Jeudi 22 février 2018

« Modifier son rapport au temps, pour beaucoup d’entre nous, c’est d’abord réinvestir le présent. »
Christophe André

Je poursuis et termine mon butinage du numéro 185 du mercredi 17 janvier du « le un » qui posait cette belle question : « Est-il urgent de ralentir ? »

Ce numéro m’a appris aussi que la réflexion féconde qu’avait jadis popularisée François Mitterrand : « Il faut laisser du temps au temps » est de Miguel de Cervantés.

<Cette recherche érudite confirme que cette expression se trouve bien dans le Don Quichotte de Cervantés>

Mais c’est sur un article de Christophe André que je m’arrêterai aujourd’hui : « Renoncer et savourer »

Christophe André, commence d’abord par une histoire vécue :

« La scène se passe en il y a quelques années. Nous avons fait halte dans un hôtel, au petit déjeuner, je fais la queue avec d’autres clients pour obtenir une omelette double. Un cuistot les prépare sous nos yeux, et elles ont l’air délicieux. Mais que l’attente est longue ! Je m’impatiente et je me penche pour comprendre. C’est clair : le cuisinier est très minutieux, ajoute de nombreux ingrédients, épices, les uns après les autres, bavarde avec les clients…

Mais un détail me frappe : alors qu’il dispose de deux feux : devant lui, il n’en utilise qu’une. « Il pourrait aller deux fois plus vite, s’il se servait des deux feux », me chuchote mon cerveau d’occidental pressé.

Aussitôt, je réalise à quel point je suis intoxiqué : je suis en vacances, je n’ai pas d’horaires à respecter ce matin-là, et me voilà agacé d’attendre une délicieuse omelette, souhaitant que ce brave cuisinier accélère, ne parle plus aux clients, bâcle son travail, pour servir mon appétit absurde de vitesse et d’accélération !

Cet auto-allumage spontané de mon logiciel cérébral d’accélérite me montre à quel point le mal est profond, en moi, comme en beaucoup de mes contemporains…

Il fait alors une analyse et utilise ce nouveau concept « d’accélérite »

Nous souffrons d’accélérite, ce besoin que tout aille vite, ce sentiment constant que nous n’avons pas de temps à perdre. […]

Il y a ce constat simple et terrifiant : le monde est d’une richesse inépuisable, et une vie humaine entière ne suffira jamais à en explorer et à en savourer toutes les merveilles. Nous ne pouvons jamais lire tous les livres, visiter tous les lieux, rencontrer toutes les personnes, satisfaire toutes nos curiosités. Ce jamais nous fait trembler, et induit en nous ce sentiment absurde qu’en accélérant le pas, nous en ferons au moins un petit peu plus qu’en prenant notre temps. Notre monde est infini, nous sommes mortels, alors nous accélérons…

Puis, il nous incite à prendre garde et à interroger la notion d’« opportunité » ou de « potentialité » que le monde moderne nous conditionne à ne jamais laisser passer :

« [Dans notre] société de consommation : une société de pléthores et d’incitation, qui nous pousse à avaler le plus grand nombre possible de nourritures, de loisirs, d’informations, de distractions, de rencontres, de voyages…

Toutes ces potentialités comme les nomme le jargon moderne (plutôt que possibilités, plus paisible, moins excitant) sont des incitations à ne rien laisser passer : aucun achat, aucun plaisir, aucune opportunité (ah ! L’angoisse du consommateur de rater une opportunité !) »

Et il remet en cause de la même manière le terme de « réactivité » qui semble unilatéralement positif dans notre univers contemporain :

« Si la réactivité est devenue une valeur, au lieu de rester un simple comportement, parfois adapté et utile, mais parfois aussi stupide : réagir vite conduit souvent à faire ou dire des bêtises. »

Et c’est donc vers cette sagesse qui est de renoncer parfois que nous incite Christophe André : renoncer et savourer

« La pression du temps est désormais l’un des grands facteurs de stress moderne. […] Nous avons alors à le dégager de son emprise, en apprenant notamment à renoncer. Renoncer ? Cela semble tout bête : se dire qu’on n’aura jamais le temps de tout faire et de tout voir. Et pas seulement celui de se le dire, mais s’y entraîner.

[…] Savourer ? Trop souvent, nous regardons ailleurs : vers d’autres choses que celles que nous possédons, vers d’autres temps (passés ou futurs) que ceux que nous vivons. Modifier son rapport au temps, pour beaucoup d’entre nous, c’est d’abord réinvestir le présent. Non que le présent soit supérieur au passé ou au futur, mais il est tout aussi précieux et important. Or, c’est lui qui est en général bousculé et rongé par le consumérisme, qui souffle sur les braises de nos désirs et de nos regrets. »

Et puis il conclut par une réflexion sur notre finitude :

« La conscience que nous avons de notre mortalité est à l’origine de beaucoup de nos angoisses et de nos comportements aberrants. Pourtant en psychologie expérimentale, quand on écarte l’idée de mort de l’esprit des gens, en induisant chez eux l’idée qu’ils ont encore beaucoup de temps à vivre, il se montre désireux de faire le plus grand nombre possible de nouvelles expériences. Mais si on leur rappelle que leur vie aura un terme, il se montre alors beaucoup plus désireux de savourer ce qui existe déjà (relations, source de satisfaction), d’approfondir plus que de courir. Ainsi, la solution à nos angoisses humaines de mort n’est pas dans la fuite de l’accélération ou de la dispersion, mais dans la lucidité du ralentissement et de l’approfondissement. […]

En terme de règles de vie, c’est remplacer le : « Pourquoi courir ? Parce que je vais mourir ! » Par : « Pourquoi courir, puisque je vais mourir ? »

La lucidité du ralentissement et de l’approfondissement.

Réinvestir notre présent, quelle savoureuse leçon de vie !

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Une réflexion au sujet de « Jeudi 22 février 2018 »

  • 22 février 2018 à 12 h 17 min
    Permalink

    Je ne crois pas trop en cette possibilité de décélération pour ceux qui sont dans la vie active, c’est un peu comme décider de rouler à 70 sur l’autoroute pour voir le paysage !
    Je crois par contre en la nécessité pour eux de se ménager très régulièrement des vrais moments de déconnection, au sens propre comme au sens figuré et pour tous la nécessité de faire des tris et des choix d’activité pour ne pas confondre action et agitation

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