Lundi 13 mars 2017

Lundi 13 mars 2017
« Michel, Michel, je ne suis pas aussi intelligent que tu ne le crois ! »
Hergé à Michel Serres qui lui expliquait la profondeur philosophique des albums de Tintin (dans linterview d’Emmanuelle Dancourt (23:55))

Hergé, est le pseudonyme de Georges Remi (1907-1983). Il est surtout célèbre parce qu’il a été le créateur de Tintin, une des séries de bandes dessinées européennes qui a eu le plus de succès dans l’histoire de la BD.

C’est le 10 janvier 1929 que paraissait pour la première fois les aventures de Tintin, « Tintin au pays des soviets », dans un journal illustré catholique pour les enfants qui s’appelait le petit vingtième.

L’ensemble de la série compte 23 albums plus un inachevé « Tintin et l’Alph-Art », auquel Hergé a travaillé jusqu’à sa mort en 1983. Le dernier complet « Tintin et les picaros » est paru en 1976.

Dans une archive de l’INA on trouve cet extrait d’Apostrophe où Bernard Pivot interroge Hergé qui, modeste, comme le décrit Michel Serres, explique le parcours de Tintin qui au début est colonialiste et raciste et qui va évoluer, comme le monde européen, au cours de toutes ces années et devenir un personnage de plus en plus humaniste et ouvert au monde.

Michel Serres a rencontré Hergé, le créateur de Tintin tard dans sa vie, il l’appelle dans l’interview d’Emmanuelle Dancourt un « ami de vieillesse », par opposition à la notion plus répandue et plus connue d’ « ami de jeunesse ».

« Les meilleurs amis dit-on, reste de la jeunesse ; mais avez-vous eu des amis de vieillesse ? Quand le mot n’existe pas, doit-on douter de la chose ? » Page 31 du livre <Hergé mon ami>

Hergé était l’ainé de Michel Serres de 23 ans. Michel Serres introduit son ouvrage par ce texte :

« Un grand homme doux, est-ce possible ? Les grands hommes, faux ou vrais, le deviennent le plus souvent par la chamaille, la bataille, l’arrogance, le meurtre fourré, ce sont de grands fauves. Georges Rémi est un grand homme vrai, un grand homme rare, un grand homme doux. Ami délicat, fidèle, attentif, inusable comme les bandes qu’il a dessinées, ami gai, profond, modeste, retiré, le voici depuis si longtemps immortel d’avoir donné son œuvre aux enfants. Les enfants nés depuis avant les années 30 sont les enfants de son sourire et de son charme, vous comme moi et vos neveux comme les miens. Combien de grands hommes avons-nous depuis oubliés ? Tous peut-être, nous n’avons jamais oublié Hergé. […]

Paisible, profond, quotidien, inusable ami. Ai-je connu dans toute ma vie plus grand homme que lui, et plus respectable ? Ami admirable qui m’a aidé à vivre et à penser qui ne m’a jamais cru quand, les larmes aux yeux, j’essayais de lui dire qui vraiment il était. Il riait.

Il riait comme un enfant. Doucement. Il était un homme de bienfait. […]

J’ai plus appris en théorie de la communication dans les bijoux de la Castafiore que dans cent livres théoriques mortels d’ennui et stériles de résultats. J’ai plus appris, je le dirai longuement, sur le fétichisme dans l’Oreille cassée que chez Freud, Marx ou Auguste Comte […].

J’ai plus appris sur quasi objet dans l’affaire Tournesol que partout ailleurs. Je ne me suis pas seulement diverti, j’ai appris. Hergé donne à rire, à penser, à inventer : verbe unique en trois personnes.

Il disait : « je commence mon histoire et je la laisse aller. Elle se développe comme du lierre. » Qui a jamais écrit, cherché, inventé, dans nos métiers de langues, entend là une parole vraie. L’œuvre monte doucement, comme du lierre.

Toute seule. Oui, l’œuvre de génie. »

Dans l’interview d’Emmanuelle Dancourt, le livre « Hergé mon ami » est évoqué à partir de 20:13 et elle dit une chose que je partage : Quand on lit ce livre on ne lit plus Tintin de la même manière. Emmanuelle Dancourt parle de « La portée philosophique des albums de Tintin. »

Et c’est alors que Michel Serres évoque cet échange avec son ami où après lui avoir encore une fois expliqué ce qu’il y avait de génial dans un de ses albums Hergé a répondu :

« Michel, Michel, je ne suis pas aussi intelligent que tu ne le crois ! »

Dans l’interview Emmanuelle Dancourt et Michel Serres évoque « Tintin au Tibet », album dans lequel Tintin va sauver son ami Tchang qui a survécu à un accident d’avion dans le Tibet et qui a été sauvé et secouru par un immense singe appelé « le yéti »

Pour Michel Serres : L’abominable homme des neiges, de Tintin au Tibet est aussi un bon samaritain. Un être, a priori fruste et violent et qui se révèle un personnage plein de bonté qui va aider, secourir et nourrir l’ami de Tintin, Tchang. En réalité le Yéti a toutes les vertus.

La dernière image est déchirante. Le yéti n’a plus d’ami et il est infiniment triste. Par un dessin Hergé arrive à rendre l’immense humanité de ce moment


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