Mardi 12 février 2019

« Vous savez, la modestie s’impose.»
Chloé Bertolus

Dans son livre « Le Lambeau », évoqué hier, Philippe Lançon, a beaucoup évoqué et exprimé sa reconnaissance à l’égard de la chirurgienne qui lui a permis de retrouver un visage autorisant à aller dans la rue et de passer simplement inaperçu. Son journal « Libération » a pris l’initiative d’aller rencontrer cette femme et vient de publier une interview de Chloé Bertolus. C’est un article à lire. Le journaliste tente de décrire cette chirurgienne dans son humanité, dans sa vie de réparatrice, dans ses doutes. Je reste réservé quant à la question du désir d’enfant qui me semble appartenir à la vie intime et qui à mon sens n’avait pas sa place dans cet article. Il reste que cet entretien révèle un médecin humble et profondément humain.

Mais le premier sujet abordé qui m’a interpellé, a été l’émergence dans la vie de Chloé Bertolus de la notoriété et de la visibilité que lui a donné le livre de Lançon et ainsi la réputation qui peut devenir gênante dans sa relation avec ses patients d’aujourd’hui, comme elle l’explique délicatement :

«C’est un truc un peu bizarre que de se retrouver dans un récit […] Comment dire ? Le livre lui-même devient une espèce de manifeste. L’autre jour, et cela m’a un peu choquée, j’ai fait la visite au 2e étage. Sur la dizaine de patients, trois avaient le Lambeau à leurs côtés. […] C’est une forme de revendication. Philippe Lançon a fictionné notre relation. Et les autres, maintenant, revendiquent une relation similaire. Ou la réclament, je n’en sais rien. En tout cas, c’est un peu étrange.»

Et elle explique simplement son travail, une prouesse technique mais qui n’a qu’un rapport très lointain avec la chirurgie esthétique, c’est beaucoup plus important, c’est plus essentiel, c’est permettre de continuer à vivre normalement et c’est énorme !

«Cela n’a rien à voir avec la chirurgie esthétique […], on parle de gens qui ne peuvent pas sortir dans la rue parce qu’il leur manque la moitié du visage. [L’objectif est :] Je voudrais juste que mes patients passent inaperçus.”» Ou encore : «Je suis incapable de savoir ce que veulent mes patients. Ce que je sais, c’est ce que l’on est capable de leur proposer.» La voilà pédagogique : «On peut redonner une fonction. A des gens à qui on a enlevé la moitié de la langue, on va la reconstruire, et ils vont reparler. A d’autres, on va leur rebâtir une mâchoire, ils vont pouvoir manger. Mais aussi redonner un visage. Pour être reconnu comme un être humain, il faut avoir quelque chose qui ressemble à une bouche, à un nez, à des yeux. Il faut ressembler à quelqu’un. Ou à tout le monde.»

Puis elle touche l’essence des choses par l’humilité, par l’humanité dans ce qu’elle a de fragile, d’éphémère, de tragique et pourtant de beau. C’est la vie, notre vie :

«Vous savez, la modestie s’impose. Quand on a commencé dans notre service à opérer des patients cancéreux, un des chirurgiens nous disait : “Vous avez le sentiment d’avoir sauvé une vie. Souvenez-vous qu’en fait vous ne l’avez que prolongée.” Finalement, on ne sauve rien du tout.» Chloé Bertolus est ainsi, dans le faire. «A un curé avec qui je discutais, j’expliquais que certains soirs, avec certains patients qui ne vont pas bien du tout, on est là, sur le pas de la porte de leur chambre, et on se dit : “Pourquoi ?” C’est le grand pourquoi, le pourquoi de la vanité de l’existence. Pourquoi en passer par là, alors que l’on va tous mourir un jour ?»

Et l’article finit avec un retour sur la terre des comptables et la difficile équation des hôpitaux d’aujourd’hui :

« De son bureau, vient de sortir le DRH de l’hôpital. On leur a supprimé un des trois blocs opératoires : «L’hôpital, c’est rude. Mais j’ai toujours entendu que les hôpitaux étaient au bord de l’implosion. On a créé chez nous un sentiment étrange à force de nous répéter que l’on coûtait cher. […] Maintenant, comme cheffe de service, je dois mener d’autres combats.»

Les médecins sont bien sûr comme les autres communauté des humains, très divers. Certains font leur travail consciencieusement et restent très fonctionnels, les remplacer par des robots ne sera pas une grande perte.

D’autres sont pleins d’assurances, du moins veulent apparaître comme tels. Il existe aussi des professeurs qui se parent de leur titres pour asséner des affirmations, les écrire dans des livres en faisant croire qu’il s’agit de connaissances scientifiques, alors que ce ne sont souvent que des croyances. Bien sûr la médecine a fait de grand progrès, mais l’étendue de ce que l’on ne sait pas est toujours beaucoup plus important que ce que l’on sait. Ici aussi le contraire de la connaissance n’est pas l’ignorance, mais les certitudes.  

Et puis il en est qui comme Chloé Bertolus, font un travail admirable tout en restant dans l’humilité, dans l’humanité et dans le service à l’égard de ceux qu’ils essayent de soigner, avec ce qu’ils savent. Pour ma part, je ne fais confiance qu’aux médecins humbles, c’est à dire qui n’expriment pas trop de certitudes.

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