Vendredi 13 janvier 2017

Vendredi 13 janvier 2017
«S’émerveiller »
Belinda Cannone
J’ai découvert Belinda Cannone en écoutant cette émission de France Culture :https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/resister-en-semerveillant
Née en 1959, Belinda Cannone est romancière et essayiste. Elle a déjà publié plusieurs romans et <S’émerveiller est son dernier livre, un essai, qui vient de paraître>
Pour Belinda Cannone, la société vit actuellement une forme d’enténèbrement. C’est pourquoi elle nous propose de tenter de retrouver les petits bonheurs simples de la vie, ceux qui ne sont pas grand-chose mais qui pourtant nous réjouissent, bref, elle nous invite à nous émerveiller d’avantage. Un paysage, une action de courage ou un éclat de rire, la possibilité d’une lumière plus joyeuse apportée sur nos quotidiens mornes est à portée de main de tout un chacun.
Son ouvrage débute ainsi :
« L’autre fois (l’automne) je notais : Ce matin, je contemple mon chêne, cette torche de temps pur qui se dresse à deux ou trois cents mètres devant la fenêtre du bureau, dans ma maison des champs, la vision est d’autant plus nette que l’herbe à son pied est rase, ultime fenaison faite, et le soleil dissipe lentement la couverture de nuages légers. À mon lever, la brume de chaleur (un si doux septembre) le dissimulait tout à fait. Tandis que l’arbre émergeait – le détail de sa ramure devenant de plus en plus net, la haie d’arbres du fond perdant son indistinction ombreuse –, j’observais, de l’autre côté du carreau, deux merles cherchant leur nourriture, et je me suis sentie émerveillée, par la beauté du chêne, du champ, des oiseaux noirs, par le silence ouaté et la solitude.
Ce chêne, encadré par la fenêtre (je l’appelle mon chêne, bien qu’il ne m’appartienne pas), provoque souvent mon émerveillement. S’il est assez parfait (sa ramure arrondie, son tronc bien droit, sa taille vénérable), il a pourtant, dans les campagnes, des semblables par milliers. Mais sa position isolée dans un vaste champ, outre qu’elle lui confère une sorte de majesté, le désigne à mon attention qui lui fait rendre sa dimension merveilleuse : la beauté secrète du chêne apparaît sous mon regard assidu.
Depuis que j’ai acquis un téléphone qui me le permet, je photographie le chêne chaque fois que se produit une variation (oiseau, renard, lumière, nuages, ombre). Si elle en vaut la peine, j’envoie la photo à des destinataires choisis selon mon cœur. Car l’émerveillement, rarement silencieux, aime à se dire, comme s’il s’agissait de remplir l’écart entre le spectacle et mon œil, ou parce que, animaux bavards, nous réagissons toujours ainsi à la commotion de la joie – par un faire-part.
Le sentiment que j’aimerais ici décrire n’est qu’un aspect du vaste espace couvert par la notion d’émerveillement. Je pourrais le dire modeste, non parce qu’il manquerait de puissance mais parce que les objets susceptibles de l’éveiller le sont souvent. De même que le chêne que je contemple n’est qu’un arbre, l’être que j’aime n’est qu’un homme : rien de grandiose en eux mais dans mon regard, sous mon attention, ils sont l’aimé et mon chêne. Pour quelqu’un d’autre, tel jeu de lumière sur un mur en face de sa fenêtre, les variations du couchant sur un bâtiment, le chant des oiseaux juste avant la nuit – que sais-je ? –, pour quelqu’un d’autre l’émerveillement pourra être provoqué par un spectacle, des sons ou des êtres différents de ceux qui me touchent, mais il sera voisin de celui que je veux saisir s’il est lié à un objet simple, de ceux que nous croisons chaque jour sans toujours être capables d’en percevoir la beauté.
Car s’émerveiller résulte d’un mouvement intime, d’une disposition intérieure par lesquels le paysage à ma fenêtre ou l’homme devant moi deviennent des événements. L’événement survient au présent pur, dans une épiphanie. Alors je ne me projette plus dans un avenir rêvé, ni ne m’abandonne, mélancolique, à la contemplation du chimérique passé : je suis entièrement requise ici et maintenant. Savoir se rendre disponible à ces événements qui émerveillent est une voie vers le bonheur, dans la mesure où la vie heureuse est celle vécue au présent. Mais parce que nous en sommes la plupart du temps incapables, submergés par les projets, les anticipations, les choses à faire, nous devons plus d’une fois admettre, comme Pascal (quoique d’une autre manière) : « Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre. » Vivre (intensément) exige de se tenir dans le présent pur, et rien n’est moins aisé. Je le puis dans la joie de la danse, de l’étreinte, du rire et de la contemplation.
Le reste du temps, je vis légèrement en avant de moi-même, ce qui exclut l’émerveillement.»
Dans l’émission évoquée elle a cette belle formule : il n’y a pas plus grande urgence que de partager son émerveillement.
Je ne vous ai pas encore présenté mes meilleurs vœux pour l’année 2017,
Qu’elle soit remplie, pour vous, de santé, de paix intérieure et d’émerveillement.
Et que collectivement apparaissent des idées nouvelles  pour faire progresser le monde dans lequel nous vivons.
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