Mercredi 24 octobre 2018

« Dans des sociétés grisonnantes, le poids politique des personnes âgées augmentera constamment et dans des économies en mutation rapide, leur capacité à s’adapter périclitera »
Edoardo Campanella

Brice Couturier a lors de sa chronique du 19 octobre 2018 évoqué un article d’un universitaire espagnol Edoardo Campanella qui explique une partie de la montée du populisme dans les pays occidentaux par l’attitude d’une majorité de seniors dont le poids démographique est de plus en plus prégnant dans le corps électoral de nos démocraties.

La réalité électorale est que les jeunes générations se désintéressent en grande partie du processus électoral qu’ils estiment sans grand intérêt.

Contrairement aux personnes âgées qui continuent à accomplir leur devoir d’électeur bien davantage que leurs enfants et petits-enfants.

A cette réalité comportementale, s’ajoute le fait que leur nombre devient intrinsèquement plus important du fait du vieillissement démographique des Européens.

Edoardo Campanelle explique dans son article « Le populisme des retraités va-t-il s’installer ? » sur le site de « project-syndicate » :

« Le populisme de droite qui a surgi ces dernières années dans de nombreuses démocraties occidentales pourrait durer bien plus qu’un feu de paille dans le paysage politique. Au-delà de la crise économique mondiale déclenchée en 2008 puis de la crise migratoire, qui créèrent toutes deux le terreau fertile des partis populistes, le vieillissement de la population occidentale va continuer d’infléchir les dynamiques politiques en faveur des populistes.

Il apparaît, en effet, que les électeurs âgés sont plutôt sympathisants des mouvements nationalistes.

Au Royaume-Uni, les personnes âgées ont voté massivement en faveur du départ de l’Union européenne, et ce sont elles qui, aux États-Unis, ont offert la présidence à Donald Trump. Ni le parti Droit et justice (PiS) en Pologne, ni le Fidesz en Hongrie ne seraient parvenus au pouvoir sans le soutien enthousiaste des plus vieux. Et en Italie, la Ligue doit son succès, en bonne part, à la façon dont elle a su exploiter le mécontentement du troisième âge dans le Nord. »

Il reconnait cependant qu’il existe des exceptions à cette règle, notamment en France et au Brésil :

« Seule Marine Le Pen, du Rassemblement national (ex Front national) en France – ainsi, peut-être, que Jair Bolsonaro au Brésil – peut compter, parmi les populistes de l’heure, sur le soutien des jeunes électeurs. »

En France au premier tour, Macron a réalisé un score de 23,7% mais les 60-69 ans ont voté à 26 % pour lui et ceux de 70 ans et plus à 27%. Il faut noter que ce dernier vote (celui des 70 ans et plus) s’était porté quasi majoritairement sur Fillon (45%). En France, les plus de 70 ans ont donc voté massivement (72% quand même) pour les deux candidats qui souhaitaient le plus réformer ou s’attaquer à l’Etat providence, vous choisirez le verbe qui vous va le mieux selon vos convictions politiques.

On pourrait aussi dire que c’était les deux candidats qui rassuraient le plus ou inquiétaient le moins, le monde économique.

Mais la France fait, pour l’instant encore, figure d’exception selon Edoardo Campanelle :

« Le plus probable est qu’un sentiment croissant d’insécurité pousse les plus âgés dans les bras des populistes. Si l’on met de côtés les particularismes de chaque pays, les partis nationalistes proposent tous de contenir les forces de la mondialisation, qui affectent plus que les autres les personnes âgées. »

Dans la plupart des autres pays, les personnes âgées ne sont pas vraiment en phase avec les aspirations des leaders économiques et plutôt que des réformes de l’état social, ils réclameraient selon l’universitaire espagnol plutôt davantage d’autorité et de fermeté pour lutter contre l’insécurité et l’immigration.

