Lundi 26 février 2018

« Un homme est venu et a pris les empreintes digitales de tous les villageois. Il nous a dit que les entreprises d’extraction de sable avaient le droit d’opérer dans cette zone et que cela ne servait à rien de protester. »
Un employé d’industrie d’extraction du sable opérant à Koh Sralao au Cambodge

Ce n’est pas la première fois que j’évoque le problème d’une ressource qui devient rare et qui est surexploitée dans le monde : Le sable

J’avais mis en exergue, une phrase de Coluche : «Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans cinq ans il faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs.» Cette phrase était d’ailleurs en contradiction avec l’article, car le sable du Sahara n’est pas utilisable pour les besoins de la construction et autres activités économiques dans lesquels les humains utilisent du sable. Dans ce mot du jour vous trouverez beaucoup de liens vers des émissions ou des articles montrant le problème écologique considérable qui est provoqué par cette surexploitation.

Aujourd’hui, je fais référence à un problème local qui se trouve au Cambodge dans un lieu appelé Koh Sralao selon l’article cité plus loin mais que j’ai trouvé avec l’orthographe suivante sur google maps :  « Koh Sralau ». C’est un village de pécheurs de crustacés et de cabanes sur pilotis, près d’une mangrove féerique où l’eau se mêle à la terre, mais ce paradis est un malheur, parce que le sol des rivières est tapissé de sable et que le sable de rivière, est l’ingrédient indispensable du capitalisme.

J’ai été informé sur ce sujet par la revue de presse de France inter <du 16 février 2018>

Revue de presse qui renvoyait vers un article très détaillé de la journaliste Julie Zaugg publié par le « magazine des Echos » le 15 février 2018. Article que vous trouverez derrière ce lien : <La guerre du sable>

J’en tire les extraits suivants :

D’abord une analyse assez générale sur l’exploitation du sable, notamment en Asie :

«La consommation de cette ressource est telle que s’est développé un vaste trafic. Des pays pauvres sacrifient plages et rivières pour alimenter la croissance de puissances émergentes. […]

Un jet d’eau brunâtre s’élance vers le ciel. Il sort d’un tuyau formé de morceaux de tube rouillés grossièrement assemblés. Deux barils vides, accrochés de part et d’autre, lui permettent de flotter. Cette structure de fortune, reliée à une plate-forme en bois sur laquelle s’activent trois ouvriers torse nu et en tongs, est alimentée par deux moteurs de tondeuse à gazon pétaradants. Elle aspire le sable au fond de l’estuaire, puis le rejette sur la berge. Une fumée noire et nauséabonde s’en échappe. Elle se trouve à quelques mètres au large de Koh Kong, cité cambodgienne nichée près d’une immense réserve naturelle abritant l’une des mangroves les mieux préservées d’Asie. Cette ville aux rues jonchées de déchets est devenue un des points chauds d’un vaste commerce de sable, dont les ramifications s’étendent aux quatre coins de l’Asie.

Produit par des siècles d’érosion, ce matériau est la ressource naturelle la plus utilisée au monde. « Chaque année, il s’en consomme entre 40 et 50 milliards de tonnes », note Pascal Peduzzi, un géographe qui a réalisé une étude dans le cadre du Programme des Nations unies pour l’environnement. Cette industrie, qui pèse environ 200 milliards de dollars par an, est en pleine effervescence, tirée par le boom de la construction en Asie. En Chine surtout : « Ce pays consomme 58% du sable extrait au niveau mondial, dit le chercheur. Entre 2011 et 2013, il a utilisé autant de ciment que les Etats-Unis durant tout le siècle dernier. » Le développement accéléré de cités tentaculaires comme Shanghai, Shenzhen ou Chongqing, les mégaprojets comme le barrage des Trois-Gorges et les centaines de milliers de kilomètres de route construits par l’empire du Milieu ces vingt dernières années… tous se sont nourris de gigantesques quantités de sable, composante principale du ciment, du béton, de l’asphalte et du verre. L’Inde voisine n’est pas en reste.

