Vendredi 31 mars 2017

Vendredi 31 mars 2017
« Les citoyens doivent exprimer leurs souhaits pour savoir ce qu’ils ont envie de manger »
Bruno Parmentier
Sortons un peu du monde du concept politique pour aller vers la vraie vie. Pour vivre nous devons nous alimenter, nous nourrir.
J’avais déjà fait appel à Bruno Parmentier pour le mot du jour du  7 avril 2015 «Nourrir l’Humanité», livre dans lequel il expliquait qu’il faut faire de l’agriculture autrement pour nourrir le monde.
France Culture l’a invité pour parler de la crise de l’élevage et de l’agriculture française : https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-idees-de-la-matinale/bruno-parmentier-passer-dune-agriculture-de-quantite-un
Ses explications claires et sa vision à long terme sont toujours rafraichissantes.
« L’agriculture est à un véritable tournant. […]
Il faut savoir qu’au XXème siècle, depuis l’arrivée de la richesse, nous n’avons cessé d’augmenter notre consommation de viande, en suivant les millésimes. Dans les années 20, on ne mangeait que 20 kilos de viande par tête de pipe [et par an], puis dans les années 50, 50 kilos de viande, dans les années 80 80 kilos de viande et au moment du tournant du siècle 100 kilos de viande. Seuls les naïfs pouvaient considérer que cela allait continuer. Raisonnons par l’absurde : on ne va manger 200 kilos de viande en 2100 et 300 kilos en 2200 ?
Donc on voit bien que prolonger les courbes indéfiniment cela n’a pas de réalité.
Et la viande est devenue moins à la mode et on a rebaissé de 200 kilos à 85 kilos. Et la baisse n’est pas finie […].
L’appétence pour ces produits n’est plus ce qu’elle était au XXème siècle. Parce qu’on rêve de manger ce que nos grands parents ne pouvaient pas manger ou les ouvriers rêvaient de manger comme le patron, mais aujourd’hui le patron est végétarien. On voit bien que c’est passé de mode.
Il y a de nombreuses manières d’aborder le problème : l’obésité, les maladies, le bien-être animal etc..»
Il parle aussi du lait qui est aussi en surproduction, parce que les gens consomment moins de lait et donne comme perspective le vin :
« Dans les années 50 on consommait 140 litres de vin par personne et par an, maintenant 40, on a divisé par plus de 3. Est-ce qu’il y a encore des viticulteurs ? Oui il y en a même à Carcassonne. Mais c’est fini la piquette. C’est fini la vente du vin au litre à moins d’un euro. Maintenant on vend du vin de 75cl à 4, 5, 10, 12 euros. On est passé de l’industrie de la quantité à une industrie de la qualité avec des signes de reconnaissance. Le consommateur a dit j’en prends moins mais je le paie. C’est un  changement global du système de production.
C’est une erreur de penser que l’on mange toujours pareil : on mange 3 fois moins de pain et 5 fois moins de pommes de terre. […]
Penser que dans 30 ans on mangera exactement pareil, c’est évidemment faux. Si on n’anticipe pas ces changements de consommation et on n’accompagne pas …[on va vers de grandes désillusions].
Quand l’Europe a constaté qu’on mangeait moins de viande en Europe, elle a financé de grandes campagnes de publicité pour encourager à manger du porc. Cela ne fonctionne pas. On mange moins de viande, c’est tout !
[Si on n’accompagne pas] cette transformation, les éleveurs [ne peuvent être que] désespérés.»
Je ne peux pas reproduire l’ensemble de ses propos tous très intéressants mais je voudrais insister sur cette vision comparative de la relation à la nourriture et à l’agriculture des habitants des divers pays européens ainsi que de la mise en garde qu’apporte sa conclusion..
« On est 28 en Europe c’est très compliqué. Et il faut savoir que le rapport à la nourriture est très différent selon les pays.
Dans l’entreprise que je dirigeais, il y avait un règlement intérieur qui disait : pas moins de 45 minutes pour déjeuner. Dans une entreprise en Angleterre, c’est pas plus de 10 minutes pour déjeuner. Et moyennant quoi, le rapport à la nourriture est très différente. Dans un cas on mange un sandwich au pain de mie avec du jambon carré et du fromage carré et on s’en fout du goût puisqu’on mange ça devant l’ordinateur et de l’autre côté on a envie de bien manger.
Du côté où on a envie de bien manger et où on veut une agriculture de qualité c’est les pays latins : La Grèce, l’Espagne, l’Italie, la France, le Portugal. Mais on est très minoritaire. On l’a vu pendant la crise du porc, la majorité des européens, ils veulent des tranches de jambon carré pas cher. Pour faire des tranches de jambon carré pas cher, on fait de l’industrie [sans se soucier de la qualité].
En Angleterre on utilise 9% de son salaire pour manger. En France c’est 14%, aux Etats-Unis c’est 7%. Mais en France c’était encore 40%, il y a 30 ou 40 ans.
Les citoyens doivent aussi dire qu’est ce qu’ils veulent.
Est-ce que la gastronomie anglaise et américaine nous fait tellement envie qu’on a encore envie de diviser par 2 notre coût pour l’alimentation ? et avoir des coûts de santé absolument fou parce qu’on mange n’importe quoi ?
Ou est-ce qu’on se dit : bien manger en France aujourd’hui, c’est consacrer un peu plus de temps et un peu plus d’argent à cette activité essentielle.
Cet argent nous permettra d’être en meilleur santé et d’avoir plus de plaisir et de convivialité.
Mais quand on négocie en Europe c’est très difficile d’avoir une unanimité, puisque la majorité des pays veulent du jambon carré.
Et le jambon carré, c’est de l’élevage de 2000 à 3000 porcs, complètement industriel, avec en Allemagne des bulgares payés au prix de la Bulgarie, des roumains payés au prix de la Roumanie et puis quand on est dans l’industrie c’est toujours les allemands qui gagnent pas les français.
On pensait que l’Europe c’était les Français qui faisaient à manger pour les allemands et que les allemands nous vendaient des voitures. Mais maintenant les allemands nous vendent aussi des tranches de jambon carré.
Bref : les citoyens doivent exprimer leurs souhaits pour savoir ce qu’ils ont envie de manger »
Dans ce domaine comme dans d’autres, la question fondamentale est : dans quel monde voulons nous vivre ?