Campanelle pointe trois raisons

  • L’attachement aux valeurs traditionnelles et à un monde connu qui leur parait trop bousculé par l’apport d’immigrés venant d’autres civilisations ;
  • La peur des travailleurs vieux d’être exclus du marché du travail et ne plus trouver leur place dans le monde économique d’aujourd’hui ;

« De même, la mondialisation et le progrès technologique perturbent souvent les industries traditionnelles ou qui reposent sur un savoir-faire, où l’expérience est un facteur d’emploi. L’essor de l’économie numérique, où dominent les trentenaires, voire les moins de trente ans, relègue aussi vers les marges les travailleurs plus vieux. Mais à la différence d’autrefois, les systèmes de retraite, qui se décomposent, ne peuvent plus absorber ces chocs du marché du travail. En conséquence, les travailleurs les plus vieux qui perdent leur emploi sont condamnés au chômage de longue durée.  »

Enfin, la crainte, qui n’est pas infondée, sur la pérennité et le niveau des pensions de retraite :

« En outre, les retraités ont aujourd’hui des raisons de craindre la menace pour leurs pensions que représentent leurs propres enfants. Les jeunes, insatisfaits de systèmes économiques qui jouent clairement en faveur des retraités, commencent à revendiquer une redistribution plus équitable entre générations de ressources devenues plus rares. Ainsi le Mouvement 5 étoiles italien, qui gouverne en coalition avec la Ligue, a-t-il récemment appelé à la création d’un « revenu citoyen », qui serait octroyé à toute personne au chômage, sans critère d’âge. Alors que les populistes de droite attirent à eux les électeurs âgés, les populistes de gauche ont gagné des partisans dans les générations plus jeunes. »

L’ensemble de ces « préoccupations » qui sont réelles constitue pour les partis politiques nationalistes une ressource dont ils usent pour convaincre l’électorat âgé de voter pour eux :

« De ce fait, les politiciens nationalistes recourent souvent à une rhétorique de la nostalgie, grâce à laquelle ils mobilisent leurs partisans âgés. Pour sa part, Trump a promis de ramener des emplois dans la « ceinture de la rouille », qui fut autrefois le centre de l’industrie manufacturière américaine. De même, on ne saurait trouver de symbole plus clair de la résistance au changement que le mur qu’il propose de construire à la frontière des États-Unis et du Mexique. Et la répression qu’il a engagée contre l’immigration illégale ainsi que l’interdiction d’entrer aux États-Unis imposée aux ressortissants de pays à majorité musulmane montrent son adhésion à une nation américaine « pure ».

En Europe continentale, les populistes de droite veulent eux aussi revenir en arrière, au temps d’avant l’euro et de l’espace Schengen de libre circulation dans la plupart des pays de l’Union. Et ils tentent de séduire directement les électeurs âgés en promettant d’abaisser l’âge de la retraite et d’augmenter les pensions (ce sont deux mesures phares de la Ligue italienne). »

On ne peut que souscrire à l’expression du défi qui se pose aux sociétés modernes :

Quoi qu’il en soit, la vague populiste est à tel point gonflée par la démographie qu’elle n’est probablement pas prête d’atteindre son point culminant. Dans des sociétés grisonnantes, le poids politique des personnes âgées augmentera constamment ; et dans des économies en mutation rapide, leur capacité à s’adapter périclitera. Les électeurs les plus vieux demanderont par conséquent de plus en plus de sécurité socio-économique, et des populistes irresponsables attendront en embuscade pour s’attirer leurs bonnes grâces.

Edoardo Campanelle se pose la question de ce qu’il convient de faire. Sa vision libérale plairait probablement à Emmanuel Macron puisqu’il donne l’injonction aux « personnes âgées » de se prendre en charge et d’être prêt de faire face aux perturbations actuelles, la politique devant simplement les aider à réaliser ces objectifs.

« Peut-on faire quelque chose ? Pour contenir la marée nationaliste, les partis traditionnels doivent instamment élaborer un nouveau pacte social qui puisse répondre au sentiment d’insécurité croissant des électeurs les plus vieux. Ils devront trouver un meilleur équilibre entre ouverture et protection, innovation et régulation ; et ils devront le faire sans tomber dans le piège régressif tendu par les populistes.

