Mercredi 12 septembre 2018

« Le citoyen ordinaire a deux cartes très importantes en main : sa carte d’électeur et sa carte bancaire. »
Frank Courchamp

Lors de la COP23, la 23e conférence des Nations Unies sur les changements climatiques qui avait été organisée conjointement par les iles Fidji et l’Allemagne du 6 novembre au 17 novembre, 15 000 scientifiques de 184 pays ont signé un appel contre la dégradation de l’environnement qui a été publié dans la revue Bio Science de l’Université d’Oxford, le lundi 13 novembre.

Je m’en étais fait l’écho, lors du mot du jour du 20 novembre 2017 où je citais le climatologue allemand et fondateur de l’institut de Potsdam de Recherche sur le climat, Hans Joachim Schellnhuber : «La théorie des 3D : Désastres, Découvertes, Décence.»

Dans le journal du CNRS, Frank Courchamp, directeur de recherche au CNRS, revenait sur cet appel d’une ampleur inédite.

Frank Courchamp a d’ailleurs participé à la diffusion de cet appel:

« C’est effectivement du jamais-vu. La première mise en garde de ce genre, formulée en 1992 à l’issue du Sommet de la Terre à Rio, n’avait rassemblé que 1 700 signataires dont, il est vrai, une centaine de prix Nobel. Le présent manifeste a été rédigé par huit spécialistes internationaux du fonctionnement des écosystèmes […]. Il a été initié par le biologiste de la conservation américain William Ripple, qui a mis en évidence le déclin dramatique de presque tous les grands carnivores et tous les grands herbivores, des animaux qui jouent pourtant un rôle crucial dans l’équilibre des milieux naturels. William Ripple m’a contacté le 20 juillet et m’a demandé de relayer ce cri d’alarme, notamment en France, ce que j’ai fait. Au total, pas loin d’un millier de chercheurs français (soit un quinzième des signataires) ont souscrit à cet appel. »

Frank Courchamp signale que si des progrès ont été malgré tout accomplis depuis 1992, mais que sur des points essentiels le compte n’y est pas:

«  L’interdiction des chlorofluorocarbures (CFC) et d’autres substances appauvrissant la couche d’ozone a eu des effets très positifs. De même, des points ont été marqués dans la lutte contre la famine et l’extrême pauvreté. Mais qu’il s’agisse des forêts, des océans, du climat, de la biodiversité…, les trajectoires que nous avons prises sont très préoccupantes et nous mènent dans le mur.

La plupart des indicateurs qui étaient dans le rouge il y a un quart de siècle ont viré à l’écarlate.

On continue de détruire les forêts à un rythme effréné. 120 millions d’hectares ont été rayés de la carte depuis 1992, essentiellement au profit de l’agriculture.

Les « zones mortes » (dépourvues d’oxygène), dans les océans, ont explosé de 75 %, tandis que l’eau potable disponible dans le monde par tête d’habitant a diminué de 26 %. Les émissions de dioxyde de carbone (CO2) et les températures moyennes du globe se sont encore accrues.

Une proportion énorme des mammifères, des reptiles, des amphibiens, des oiseaux et des poissons a disparu.

Sans oublier qu’une étude, trop récente pour avoir été mentionnée dans l’appel, vient de montrer qu’en moins de trois décennies, les populations d’insectes volants (bourdons, libellules, papillons et autres diptères) ont chuté de près de 80 % en Europe et sans doute au-delà. »

Il y a d’une part la question de notre système économique basé sur une consommation toujours croissante et puis se pose la question démographique.

Evidemment cette question pose grand débat.

La Chine est revenue sur sa politique de l’enfant unique.

Et il est vrai que certains témoignages de famille chinoise révélaient la brutalité et l’inhumanité de cette règle rigide.

Mais le constat est implacable :

« Le nombre d’êtres humains a augmenté de 35 % en 25 ans, ce qui est incroyablement élevé. Nous sommes de plus en plus nombreux et nous consommons trop. Or, nous vivons sur une planète aux ressources finies qui ne peut pas répondre aux besoins alimentaires, entre autres, d’une population infinie. La Terre ne pourra jamais nourrir plus de 15 milliards de bouches, même à supposer que nous mettions fin à la surconsommation actuelle, que nous répartissions mieux les ressources et que d’hypothétiques progrès agricoles et des sauts technologiques se produisent.

À la charnière du XVIIIe et du XIXe siècle, Malthus, qui a été beaucoup critiqué pour cela, affirmait que si les populations humaines ne se régulent pas d’elles-mêmes, la Nature s’en charge à coups de guerres, d’épidémies et de famines. L’équation est on ne peut plus simple : dans n’importe quelle population de n’importe quelle espèce, quand il y a trop d’individus, ceux-ci se retrouvent confrontés à des problèmes qui les forcent à réduire leurs effectifs.

Ce n’est pas une question de religion ou d’idéologie, mais un problème de ressources disponibles. Il est important que certains pays en développement prennent conscience de l’importance de réduire leur croissance démographique. Ceci devrait passer, comme le préconise notre appel, par une plus grande généralisation du planning familial et des programmes d’accès à l’éducation des filles. »

Ce week-end un certain nombre de manifestations ont eu lieu en France et même dans le monde. En France, elles ont été provoquées par la démission de Nicolas Hulot.

Les signataires du manifeste appelaient justement de leurs vœux « un raz-de-marée d’initiatives organisées à la base ».

Et Frank Courchamp explique que :

« Le mouvement doit venir de Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Une multitude d’initiatives individuelles et de micro-actions quotidiennes peut avoir un effet décisif, tout simplement parce que nous sommes des milliards.

Les politiques, dont l’agenda dépasse rarement l’horizon de la prochaine élection, mais qui sont sensibles aux pressions, suivront le mouvement, tout comme les acteurs économiques. J’ai l’habitude de dire que le citoyen ordinaire a deux cartes très importantes en main : sa carte d’électeur et sa carte bancaire.

Faire des choix de consommation judicieux comme acheter moins d’huile de palme, moins de viande, moins d’emballages…, conduira les industriels à produire moins d’huile de palme, moins de viande, moins d’emballages…, et améliorera l’état de la planète. »

Le scientifique n’a pas de doute sur la conclusion si la société des hommes ne parvient pas à faire évoluer son modèle de consommation, sa capacité à préserver et à réintroduire de la biodiversité enfin à diminuer l’utilisation moyenne des énergies fossiles par habitant.

«  La bonne nouvelle, c’est que la biodiversité repartira. Les modèles prédisent qu’il faudra à peu près un million d’années pour qu’elle retrouve son niveau d’avant cette sixième extinction de masse imputable à l’Homme. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il n’y aura très probablement plus de sociétés humaines pour contempler le spectacle. Les toutes prochaines générations vont donc nécessairement rentrer dans l’Histoire puisque, soit elles parviendront à stopper la destruction de l’environnement, soit elles en subiront les conséquences de plein fouet et ne s’en relèveront pas. »

<1107>

Une réflexion au sujet de « Mercredi 12 septembre 2018 »

  • 12 septembre 2018 à 9 h 32 min
    Permalink

    Merci de nous faire connaître cet article intelligent d’un directeur du CNRS.
    Il m’est toujours apparu incontestable que l’explosion démographique dérégulée constituait le 1er facteur de danger et il me semble également évident que dans les pays occidentaux principalement, les citoyens détiennent un pouvoir essentiel, encore faut-il qu’ils aient la volonté de le mettre en pratique avec les sacrifices que cela impose

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *