Mercredi 20 décembre 2017

« Mais je suis persuadé qu’on arrive dans l’âge de l’entraide parce que ce sont les plus individualistes qui crèveront les premiers. »
Pablo Servigne

Avant d’écrire le livre sur l’entraide évoqué lundi, Pablo Servigne associé à Raphaël Stevens avait écrit en 2015 : « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes »

Ils avaient inventé à cette occasion le mot «collapsologie» du latin collapsus «qui est tombé en un seul bloc » et qui a pour définition : « Étude multidisciplinaire de l’effondrement des civilisations industrielles et de ses suites. »

Pablo Servigne et ses collègues voudraient en faire une discipline scientifique. Ils ont d’ailleurs consacré un site à cet effet : http://www.collapsologie.fr/

Pour poursuivre la réflexion de lundi et de mardi, je voudrai partager un article auquel Pablo Servigne a participé à la suite de la publication de son livre et de ses réflexions sur la collapsologie.

Dans cet article il écrit par exemple :

« On croit souvent que le progrès est naturel. En fait, ce sont des choix politiques. Des élites au pouvoir ont imposé le pétrole, par exemple. Ça a créé des monopoles et on a détruit les trains, les trams et les autres sources d’énergie. Un régime énergétique fait émerger un régime politique. C’est bien montré dans Petrocratia (Editions Ere, 2011), de Timothy Mitchell. Le charbon a permis l’émergence de la démocratie de masse et des mouvements ouvriers ; l’arrivée du pétrole a détruit ces mouvements par la qualité même de cette énergie et a mis au pouvoir une élite technocratique. Le changement climatique est connu depuis longtemps. Les élites ont décidé de l’ignorer pour faire plus d’argent. Par ailleurs, des théories disent que notre cerveau n’est pas façonné pour voir les problèmes à long terme et à grande échelle. »

Son propos parle d’effondrement et il l’analyse de la manière suivante :

« Certains scientifiques parlent de limits (« limites »), d’autres de boundaries (« frontières »). Prenons la métaphore de la voiture. Notre société ne va pas dans le mur, mais elle a deux problèmes. D’abord, le réservoir (les limites). Une fois qu’il n’y a plus d’essence, on ne peut pas aller plus loin. L’autre, ce sont les frontières, la transgression de certains seuils qui dérèglent le système-terre. Ça, c’est le bas-côté. On est sortis de la route goudronnée, on navigue à vue dans un monde incertain, avec la possibilité de grands chocs. On est sortis des conditions normales. C’est ça dont il faut prendre acte. Parmi les frontières, il y a le climat, la biodiversité, le cycle de l’azote, celui du phosphore… Les entomologistes parlent d’effondrement des insectes – pas seulement des abeilles –, il y a un effondrement des populations d’oiseaux, de poissons, des grands mammifères…

[…]

Il peut y avoir des étincelles climatiques ou dues au manque de ressources, mais il est plus logique de penser que les crises financières jouent un rôle moteur et qu’elles peuvent se transmettre à l’économie. Ça peut ensuite muter en effondrement politique. Avec une crise financière, il n’y a plus rien dans les distributeurs de billets ; avec une crise économique, plus rien sur les étalages. L’effondrement politique, c’est l’apparition de mafias, de l’économie informelle, de la corruption et la machine de l’Etat se déglingue. C’est le bloc soviétique dans les années 1990. »

Il explique aussi que les interconnexions de notre monde conduisent à sa fragilité :

« En un sens, notre monde est assez résilient : en cas de choc économique dans une région, il y a tellement de commerce et de réseaux qu’il est finalement rapidement absorbé. Mais on a découvert récemment que, quand un système devient hyperconnecté et très homogène, comme notre économie mondiale, il est résilient au début mais se fragilise en silence, jusqu’à dépasser un seuil qui provoque un effondrement brutal. Alors que les systèmes très peu connectés et très hétérogènes, comme ceux d’avant la mondialisation, encaissent moins bien les chocs, mais sont plus résilients à long terme. Avec la mondialisation est né le risque systémique global. Pour prendre un exemple, imaginons qu’un champignon ravage la production de blé d’une année dans la Beauce. Au Moyen-Age, ça n’aurait pas impacté beaucoup les autres régions, car elles étaient moins connectées et chacune avait ses céréales. Aujourd’hui, l’impact serait fort partout. Et il y a des effets en cascade. Il y a quelques années, des pluies torrentielles en Thaïlande ont provoqué l’explosion des cours des disques durs ! Notre système est beaucoup plus efficace… et plus fragile. »

Dès la rédaction de ce premier ouvrage, Pablo Servigne pensait que l’entraide devait être valorisée et prendre toute sa place dans notre imaginaire :

« On sait aussi que l’entraide et la coopération peuvent se créer contre un ennemi : une guerre, ça soude un peuple ! Mais je suis persuadé qu’on arrive dans l’âge de l’entraide parce que ce sont les plus individualistes qui crèveront les premiers. »

Lui-même a choisi de vivre dans un éco-hameau en Ardèche :

« Ce n’est pas la panacée ! J’ai fait ce choix du monde rural et du soleil parce que j’ai des jeunes enfants, que j’ai vécu vingt ans en Belgique et que j’en avais marre de la pluie ! Surtout, je voulais expérimenter la vie collective. C’est passionnant, mais c’est dur. Je pense qu’une grande partie de la résilience, c’est l’environnement affectif et social : la famille, les amis, les voisins, les élus communaux… C’est plus important que l’argent ou les stocks de nourriture. L’essentiel, c’est de retrouver du collectif. En ville ou à la campagne. La ville a des forces : beaucoup de gens, de culture… En temps d’incertitude, il n’y a pas un modèle à appliquer, c’est l’intuition qui compte. »

Je trouve préférable d’entrer dans la réflexion de Pablo Servigne par son dernier ouvrage centré sur l’entraide que par celui-ci qui explique l’effondrement possible de notre civilisation.

