Jeudi 12 janvier 2017

Jeudi 12 janvier 2017
« Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre »
Marylène Patou-Mathis
Lors de l’émission <du grain à moudre : pourquoi n’aimons-nous pas la paix ? >  qui ont servi directement à inspirer les deux premiers mots du jour de la semaine et indirectement celui d’hier, Hervé Gardette, le journaliste responsable de l’émission a diffusé un enregistrement d’une émission ancienne où la préhistorienne Marylène Patou-Mathis intervenait pour révéler les découvertes récentes des scientifiques sur la préhistoire concernant l’entraide et l’empathie qui existait à l’intérieur des groupes humains. Elle cite l’exemple d’un squelette dont les anthropologues ont pu déterminer qu’il s’agissait d’un homme qui était né, privé d’un bras et qui est mort vers la cinquantaine, ce qui était extrêmement âgé à cette période. Ils ont donc pu en conclure que cet homme handicapé (trouvé en Irak, vers – 45000) a pu bénéficier de l’entraide du groupe dans lequel il était né. Sinon il n’aurait pas pu vivre si longtemps. [à partir de 33:50 de cette émission]
Marylène Patou-Mathis a publié en 2013, un livre chez Odile Jacob : <Préhistoire de la violence et de la guerre> où elle tente de répondre à cette question : l’Homme a-t-il toujours été violent ?
L’exergue de ce mot du jour est le titre d’un article qu’elle a consacré à ce sujet : « Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre »
Dans ce long article que je vous invite à lire, Marylène Patou-Mathis écrit notamment :
« L’image de l’homme préhistorique violent et guerrier résulte d’une construction savante élaborée par les anthropologues évolutionnistes et les préhistoriens du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Elle a été gravée dans les esprits à la faveur du présupposé selon lequel l’humanité aurait connu une évolution progressive et unilinéaire. Dès la reconnaissance des hommes préhistoriques, en 1863, on a rapproché leur physique et leurs comportements de ceux des grands singes, gorilles et chimpanzés. Pour certains savants, cet « homme tertiaire » représentait le chaînon manquant entre la « race d’homme inférieur » et le singe. Puis la théorie dite « des migrations », apparue dans les années 1880, a soutenu que la succession des cultures préhistoriques résultait du remplacement de populations installées sur un territoire par d’autres ; elle a enraciné la conviction que la guerre de conquête avait toujours existé. […]
Aujourd’hui, l’hypothèse selon laquelle l’homme, parce que prédateur, descendrait de « singes tueurs » est abandonnée, de même que celle de la « horde primitive » proposée par Sigmund Freud en 1912. Défenseur de la théorie de Jean-Baptiste de Lamarck sur l’hérédité des caractères acquis, le père de la psychanalyse soutenait que, en des temps très anciens, les humains étaient organisés en une horde primitive dominée par un grand mâle tyrannique. Celui-ci s’octroyait toutes les femmes, obligeant les fils à s’en procurer à l’extérieur par le rapt. Puis, un jour, « les frères chassés se sont réunis, ont tué et mangé le père, ce qui a mis fin à l’existence de la horde paternelle », écrit-il dans Totem et Tabou, en 1912. Freud développe également les notions de « primitif intérieur » et de « pulsion sauvage » ; les conflits internes représenteraient l’équivalent de luttes extérieures qui n’auraient jamais cessé.
[…] En outre, de nombreux travaux, tant en sociologie ou en neurosciences qu’en préhistoire, mettent en évidence le fait que l’être humain serait naturellement empathique. C’est l’empathie, voire l’altruisme, qui aurait été le catalyseur de l’humanisation.
[…] D’après les vestiges archéologiques, on peut raisonnablement penser qu’il n’y a pas eu durant le paléolithique de guerre au sens strict, ce qui peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Une faible démographie, d’abord : en Europe, on estime à quelques milliers d’individus la population durant le paléolithique supérieur. Les communautés étant dispersées sur de vastes territoires, la probabilité qu’elles se soient affrontées est faible, d’autant qu’une bonne entente entre ces petits groupes d’au maximum cinquante personnes était indispensable pour assurer la reproduction.
[…] au cours du néolithique, le besoin de nouvelles terres à cultiver entraînera des conflits entre les premières communautés d’agropasteurs, et peut-être entre elles et les derniers chasseurs-cueilleurs, en particulier lors de l’arrivée en Europe de nouveaux migrants, entre 5 200 et 4 400 ans av. J.-C. (à Herxheim, en Allemagne, par exemple). Une crise profonde semble marquer cette période, comme en témoigne aussi le nombre plus élevé de cas de sacrifices humains et de cannibalisme.
[…]Ce n’est qu’au cours de la mutation socio-économique du néolithique qu’émergent en Europe les figures du chef et du guerrier, avec un traitement différencié des individus dans les sépultures et dans l’art. L’utilisation de l’arc se généralise ; pour certains préhistoriens, cette arme utilisée pour la chasse aurait joué un rôle dans l’augmentation des conflits, comme semblent l’attester les peintures rupestres du Levant espagnol.
Le développement de l’agriculture et de l’élevage est probablement à l’origine de la division sociale du travail et de l’apparition d’une élite, avec ses intérêts et ses rivalités.  »
J’en arrive à la conclusion :
«  la « sauvagerie » des préhistoriques ne serait qu’un mythe forgé au cours de la seconde moitié du XIXe siècle pour renforcer le concept de « civilisation » et le discours sur les progrès accomplis depuis les origines. A la vision misérabiliste des « aubes cruelles » succède aujourd’hui — en particulier avec le développement du relativisme culturel — celle, tout aussi mythique, d’un « âge d’or ». La réalité de la vie de nos ancêtres se situe probablement quelque part entre les deux. Comme le montrent les données archéologiques, la compassion et l’entraide, ainsi que la coopération et la solidarité, plus que la compétition et l’agressivité, ont probablement été des facteurs-clés dans la réussite évolutive de notre espèce. »
Je vous renvoie vers l’article complet : « Non, les hommes n’ont pas toujours fait la guerre »
J’avais déjà évoqué Marylène Patou-Mathis lors du mot du jour du 6 juin 2016, dans la série de mots consacrée au livre « Sapiens : Une brève histoire de l’humanité »
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