Jeudi 6 avril 2017

Jeudi 6 avril 2017
« Innovation Automatisation et emplois,
et si cette fois c’était différent ? »
Christian Chavagneux
Une des grandes questions de l’avenir est celle de savoir s’il y aura du travail inséré dans l’économie pour tout le monde.
Benoit Hamon a abordé cette question. Tous les autres rejettent cette question et la considère comme presque obscène.
La grande masse des économistes, avec cependant des exceptions comme Daniel Cohen par exemple, reste dans la croyance de la pensée de l’économiste Schumpeter (1883-1950) : « La destruction créatrice », c’est à dire que les évolutions technologiques détruisent des métiers et des emplois anciens mais en créent parallèlement plus dans de nouveaux secteurs. Ces nouveaux emplois sont plus productifs et donc potentiellement plus rémunérateurs.
C’est la « leçon de l’Histoire » disent ces croyants.
A vrai dire, on n’en sait rien !
Mais ce que j’entends et je lis, c’est qu’en face de cette croyance, les personnes qui pensent le contraire présentent des arguments plus convaincants pour l’instant.
Un nouvel exemple se trouve dans un article d’Alternatives économiques du journaliste Christian Chavagneux qui présente un livre d’un britannique Ryan Avent : « The Wealth of Humans: Work and its Absence in the Twenty-First Century »
En voici de larges extraits :
 « L’innovation s’accompagne toujours d’un processus de « destruction créatrice » : oui, des emplois sont perdus lors d’une révolution technique, mais d’autres sont créés et, une fois les pertes compensées par les créations, tout rentre dans l’ordre et l’emploi global progresse. Telle est la vision des technoptimistes. […]
Il existerait une sorte de loi naturelle de l’économie qui ferait que le nombre d’emplois créés finit toujours par compenser – et bien au-delà – le nombre d’emplois détruits.
Sauf que les mécanismes stabilisateurs habituels qui ont accompagné ce mouvement lors des précédentes révolutions industrielles pourraient ne plus être présents demain, explique le Britannique Ryan Avent dans un livre récent.
Hier, une révolution technique s’accompagnait de la création de nombreux postes de travail non qualifiés : fabriquer des voitures dans des usines mécanisées contribuait à créer ce type de postes. Aujourd’hui, Uber dit au grand public qu’il crée des emplois pour des non qualifiés… mais explique aux investisseurs qu’ils doivent lui prêter leur argent, car elle sera la première entreprise de taxi sans chauffeurs. Rien ne nous dit que les services vont créer une masse importante d’emplois non qualifiés.
Hier, l’innovation technique était riche en gains de productivité. Si l’on en croît certains économistes, de Robert Gordon à Patrick Artus en passant par Paul Krugman ou Daniel Cohen, nous sommes peut-être entrés dans une période de stagnation séculaire, une longue période d’innovations à faibles gains de productivité. Passer de la diligence au TGV accroît la productivité. Passer de la réservation d’un billet de TGV dans une agence de voyage à celle sur Internet aussi mais beaucoup moins, sans parler d’envoyer des vidéos sur Snapchat ou de jouer au dernier jeu à la mode…
Hier, les gains de productivité liés à l’innovation étaient redistribués. Henry Ford a doublé les salaires et réduit le temps de travail. Aujourd’hui, les richesses se concentrent entre les mains de quelques-uns, bénéficiant de dividendes ou de rentes de la propriété intellectuelle. Google fait d’importants progrès dans la voiture sans chauffeur et dans la prévention médicale. L’entreprise ne se transformera pas pour autant en producteur de voitures ou en labo pharmaceutique. Elle vendra ses innovations techniques pour capter la valeur ajoutée produite par d’autres secteurs dont les bénéfices seront donc concentrés entre les mains de quelques-uns.
Enfin, hier, on a pu redonner des emplois à ceux qui les perdaient en les formant, en accroissant le niveau d’éducation. C’est d’ailleurs l’argument traditionnel des technoptimistes : face à une révolution technique, il n’y a qu’à former les gens aux nouvelles façons de faire. Or, aujourd’hui avec 80 % d’une génération au bac, la progression du niveau scolaire sera plus limitée. De plus, comme l’indiquait The Economist récemment, la part des très qualifiés dans l’emploi est en train de baisser aux Etats-Unis. Mieux vaut un diplôme pour avoir un emploi, mais une formation n’est plus la garantie d’en avoir un avec certitude.
Au final, il est clair que le travail non qualifié – et peut-être aussi en partie qualifié – appartient aux perdants de l’automatisation. Si la destruction a bien lieu mais pas la création, il y aura alors abondance d’offre de travail pour une faible demande. Les prix et les salaires diminueront, incitant à une sortie du marché du travail et à une montée des inégalités.
Les gagnants sont les actionnaires, les rentiers de la propriété intellectuelle, mais aussi les rentiers du foncier et de l’immobilier.
Savez-vous que la Silicon Valley connaît une diminution de sa population ? La masse des habitants ne peut suivre le niveau de vie des quelques start-upers.
Dès lors, est-ce si idiot de chercher les moyens de redistribuer les gains de l’automatisation dont on peut penser qu’elle fera plus de perdants qu’avant pour un petit nombre très concentré de gagnants ? »