Lundi 17 septembre 2018

« Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité »
Déclaration du Président de la République Française, Emmanuel Macron à propos de la mort de Maurice Audin et du système de torture mis en place par les autorités françaises lors de la Guerre d’Algérie

« Tout se sait toujours » avait répondu Henry Alleg à son tortionnaire qui lui dit que jamais personne ne saura ce qui se passe dans les chambres de torture de l’armée française en Algérie.

Henri Alleg était un militant de la cause indépendantiste algérienne et était devenu célèbre en écrivant le livre « « la Question » qui est un livre autobiographique, publié en français en 1958 et en anglais. Il y narre et dénonce la torture des civils pendant la guerre d’Algérie. Et dans ce livre, il relate un dialogue avec ses bourreaux à qui il dit, épuisé par la torture : « On saura comment je suis mort. » Le tortionnaire lui réplique : « Non, personne n’en saura rien. ».

Et j’ai utilisé la réponse du supplicié : « Tout se sait toujours » pour le mot du jour du 1er mars 2018, consacré à Maurice Audin à la suite d’un article publié le 14 février 2018 par le journal « L’Humanité » qui présentait le témoignage d’un vieil homme qui pense qu’on l’a obligé, sans lui dire la vérité, d’enterrer le corps de Maurice Audin.

<Vous trouverez cet article derrière ce lien>

Maurice Audin a été arrêté le 11 juin 1957 par des militaires français, au cours de la bataille d’Alger et on n’a jamais retrouvé sa trace. Henri Alleg avait été arrêté le 12 juin 1957, soit le lendemain de l’arrestation de Maurice Audin,

C’était un brillant mathématicien, il était marié à Josette avec qui il avait eu 3 enfants. Au moment de son arrestation il avait 25 ans.

Pour Josette Audin, ce fut le combat de toute une vie de contester la pitoyable et monstrueuse version officielle : « Maurice Audin s’est évadé et on ne sait pas ce qu’il est devenu ». Elle était soutenu par une grande part de la communauté des mathématiciens dont Cédric Villani, ces dernières années, et aussi de communistes qui ne lâchaient pas leur camarade.

Après que le président Nicolas Sarkozy n’ait pas daigné répondre à une lettre de Josette Audin, le président François Hollande avait fait les premier pas au nom de la République, de la France :

  • D’abord en 2012, il s’était rendu devant la stèle élevée à la mémoire de Maurice Audin à Alger et fait lancer des recherches au Ministère de la Défense sur les circonstances de sa mort
  • Puis en juin 2014, dans un message adressé à l’occasion du prix de mathématiques Maurice Audin, il reconnaissait officiellement pour la première fois au nom de l’État français que Maurice Audin ne s’est pas évadé, qu’il est mort en détention, comme, explique-t-il, les témoignages et documents disponibles l’établissent.

Mais c’est à Emmanuel Macron qu’il est revenu de faire le pas décisif par une déclaration solennelle daté du 13 septembre 2018.

Ce même jour, il est venu apporter cette déclaration, en mains propres à Josette Audin qui a déclaré au journal l’Humanité : « Je ne pensais pas que ça arriverait  »

Vous trouverez la déclaration intégrale du Président de la République Française derrière ce lien :

http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-du-president-de-la-republique-écrie-sur-la-mort-de-maurice-audin/

J’en tire les extraits suivants :

« Au soir du 11 juin 1957, Maurice Audin, assistant de mathématiques à la Faculté d’Alger, militant du Parti communiste algérien (PCA), est arrêté à son domicile par des militaires. Après le déclenchement de la guerre par le Front de libération nationale (FLN), le PCA, qui soutient la lutte indépendantiste, est dissous et ses dirigeants sont activement recherchés. Maurice Audin fait partie de ceux qui les aident dans la clandestinité.

Tout le monde sait alors à Alger que les hommes et les femmes arrêtés dans ces circonstances ne reviennent pas toujours. […]

Maurice Audin n’a jamais réapparu et les circonstances exactes de sa disparition demeurent floues. Le récit de l’évasion qui figure dans les comptes rendus et procès-verbaux officiels souffre de trop de contradictions et d’invraisemblances pour être crédible. Il s’agit manifestement d’une mise en scène visant à camoufler sa mort. Les éléments recueillis au cours de l’instruction de la plainte de Josette Audin ou auprès de témoins indiquent en revanche avec certitude qu’il a été torturé.

Plusieurs hypothèses ont été formulées sur la mort de Maurice Audin. L’historien Pierre Vidal-Naquet a défendu, sur la foi d’un témoignage, que l’officier de renseignements chargé d’interroger Maurice Audin l’avait lui-même tué. Paul Aussaresses, et d’autres, ont affirmé qu’un commando sous ses ordres avait exécuté le jeune mathématicien. Il est aussi possible qu’il soit décédé sous la torture.

Quoi qu’il en soit précisément, sa disparition a été rendue possible par un système dont les gouvernements successifs ont permis le développement : le système appelé « arrestation-détention » à l’époque même, qui autorise les forces de l’ordre à arrêter, détenir et interroger tout « suspect » dans l’objectif d’une lutte plus efficace contre l’adversaire.

Ce système s’est institué sur un fondement légal : les pouvoirs spéciaux. Cette loi, votée par le Parlement en 1956, a donné carte blanche au Gouvernement pour rétablir l’ordre en Algérie. Elle a permis l’adoption d’un décret autorisant la délégation des pouvoirs de police à l’armée, qui a été mis en œuvre par arrêté préfectoral, d’abord à Alger, puis dans toute l’Algérie, en 1957.