La réponse ne réside pas dans l’étouffement des forces de la mondialisation, mais dans la capacité à les rendre plus tolérables. Les citoyens de tous âges doivent être prêts à faire face aux perturbations actuelles et futures. En ce sens, il est préférable d’aider les personnes âgées à se prendre en charge plutôt que de se contenter de les protéger. Pour la plupart, les économies avancées ne pourront tout simplement pas se permettre d’allouer de nouvelles et énormes prestations à un groupe d’intérêts surdimensionné. Qui plus est, les mesures qui rendent les gens dépendants de quelque forme que ce soit de soutien extérieur posent, pour le moins, un problème moral.

Au lieu de cela, les gouvernements devraient s’attacher à renforcer les qualifications de la main-d’œuvre âgée, en créant plus d’opportunités pour qu’anciennes et jeunes générations puissent travailler ensemble, et en responsabilisant les perturbateurs du marché du travail sur les conséquences socio-économiques de leur activité. Les aides aux plus vulnérables ne devraient être accordées qu’en dernier ressort. »

La solution n’est certes pas simple.

Et je crains que cette prédiction : « ,Les économies avancées ne pourront tout simplement pas se permettre d’allouer de nouvelles et énormes prestations à un groupe d’intérêts surdimensionné. » se réalise.

Mais la capacité de s’adapter des personnes âgées dont parle Campanelle doit quand même être observée avec bienveillance.

La question qui se pose de plus en plus est de savoir quelle place la société laisse aux vieux.

Dans le monde du travail déjà cette question se pose, je ne crois pas raisonnable de croire qu’une personne de 30 ans et une personne de 60 ans soient interchangeables. Certes il faut s’adapter le mieux qu’on peut, mais je pense que si on suit simplement les conseils de cet universitaire espagnol et on laisse faire les règles de l’économie moderne on trouvera assez rapidement que l’employé de 60 ans n’est pas assez compétitif et que le mieux s’est de s’en débarrasser au plus vite. Le marché de l’emploi fonctionne d’ailleurs ainsi en grande partie.

Il faut réfléchir à la place des vieux dans une société qui vieillit. Et pas seulement dire qu’ils n’ont qu’à faire comme les jeunes.

Sinon je pense que les forces nationalistes et populistes verront s’ouvrir des boulevards à leurs ambitions politiques.

Et hélas, ils ne disposent d’aucune solution raisonnable et pérenne.

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2 réflexions au sujet de « Mercredi 24 octobre 2018 »

  • 24 octobre 2018 à 17 h 10 min
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    C’est bien toi qui disais je crois récemment : le pire n’est jamais certain!
    les vingt ans qui viennent, ( et c’est long vingt ans à venir, même si une fois passé ça parait court)
    ces 20 ans là seront forcément difficiles. Mais il faut toujours compter sur la nature, qui fait bien les choses.J”ai entendu ce matin que en Italie la population des plus de 60 ans avait dépassée celle des moins de 60 !
    Ce qui veut dire que l’Italie va se dépeupler, (c’est le cas depuis deux ou trois ans) ainsi que l’Allemagne, et une grande partie des pays d’Europe. dans un premier temps le chômage baissera un peu, quels que soit les gouvernements!
    en admettant que le travail soit encore à la mode , il faudra du personnel pour le faire, donc les immigrés seront les bienvenus, surtout qu’ils paieront des impôts qui financeront les retraites de ceux qui aujourd’hui regardent les migrants se noyer sans lever le petit doigt.
    un nouveau cycle d’idées politiques deviendra moderne qui préconisera l’égalité,la répartition solidaire entre actif et inactif, la protection des plus âgés et l’encouragement à la procréation de toutes les manières possibles. les mêmes qui aujourd’hui suivent les Salvini et les Orban ,les Le Pen , seront enthousiasmés par ce programme , et tout le monde y sera beau et sera gentil!!!!!

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    • 25 octobre 2018 à 20 h 14 min
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      J’aime ton optimisme et finalement pourquoi pas.

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