[…]

Si l’industrie de la construction absorbe 70% du sable extrait dans le monde, il a d’autres usages. Des micro-Etats, comme Singapour, Dubaï ou Hong Kong, s’en servent pour gagner des terres sur la mer ; les îles menacées par la montée des eaux, comme les Kiribati ou les Maldives, l’utilisent pour bâtir des digues ; Pékin le met au service de ses ambitions territoriales en rehaussant des îlots contestés en mer de Chine méridionale. « Il existe aussi une série d’applications industrielles, comme la fracturation de la roche pour en extraire du pétrole, la fabrication de puces informatiques, de panneaux solaires, de papier de verre, de détergents, de cosmétiques et de dentifrice », précise Pascal Peduzzi. Ces utilisations nécessitent une variété à base de silice, presque blanche et d’une grande finesse. En général, ce matériau n’est pas exporté sur de grandes distances, car ce ne serait pas rentable, vu son prix (entre 5 et 10 dollars la tonne). La majeure partie du sable utilisé en Chine et en Inde est ainsi extrait sur place. Mais quelques pays asiatiques – Cambodge, Myanmar, Bangladesh, Sri Lanka, Philippines – en ont fait une industrie d’exportation. Un choix lourd de conséquences pour leurs habitants et leurs écosystèmes.

Puis il y a la situation particulière du village de Koh Sralao :

L’eau salée a pénétré dans la mangrove – les arbres morts, aux racines blanchies par le sel, en témoignent. Le village de Koh Sralao apparaît au détour d’un méandre de la rivière. Des maisons sur pilotis, aux toits de tôle, reliées par des pontons en bois. Au sol, paniers à crabes, filets de pêche et crustacés qui sèchent au soleil. La ressource, ici, c’est le crabe. Mot Sopha, une jeune femme de 33 ans […] se remémore l’arrivée des mineurs : « Les barges sont apparues un jour et personne ne nous a expliqué ce qu’elles faisaient ici. Un peu plus tard, un homme est venu et a pris les empreintes digitales de tous les villageois. Il nous a dit que les entreprises d’extraction de sable avaient le droit d’opérer dans cette zone et que cela ne servait à rien de protester. »

On leur promet un hôpital, une route et une école… ils ne se matérialiseront jamais. Au début, les habitants de Koh Sralao se contentent d’observer l’étrange ballet de grues et de barges qui se déroule juste devant leur village. Très vite, ils comprennent que quelque chose ne tourne pas rond. « Avant leur arrivée, je ramenais trois filets remplis de crabes chaque jour, ce qui me rapportait 25 dollars environ, détaille le mari de Mot Sopha, […]. Aujourd’hui, je dois déployer dix filets et cela ne me permet pas de gagner plus de 20 dollars. »

La population de crustacés et de poissons dans cet estuaire s’est effondrée. De l’ordre de 70 à 90%, selon un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature. En raclant le fond de l’eau, les grues soulèvent un plumet de boue et de sédiments qui étouffe la vie marine. « Cela décape aussi le fond, riche en nutriments », pointe Alejandro Davidson-Gonzales, le fondateur de Mother Nature. À Koh Sralao, l’impact a été dévastateur. « Nous gagnons moins d’argent et avons dû acheter plusieurs nouveaux filets, détaille Mot Sopha. Cela nous a obligés à emprunter 500 dollars. » Les prêts sont fournis par des villageois fortunés à des taux exorbitants, qui peuvent atteindre 30%. « La saison suivante, nous avons de nouveau dû emprunter 500 dollars, juste pour pouvoir payer les traites », dit-elle. À plusieurs reprises, la situation s’est tendue. Les habitants de Koh Sralao ont tenté, en vain, de chasser les mineurs, notamment après le décès de l’un des leurs lorsque son embarcation est entrée en collision avec une barge.

