Mercredi 8 novembre 2017

« Avec plus de 500 portraits, [Luther] est l’homme le plus représenté de son temps, devançant même les monarques ! »
Marion Deschamp dans un article dans la Revue Histoire (Hors série de septembre 2017)

Je vais finir, aujourd’hui, avec cette série de mots sur Luther.

Luther ne peut se résumer ni à son antisémitisme que j’ai évoqué hier, ni sa soumission à l’injustice du monde que j’ai rapportée lundi.

Mais Luther, ce croyant irréductible, a aussi écrit ces textes assez terrifiants, haineux et manquant beaucoup de l’amour qu’il prêchait par ailleurs.

Il y aurait encore tant de choses à raconter sur lui. Notamment son conflit avec le grand humaniste Erasme qui fut avant tout philosophe, humaniste et théologien né à Rotterdam dans le comté de Hollande, bien qu’aujourd’hui il soit surtout connu parce que son nom a été utilisé pour le célèbre programme «Erasmus» de l’Union européenne.

Probablement que dans le conflit entre le réformateur intraitable et l’humaniste pondéré nous serions aujourd’hui beaucoup plus proche d’Erasme.

Lucien Febvre dans son ouvrage de référence cite encore un écrit de Luther :

« Je hais Erasme du fond du cœur »
Martin Luther un destin page 82

Et un peu plus loin : « En ces matières, Erasme est bien plus ignorant que Lefèvre d’Etaples. Ce qui est de l’homme l’emporte en lui sur ce qui est de Dieu »

En titre de ce chapitre, Lucien Febvre cite l’accusation principale de Luther à l’encontre d’Erasme :

« Du bist nicht fromm !»

Tu n’es pas pieux. Voilà le grand reproche, Erasme n’était pas assez illuminé par la Foi ! Il s’intéressait trop à l’homme et à l’humanité.

En creux, cela dessine encore une fois Luther en croyant radical, absolu. Je n’utilise pas à dessein le terme « intégriste » qui serait décalé et utiliserait un terme d’aujourd’hui pour décrire un monde qui était si différent. Le terme exact pour qualifier cette erreur est «anachronisme».

Mais Luther a déclenché un mouvement d’une telle ampleur que probablement il n’avait pas imaginé et même pas voulu :

  • Il ne voulait pas le schisme avec l’église catholique, mais il l’a provoqué.
  • Il voulait convaincre, faire évoluer la théologie catholique. Il a provoqué les guerres de religion, la terrible guerre de trente ans.
  • Il pensait que l’alphabétisation générale servirait à l’unique but que chacun passe tout son temps disponible à lire et à commenter la Bible et les autres textes saints. Il ne pensait pas que cela permettrait aux ouvriers de lire Marx ou d’autres penseurs socialistes, par exemple.
  • De même la liberté de penser devait permettre à chacun de mieux interpréter la parole divine et non pas de blasphémer, de réaliser des caricatures du Christ et d’appeler à la révolte contre les classes possédantes.

Mais il a aussi provoqué cela.

Avant que je ne m’intéresse de plus près à son destin et à ce qu’il a vraiment écrit et professé, je le trouvais plutôt sympathique. Notamment dans son évolution entre le moine rigide, austère passant son temps et son énergie à se soumettre à des contraintes disciplinaires dans l’espérance de plaire à Dieu au vieux bourgeois gras, aimant la bonne chère, le vin et aussi le sexe.

Lucien Febvre cite une lettre à sa femme Catherine de Bore qui avait été nonne et qu’il a libéré de ses vœux puis épousé dans laquelle il reconnaît que l’âge l’a rendu impuissant et que s’il ne l’était pas, il lui ferait bien l’amour.

De multiples convives ont rapporté les « Tischreden », « ses propos de table » pleins de verves, d’outrance et de vulgarité.

Il fait ainsi plusieurs fois l’éloge de l’alcool et même plus… :

« Il y a des fois où il faut boire un coup de trop, et prendre ses débats et s’amuser, bref commettre quelque péché en haine et en mépris du diable.»

Pour boire et pratiquer les choses du sexe, il évoque le diable pour mieux s’en moquer :

« Au moment des épreuves spirituelles les plus graves, j’ai souvent saisi les seins et les tétons de ma Käthe, mais cela ne m’a pas aidé et n’a pas chassé mes mauvaises pensées .»

Ou encore :

« Oh ! si je pouvais enfin imaginer quelque énorme péché, pour décevoir le diable et qu’il comprenne que je reconnais aucun péché, que ma conscience ne m’en reproche aucun ! »

Il allait parfois si loin dans ses extravagances que son plus fidèle collaborateur Philippe Mélanchthon s’est écrié « Utinam Lutherus etiam taceret » Ah si Luther pouvait seulement se taire !.

Pour comprendre comment avec un tel homme à l’origine, les protestants ont pu devenir des « puritains » dénoncés pour leur rigidité par Ingmar Bergman et tant d’autres cinéastes ou écrivains ayant vécu en terre protestante, il faut comprendre que d’autres influences, d’autres hommes comme Calvin par exemple ont joué un rôle essentiel dans le développement du protestantisme

Mais Luther ce n’est pas qu’un vieil homme autoritaire, aimant boire et faire la fête.

Lucien Febvre écrit page 182 de son ouvrage :

« Il ignore l’avarice, et même l’économie. Il aime donner. Il se montre très simple, très accessible à tous. Peu à peu, il reçoit dans son logis des pensionnaires. Des privilégiés, […] et qui, à table du grand homme, ouvre les oreilles pour bien tout écouter. Souvent Luther se tait. Il s’assied sans mot dire. On respecte son silence, lourd de méditation et de rêverie. Souvent aussi, il parle. Et des propos épais sortent de sa bouche : grossier mais, car le maître a pour un certain genre d’ordures, pour la scatologie, un goût qui ne fait que s’affirmer davantage, à mesure que passent les années. Mais parfois aussi, de ce gros corps qui s’enlaidit, un autre homme se dégage et surgit. Un poète, qui dit sur la nature, sur la beauté des fleurs, le chant des oiseaux, le regard brillant et profond des bêtes, toutes sortes de choses fraîches et spontanées. »

Et je voudrais finir par la grande modernité de Luther. Je tire cet extrait d’un article du hors série Histoire publiée par la Vie consacrée à Luther :

« Luther est instrumentalisé dès sa mort en 1546. Un dispositif mémoriel se met en place, et son discours est recyclé à des fins politiques. Le réformateur y a lui-même contribué en pariant de son vivant sur une diffusion de son message par l’image. Avec plus de 500 portraits, c’est l’homme le plus représenté de son temps, devançant même les monarques ! Cette culture du souvenir, alimentée sous toutes les formes possibles, traduit une modernité dans la communication : Luther parlait au peuple, pas seulement aux élites. »

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3 réflexions au sujet de « Mercredi 8 novembre 2017 »

  • 8 novembre 2017 à 9 h 51 min
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    Luther est un personnage à l’image de son époque.
    Le XVIème siècle est tiraillé par des peurs de fin du monde dont il voit de nombreux signes, peur du jugement dernier et volonté d’instaurer en urgence une société sainte.

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  • 8 novembre 2017 à 15 h 28 min
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    nous devrions nous inspirer et de Luther (la volonté et l’ambition de changer les choses) et d’Erasme (le pragmatisme et l’humanisme).

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    • 8 novembre 2017 à 17 h 05 min
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      J’aime cette belle synthèse entre les deux courants.
      Et j’aime aussi cette idée rapportée à la fin de l’article de la capacité de parler non seulement à l’élite mais aussi au peuple.
      Il semblerait selon notre expérience récente qu’il s’agisse d’un challenge compliqué.

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