Mercredi 7 mars 2018

« Morand et Perrache »
Deux urbanistes lyonnais du XVIIIème siècle qui ont joué un immense rôle dans l’évolution de la ville de Lyon

Je choisis cette semaine de consacrer 5 mots à la ville que j’habite, Lyon. Limiter ce défi à 5 articles nécessite des choix arbitraires.

Les deux premiers articles se situaient à l’époque romaine, celui d’aujourd’hui nous amène au XVIIIème siècle, juste avant la révolution française.

L’empire romain s’est effondré au IVème siècle. Les aqueducs romains qui alimentaient la colline Fourvière se sont abimés, les habitants sont descendus de la colline pour s’installer au bord de Saône.

Ils vont créer un quartier qu’on appelle aujourd’hui « Le vieux Lyon » qui est le quartier renaissance le plus étendu d’Europe après Venise.

Avant cela, il y a eu l’Europe carolingienne, avec la tentative de Charlemagne de recréer un empire. Ses successeurs vont par le « Traité de Verdun de 843 » partager cet empire en 3 parties.

L’aîné, Lothaire, va obtenir les territoires du centre qui vont s’appeler la Lotharingie, racine de la Lorraine qui est ma région natale. Sur la carte que je joins, il est écrit « Lothringen » nom allemand de la Lorraine. Vous voyez que Lyon se trouve en Lotharingie, au même titre que Metz et Milan et la capitale de Charlemagne « Aix la Chapelle ».

Aix la Chapelle, lors d’une discussion j’ai compris que pour certains, c’était forcément une ville française à cause du nom. C’est absolument faux, Aix la Chapelle c’est « Aachen », une ville allemande. La capitale de Charlemagne est une ville allemande !

Dans le traité de Verdun, la France ou plutôt l’embryon de la France est confié à Charles le Chauve.

Pendant longtemps Lyon sera ville du Saint empire romain germanique.

C’est en 1312, sous Philippe le Bel que Lyon devint française.

Avant de parler des deux urbanistes qui ont métamorphosé la ville de Lyon, il est encore nécessaire de donner quelques précisions.

Lyon a été construit sur un confluent. Il semble d’ailleurs que peu de grandes métropoles disposent ainsi, en leur sein, d’un confluent de deux grands fleuves. Il n’y aurait aucun autre cas en Europe et un seul autre cas aux Etats-Unis pour la ville de Pittsburgh. Je remercie par avance le lecteur qui infirmera cette affirmation pour faire progresser ma connaissance.

Toutefois, même si Lyon se trouve sur le site d’un confluent, il faut comprendre que dans l’Histoire, les deux fleuves n’ont pas le même statut. Le fleuve de Lyon est « la Saône ». Pendant longtemps le Rhône constituait la frontière de Lyon et du Lyonnais. Après que Lyon soit devenu française, la rive gauche du Rhône, l’est du lyonnais était territoire du Dauphiné, c’est-à-dire la terre donnée en apanage à l’héritier du trône de France : le dauphin.

Un seul pont sur le Rhône à la hauteur de Lyon permettait d’entrer dans le lyonnais, le pont de la Guillotière mais qui pendant longtemps était simplement : « Le pont ». Aujourd’hui encore si vous lisez sur un plan de Lyon, la place Gabriel Péri juste avant le Pont de la Guillotière, les « vrais » lyonnais continuent à désigner cet endroit comme « La Place du Pont ».

Dans la suite de cet article, il sera question plusieurs fois du « Consulat ». Il faut savoir que le Consulat de Lyon est une institution qui détient le pouvoir municipal à Lyon entre 1320 et 1790. Issu de la volonté de la bourgeoisie lyonnaise au XIIIe siècle d’imiter de nombreuses villes d’Europe qui obtiennent de larges privilèges de gestion, le consulat ne naitra effectivement qu’après de longues décennies de lutte contre le seigneur ecclésiastique de la ville, l’archevêque, en 1320.

La source de ce qui va suivre se trouve pour l’essentiel dans le catalogue de l’exposition « Lyon sur le divan » déjà évoqué ce lundi.

Je vais donc évoquer deux personnages emblématiques qui ont contribué à la métamorphose de la cité : Jean–Antoine Morand et Antoine-Michel Perrache.

Mais avant ces deux visionnaires, il faut évoquer Soufflot qui avant Paris avait œuvré sur Lyon.

Catalogue pages 33-36 :

« C’est Jacques Germain Soufflot (1713–1780) qui tient le rôle essentiel dans une certaine normalisation de la production architecturale lyonnaise. Originaire de Bourgogne, il effectue deux séjours à Lyon à partir de 1738 qui orientent sa carrière et son succès auprès des instances de la monarchie. Les aménagements du palais de l’archevêché, le couvent des Chartreux, l’agrandissement de l’Hôtel-Dieu (1741–1749) avec la monumentale façade sur le Rhône et l’élévation du dôme, le rehaussement et agrandissement de la Loge du change (1750), le théâtre (1754–1756), constituent un répertoire diversifié d’édifices publics, dont on ne retrouvera d’équivalent à Lyon qu’au XXe siècle, avec l’œuvre de Tony Garnier. […]

La dimension urbaine des réalisations lyonnaises de Soufflot attire l’attention à commencer par l’Hôtel-Dieu dont la façade démesurée (400 m, 51 travées à arcades), inachevée du vivant de l’architecte, accompagne la démolition de la fortification du Rhône (1738–1778). […]

Si Soufflot, après 1755, poursuit sa carrière à Paris et restera plutôt célèbre pour la mise en chantier de la basilique de la montagne Sainte-Geneviève, futur Panthéon, son impact sur l’urbanisme lyonnais est donc considérable.

Catalogue page 37

« Parmi les proches de Soufflot, on trouve Jean–Antoine Morand (1727–1794) grand nom de l’urbanisme lyonnais. Cet artiste et décorateur, plus qu’architecte, est le premier développeur des terrains des Brotteaux, demeurés inondables et coupés de la ville historique par le Rhône, fleuve alors très large et dangereux que l’on ne franchit que par un seul pont, celui de la Guillotière.

Le projet ambitieux que Morand présente au consulat en 1764 ne se limite pas à la rive gauche du Rhône, bien que la demande initiale émane des recteurs de l’Hôtel-Dieu qui désirent lotir leurs terrain. Publié en 1766 il prétend « donner à la ville une forme circulaire, la seule capable de faire une ville d’une vaste étendue, en même temps qu’elle rapproche tous les citoyens les uns des autres et qu’elle rend leurs besoins moins onéreux ».

J’ai reproduit ce plan circulaire dans cet article. En haut à droite, sur la rive gauche du Rhône vous voyez, un quartier d’immeubles figurés en rose, avec des rues à angle droit : cela correspond à l’aménagement du terrain des Brotteaux. La place, près du Rhône est l’actuel Place Lyautey et le pont qui est le second pont sur le Rhône (le premier étant celui plus bas : le Pont de la Guillotière) s’appelle aujourd’hui le pont Morand.

Voici donc l’idéal de la cité imaginé par Morand : Une ville circulaire avec des rues qui se coupent à angle droit. Les rues qui se coupent à angle droit constituent encore largement la réalité de Lyon.

Le centre du cercle est tracé à partir de l’église Saint–Nizier, au cœur du quartier le plus dense de Lyon, précise le catalogue cité.

« Le projet de plan général de la ville de Lyon et de son agrandissement en forme circulaire, exceptionnel dans l’histoire de l’urbanisme français. Il peut être considéré comme le premier plan général de Lyon, puisqu’il ancre l’histoire de la planification lyonnaise mieux que celle de toute autre ville du royaume dans le siècle et les idéaux des lumières. Même si le plan Morand est combattu par les échevins et par l’Hôtel-Dieu propriétaire d’une grande partie des terrains de la rive gauche et jaloux de ses prérogatives sur les droits de péage, la société par actions créée en 1770 réussit, grâce à l’appui du roi, à construire un second pont sur le Rhône (inauguré en 1775) pont en bois à péage, face à la rue Puits-Gaillot qui va prendre le nom de son créateur [Morand]. »

Catalogue page 41

« Mais l’affaire s’enlise car elle bute autant sur les réticences de l’Hôtel-Dieu à vendre ses terrains que sur celles de l’élite lyonnaise à franchir la barrière du Rhône. Morand qui a acheté un lot en 1765 s’y installe avec son épouse, mais ils y restent seuls. Leur maison est bientôt vendue à l’une des nouvelles loges maçonniques de Lyon.

Le projet va pourtant se réaliser, mais plus tard. Morand ne sera plus là pour le voir. Car :

Morand, guillotiné en 1794, ne verra pas le développement de son quartier, qui interviendra plus tard, à partir de la seconde décennie du siècle suivant.

L’exergue du jour mais face-à-face Morand et Perrache. Les lyonnais et ceux qui passent par Lyon associent ce nom avec « la gare Perrache » gare historique de Lyon. Perrache est le contemporain de Morand, il est né un an avant, en 1726. Il ne sera pas guillotiné, puisqu’il meurt bien avant la révolution, en 1779. Je redonne la parole au catalogue de l’exposition Lyon sur le divan (page 42)

« Alors que le plan Morand est paralysé, le sculpteur et dessinateur Perrache se fait lui aussi entrepreneur, en présentant en 1766 aux notables municipaux un autre projet d’extension urbaine, le plan pour la partie méridionale de Lyon, dont l’objet principal est de reporter le confluent jusqu’à la Mulatière en y rattachant l’île Mogniat, qu’avait acheté le consulat en 1735. »

Rappelons où nous en sommes. A la création de Lugdunum, le confluent se trouvait en bas de la colline de la croix rousse. Au sud de la colline, au milieu du Rhône augmenté de la Saône, se trouvait l’île de Canabae. Cette île par l’action humaine et les fluctuations du Rhône va être rattachée à la terre et à la colline de la Croix Rousse pour devenir la célèbre presqu’ile de Lyon.