Ce système a été le terreau malheureux d’actes parfois terribles, dont la torture, que l’affaire Audin a mis en lumière. Certes, la torture n’a pas cessé d’être un crime au regard de la loi, mais elle s’est alors développée parce qu’elle restait impunie. Et elle restait impunie parce qu’elle était conçue comme une arme contre le FLN, qui avait lancé l’insurrection en 1954, mais aussi contre ceux qui étaient vus comme ses alliés, militants et partisans de l’indépendance ; une arme considérée comme légitime dans cette guerre-là, en dépit de son illégalité.

En échouant à prévenir et à punir le recours à la torture, les gouvernements successifs ont mis en péril la survie des hommes et des femmes dont se saisissaient les forces de l’ordre. En dernier ressort, pourtant, c’est à eux que revient la responsabilité d’assurer la sauvegarde des droits humains et, en premier lieu, l’intégrité physique de celles et de ceux qui sont détenus sous leur souveraineté.

Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité. »

Cette déclaration ne donne pas, parce qu’il n’y a pas de certitude, les circonstances exactes de la mort de Maurice Audin.. <Cet article du Point> émet certaines hypothèses..

Mais cette déclaration reconnait surtout la responsabilité de la République dans la mise en place d’un système où la torture était possible et encouragée.

Et dire qu’en 1957, nous n’étions que 12 ans après la fin de la guerre 1939-1945 où tous les français dénonçaient le comportement de la Gestapo dans la France occupée.

Pour que de telle chose soit possible, il faut comme je l’ai écrit vendredi que des fictions, des mythes puissent faire croire que le combat qu’on mène, les actes « sales »qu’on commet poursuivent un but légitime.

A cette époque, la fiction était que « l’Algérie était la France. »

Alors, tout le monde n’est pas d’accord.

Si un Editorial du Monde du 14 septembre affirme : « La responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin, une salutaire vérité !. »

<La décision de Macron dans l’affaire Maurice Audin divise> écrit « Le Parisien » dans son édition du 13 septembre 2018, qui cite Brice Hortefeux, ancien ministre de l’Intérieur, qui dit « qu’il faut arrêter de se repentir sur des actes qui ont été commis par des générations précédentes ».

<Nice Matin> explique dans son édition du 14 septembre que « La reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin est mal passée chez les élus de droite » et cite Michèle Tabarot, Christian Estrosi et Eric Ciotti.

Et toutes ces personnes de considérer qu’il n’est pas possible que la France reconnaisse sa responsabilité alors que l’Algérie et donc la continuation du FLN ne reconnait pas les crimes qu’a commis le FLN contre les français et les harkis.

On peut bien sûr souhaiter que l’Algérie ouvre ses propres archives, comme l’ordonne Emmanuel Macron, dans sa déclaration, pour les archives françaises :

Une dérogation générale, dont les contours seront précisés par arrêtés ministériels après identification des sources disponibles, ouvrira à la libre consultation tous les fonds d’archives de l’Etat qui concernent ce sujet.

Enfin, ceux qui auraient des documents ou des témoignages à livrer sont appelés à se tourner vers les archives nationales pour participer à cet effort de vérité historique.

L’approfondissement de ce travail de vérité doit ouvrir la voie à une meilleure compréhension de notre passé, à une plus grande lucidité sur les blessures de notre histoire, et à une volonté nouvelle de réconciliation des mémoires et des peuples français et algérien. »

Mais dans la déclaration d’Emmanuel Macron il n’y a pas essentiellement une repentance, il y a d’abord un devoir de vérité.

Moi je crois que les Etats s’honorent de reconnaître la vérité des faits.

Sur ce point je suis totalement en accord avec Emmanuel Macron : « Il importe que cette histoire soit connue, qu’elle soit regardée avec courage et lucidité ». C’est cela le devoir de vérité.

Les faits c’est que Maurice Audin a été torturé et qu’il est mort en détention.

Les faits c’est que trahissant ses valeurs et les droits de l’homme, le gouvernement et le parlement français en 1956 ont mis en place des pouvoirs spéciaux rendant possible et probablement même inévitable la torture en Algérie.

Je ne me lasserai pas de rappeler qu’entre le 1er février 1956 et le 21 mai 1957, le gouvernement de la France était dirigé par Guy Mollet qui était à la tête de la SFIO, donc l’ancêtre du Parti Socialiste et que le Ministre de la Justice de ce gouvernement était François Mitterrand. Gaston Defferre était aussi ministre de ce même gouvernement.

L’éthique me pousse à concéder que Pierre Mendès-France l’était aussi, mais qu’il a démissionné en mai 1956 et a été remplacé par Jacques Chaban-Delmas.

C’est leur part d’ombre aussi.

<1110>

Une réflexion au sujet de « Lundi 17 septembre 2018 »

  • 17 septembre 2018 à 8 h 55 min
    Permalink

    Tout à fait d’accord sur le devoir de vérité, une vérité qui serait connue depuis longtemps si on avait dissocié à l’origine la repentance et sa demande de pardon induite qui discrédite une époque.
    Je ne dis pas que c’était suffisant mais je pense que cela aurait permis de mieux vivre la suite de chaque côté de la méditerranée

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