Mardi 30 janvier 2018

« Un environnement de terrorisme sexuel »
Natalie Portman

Si en France, le ralliement des femmes contre le comportement des hommes s’est fait autour du hashtag  « balance ton porc », les américains utilisent « #Metoo » c’est-à-dire « moi aussi ».

Ce mouvement s’est étendu en Chine. C’est la revue de presse assurée par Claude Askolovitch sur France Inter qui renvoie vers un article du Monde :

C’est à lire dans LE MONDE, « Les universités chinoises gagnées par le hashtag metoo ». En chinois, ça donne « wo ye shi » et si, dans un tout premier temps, les témoignages se sont faits rares, ils se multiplient désormais sur les réseaux sociaux chinois. Il s’agit donc d’étudiantes, des jeunes filles qui ont le courage de parler, et qui racontent les agressions sexuelles et les viols qu’elles ont subis au sein de leurs établissements. Ce sont, pour l’essentiel, des professeurs qu’elles accusent.
Une soixantaine d’universités serait concernée. Et certains estiment qu’on assiste ici à l’émergence d’un important mouvement féministe, le plus grand que la Chine n’ait jamais connu…

Mais c’est à un évènement des Etats-Unis que je voudrais revenir.

Le 21 Janvier 2017, quelques heures après l’investiture de Donald Trump, des centaines de milliers de manifestants ont défilé dans les rues du monde entier. A New York, Washington, Los Angeles, Portland, Chicago, etc ces manifestants voulaient protester contre les propos et l’attitude sexiste de Trump. On a appelé cela <la Marche des femmes>.

Il semblerait que cette manifestation devienne un évènement annuel. En effet, il y eut une nouvelle « women march » le samedi 20 janvier 2018, portée par le mouvement #Metoo. La plus importante manifestation a eu lieu à Los Angeles, deuxième ville du pays, avec quelque 600 000 manifestants, a tweeté le maire démocrate Eric Garcetti.

Plusieurs personnes ont pris la parole et le discours qui a suscité le plus d’intérêt fut celui de Natalie Portman.

Peut-être qu’il faut rappeler que Natalie Portman, née en 1981 à Jérusalem, est une actrice israélo-américaine. Wikipedia nous apprend qu’elle est née Natalie Hershlag. Elle est devenue très célèbre en interprétant, dans la saga de Star Wars, le rôle de la reine Padmé Amidala. Mais elle fait ses débuts au cinéma en 1993, à douze ans, en interprétant le rôle de Mathilda dans le film Léon de Luc Besson, aux côtés de Jean Reno.

L’introduction de son discours est consacrée aux conséquences pour elle de ce film.

La vidéo du discours de Natalie Portman se trouve derrière ce lien : <Discours de Natalie Portman Woman march>

Et voici le début de ce discours :

« J’ai eu 12 ans sur le plateau de mon premier film Léon […] Je découvrais moi aussi ma propre féminité, mes propres désirs et ma propre voix.
J’étais tellement enthousiaste à 13 ans quand le film est sorti, que mon travail et ma performance artistique touche le public.

J’ai ouvert avec enthousiasme ma première lettre de fan : un homme m’écrivait qu’il rêvait de me violer.
Une radio locale a organisé un décompte des jours jusqu’à mon 18e anniversaire, date à laquelle ça deviendrait légal de coucher avec moi.
Les critiques de cinéma faisaient référence à ma poitrine naissante. J’ai rapidement compris, même à l’âge de 13 ans, que si je m’exprimais sexuellement, je ne me sentirais pas en sécurité et que les hommes se sentiraient autorisés à discuter et considérer mon corps comme un objet, quitte à me rendre mal à l’aise […]

J’ai rejeté tous les rôles où il y avait ne serait-ce qu’une scène de baiser. Je faisais exprès de parler de ces choix dans les interviews, je mettais surtout en valeur mon côté sérieux. Je faisais attention à être élégante, je me construisais la réputation d’être quelqu’un de prude, conservatrice, cultivée, geek, sérieuse […]

Face à ces petits commentaires sur mon corps, face à des déclarations délibérées et menaçantes, je me suis imposée de contrôler mon comportement dans un environnement de terrorisme sexuel »,

Elle conceptualise le message que lui a envoyé le monde du réel à l’enfant de 13 ans qu’elle était :

« A seulement 13 ans, la société m’envoyait un message clair. J’ai ressenti le besoin de cacher mon corps et d’inhiber mes propos et mon travail. Tout ceci dans le but d’envoyer mon propre message au monde : que j’étais quelqu’un qui méritait la sécurité et le respect ».