Au moment du plan de Perrache, le confluent du Rhône et de la Saône se situe au niveau de la magnifique basilique d’Ainay.

Sur le plan de Perrache, vous voyez en vert l’île Mogniat qui va donc être englobée par les aménagements de Perrache, ce qui aura pour conséquence de porter le confluent jusqu’à sa situation actuelle, c’est-à-dire au nord-est de la commune de Mulatière. Aujourd’hui le Pont de la Mulatière relie la Presquile à la commune du même nom.

« Les travaux envisagés par Perrache demeurent colossaux, car c’est une véritable reconfiguration du site fluvial avec endiguement des fleuves qui est proposé. «

Perrache imagine même une voie appelée la chaussée du Languedoc ou chaussée Perrache qui emprunte l’axe qui sera, deux siècles plus tard, celui de l’autoroute A7

Catalogue page 44-45

« Perrache essuie d’abord un refus face à l’immensité de la tâche prévue. Mais il présente un second plan en 1769, finalement accepté, après passage par Paris pour y trouver des appuis. Le 13 octobre 1770, un arrêt du conseil d’État autorise Perrache à entreprendre les travaux. […] Il souhaite construire dans la partie nord un « quartier neuf » pour les ouvriers obligés de vivre dans des logements insalubres en ville, et leur promet de respirer « l’air le plus pur ». Sur les rives du Rhône et de la Saône dans la « presqu’île Perrache » au sud, il prévoit des ateliers de manufacture, des terrains pour les chantiers, un grand bâtiment contenant des moulins et des greniers ; enfin, une promenade et un jardin public fermé « comme celui des Tuileries » […]

Comme son concurrent Morand, Perrache semble avoir vu trop grand, et le développement du projet ne se fera, là aussi, qu’après l’épisode révolutionnaire. Faute de financement municipal, il crée en 1771 une compagnie par action d’une vingtaine d’associés (dont Soufflot), la compagnie des associés aux travaux du Midi de Lyon. […]

Perrache a cinq années pour mener à bien son ambitieux projet. Mais il meurt en 1779, des années avant sa réalisation. Sa sœur hérite du projet, mais les difficultés s’accumulent, notamment à cause des crues; celle de la Saône provoque l’écroulement du pont de la Mulatière en 1783, quelques mois après sa construction. Le chantier est un tel gouffre financier que le roi vient à la rescousse en échange des terrains, qui seront repris par les associés à la faveur des troubles révolutionnaires. La révolution marque un temps d’arrêt. […]

Le quartier ne se développera que dans les années qui suivent l’empire, malgré la permanence de la compagnie du Midi dédiée aux travaux après la mort de Perrache, et malgré aussi l’intérêt personnel de Napoléon pour le site et le zèle de son préfet a y créer un palais impérial. […]

C’est au XIXe siècle que le quartier participe pleinement à l’aventure industrielle de Lyon à partir des nouveaux programmes d’aménagement des maires de Lyon, le baron Rambaud (1818-1826) puis Jean de Lacroix–Laval (1826–1830) qui fait dresser le plan définitif, approuvé par une ordonnance royale en 1828.

Pour conclure ce mot du jour consacré à ces deux visionnaires qui ont beaucoup marqué la ville de Lyon je voudrais partager la conclusion du catalogue de l’exposition : « les métamorphoses d’une ville » que je préfère aux spéculations psychanalytiques : « Lyon sur le divan » :

« Les points communs des deux propositions, Perrache et Morand, attirent l’attention. Emblématique d’une volonté d’anticiper et de rationaliser l’extension de la ville, elles prétendent faire sauter deux verrous du site lyonnais. D’initiative privée, elles sont concurrentes pour capter les bénéfices de l’essor urbain. […]

Mais elles marquent aussi une profonde rupture dans les habitudes d’un urbanisme dominé par des améliorations ponctuelles, négociées au jour le jour et à contenu plus architectural qu’urbanistique. La mémoire lyonnaise, finalement bienveillante à l’égard de ces deux urbanistes avant la lettre, n’en garde pas le souvenir d’échecs, ni même de projets utopiques, dispendieux ou démesurés, mais plutôt l’idée qu’une anticipation raisonnée n’est jamais perdue, et que le développement spectaculaire du XIXème siècle n’en aura été que mieux préparé. . […]

Enfin, les deux opérations révèlent l’intrication des acteurs à l’origine des changements urbains : la municipalité, le créateur du projet, une compagnie financière, et, quand la situation est bloquée localement, des appuis parisiens jusqu’au roi. Les projets lyonnais sont ainsi placés dès cette époque au cœur d’enjeux nationaux. »

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