L’article évoque la corruption, la complicité des autorités politiques avec les industriels qui profitent de cette activité lucrative et destructrice de l’économie locale et bien sûr de la nature. Les berges des rivières s’effondrent :

« «Seak Ky, une femme de 36 ans aux bras ornés de bracelets dorés, vend du jus de canne à sucre le long de la route, à S’ang, un hameau au sud de la capitale. En février, elle a découvert une fissure dans le sol de sa cuisine. Quelques jours plus tard, en pleine nuit, la moitié de sa maison est tombée dans le Bassac, un bras du Mékong. « Tout s’est passé en moins de 30 minutes, raconte cette mère de trois enfants. Je n’ai eu le temps que de me saisir de quelques casseroles. J’ai perdu tout le reste. » Ce n’était pas la première fois. « J’ai dû déplacer ma maison quatre fois vers l’intérieur des terres, car plus de 20 mètres de berges se sont effondrées », livre-t-elle.

Sa demeure est désormais collée à la route. Une dizaine de maisons du village ont subi le même sort. En cause : une plate-forme munie d’un tuyau qui aspire le sable au milieu du fleuve, à une petite dizaine de mètres des habitations. Il y en a plusieurs autres le long de la rive. « Elles sont arrivées à l’été 2016, indique Ly Raksmey, un militant de Mother Nature. Le sable alimente un chantier de logements pour les fonctionnaires, à quelques kilomètres d’ici. » Lorsqu’on extrait du sable au milieu d’une rivière, cela en accélère le flux, favorisant l’érosion des berges et les inondations en aval. […]

À S’ang, la colère gronde. « Je n’ai reçu aucune compensation financière, s’emporte Seak Ky. On m’a dit que l’effondrement était dû à une catastrophe naturelle.»

C’est une catastrophe qui s’étend à beaucoup d’autres pays asiatiques :

« Le Cambodge n’est pas le seul pays ravagé par les effets de l’extraction de sable. En Inde, plusieurs ponts menacent de s’effondrer car leurs fondations ont été mises à nu. Des lacs et des rivières au Kerala ont vu leur niveau chuter dramatiquement, asséchant les puits aux alentours. La même chose s’est produite aux Philippines, au Sri Lanka et en Indonésie. Mais le pays le plus affecté, c’est le Myanmar. « L’extraction s’opère dans la rivière Irrawaddy, dans les estuaires du sud-est du pays et sur les plages de l’Etat du Rakhine, détaille Vicky Bowman, qui dirige l’ONG Myanmar Centre for Responsible Business. Résultat, les côtes marines ne sont plus protégées contre les tempêtes, les berges des rivières s’érodent et l’eau est devenue trouble. » Certains hôtels, sur la plage de Ngapali, ont commencé à s’effondrer. Et des bâtiments construits avec ce sable rempli de sel, tel l’hôpital de Sittwe, risquent aussi de s’affaisser. »

Il existerait pourtant des alternatives au sable :

« Il existe des solutions pour utiliser moins de sable. L’asphalte, le ciment et le verre se recyclent. En Grande-Bretagne, près de 30% des matériaux utilisés dans le BTP sont générés ainsi. « L’incinération de déchets produit une cendre très compacte qui peut servir à fabriquer des revêtements de parking ou des dalles », précise en outre Pascal Peduzzi, géographe affilié au programme des Nations unies pour l’environnement. Singapour se sert pour sa part de la terre excavée lors de la construction des lignes de métro pour gagner du terrain sur la mer. La cité-Etat a également lancé un ambitieux projet, inspiré par les polders néerlandais, pour agrandir l’île de Tekong, tout à l’est du territoire, de 8,1 km2. « Nous construisons un mur circulaire long de 10 kilomètres qui affleurera à 6 mètres au-dessus du niveau de la mer, détaille Wong Heang Fine, le PDG de Surbana Jurong, entreprise qui travaille au projet. L’eau retenue par cette digue sera ensuite drainée et nous pourrons construire directement sur le sol marin. » »

Homo sapiens continue sa folle quête de la croissance en prélevant des ressources de notre planète au-delà du raisonnable et supérieures à ce qu’elle est capable de régénérer.

Je vous redonne le lien vers l’article du magazine des Echos : <La guerre du sable>

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