorithmes, basée sur l’accompagnement permanent, la manipulation et la prédiction des comportements individuels, l’ex-professeure d’administration de la Harvard Business School Shoshana Zuboff l’appelle le « capitalisme de surveillance » (The Age of Surveillance Capitalism, 704 pages, Public Affairs, 2019, non traduit), et en fait une analyse implacable et pionnière.

Ce nouveau capitalisme, « issu, dit-elle, de l’accouplement clandestin entre l’énorme pouvoir du numérique, avec l’indifférence radicale et le narcissisme intrinsèque du capitalisme financier, et de la vision néolibérale », se fonde sur une idée forte : vendre, heure après heure, en temps réel, « l’accès à toute notre vie », tous nos comportements, en captant et décryptant nos épanchements sur les réseaux sociaux, en analysant et accompagnant toutes nos activités numériques par le biais de Google Maps, Google Agenda, Google Actualités, sans oublier les capteurs des objets connectés – c’est-à-dire au prix d’« une surveillance généralisée de notre quotidienneté ».

Ce véritable casse mondial sur nos vies privées s’est fait, constate l’économiste, sans rencontrer beaucoup de résistance, appuyé sur des « parodies de contrats » en ligne, fondés sur des chantages au service.

Cette appropriation, cette marchandisation et cette connaissance fine de l’autre lui fait dire que nous ne sommes pas dans le contrôle total des comportements « à la Big Brother », mais à la « Big Other » : « Big Other est un régime institutionnel, omniprésent, qui enregistre, modifie, commercialise l’expérience quotidienne, du grille-pain au corps biologique, de la communication à la pensée, de manière à établir de nouveaux chemins vers les bénéfices et les profits » (Journal of Information Technology, vol. 30, 2015).

C’est la nouvelle loi du capitalisme numérique, qui a fait du Web rêvé par Tim Berners-Lee un immense magasin en ligne, une gigantesque Matrix commerciale où nous évoluons, connectés, géolocalisés, recommandés, déchiffrés par les algorithmes, tous nos désirs les plus intimes traqués, flattés, devancés et assouvis. »

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Une réflexion au sujet de « Mardi 19 mars 2019 »

  • 19 mars 2019 à 7 h 43 min
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    Il y a quand même quelque chose de rassurant, comme en matière d’écologie la vraie solution dépend de nous, de notre comportement, de notre lucidité mais, c’est vrai, avec les limites que cela peu comporter pour beaucoup!

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