Je trouve le terme de « terrorisme » particulièrement bien choisie. Le terrorisme a pour objet de créer un climat de terreur, de peur qui paralyse.

Dans beaucoup de témoignages, on ne comprend pas certaines réactions de femmes qui justement sont tétanisées par leur prédateur sexuel, non seulement en raison de ce monstre mais aussi d’un environnement qui tolère cela et qui quelque part ne dit pas : « Ceci est anormal ».

Brigitte Bardot qui fut un temps l’égérie de la liberté sexuelle des femmes critique la dénonciation du harcèlement sexuel dans le monde du cinéma français :

« Concernant les actrices, et pas les femmes en général, c’est, dans la grande majorité des cas, hypocrite, ridicule, sans intérêt. […] Il y a beaucoup d’actrices qui font les allumeuses avec les producteurs pour décrocher un rôle. Ensuite, pour qu’on parle d’elles, elles viennent raconter qu’elles ont été harcelées…  »

Peut-être que certains d’entre vous approuvent ces propos
Peut-être même est-ce vrai dans certains cas.

Mais alors je vous pose la question : « Qui assume la responsabilité la plus importante ? la jeune fille qui aspire à devenir actrice ou l’homme de pouvoir installé qui profite de sa position dominante, de faire ou défaire des carrières et qui s’inscrit dans un environnement où seul le désir masculin compte et que la femme n’est qu’objet qui participe à cette recherche du plaisir égoïste.

Vous comprendrez que mon opinion n’est pas de condamner les jeunes actrices qui ne disposent pas du réseau ou des intermédiaires d’influence pour accéder à l’accomplissement de leur objectif artistique mais de m’élever contre les mâles dominants qui profitent, abusent, salissent.

Ce que j’aime chez Chimamanda Ngozi Adichie, cité vendredi et Natalie Portman c’est leur discours sur le désir et le plaisir partagé.

Natalie Portman, dans le discours du 20 janvier 2018, s’insurge contre les critiques qui voudraient enfermer la parole des femmes dans le puritanisme, la pruderie, alors que la demande est simplement celui d’un désir partagé, d’un plaisir réciproque, d’une écoute de l’un envers l’autre.

Elle rêve d’un monde

« dans lequel je pourrais m’habiller comme je le veux, dire ce que je veux et exprimer mes désirs de la façon dont je le souhaite, sans craindre pour ma sécurité physique ou ma réputation : voilà ce que serait le monde dans lequel le désir des femmes et leur sexualité pourraient s’exprimer pleinement”,

C’est donc à « une révolution du désir » qu’appelle Natalie Portman comme le fait aussi Chimamanda Ngozi Adichie.

Car tous ceux qui veulent couvrir que ce soit les extrémistes islamiques dans la démesure, que ce soit les bourgeois occidentaux dans ce qu’ils appellent la décence et qui disent « elle l’a bien cherchée » sont prisonniers d’un schéma où le désir masculin est premier et souvent excusable.

Alors qu’« un homme ça s’empêche ou alors ce n’est pas un homme ».

Mais un monde où le désir est réciproque, partagé et consenti est un monde où la civilisation a beaucoup progressé.

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2 réflexions au sujet de « Mardi 30 janvier 2018 »

  • 30 janvier 2018 à 15 h 13 min
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    La philosophe Olivia Gazalé nous explique que les femmes ont réussi depuis un siècle à remettre en cause les stéréotypes sexués qui les aliénaient depuis l’éternité en les rivant à a sphère privée et en leur interdisant la sphère publique à l’inverse des hommes qui sont encore prisonniers de leurs stéréotypes mutilants liés au mythe de la virilité.
    En s’imposant dans l’arène de la vie publique, je pense qu’elles perdent aussi une forme de protection morale et légale. C’est une évolution légitime dont le prix à payer est forcément élevé d’autant qu’il se développe dans des sociétés dont les barrières traditionnelles bougent dans tous les domaines.

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    • 30 janvier 2018 à 19 h 58 min
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      Cette réflexion est vraie dans le domaine économique et professionnel.
      Mais je ne pense que cela soit exact au niveau de la violence et du désir.
      La violence faite aux femmes est une réalité depuis toujours, dans toutes les cultures.
      La seule prise en compte du désir masculin est aussi une histoire très ancienne.
      On aurait pu penser que les évolutions des dernières décennies aurait pu améliorer plus vite les relations hommes/femmes mais ce n’est pas suffisamment le cas.

      Répondre

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