Rappelons cependant que le pire n’est jamais certain.

<992>

5 réflexions au sujet de « Mercredi 20 décembre 2017 »

  • 20 décembre 2017 à 9 h 17 min
    Permalink

    Tout effort de sagesse bien conçu implique qu’on ne vive pas séparé de son environnement par son ego, un postulat déjà mis en valeur par les philosophes grecs de l’antiquité mais cela exige une élévation d’esprit qui ne trouve pas toujours de la réciprocité, c’est le moins qu’on puisse dire.
    Il semble que l’auteur ait pris conscience de cette difficulté en choisissant de vivre dans un eco-hameau qui lui garantit un partage de valeurs préalable à toute harmonie

    Répondre
  • 27 décembre 2017 à 9 h 15 min
    Permalink

    Nos grandes métropoles nous donnent l’illusion qu’in vivre (nombreux) ensemble harmonieux est possible. Il reste un fond d’artificiel par l’éclatement geographique des structures affectives , famille ou amis éloignés … on se côtoie dans les bus, la rue, en ignorant au mieux ceux qui y dorment, ou y quémandent une solidarité perdue …. on a même du mal à se trouver un créneau pour partager un repas !!
    On a tous envie de son village en Ardèche …
    Sauf à retrouver la force de le bâtir ici.

    Bises

    Répondre
    • 27 décembre 2017 à 11 h 25 min
      Permalink

      Se bâtir un village au milieu de la métropole !
      Beau projet…
      N’est ce pas un peu la vocation de la colline de la Croix Rousse ?

      Répondre
  • 13 janvier 2018 à 13 h 08 min
    Permalink

    Dans un ouvrage récent (Or Noir La grande histoire du pétrole ), Mathieu AUZANNEAU montre comment le pétrole (très ancienne source d’énergie utilisée dès l’antiquité) a structuré nos économies et ce dès le milieu du XIXème siècle, ainsi que dans une large mesure les relations internationales tout au long du XXème siècle.Il souligne que la capacité énergétique du pétrole(1), énergie longtemps peu onéreuse et relativement peu gourmande en investissements, est considérable comparée des autres sources d’énergie dont le charbon . Sans le pétrole, la révolution industrielle n’aurait pas eu l’intensité qu’on lui a connu à partir des années 1860-1880 . Le pétrole grâce à cette capacité énergétique, potentiel amplifié alors par son abondance en termes de gisement, a permis en particulier l’expansion de la mécanisation dans les processus industriels ( libérant au passage une main d’oeuvre importante pour les faire marcher), et amplifié la révolution des transports et ce bien avant qu’on ne le considère sous son seul aspect de carburant automobile. Aussi à la veille de la première guerre mondiale il tend à se substituer de plus en plus au charbon, évolution qui ne cessera de s’amplifier jusqu’à nos jours. Devenu un élément central des économies industrielles, l’industrie pétrolière va connaître un processus de cartellisation en premier lieu aux Etats-Unis et très rapidement au niveau international avec la constitution d’une sorte “d’OPEP avant la lettre” sans parler d’une étroite imbrication avec la sphère bancaire ( D’ailleurs les magnats du pétrole [Famille ROCKFELLER ]) sont très présents dans les conseils d’administration de grandes banques américaines) . Aussi l’industrie pétrolière traversera t’elle la crise des années 30 sans dommages.
    Même s’il y a une limite physique absolue à la quantité des énergies fossiles, la “pétromania” n’est à ce jour pas terminée, et les puissances industrielles poursuivent une course effrénée à la recherche de nouveaux gisements (en particulier mais pas seulement, dans la zone arctique en raison de la fonte des glaces ) avec toutes les implications internationales et géopolitiques que cela peut comporter, tellement l’économie mondiale est structurellement dépendante du pétrole (voir les innombrables applications des hydrocarbures en général dont le gaz appelé improprement “de schiste” n’est qu’une variante de d’extraction).
    En ce qui me concerne, je ne suis donc pas particulièrement optimiste, la prédation des ressources fossiles (en moins de 2 siècles nous avons largement entamé des ressources fossiles qui ont mis 200 millions d’années à se constituer) avec toutes ses conséquences a encore de beaux jours devant elle, du moins à l’échelle d’une vie humaine .
    (1 ) Bois : 14 méga joules par Kg, Charbon : 27 et fioul ordinaire : 36

    Répondre
    • 13 janvier 2018 à 13 h 12 min
      Permalink

      Merci pour ton commentaire Fabien.
      Si je comprends bien tu penses donc que nous n’arrivons pas encore à l’âge de l’entraide.
      Peut-être y arriverons nous trop tard pour sauvegarder l’essentiel de l’humanité ?

      Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *